JOURNAL DE FRANÇOIS DE MONTMOLLIN

1802-1870

(Texte intégral copié en 1907-1908 par Marcel de Montmollin)
 
Liens vers les années 1802, 1806, 1810, 1811, 1814, 1817, 1818, 1819, 1820, 1821, 1822, 1823, 1824, 1825, 1826, 1827, 1828, 1829, 1830, 1831, 1832, 1833, 1834, 1835, 1836, 1837, 1838, 1839, 1840, 1841, 1842, 1843, 1844, 1845, 1846, 1847, 1848, 1848, 29 février 1848, 1 mars 1848, 2 mars 1848, 3 mars 1848, 4-15 mars 1848, 16-31 mars 1848, 1-15 avril 1848, 16-30 avril 1848, 1-24 mai 1848, 24 mai-21 juin 1848, 22 juin-17 juillet 1848, août 1848, septembre 1848, octobre 1848, novembre 1848, décembre 1848, 1849, février 1849, mars-avril-mai 1849, juin-juillet-août 1849, septembre-décembre 1849, 1850 janvier-avril, mai-juillet 1850, août-septembre 1850, octobre-décembre 1850, 1851 janvier-avril, mai-septembre 1851, octobre-décembre 1851, 1852 janvier-mars, avril-septembre 1852, octobre-décembre 1852, 1853  janvier-juin, juillet-septembre 1853, octobre-décembre 1853, 1854 janvier-mars, avril-juin 1854, juillet-décembre 1854, 1855 janvier-mars, avril-septembre 1855, octobre-décembre 1855, 1856 janvier-avril, 1856 mai juin-août 1856, septembre 1856, octobre 1856, novembre 1856, décembre 1856, 1857 janvier, février 1857, mai 1857, juin 1857, juillet-septembre 1857, octobre 1857, novembre-décembre 1857, 1858 janvier-mars, avril-juin 1858, juillet-septembre 1858, octobre-décembre 1858, 1859, 1860 janvier-avril, mai-septembre 1860, octobre-décembre 1860, 1861, juillet-septembre 1861, octobre-décembre 1861, 1862, avril-juin 1862, juillet-décembre 1862, 1863, 1864, juillet 1864, 1865, 1868,
 

François de Montmollin, 1802-1870 N'ayant cette année aucun ouvrage déterminé pendant notre séjour à la montagne, je profite de ces moments de loisir pour commencer une histoire de ma vie. En entreprenant ce travail, j'ai deux buts: le premier de me remettre en mémoire les diverses phases de mon existence, le second et le plus essentiel, peut-être, d'être utile à mes chers enfants s'ils en prenaient connaissance. Ils pourraient, j'espère, puiser dans ces notes quelques exemples et quelques leçons. Des exemples parce que dans le cours de ma carrière j'ai fait quelque bien. Des leçons parce que j'ai fait de nombreuses erreurs dues soit à mon inexpérience, soit à une susceptibilité extraordinaire qui m'a fait commettre bien des fautes, susceptibilité dont, grâce à Dieu, je suis parvenu à me débarrasser complètement, mais seulement petit à petit et à force de prières quand enfin, mais bien tard, je me suis mis à faire une étude approfondie de mon caractère.

La tâche que j'entreprends est peut-être, probablement même au dessus de mes forces, d'abord parce que je ne sais pas écrire, ensuite parce que je n'ai pas beaucoup de persévérance dans ce que j'entreprend, enfin parce que, dans le cours de ce travail, je pourrai être arrêté tout net, eu égard à l'embarras où je me trouverai probablement, lorsque voulant reproduire et raconter mes faits et gestes, à une certaine époque de ma vie, je serai forcé à certaines réticences, de faire certaines confessions qui ne seraient rien moins qu'à mon avantage.

Quoiqu'il en soit, je me mets à l'oeuvre sous le regard de Dieu, et dans l'espérance qu'Il voudra bien me guider et m'éclairer soit sur ce que je devrai dire, soit sur ce que je devrai taire.

Sur ce: j'entre en matière

1802

Je suis né le 3 avril 1802 dans la maison paternelle sur la Place. De ma tendre enfance je n'ai aucun souvenir jusqu'à l'âge de 4 ans.

1806

Nous étions alors en 1806 et les troupes françaises faisaient le 18 mars 1806 leur entrée à Neuchâtel. Ce que je me rappelle, c'est qu'elles vinrent se masser sur la place en colonnes serrées et que j'assistais à ce spectacle depuis le balcon. Un autre souvenir: Au nombre des militaires en quartier chez mes parents se trouvait un caporal qui m'avait pris en grande affection et qui me servait, pour ainsi dire, de bonne. Un jour, n'apercevant pas mon caporal, comme je l'appelais, j'appris, après informations prises, qu'il s'était fait mettre en salle de police. Cette salle de police était contigüe au Corps de Garde établi à l'hôpital de ville, à l'angle du Faubourg et de la place des orphelins. Je m'y acheminai d'un pas délibéré et je demandai à parler à l'officier commandant le poste. Que voulez-vous mon enfant ? me demanda l'officier avec bonté. Je répondit en pleurant que je voulais mon caporal. Il parait que la faute pour laquelle il avait été puni, n'était pas bien grave, car il me fut rendu de suite et je rentrai triomphalement à la maison, porté sur ses bras vigoureux.

1809-1810

A l'âge de 7 à 8 ans je l'échappai belle. J'avais la fièvre scarlatine en compagnie de 2 ou 3 de mes frères et soeurs. Nous étions tous dans la même chambre au 2ème étage (c'est la chambre à manger actuelle de M. de Wesdehlen). Or, un jour que mon excellente mère nous avait perdu de vue pendant un instant, elle me trouva, en rentrant dans la chambre, ayant quitté mon lit et installé près de la fenêtre. Me faire regagner mes couvertures fut pour elle l'affaire d'un instant, mais le mal était fait. Un gros malaise s'empara de moi, l'on fut fort inquiet. Heureusement il se détermina chez moi en un violent mal d'oreilles qui me fit horriblement souffrir, mais selon toute apparence me tira d'affaire, puisque depuis cette époque je n'ai jamais eu le moindre ressentiment de cette éruption centrée.

1811

Au printemps de 1811 mon père ayant été nommé secrétaire du Conseil d'Etat, nous allâmes loger au château. Notre habitation se composait de toute la partie donnant sur l'Ecluse. De ce moment les souvenirs me reviennent de plus en plus en mémoire. J'allais au collège comme la plupart des enfants du même âge, et comme la majeure partie d'entre eux j'étais un écolier assez médiocre. Je passais mes vacances d'été à la Cornée chez mon grand-père
Meuron, et celles d'automne à Concise chez M. Claude DuPasquier, dont le fils Ferdinand était mon intime ami.

Ce que je me rappelle de mes vacances d'été, c'est d'abord que la course de Neuchâtel à la Cornée était tout un voyage. Nous partions à 4 heures du matin dans un char à banc découvert, mon grand-père, ma cousine Rosette Bourgeois et moi. On déjeunait à la Tourne, on dînait à la Brévine et on arrivait à la Cornée entre 6 et 7 heures du soir.

Ce qui m'est resté de ces séjours à la Cornée, c'est que je n'y faisais pas grand chose d'autre que de m'amuser. L'un de mes plus grand divertissements était d'aller me mettre à cheval sur la borne frontière et de crier à gorge déployée que j'avais un pied en France et un pied en Suisse. Deux autres épisodes sont cependant restés profondément gravés dans ma mémoire.

Un jour je gardais les vaches et les moutons avec une jeune fermière, le temps était humide et sombre, il faisait un brouillard assez épais. Lorsque tout-à-coup sortit du bois un loup qui, tout en courant, saisit un mouton par la cuisse, lui en enlève une bonne partie et disparaît aussi rapidement qu'il nous était apparu. Que l'on juge de notre frayeur, aussi ne perdîmes-nous pas de temps à regagner la maison en courant et en criant: Au loup ! Belle avance

Le second de ces épisodes est d'une nature plus risible, quoiqu'il eût pu entraîner des suites fâcheuses, surtout pour ma cousine Bourgeois. Comme mes vêtements n'étaient pas toujours la propreté même, on avait jugé convenable de me marquer une chaise et de m'interdire de m'assoir sur aucune autre. Un jour que l'on se mettait à table, impossible à moi de trouver ma chaise. De guerre lasse on allait me permettre d'en prendre une autre lorsque, faisant une dernière revue, je m'aperçu que celle qui m'était réservée était à la place de ma chère cousine. D'un bond je suis derrière la chaise, d'un mouvement brusque je la saisis en criant: Cousine, c'est ma chaise ! Malheureusement et au même instant, ma cousine était en train de s'assoir, mais ce ne fut pas sur la chaise, et elle tomba, comme nous le disons communément, les quatre fers en l'air. Ma cousine fut un peu brisée de la chute, me gronda bien fort, mais comme elle était la meilleure personne du monde, elle ne tarda pas à me pardonner. Dès lors j'ai toujours trouvé ma chaise avant qu'on se mît à table. Y eut-il un peu de malice dans mon fait, on serait tenté de le penser, mais réellement je ne le crois pas, car autant que je me le rappelle, je fut passablement confus et capot.

Il ne m'est pas resté grand chose d'autre de mes séjours à la Cornée si ce n'est cependant que c'était un passage occasionnel de contrebandiers, et que lorsque mon grand-père voulait me faire un grand plaisir il me conduisait aux Gros et même une fois jusqu'à Morteau.

Les séjours à Concise étaient fait de mon goût, d'abord parce que c'était le temps des vendanges, puis on était en nombreuse compagnie, puisque outre les hôtes de la maison DuPasquier, il y avait aussi ceux de la maison Pourtalès; enfin ce temps se passait de la manière la plus gaie, car dans l'une ou l'autre de ces maisons, mais surtout dans la maison DuPasquier, les réceptions étaient fréquentes et l'on y menait joyeuse vie. Si l'on ajoute à cela que nous jouissions d'une liberté presqu'illimitée, on conviendra qu'une pareille vie devait avoir de l'attrait pour des enfants de 8 à 14 ans. Au nombre des facilités de tous genres que l'on nous accordait, était celle de nous servir d'armes à feu. M. de Pourtalès-Boyve entre autres favorisait singulièrement ce goût. Nous allions donc à la chasse aux petits oiseaux et ce qu'il y a de remarquable, c'est que les gendarmes nous laissaient faire. Cette grande tolérance de leur part n'était-elle pas due à ce que nos chasses n'avaient rien de bien compromettant pour le gibier ? C'est ce que je laisse à deviner. Mais si nous ne faisions pas grand mal à la gent volatile, je ne puis pas dire qu'il en fût de même à notre propre égard. car je me rappelle qu'une fois mon frère Georges (mon ainé, mort à Berlin en 1819) voulant désarmer son fusil, son coup partit involontairement, et la charge alla donner en plein dans le visage de son ami Adolphe de Pourtalès, qui, par une espèce de miracle, en fut quitte pour l'extraction, du reste assez douloureuse, d'une certaine quantité de grains de grenaille, dont pas une n'avait atteint l'un de ses yeux. Une autre fois j'avais le menton appuyé sur le canon de mon fusil chargé, dont la crosse était entre mes jambes écartées. Ayant fait un très léger mouvement pour changer de position, la bouche du canon dévia un peu, le coup partit, j'eu les cheveux brûlés, mais je ne fut atteint par aucun projectile.

1814

Puisque j'en suis encore à mon enfance, c'est peut-être le lieu de dire ici que mon père, qui nous élevait très à la dure (l'on appelait cela une éducation à la Rousseau) nous fit aller jusqu'à l'âge de 11 à 12 ans tête nue et sans aucun couvre chef. Car le premier que je me rappelle avoir porté était une casquette à la prussienne; or cette coiffure ne fut de mise qu'en 1814 après le passage des troupes alliées qui, à cette époque, envahissaient la France.

Je me rappelle encore que j'étais assez téméraire, C'est ainsi que, à réitérées fois, j'ai couru de toutes mes forces d'un bout du mur de la terrasse à l'autre, c'est-à-dire de son extrémité près de la porte du donjon à son autre extrémité près du tilleul du Banneret (celui qui est le plus rapproché du château); c'est ainsi encore que plusieurs fois je suis monté tout en haut de l'orme qui est en face de la principale porte du temple; c'est ainsi enfin que saisissant depuis le mur une des branches de l'arbre en Y je me balançais en dedans et en dehors de la terrasse, de sorte que si la branche était venue à casser, j'aurais été précipité de plein saut sur le pavé de la basse terrasse.

Quels étaient mes motifs pour entreprendre de si beaux, si glorieux et si utiles exploits ? Hélas ! Il faut bien l'avouer, c'était uniquement l'espérance d'être aperçu de jeunes, jolies et gentilles demoiselles, en un mot de mes demoiselles Uranie et Charlotte Dardel, maintenant mesdames d'Ivernois et Anker, qui demeuraient chez leur grand-père M. le doyen Dardel, qui occupait la maison (alors maison de cure) située à l'extrémité en bise de la basse terrasse.

Ma vie de collège n'a rien de bien remarquable et pourtant il m'en est resté une impression fort pénible, car si, grâces à Dieu, je ne suis pas sorti de nos établissement publics d'éducation, complètement gâté au physique et au moral, cela est dû à une dispensation vraiment providentielle, puisque deux hommes, morts maintenant. l'un maître d'une des classes du collège, et l'autre tout malin dans un pensionnat de Neuchâtel et que je ne nommerai pas, ont tout fait pour me donner les premières notions d'impureté, ce à quoi ils n'avaient que trop bien réussi. Mais en voilà assez sur un si triste sujet. Qu'il me suffise une fois pour toutes de dire ici que, si dans le reste de ma carrière de jeune homme, je ne me suis pas complètement adonné à ce vice infâme, je le dois, après la protection toute particulière de notre bon Dieu, à la tendre sollicitude de ma bonne mère, à l'extrême sévérité de mon père et peut-être aussi aux bons exemples que me donnait mon frère Georges, qui jusqu'à sa mort, avait une conduite des plus pieuse et des plus régulière.

Mes études n'ont pas été poussées bien loin, car après avoir achevé deux années de seconde, je n'entrai en première que pour en sortir au bout d'une semaine. A cette époque, mon père s'apercevant que je perdais complètement mon temps à pâtir sur du grec ou du latin, me fit entrer à la chancellerie, où pendant quelques mois je fut employé comme copiste et même comme fort mauvais copiste.

1817

Nous étions alors en 1817. Un événement qui ne sortira jamais de ma mémoire, se passa dans l'été de cette année, c'est l'explosion de l'un des magasin à poudre, situé sur la route de Peseux, non loin du Vauseyon. J'étais à la chancellerie, occupé à copier une lettre (c'était si me le rappelle bien entre 4 et 5 h de l'après-midi). Tout à coup nous entendîmes une effroyable détonation et le château trembla au point de nous faire craindre un moment qu'il ne s'écroulât sur la rue des moulins. Sortir pour chercher à connaître la cause de cette détonation et de cet ébranlement ne fut que l'affaire d'un instant. On se demandait si la foudre n'était point tombée sur le château et nous en étions encore à faire des recherches lorsque nous apprîmes que le tout était dû en effet à la foudre, mais qui était tombée sur la poudrière en question qui avait volé en éclats et qui était détruite de fond en comble par l'explosion de 4 à 5 quintaux de poudre que l'on y avait entreposé momentanément.

Je travaillai ainsi tant bien que mal à la chancellerie jusqu'au mois de novembre, époque à laquelle j'entrai en pension chez Monsieur le doyen Petitpierre, pasteur de Serrière, avec lequel je fit mon instruction religieuse pour ratifier le voeu de mon baptême dans le temple de Peseux à Noël de la même année. Je ne sais si cet acte important a exercé sur ma vie une grande influence. Ce que je sais pourtant, c'est que Monsieur Petitpierre était un brave et digne pasteur qui fit tout ce qui était en son pouvoir pour m'inculquer des principes solides et réellement pieux; mais ce que je sais aussi, c'est qu'en même temps que moi se trouvait aussi chez M. Petitpierre mon ami Georges Boy de la Tour, avec lequel nous n'avions pas toujours, tant s'en faut, des conversations très sérieuses; que les deux sexes prenaient alors leurs leçons ensemble et que mesdemoiselles Sophie et Elise de Sandoz de Beauregard y assistaient, quoique non catéchumènes cette année-là et enfin que de jeunes coeurs comme les nôtres avaient bien de la peine à concilier le sérieux des leçons avec les jolis minois de ces demoiselles.

Quoi qu'il en soit, je rentrai chez mes parents après Noël. Une fois dans la maison paternelle et s'agissant de me donner une carrière, mon père fut fort embarrassé. Il avait été question que je devienne militaire et nous avions dès lors deux services en perspective: le bataillon des tirailleurs de la Garde à Berlin, composé de neuchâtelois, et le service de Hollande. Mon père ne se souciait pas du premier parce que d'un côté les sacrifices pécuniaires qu'il aurait été obligé de faire eussent été trop considérables, de l'autre parce que l'un des frères de ma mère (mon oncle Charles de Meuron) qui commandait une compagnie, se conduisait d'une manière tellement désordonnée que l'on ne se souciât pas du tout de me faire entrer dans le même corps que lui. Restait le service en Hollande. Je n'ai jamais su exactement quelles ont été les raisons qui ont fait échouer le projet qu'on avait de m'y faire entrer.

1818

En attendant je perdais mon temps à Neuchâtel lorsque tout à coup, dans le milieu de janvier 1818, l'on m'annonça que je devais partir pour Paris où provisoirement j'entrerais chez mon oncle et parrain François de Meuron, jusqu'à ce qu'on m'eût trouvé une autre place.

Autant que je puis m'en souvenir, je ne restai guère à Paris qu'une quinzaine de jours. J'appris que je devais entrer comme apprenti de commerce dans la maison Oppermann, Mandrot et Cie au Havre et je partis pour cette ville. Sons la conduite de M. Ferdinand d'Ivernois, établi lui-même au Havre, pour entrer comme pensionnaire chez M. Bernard Mandrot de Luze, chef de la maison ci-dessus.

Ici commence une phase de mon existence complètement nouvelle.

Mais avant d'aller plus loin je dois aussi indiquer ici un souvenir qui montre combien peu à cette époque le réveil religieux était avancé. En partant de Neuchâtel ma mère. ne voulant pas me charger encore, outre mes effets, d'une grosse Bible (car à cette époque on n'en avait guère que de grosses) me recommanda d'en acheter une à Paris; il s'agissait à la vérité d'une bible d'Ostervald avec les références. Eh bien ! ce ne fut qu'après de nombreuses recherches que je parvins à en trouver une, non seulement d'Ostervald, mais tout autres. Maintenant un jeune homme ne serait plus dans le même embarras.

La maison occupée au Havre par M. Mandrot était située rue de la Corderie et donnait sur cette rue et sur la mer. La rue dont on jouissait de cette façade était magnifique, car on voyait en plein toute la rade. Ma chambre avait une vue du même côté, mais quelle chambre ! Elle était carrelée, sans tapis et il y avait tout juste place pour un lit, une chaise, une commode et une petite table à laver. D'autres pensionnaires (entre autres F. Marcuard de Cotterd et Victor Roulet, on n'écrivait pas encore de Roulet) étaient dans la maison en même temps que moi, mais étaient mieux logés quoiqu'au même étage, c'est-à-dire au 3ème au-dessus de l'entresol où se trouvaient les bureaux. Nous mangions avec la famille Mandrot, mais à moins d'invitation spéciale, il nous était interdit d'entrer au salon après le dîner, ainsi l'exigeait notre tante de Luze de Mezerac, mère de Madame Mandrot; aussi l'appelions-nous la Reine mère. Bien est-il vrai que pour ce grand confort nous payions la bagatelle de F. 1500.- annuellement, ce qui pour quatre pensionnaires, faisait, si je ne me trompe, la somme rondelette de F. 6000 qui entrait dans la caisse du ménage.

Un fait qui dépeint assez bien la condition des apprentis de commerce au Havre à cette époque, c'est qu'ils n'étaient connus que sur la dénomination de nègres. Ainsi nous faisait-on marcher rondement. A tout prendre cependant les premiers mois de mon séjour au Havre furent relativement heureux. J'étais fort occupé au Bureau, la vie d'un port de mer ne me déplaisait pas vu l'extrême activité qui y régnait et puis j'avais pour me réconforter la faculté d'aller très souvent dans la famille Ostervald laquelle à cette époque était établie au Havre, M. Ostervald, grand ami de mon père, étant associé de la maison DuRoveray d'Ivernois et Cie.

Au commencement de septembre M. Mandrot m'annonça qu'ayant sur moi des vues pour m'envoyer plus tard en Amérique pour voyager pour la maison, il désirait que j'allasse apprendre l'anglais. Pour cet effet je fut un beau jour embarqué comme un paquet pour Southampton. Je me suis servi de cette expression, car ne sachant pas un mot d'anglais, c'était comme une véritable machine que je devais arriver à destination.

A cette époque il n'y avait pas encore de bateaux à vapeur; je montai donc à bord d'un paquebot à voiles et nous mîmes 72 heures à faire un trajet que par un bon vent l'on pouvait effectuer en 12 ou 13. Autant que je m'en souvienne, je ne fut pas très malade de mer, grâce à la précaution que je pris de me coucher en sortant du port pour ne me relever que 48 heures après le départ, alors que nous étions en vue de l'île de Wight à l'ancre, parce que les courants étaient contraires. Arrivés à Southampton où j'étais recommandé à M. J. Lefebvre and Sons, ceux-ci me chargèrent sur la diligence de Winchester où j'arrivai au soir vers 6 ou 7 heures. Ici grand embarras, le conducteur me fit descendre, ainsi que ma malle, et me voilà sur le trottoir devant l'auberge. Heureusement ma tante de Luze, qui m'avait procuré une place, m'avait aussi remis sur une carte l'adresse du Dr. Nott, chanoine de Winchester, qui devait m'introduire à ma pension; je montrai ma carte à un porte-faix qui s'empara de mes effets et me fit signe de le suivre. Arrivé aux environs de la cathédrale devant une petite maison de fort bonne apparence, mon porteur se débarrassa de ma malle et agita le marteau. Une vielle domestique vint ouvrir et disparut aussitôt pour reparaître au bout d'un instant, suivi d'un domestiques en livrée porteur de deux flambeaux qui m'introduit dans un fort beau salon où je trouvai un beau feu et une table splendidement servie. Après m'avoir fait comprendre plus ou moins distinctement que le Dr. Nott était absent, mon escogriffe me laissa en me faisant signe de me servir à mon aise.

Je ne me fit pas faute de faire honneur au thé, plus que complet, que j'avais devant moi. Toutefois je n'étais pas sans une certaine inquiétude sur ce qui allait arriver. Coucherais-je chez le docteur malgré son absence, et dans ce cas comment parviendrais-je à me faire comprendre pour certains détails plus ou moins intimes ? M'enverrait-on ailleurs, mais où ? Il y avait une ou deux heures que je me trouvais dans cette perplexité, lorsque la porte du salon s'ouvrant, je vis entrer un petit monsieur de 4 1/2 pieds, suivi d'un autre de 5 à 5 1/2 p. Le petit monsieur me tendit la main avec un "How do you do !" bien accentué. Le grand servant de truchement, m'expliqua enfin tout le mystère. Le Dr. Nott avait été obligé de s'absenter mais avait, en partant, donné des ordres précis pour ma réception. De là cet empressement des domestiques et l'arrivée de ces messieurs que l'on était allé chercher. Or ces messieurs étaient le Révérend J.O. Zillwood, chapelain des prosains de Winchester, domicilié à St. Cross, chez lequel je devais entrer, et l'autre M. Auberg Veck, étudiant en théologie, en pension chez M. Zillwood. Après quelques moments de conversation, destinés à m'expliquer ce qui précède, nous quittâmes la maison du Dr. Nott et nous nous rendîmes à St. Cross, où dès le soir même je pris possession de mon nouveau logement. Il est bon de noter ici que St. Cross est un petit village à un mille de Winchester.

Mon séjour en Angleterre étant uniquement destiné à apprendre l'anglais, ma seule occupation fut d'étudier cette langue par tout les moyens possibles: conversation, traduction d'anglais en français et de français en anglais, fréquentation très assidue au culte de la cathédrale; tels furent les moyens que j'employai pendant six mois pour me mettre au fait de cette langue que je parvins à apprendre assez bien, mais dont plus tard faute de pratique il ne m'est guère resté que la faculté de lire et non de parler. Ce séjour en Angleterre fut assez monotone cependant il m'en est resté quelques souvenirs que je souligne ici. La première n'est pas très à l'avantage de mon Révérend maître de pension. Il avait été convenu que je paierais deux guinées par semaine pour la nourriture et le logement et je me rappelle for bien qu'au premier dîner M. Z m'offrant du vin, me fit expliquer par M. Veck, qui devint plus tard mon ami, que je n'aurais rien à payer pour cet accessoire. Cependant, lors de mon départ, le premier article de ma note pour frais extraordinaires fut £ 6.6.- pour vin. Que faire ? Payer sans observation. C'est ce que je fis. Or en quoi consistait ce vin qu'on nous donnait ainsi: un petit verre de Porto ou de Madère tous les dimanches et les jours de semaine la même quantité de Groseberry ou current wine (vin de groseilles) Cet article sur lequel je n'avais pas compté en demandant à mon père l'argent nécessaire pour faire honneur à mes affaires, risqua de me mettre dans un grand embarras, comme on le verra plus loin.

Pendant mon séjour à St. Cross j'eu l'occasion de faire plusieurs petits voyages ou courses. Le premier eût lieu au mois de décembre à l'île de Wight chez une M. Audry, grande connaissance de ma tante de Luze d'Echichens, qui m'avait donné ou envoyé une lettre de recommandation pour lui. J'y passai une huitaine de jours. Il habitait un cottage au Sud de l'île, dans le Under Cliff. Je fit de là quelques promenades et excursions assez intéressantes, et j'eu entre autres l'occasion de voir dans la même partie de l'île une vigne plantée et cultivée à la manière de Lavaux par un vigneron vaudois. Cette vigne se trouvait dans une vaste propriété appartenant à l'une des premières familles d'Angleterre dont j'ai oublié le nom (Pelham à ce que je crois)

Une autre fois M. Zillwood me conduisit à Rodchill, chez lord Hartheck, où nous passâmes deux jours et où nous fûmes très bien reçus. Ce qui me frappa le plus dans ce château, c'est que les chambres et antichambres étaient garnies, à la letus, de tableaux ou de gravures représentant sans doutes les faces de la bataille de Trafalgar, à laquelle assistait lord Hartheck en qualité de capitaine de vaisseau si je ne me trompe. Une autre chose assez remarquable, c'est que dans chaque chambre à coucher se trouvait une Bible et un vaisseau en miniature, produit du travail des prisonniers français en Angleterre. La première des circonstances mentionnée s'est surtout gravée dans ma mémoire lorsque plus tard j'appris qu'en effet lord Hartheck s'était trouvé à la bataille de Trafalgar, mais que le vaisseau qu'il commandait (le Britannia si je ne me trompe) était le seul de toute la flotte qui ne s'est pas donné; ce qui avait provoqué une telle indignation chez les officiers qu'ils avaient été sur le point de se révolter contre leur capitaine et de le forcer à amener son vaisseau en ligne. Au reste à son retour en Angleterre, lors Hartheck passa devant un conseil de guerre qui l'acquitta, mais dès lors il ne fut plus employé.

Une troisième excursion eut pout but Oxford où se trouvait M. John Audry fils, qui fut on ne peut plus complaisant pour moi. Tout content de me faire voir la ville et l'université dans tous ses détails, il me conduisit encore à Blenheim, immense propriété offerte après la bataille de ce nom au duc de Marlborrough, par la nation anglaise, comme témoignage de reconnaissance. A l'époque où je visitai ce magnifique domaine, le duc alors vivant était tellement obéré qu'il avait été placé sous une sorte de curatelle, de telle façon qu'il ne pouvait pas même couper un arbre à Blenheim sans la permission de l'autorité.

Telles furent les aventures que je fit pendant mon premier séjour en Angleterre. Si je n'allai pas à Londres c'est que je pensais bien que plus tard j'aurais l'occasion d'y retourner et que d'autre part un pareil voyage eut été trop couteux pour mon père qui, à cette époque, faisait déjà de gros sacrifices pour son cher fils.

1819

Sur ces entrefaites il fallut songer à mon départ, car on me rappelait au Havre. Je profitai du passage à Winchester de mon ami Charles Cornaz (maintenant dans l'Amérique du Sud, je ne sais trop où) qui descendait également au Havre, pour m'embarquer avec lui. Les camarades de pension Veck, et le nommé Treuchard et Caole nous firent la conduite, et après avoir fait à leur frais, un copieux déjeuner à Southampton, nous montâmes à bord du paquebot. C'était vers le milieu de mai 1819.

Cette traversée fut presque aussi longue que la première et se distingua par plusieurs incidents assez remarquables. Le premier et le moins agréable, c'est que, eu égard à la dernière note si exorbitante de mon ministre, je n'avais plus un sol dans ma poche, à l'exception d'une pièce de 5 shillings neuve que je destinais à ma soeur Louise. Cornaz, je ne sais pour quelle raisons, était dans le même cas. Dans ce temps là on ne pouvait se procurer aucune nourriture à bord du paquebot et chaque passager, avant d'embarquer, se munissait de ce dont il croyait avoir besoin. Ayant fait un excellent déjeuner, et ne croyant pas à une longue traversée, nous n'avions rien pris avec nous et puis, comme par un fait exprès, nous n'avions pas le moindre malaise ni l'un ni l'autre. De sorte que le lendemain de notre départ nous avions une faim de loup, ce qui nous obligea à mendier quelque nourriture auprès de l'équipage, qui voulut bien consentir à partager avec nous quelques vielles pommes de terre et un peu de beurre rance. Le surlendemain nous étions en vue des côtes de France et nous espérions pouvoir entrer au Havre dans la soirée, mais assaillit par un orage qui nous poussa sur les côtes du Calvados, nous fûmes obligés de rester en rade pour la nuit. Enfin nous gagnâmes le port de bonne heure dans la matinée du 3ème jour, 68 heures environ après notre départ de Southampton. Mourant de faim, débarquer fut pour nous l'affaire d'un instant, laissant sur le paquebot nos malles en garantie du paiement de notre passage que, sur la pénurie dans laquelle nous nous trouvions, nous n'avions point pu effectuer. On pourrait croire que notre premier soin fut d'aller nous procurer de l'argent pour dégager nos effets. Pas du tout, nous allâmes d'abord réveiller Victor Roulet, qui était encore au lit, nous lui exposâmes notre situation et nous lui demandâmes à déjeuner, ce qui (il faut le dire à sa louange) il nous accorda de très bonne grâce. Ce ne fut donc qu'après nous être vigoureusement réconfortés que nous songeâmes à aller satisfaire le capitaine de notre paquebot et prendre définitivement congé de lui en le payant et en faisant transporter nos effets chez M. Mandrot où nous logions l'un et l'autre.

De ce moment je repris mes occupations au Bureau et rien d'extraordinaire ne se passa dans mon existence jusqu'au mois de juin de la même année, que nos parents furent plongés dans la plus cruelle affliction par la mort de mon frère Georges, qui achevait ses études à Berlin et qui y mourut à cette époque d'une fièvre nerveuse. Cet excellent garçon était trop bon pour ce monde, ainsi que l'on peut s'en assurer soit par sa correspondance, soit par les divers documents qui sont en ma possession. Aussi mes parents, mon père surtout, furent-ils très longtemps avant de se remettre de ce coup affreux. Ce fut à cette époque que ma grand-tante Babette de Tribolet, née de Meuron, tante de ma mère, eut l'idée, pour les consoler un peu, de me faire venir à Neuchâtel. De sorte que je fit une apparition chez mes parents pendant l'été pour retourner au Havre à la fin de juillet ou au commencement du mois d'août.

Cependant ma santé n'était pas fort bonne, je broyais du noir, je me croyais atteint d'une maladie de coeur. Au reste il faut bien que mes craintes ne fussent pas complètement sans fondement, puisque pendant six mois je fut soumis à une diète et à un régime excessivement sévères.

Il n'y avait pas longtemps que j'étais de retour de Neuchâtel lorsque survint une circonstance qui me fut excessivement pénible ainsi qu'à mon père. Un jour M. Mandrot me fait appeler dans son cabinet et me dit qu'il venait de recevoir une lettre de son frère de Paris dans laquelle celui-ci lui disait que la cause de la maladie de mon frère était l'affaiblissement; que connaissant la position gênée de mon père, il se refusait une nourriture convenable, etc., etc. Puis par une transition quelque peu brusque "Vous savez, me dit M. Mandrot, que votre père n'a pas encore payé votre pension, je serais pourtant bien aise que cette affaire se réglas !". Je fut abasourdi et je me rendis de suite chez M. Ostervald pour le mettre au fait de ce qui venait de se passer. Après quelques instants de consultation il fut décidé que lui, M. Ostervald, paierait de suite M. Mandrot, qui accepta cela va sans dire, de sorte que ce désagréable incident fut terminé, non cependant sans laisser quelque froideur dans nos relations postérieures. Je dois dire au reste qu'à cette époque ma tante de Luze n'était pas au Havre, car elle n'aurait jamais permis à son gendre d'en agir de la sorte. Quoiqu'il en soit, je continuai à travailler au bureau et dès ce moment le paiement de ma pension ne se fit plus attendre.

1820

C'est ainsi que j'atteignais l'automne de 1820. Je m'aperçu alors, ce dont au reste je m'étais déjà douté auparavant, que les dispositions de M. Mandrot à mon égard n'étaient plus les mêmes et que l'on ne songeait plus guère à m'envoyer en Amérique. D'un autre côté, un certain Bourcard van Robais, associé de la maison Thuret et Co de Paris, et son représentant au Havre, m'avaient pris en singulière affection et m'avait fait des offres pour entrer soit dans la maison à Paris, soit dans une autre qu'il se réservait de former à dater du 1 janvier 1821. Ces offres étaient tellement avantageuses (il s'agissait, si je ne me trompe, de F. 500 par mois outre la table et le logement) qu'après avoir consulté M. Mandrot et mon père, et poussé surtout par le premier qui ne demandait pas mieux que de me voir les talons depuis qu'il avait renoncé à l'idée de m'envoyer en Amérique, j'acceptai les offres du dit M. Bourcard et je revins à Neuchâtel pour attendre le moment où il lui plairait de m'appeler à Paris pour entrer dans mes nouvelles fonctions.

Me voilà donc dehors de la maison Oppermann, Mandrot et Cie et libre, probablement pour quelques semaines que je passai chez mes parents.

1821

Cependant Bourcard tergiversait et retardait toujours mon entrée chez lui soit pour une raison soit pour une autre. Enfin mon père ennuyé de tous ces détails, lui demanda positivement quelles étaient ses intentions, ce qui provoqua un dénouement négatif, fondé sur des raisons toutes plus mauvaises les unes que les autres. Ceci se passait tout au commencement de l'année 1821. Jamais je n'ai su au juste à quoi B. voulait m'employer. Toutefois d'après ce que j'avais pu saisir dans diverses conversations, c'est que, grand libéral pour ne pas dire plus, et l'Espagne étant alors en pleine révolution, il avait décidé de se rendre acquéreur de biens nationaux dans ce royaume et qu'il avait l'intention de me nommer leur représentant à Madrid.

Quoiqu'il en soit j'étais sans place, je recommençais à perdre mon temps à Neuchâtel et il fallait aviser. C'est alors que mon oncle Coulon et mon père obtinrent de mon oncle Meuron que j'entrerais dans sa maison à Paris où je me rendis immédiatement. A cette époque ma tante était encore à Paris avec sa famille, de sorte que ne pouvant pas me loger au Basse du Rempart No 22, le siège de la maison, l'on me procura une chambre dans une maison rue de la Paix, près le boulevard. Je note en passant que cette chambre était au 6ème au-dessus de l'entresol et que pour y parvenir j'avais 132 marches d'escalier à monter.

Enfin me voilà occupé pour de bon; je ne coûtais plus rien à mon père, car dès le commencement je reçu F. 100.- d'appointements par mois et j'étais nourri chez mon oncle. Ainsi passèrent les six premiers mois de l'année 1821. Sauf mon logement (mais il n'en pouvait être autrement) j'étais aussi bien que possible. Mon oncle et ma tante me témoignaient une grande affection. Nous avions une société suisse des plus agréable et l'on se réunissait assez souvent. Cette société se composait des familles suivantes: Oppermann, Mandrot-Pourtalès, Muralt, de Luze Breguet, Boyve. Ces derniers ne sortaient guère, mais recevaient souvent parce qu'ils tenaient une pension d'étrangers sur laquelle il est à propos de dire quelques mots.

Lorsque des neuchâtelois, ou des anglais ou gens de toutes nations, voulaient faire un séjour à Paris, plus ou moins prolongé, il leur convenait quelque fois de ne pas loger à l'hôtel. Alors la maison de Madame de Boyve leur était ouverte, ce qui était à la fois plus convenable et plus économique. D'ailleurs on connaissait Mme de B. comme assez gentille, insinuante, je pourrais même dire intrigante, et prête à favoriser, si ce n'est à provoquer les projets de mariage. C'est ainsi que par son entremise se sont fait les mariages de deux de mes connaissances, l'une fort raisonnable celui de M. Charles Droz (frère du Diacre) ancien officier aux Gardes à pied du Corps du Roi avec une demoiselle de Sens, de Bordeaux, l'autre absurde (la suite l'a bien prouvé) entre le colonel de Bosset, officier retraité du service d'Angleterre avec Mlle Fildeslay Holmes, anglaise qui pendant un temps me fit l'honneur de faire passablement attention à moi, ce qui n'a eu aucune espèce de conséquence.

Je fréquentai assez assidûment la maison où j'étais du reste fort bien reçu, de sorte que j'ai été témoin des faits et gestes de M. et Mme de B. ainsi que de leur entourage, ce qui m'a fait connaître diverses circonstances assez curieuses. Ainsi on y jouait au whist et à l'Ecarté et l'on payait toujours deux jeux neufs quoiqu'il y eu invariablement un neuf et un vieux, ce dont mon oncle Meuron fit un jour l'observation, à la grande confusion des maîtres de la maison. Une autre fois on m'invitait à une partie de campagne. On prenait une voiture pleine comme un oeuf, on me donnait une place à côté du cocher, je servais en quelque sorte de laquais et le lendemain M. de B. passant au bureau (étant agent de change marron il y venait tous les jours) me réclamait ma quotepart des frais de la course. J'ai aussi connu chez Mme de B. une dame et deux demoiselles anglaises, fine fleur de l'aristocratie épicière de la cité de Londres, à ce que je suppose, mais dont je ne me rappelle pas le nom. Elles venaient à Paris pour se faire au belles manières et pour se perfectionner dans le chant. En conséquence elles prirent comme maître Bordoni, premier ténor au théâtre italien, qui donnait des leçons à F 20.- le cachet. A la vingtième leçon et au règlement du premier mois la maman annonça à Bordoni que l'on continuerait: "Ma foi, Madame, fit Bordoni, si je continue à donner des leçons à mesdemoiselles vos filles, je vous volerais votre argent. Il vaut mieux en rester là !" Et tout fut dit. Ces dames ne tardèrent pas à retourner dans leur pays natal.

Je n'ai pas de souvenir particuliers des autres maisons suisses, si ce n'est que Madame de Muralt était pleine de bonté pour moi et qu'elle avait alors de charmantes petites filles que je faisait danser et sauter. Ce sont maintenant Mesdames Bovet et Charles de Chambrier.

Je me rappelle encore avoir dîné chez M. Oppermann avec M. de Villèle, mais alors il était simple député et bien éloigné, à ce que je crois, de songer à devenir Président du Conseil des ministres de S.M. Louis XVIII.

Deux neuchâtelois, dont je n'ai pas encore parlé, me recevaient quelque fois chez eux: M. Jämes de Pourtalès, rarement et M. de Rougemont du Löwenberg plus souvent. Il régnait tout naturellement dans ces deux maisons un tout autre genre que dans celles mentionnées ci-devant, genre beaucoup plus grandiose, ce qui ne veut pas dire que ce fut plus amusant. De la première de ces maisons, il ne m'est pas resté grand chose; de la seconde des souvenirs plus ou moins agréables. Dans la première je rangerai l'occasion qui m'a été offerte de voir plusieurs membres du corps diplomatique sous la Restauration entre autres le comte Pozzo di Bergo, ambassadeur de Russie, Lowenhielm, de Suède, Mülinen de Wurtemberg, Tscharner, chargé d'affaire de Suisse, et d'autres dont les noms ne me reviennent pas maintenant. Puis une dame qui fut maîtresse du Prince de Neuchâtel, Madame Visconti. Les souvenirs moins agréables sont dus aux scènes assez peu convenables que Madame de Rougemont faisait quelque fois aux jeunes gens qu'elle recevait chez elle. C'est ainsi et pour ne citer qu'un exemple: L'on dînait dans la salle à manger d'apparat au nombre de 24 convives, parmi lesquels se trouvaient de grands personnages. J'avais, je ne sais par quel hasard, l'honneur d'être à côté de Madame de R. L'on était au dessert depuis assez longtemps, lorsque M. de R. de sa voix flûtée demanda à sa femme pourquoi on ne passait pas au salon. "J'attends que M. de Montmollin ait fini son vin" répondit assez aigrement Madame de R. Je lèves les yeux sur mes verres, je m'aperçus en effet que je n'avais pas achevé un petit verre de vin de dessert qui m'avait paru assez peu bon. Comme un imbécile (car j'aurais pu beaucoup mieux faire) je m'empressai de le vider et l'on se leva de table "ab uno des ce omnes"

Durant l'hiver et le printemps de cette année je pris mes premières leçons d'équitation. Comme pour cause de santé l'on avait ordonné l'exercice du cheval à ma cousine Uranie de Meuron, maintenant Madame Charles de Marval, je devais l'accompagner soit au manège, soit dans ses promenades. De là cette dépense qui pourtant n'a pas été tout à fait inutile, comme nous le verrons ci-après:

Au printemps de 1821 mon oncle s'étant décidé à abandonner les affaires, sa famille, c'est-à-dire sa femme, son fils François et toutes ses filles quittèrent définitivement Paris pour se rendre à Neuchâtel. Je vins alors loger rue Basse des Remparts pour tenir compagnie à mon oncle, mais nous n'occupions plus que le 2ème étage où se trouvaient aussi les bureaux. Le premier avait été loué par un certain général d'Amkurgeae, avec lequel d'ailleurs nous ne soutenions que for peu de relations.

L'été se passa fort tranquillement. En automne mon oncle, à ce que je crois, se rendit à Neuchâtel, pour assister au mariage de son fils François avec Mlle Sophie d'Ostervald. C'était au mois de novembre. L'époux, qui avait été quelques années dans la maison, me chargea de donner ce jour-là, un dîner aux employés. Ce dîner eu lieu chez Fery; nous étions douze à table y compris M. Frédéric de Meuron, un des chefs de la maison et associé de mon oncle. Je me rappelle que je payai au restaurateur F 12.- par tête sans le vin, et que ce dernier coûta environ F 300.- Bien est-il vrai que le dîner était magnifique, car j'avais mission de ne rien épargner.

Mon oncle étant rentré de Neuchâtel, nous reprîmes notre train de vie ordinaire, nous sortions quelques fois et lorsque nous restions à la maison, nous jouions beaucoup aux échecs. Ainsi se passa l'hiver de 1821 à 22, pendant lequel pourtant je fut appelé d'aller deux fois en Angleterre pour les affaires de la maison. La première fois à Londres seulement, la seconde à Londres et à Liverpool.

1822

Il s'agissait d'affaires fort importantes, de sorte qu'une grande célérité dans le voyage était indispensable. En arrivant à Calais, je crois que c'était au premier voyage, le temps était aussi mauvais que possible et il faisait une véritable tempête. J'étais descendu à l'hôtel Dessin où se trouvaient également d'autres voyageurs aussi pressés que moi. Nous apprîmes qu'aucun paquebot ne voulait passer la Manche; enfin un capitaine anglais se décida à tenter la traversée moyennant qu'on lui garantit la somme de cinquante Livres sterling. Un courrier de Rotschild s'inscrivit d'abord pour 25, moi pour 5, à ce que je crois, et d'autres pour des sommes plus ou moins fortes de manière à compléter la somme demandée. On se décida donc à s'embarquer, non sans une certaine émotion, car dans le trajet de l'hôtel au port, j'entendis très distinctement des matelots français dire en nous voyant passer "En voilà que nous irons repêcher demain sur la côte !" Cependant nous nous embarquâmes, c'était entre 4 et 5 heures de l'après-midi et par conséquent à nuit tombante. Le vent soufflait en foudre de l'Ouest. Pas plutôt les amares de notre petit navire furent-elles larguées que nous marchions déjà avec une grande vitesse. Etant encore dans le chenal nous ressentîmes trois bonnes secousses (nous avions talonné trois fois) qui firent pâlir le capitaine que je considérais avec beaucoup d'attention. A peine avions-nous dépassé la jetée qu'il fit courir ses hommes aux pompes, mais, comme elles ne donnèrent point d'eau (preuve que notre coque n'était pas endommagée) il reprit ses couleurs et son sang froid et nous continuâmes notre navigation à la garde de Dieu. Comme la nuit ne tarda pas à être très obscure et quoique notre destination fut Douvres, notre capitaine jugea qu'il ne serait pas prudent de se hasarder à entrer dans ce port, cingla sur Deal, puis sur Ransgate et enfin sur Margale, dont la rade était comparativement tranquille eu égard à la direction du vent. Nous jetâmes l'ancre et comme la marée était basse et qu'il y avait par conséquent impossibilité d'entrer dans le port, nous hissâmes une lanterne au haut du mat pour appeler un pilote. Il pleuvait à verse. Néanmoins je restai sur le pont pour guetter l'arrivée du pilote, afin de ne pas perdre de temps pour me jeter à bord de la chaloupe. Bien nous en prit, car après une attente de 1/2 ou 3/4 d'heure arriva une embarcation pour demander ce que l'on voulait, mais la chaloupe était si petite qu'entre les rameurs elle ne pouvait contenir qu'une ou deux personnes; cependant je sautai dedans en compagnie d'un autre passager; quand aux autres ils durent attendre qu'on leur envoyât une embarcation plus convenable. Quoiqu'il en soit nous entrâmes dans une auberge fort confortable, dont l'hôte fut assez obligeant pour me prêter de ses habits afin de les changer contre les miens qui étaient tellement mouillés que je n'aurais pu les garder sur le corps sans inconvénient. J'étais donc au sec, établi devant un bon feu et une grande table, lorsque autour d'une heure environ arrivèrent les autres passagers et nos bagages. Je passai la nuit à Margale et le lendemain je pris la première diligence partant pour Londres, où j'arrivai en bonne santé et prêt pour m'acquitter d'une manière convenable de la mission qui m'avait été confiée. Mon retour que j'effectuai deux jours après, ainsi que le second voyage que je fit à Liverpool à quelques semaines de distance, ne donnèrent lieu à aucun incident extraordinaire.

Ce fut encore dans le même hiver et dans les premiers mois de 1822 que je me fit recevoir membre de la société Helvétique de bienfaisance, dont je fut pendant deux ans l'un des membres actifs. En même temps que moi se firent recevoir plusieurs compatriotes, entre autres Messieurs Frédéric Meuron, Jämes de Pourtalès, Denys de Rougemont, de Muralt, Oppermann, etc., etc.

Puisque j'en suis à ce qui concerne cette institution, je mentionnerai une circonstance qui ne laissa pas que d'avoir quelque retentissement dans la société suisse.

L'article 1 du Règlement portait que tous les Suisses qui n'étaient pas en service militaire étaient aptes à faire partie de la Société. Pendant l'année 1822 [Cette société ne datait que de 1821], je m'occupai activement à recruter le plus grand nombre possible de membres et j'en présentai un assez bon nombre (parmi lesquels plusieurs officiers suisses au service de France)

1823

Lors de l'assemblée générale de 1823 cependant, j'avais été prévenu que plusieurs membres fondateurs parleraient du sens de l'article 1 et dessus voulaient s'opposer à la réception des officiers, nous verrons bientôt pourquoi.

Mais mes mesures étaient prises et j'arrivai à la réunion [les réunions se tenaient dans une salle au haut du temple de l'Oratoire St.Honoré] avec ma liste de candidats. Les non militaires furent reçu d'emblée, mais après une assez vive discussion les militaires furent repoussés sous le prétexte que en service ou au service signifiait la même chose. Alors je sortis de ma poche une autre liste et j'annonçai à l'assemblée que puisqu'on envisageait les officiers suisses indignes de faire partie d'une société de bienfaisance destinée à venir au secours de leurs compatriotes, je donnais ma démission, ainsi que les personnes inscrites sur la seconde liste parmi lesquelles se trouvaient des membres qui venaient d'être reçus, ceux mentionnés plus haut et d'autres au nombre de 14 ou de 15 et je quittai l'assemblée. Je ne sais ce qui se passa alors, mais le fait est que je n'étais pas au bas de l'escalier que je m'entendis rappeler. L'on m'invitait à rentrer et lorsque je fut de nouveau dans la salle, le Président m'annonça que tous les membres que j'avais présenté étaient reçus. Sur quoi je retirai ma démission ainsi que celle des personnes inscrite sur la seconde liste, que j'avais déposée sur le bureau.

J'avais sans le savoir déjoué toute une intrigue, si ce n'est un commencement de conspiration et j'appris plus tard que, sous le manteau de la bienfaisance, on avait voulu organiser une société secrète, à la tête de laquelle se trouvait Jaques Dubochod [plus tard l'un des directeurs de l'Illustration et depuis la révolution de 1848 l'un des gros bonnets des chemins de fer], qui fut dans le courant de la même année (1823) impliqué dans la conspiration de Belfort mais acquitté faute de preuves, quoique sa coopération fut chose évidente, ce dont au reste il s'est vanté plus tard et après la révolution de 1830.

Mon oncle quitta définitivement Paris en 1822, je ne sais trop à quelle époque. A son départ je restai dans la maison Meuron et Cie qui eut dès lors pour chef unique M. Charles de Meuron, qui s'adjoignit en qualité de chargés de procuration Monsieur Finck et Edouard Vaucher. Le premier était teneur de livre, le second caissier. Ils continuèrent cette qualité jusqu'en 1830, époque à laquelle la maison fit une faillite épouvantable; Frick travailla à la liquidation, quand à Vaucher qui depuis quelques années était à la tête d'une succursale à Mulhouse, il s'établit pour son compte dans cette dernière ville, y fit de très bonnes affaires et il est maintenant à la tête d'une maison riche et prospère.

Cependant une fois mon oncle parti et M. Meuron venant avec sa femme et sa fille se domicilier rue Basse Rempart, je dus quitter la chambre que j'y occupais pour aller loger rue Caumaulin, je ne sais plus à quel numéro. Je ne suis plus d'occupation bien fixe dans la maison parce que, par de bonne raisons que j'expliquerai plus loin, M. Meuron jugea convenable de me faire beaucoup voyager. C'est ainsi que dans l'intérêt de la maison je visitai successivement à la fin de 1822, en 1823 et au commencement de 1824 quelques villes de France et spécialement Lyon et Valenciennes, les principales villes cantonales de la Suisse, puis Francfort, Bruxelles, Anvers et Gand.

Il m'arriva dans la dernière de ces villes l'aventure la plus piquante, commercialement parlant, qui se puisse imaginer. Une maison (Vanderstraden et Fils à ce que je crois) devait à Meuron et Cie une somme de vingt cinq mille francs, par des traites acceptées dont elle ne fit pas la couverture à l'échéance. M. Meuron m'envoya à Gand pour réclamer le paiement de cette somme et me donna une lettre de recommandation pour une puissante maison de cette ville dont je ne me rappelle pas le nom. Mon premier soucis en arrivant fut de me rendre auprès de cette dernière maison pour lui demander des renseignements sur la première. Il me fut répondu que l'on envisageait Vanderstraden comme très solide et que moyennant 2% on me garantirait volontiers contre toute éventualité de perte. Si la mission m'eût été donnée du temps de mon oncle je n'aurais pas hésité à accepter une pareille proposition, mais connaissant le caractère irascible de M. Meuron dont j'avais déjà eu quelques échantillons, rassuré aussi par le ton de sécurité avec lequel m'étaient données les renseignements, je demandai une heure de réflexion. Ce qui me fut accordé et je me rendis immédiatement chez Vanderstraden. C'était dans l'après-midi et à l'heure à peu près de la fermeture de la caisse. Je m'annonçai et on me fit entrer dans un salon au rez-de-chaussée à proximité des bureaux. J'étais à peine installé que je vois entrer M. Vanderstraden qui repoussa négligemment la porte sans la fermer complètement (circonstance assez futile en soi-même mais dont l'importance ne me fut révélée que le lendemain, lorsqu'il était trop tard) Quoiqu'il en soit M. V. m'offrit un siège, je me fit connaître, ainsi que l'objet de ma mission et nous entrâmes en conversation. Le résultat de cette entrevue fut que le non accomplissement des engagements de la maison était dû sans détour à un oubli et que l'heure des paiements étant écoulée, je n'avais qu'a me présenter le lendemain à l'ouverture de la caisse et que je serais satisfait. Il est à remarquer que pendant toute la conversation, et voilà pourquoi la porte était restée ouverte, j'entendis compter de l'argent. Rassuré par cette dernière circonstance et par les explications plus ou moins plausibles que m'avaient donnée V. je retournai chez le chef de la première maison qui m'avait invité à dîner et je le remerciai de son offre en lui disant que d'après ce que je venais d'entendre je ne jugeais pas convenable d'en profiter.

Le lendemain matin je m'empressai de retourner chez V mais la caisse était fermée. V. avait disparu, j'étais volé et j'appris avant mon départ que leur argent que j'avais entendu compter la veille, provenait d'un dernier sac de F 500 que l'on avait compté et recompté pendant une demie heure ou 3/4 d'heure qu'avait duré ma visite. Je n'étais pas gai en retournant à Paris. Cependant Meuron pris son mal en patience; il ne me fit pas de reproches et tout fut dit cette fois.

Du reste mes voyages ne présentaient aucun incident remarquable et n'étaient guère autre chose que ce que sont ordinairement ceux d'un voyageur de commerce toutefois d'un genre relevé. Tout ce que je sais, c'est que mes confrères m'étaient généralement à charge, qu'autant que possible je ne m'arrêtais pas dans les mêmes hôtels qu'eux et qu'en tous cas et à très peu d'exceptions près je ne les fréquentais ni de près ni de loin.

Dans le cours de mes excursions je fit quelques séjours à Neuchâtel où spécialement au commencement de 1823 je restai quelques semaines.

La vie que je menais alors n'était guère de mon goût. J'aspirais déjà alors à me rapatrier le plus tôt possible, mais comment faire ? N'ayant pas de fortune par moi-même, je ne pouvais pas songer à rentrer dans ma famille sans avoir une occupation forcée et libérative en même temps, or c'est ce que nous autres jeunes gens de famille, nous ne trouvions pas plus alors que maintenant. Il n'y avait qu'un mariage riche qui eût pu me faciliter dans mes projets. Eh bien ! quoique très jeune, trop jeune sans aucun doute, je songeai à me marier et je jetai les yeux sur Mlle Louise de Pourtalès, fille du comte Louis. Mon père s'assura que les parents ne mettraient pas d'opposition à ce que je me misse en avant. Lorsque je fit moi-même ma demande aux parents, je fut bien accueilli, en apparence au moins. Le père me dit en propres termes qu'il serait bien aise de m'avoir pour gendre, puisque propriétaire de forges très importantes en France, et aucun de ses fils n'étant à même de s'occuper de ce genre d'affaire, il serais charmé d'avoir dans la famille quelqu'un qui puisse le suivre, etc. etc. Je fut donc autorisé à faire ma déclaration et je profitai d'un grand bal chez lui pour parler à la jeune fille qui ne me rebuta point. Comme je devais partir le lendemain pour Berne, la mère pendant le bal me fit entrer dans sa chambre et me parut également supérieurement disposée. Ainsi tout s'annonçait pour le mieux et il fut convenu que j'aurais dans quelques jours une réponse définitive, réponse qui me serait apportée par M. de Pourtalès, alors colonel fédéral et qui devait assister à une réunion de la Commission militaire fédérale. Je partis donc tout joyeux et j'allai à Berne faire une affaire et attendre l'événement mais mon illusion fut bientôt détruite. Il y avait 3 jours que j'étais à Berne lorsque j'appris par le maître d'hôtel du Faucon où je logeais que M. de P. était arrivé de la veille. La circonstance qu'il ne m'avait pas fait prévenir de son arrivée me donna des doutes. Cependant je pris mon grand courage et je demandai à le voir. Alors il m'annonça dans des termes assez embarrassés que quel que fut son désir de me voir devenir son gendre, ce n'était pas possible et le principal motif qu'il mit en avant c'est qu'il ne voulait pas allier un sang de Luze à un sang de Luze (sa mère et ma grand-mère étaient soeurs) Bref tout fut rompu. Le fait est que M. de Pourtalès ne faisait jamais rien d'important sans consulter M. de Sandoz-Rollin. C'est ce qui avait eu lieu aussi dans cette circonstance. M. de Sandoz avait mis en avant toute espèce de raison pour le dissuader, puisque comme l'événement l'a prouvé dès lors, il avait destiné Mlle Louise à son fils; en effet le mariage ne tarda pas à avoir lieu. Je demanderai seulement si sang pour sang sa mère ne valait pas celui d'Alphonse de Sandoz et cela pour cause. Mais ce n'est pas à moi à faire sa biographie.- Quoiqu'il en soit et après un pareil échec, je n'eus rien de mieux à faire, pour me consoler, qu'à continuer mes voyages et de me remettre avec courage à la besogne.

1824

Je continuai ce genre de vie jusqu'au printemps de 1824. J'étais alors en Belgique et je voyageais aussi dans le Nord de la France. Ayant fait tout ce que j'avais à faire dans ces contrées et comme M. Meuron m'avait parlé d'un voyage en Hollande, je demandai des ordres. Une lettre, deux lettres, trois lettres restant sans réponse, surtout que je dépensais insidieusement l'argent de la maison, je me décidai à revenir à Paris pour savoir de quoi il retournait.

J'arrive donc au bureau. "Que diable venez-vous faire ici ?" Tels furent les mots propres par lesquels je fut reçu de mon excellent patron. "Je vous ai écrit trois fois, vous ne m'avez pas répondu, j'ai donc supposé que je devais revenir. Si du reste j'ai eu tord, je vous propose de payer mon voyage de ma poche sauf à retourner où vous voudrez si vous le jugez convenable." Telle fut ma réponse. "Eh bien ! puisque vous êtes ici, restez-y" me fut-il réparti.

Je me remis donc à la besogne, mais ce ne fut pas pour longtemps.

Un jour, quelques semaines, deux ou trois tout au plus après mon retour, si je ne me trompe, M. Meuron me demanda le livre des premières écritures que je tenais lorsque j'étais à Paris. N'y trouvant pas couchée une négociation (notez bien qu'elle ne pouvait pas y être puisque je n'avais encore reçu de la caisse aucune note à cet égard) il me jeta le livre à la tête aux yeux de tous les commis. Je me bornai à ramasser le livre et à le remettre à sa place, mais immédiatement j'écrivai à mon père pour lui dire ce qui venait de se passer et lui déclarer en même temps que je ne croyais pas pouvoir rester dans la maison et dans la même journée je m'en ouvris également à M. Oppermann. Huit jours après je reçus de mon père une réponse qui m'approuvait complètement. Je demandai donc mon congé à M. Meuron qui ne fit aucune difficulté à me l'accorder. Nous verrons pourquoi dans la suite de ce récit.

Cependant M. Oppermann n'était pas resté inactif et m'avait cherché une occupation, laquelle fort heureusement se trouva immédiatement. Mais avant de quitter définitivement M. Meuron, en tout au moins pour plusieurs années, je dois encore mentionner deux incidents survenus pendant que j'étais chez lui. L'un ne me concerne pas directement, mais l'une de mes connaissances, un jeune Pictet de Genève, dont le père duquel j'étais fort bien vu. Ce jeune homme ne payait pas de mine, tant s'en faut. Un soir il était au théâtre français dans une loge de seconde avec les deux anglaises dont j'ai parlé et leur mère. Ces dames s'étaient tellement affichées qu'elles provoquèrent, pendant les entr'actes, l'attention du parterre, assez bruyant à cette époque et surtout assez mal composé. Des rires, des lazzis et des huées furent dirigés contre la malheureuse loge, dont les locataires étaient sur le point de la colère, lorsque Pictet, par une heureuse inspiration, tira de sa poche un paquet de cartes de visite qu'il lança dans le parterre en guise de réponse aux attaques dont ses compagnes et lui étaient l'objet. A la vue de cet acte de courage, les plaisanteries se changèrent en bravos redoublés et dès ce moment on les laissa parfaitement tranquilles, car Pictet avait trouvé des champions même dans le parterre, et dans le reste de la salle, cela va sans dire.

L'autre épisode me concerne exclusivement et aurait pu avoir des suites funestes. Je crois que c'était le 1 janvier 1824. Meuron m'engagea à aller avec lui à Bougival, petite campagne qu'il louait près de Marly sur la route de St. Germain. La course devait se faire à cheval et il me prêta un de ses chevaux qu'il savait être vicieux ou tout au moins excessivement sur l'oeil. Nous partîmes de Paris après déjeuner. Jusqu'à la Malmaison tout se passa assez bien, mais après l'avoir dépassée, un gros chien appartenant à des blanchisseurs de Hauterre s'élança en aboyant contre nos chevaux. Celui de Meuron se comporta bien mais le mien s'emporta, et plus il s'emportait, plus le chien s'acharnait après lui. Ne pouvant plus être maître de ma monture et m'apperçevant qu'elle s'approchait insensiblement des gros arbres qui bordaient le bas-côté de la route, je craignis qu'elle ne me précipitât contre l'un d'eux; en conséquence je désenfourchai mon cheval et m'étant assuré que mon pied gauche n'était pas pris dans l'étrier, je me laissai choir et je tombai de tout mon long dans un bon demi-pied de boue, ce qui amortit considérablement la chute, de sorte que j'en fut quitte pour quelques contusions et des habits abîmés. Inutile de dire que une fois le cavalier par terre, le chien s'en alla, le cheval s'arrêta et Meuron me rejoignant, m'aida à remonter sur ma bête. Quelques instants après, nous arrivions à Bougival où je me débarbouillai du mieux que je pus. Nous revînmes à Paris pour le dîner, mais pour cette seconde course Meuron, qui avait sans doute quelque remord, me donna son cheval et prit le mien, de sorte que le retour eut lieu sans autre incident.

Puisque j'ai parlé de la famille Pictet, dont la bienveillance à mon égard ne s'est pas ralentie pendant mon séjour à Paris, je mentionnerai une singularité de leur part; c'est que pour leur dîner de Noël ils mangeaient complètement à l'anglaise, c'est-à-dire que le repas était composé entre autres du RoastBeef, du Plumpudding et de tuincepies. Ces deux derniers leur étaient même envoyés d'Angleterre, pour les avoir plus genuine. Ce jour-là ils invitaient leurs connaissances intimes dont je faisais partie.

Je ne sais trop ce que sont devenus les membres de cette famille qui se composait du père, de la mère, du fils dont j'ai parlé et d'une fille de 19 ans. J'ai su pourtant que le père et le fils étaient mort et l'on m'a dit que la mère et la fille s'étaient retirées à Nantes, où elles se trouvaient dans une position assez gênée.

J'ai dit qu'après ma sortie de la maison Meuron, M. Oppermann s'était employé activement à me trouver une occupation. Très heureusement à cette époque, M. Louis Guebhard, qui venait de se rendre adjudicataire de l'Emprunt royal d'Espagne, ne pouvait pas lui-même signer toutes les obligations dont le nombre était de 80000. Il me donna sa procuration spéciale pour les signer en son nom. Ce fut pour moi une occupation fort ennuyeuse mais lucrative, puisque je recevais F 500 par mois et que, en outre, j'étais logé et nourri dans la maison. C'était dans l'été 1824. Ce séjour dans la maison Guebhard fut très agréable, d'autant plus que pendant la majeure partie du temps, je fut seul en ménage avec Mme Pfister, mère de Madame, femme fort commune, mais remplie d'attentions pour moi, et du fils Oscar, alors fort jeune et qui est maintenant Monsieur Guebhard de Chambrier. S'il en était ainsi, c'est que M. Guebhard avait dû se rendre à Madrid pour les affaires de l'emprunt, en compagnie de Madame cela va sans dire, qui au physique (quand à la santé) et au moral portait les culottes dans la maison.

Une fois toutes mes obligations signées, je n'avais plus rien à faire chez Guebhard, car je n'étais entré chez lui que pour cette spécialité et je n'avais à me mêler en quoi que ce soit des autres affaires du Bureau où je n'ai mis les pied qu'une seule fois.

Ne trouvant pas d'emploi sortable à Paris, désirant vraiment revoir ma famille, je quittai la capitale en automne et revins à Neuchâtel dont je ne devais plus bouger, au moins d'une manière permanente,

1825

De ce moment ma carrière commerciale est terminée et je passe l'hiver 1824/25 au sein de ma famille. Mon père était encore à cette époque secrétaire du Conseil d'Etat, nous habitions le château dont le principal habitant était alors le gouverneur de Zastrow et sa famille. Nous logions dans la partie du château qui depuis la République est occupée par la direction des finances et ses dépendances. Je n'avais en moi rien de bien déterminé pour ma carrière future. Mon père cherchait à me procurer de l'occupation et moi ... je cherchais, je dois l'avouer, à me caser de manière à pouvoir vivre honorablement et à me rendre par la suite et si possible utile à ma patrie. Or comme à dater de cette année 1825 mes voeux ont été exaucés, que j'ai pu m'établir définitivement à Neuchâtel, je suivrai dorénavant dans ce récit l'ordre chronologique et je le diviserai d'abord en années pour le temps pendant lequel je n'ai pas pris de note journalières, puis par mois à dater de 1840, époque à laquelle j'ai commencé mon journal. J'espère que cet écrit ne paraîtra pas trop ennuyeux ou fastidieux, aux personnes qui en prendraient connaissance, lesquelles personnes au reste sont libres de le planter là, s'il ne leur paraît pas amusant.

Sur ce, je rentre en matière. Dès le commencement de l'année je me mis en quête d'occupations et surtout ... d'une femme. Des occupations je n'en trouvai guère, bien est-il vrai qu'alors ce n'était pas le premier de mes soucis. Quand à l'autre objet j'adressai d'abord mes soupirs à Mademoiselle Elise de Pury, qui plus tard fut fiancée au général Perregaux, blessé presque mortellement au siège de Constantine et qui mourût tôt après, et qui plus tard encore devint la femme de M. Auguste Meuron (de Bahia). J'ai lieu de croire et j'en suis même certain que ma demande aurait été favorablement accueillie sans nos circonstances respectives de fortune. Mais comme nos dots auraient été for minimes et nos espérances fort problématiques, nos parents trouvèrent que cette union aurait été très imprudente, de sorte que je fut éconduit, mais je dois le dire, de la manière la plus polie possible. Fort chagriné de cette mésaventure j'allai au printemps passer quelques semaines à la Borcarderie où d'ailleurs m'appelait mon service militaire. Etabli définitivement dans mon pays, je dus être incorporé dans la milice et je choisis de préférence le 2ème département (Val-de-Ruz) pour y faire mes premières armes.

Les services du printemps terminés et ayant reçu les galons de caporal, je revins à Neuchâtel où je ne tardai pas à soupirer de nouveau. Cette fois mes soupirs furent entendus et ma demande favorablement accueillie pas Mademoiselle Sophie de Tribolet, à laquelle j'ai été uni environ 26 ans. C'est à Constantine, campagne dominant le lac de Morat et appartenant à Madame de Tribolet Vaucher, où je m'étais rendu avec ma mère que nous fumes définitivement fiancés.

Notre union fut couronnée et notre mariage béni le 12 octobre en même temps que celui de Frédéric de Tribolet, frère de Sophie, avec ma soeur Uranie. La cérémonie fut célébrée à 8 h du matin dans le temple du Nant et fut suivi d'un déjeuner après lequel mon beau-frère et ma soeur partirent pour Constantine et nous pour la Borcarderie, escortés de nos parents respectifs, surmontés de frère, de soeurs, beau-frère et belle soeur. En arrivant à la Borcarderie nous fumes accueillis par des salves de pétards et de mousqueterie tirées par les jeunes gens de Valangin, qui furent conviés à un bal donné à la ferme. A cette occasion je dois consigner ici que j'ai dès lors regretté bien souvent que nous ayons passé les premiers jours de notre mariage en si nombreuse compagnie. Ce qui eut certainement une influence fâcheuse sur les premières années de notre union, qui ne furent pas toujours couleur rose. Si nous avions seulement fait un petit voyage, ou si tout au moins on nous avait laissé seuls, nous aurions beaucoup mieux appris à nous connaître et surtout nous nous serions accoutumés à nous trouver en tête à tête, tandis que, comme on avait arrangé nos affaires, il était très rare que nous fussions ensemble; au contraire nous étions soumis l'un et l'autre à des influences différentes, ma femme à celle de sa mère qui la gâtait horriblement et à celui de ses soeurs qui, je le crois, lui prêchaient un peu la révolte et moi à celle entre autres de mon beau-frère Edouard de Pury qui m'engageait très fort et certainement beaucoup trop à être maître chez moi. Quoiqu'il en soit nos premiers mois furent loin d'être une lune de miel, ce qui dans certaines circonstances eut des conséquences plus ou moins fâcheuses que je relaterai ou ne relaterai pas. C'est selon ce qui me passera par la tête, lorsque j'en serai là. Néanmoins nous atteignîmes couçi couça la fin de l'année 1825. Nous étions au ménage de mes parents et nous occupions la chambre ayant vue sur l'Ecluse, qui avait été précédemment la chancellerie avant qu'elle ne fut transférée où elle est encore maintenant.

Je m'aperçois que j'ai omis de mentionner une circonstance, au moins assez curieuse, qui survint dans l'été de cette même année 1825. Lady Davy, femme de Sir Humphey Davy, président de la société géologique de Londres, avait été recommandé à mon père par M. de Candolle. Ayant témoigné le désir de voir l'île de St. Pierre, je fut chargé de l'y conduire. Le trajet d'aller et de retour se fit très heureusement, mais n'ayant pu parvenir à quitter ma compagne pour satisfaire à un besoin pressant, je fut saisi à mon retour à la maison d'une colique inflammatoire qui nécessita une application de sangsues, qui m'affaiblit assez sensiblement. Cependant au bout de très peu de jours, j'entrai en convalescence et pour me remettre complètement j'allai passer quelques jours à Greng chez M. de Pourtalès, qui dans ce temps là m'honorait, ainsi que sa femme, d'une amitié toute particulière.

1826

Ce fut dans cette année que commença ma carrière militaire car l'année auparavant je n'avais été que recrue. Je fut nommé sergent.

Pendant l'été nous fûmes successivement avec ma femme qui dut également faire une cure au Gournigel, à la Borcarderie et à Constantine. Au mois d'août je fréquentai l'Ecole militaire de Thoune en qualité d'aspirant. L'école était alors sous les ordres du colonel Gueldin de Lucerne, l'artillerie sous le commandement du colonel Hirzel de Zurich, le génie sous le colonel Dufour, l'infanterie sous le colonel Zimmerli d'Aarau. L'un de nos principaux instructeurs était l'un de mes amis le capitaine de génie Wurstemberg de Berne. De retour à Neuchâtel au mois de septembre, je fit mes préparatifs d'encavage, car à dater de cette époque mon père m'avait abandonné tout ce qui concernait la cave, sous la direction de M. Wuilleumier, qui depuis de longues années surveillait cette branche de nos affaires.

1827

De cette année date ma carrière administrative, car au mois de mars je fut élu membre du Grand Conseil de la ville de Neuchâtel. A cette époque il se recrutait encore de lui-même, ou plutôt c'était le Conseil Général, composé du Grand et du Petit Conseil, au nombre de 64 membres, qui faisait les nominations. Le jour de son élection, le récipiendaire recevait dans la soirée et tenait table ouverte. Cette cérémonie eut lieu chez mon père au château, parce qu'alors nous étions encore au ménage de nos parents Montmollin.

Au printemps j'allai comme de coutume faire mes exercices militaires au Val-de-Ruz, qui formait alors le 2ème département militaire dans lequel je m'étais fait incorporer et je fit cette petite campagne en qualité de sergent fourrier.

Plus tard je reçu un brevet de 2ème sous-lieutenant et je me rendis en cette qualité à l'Ecole de Thoune comme l'année précédente. Pendant ce temps, ma femme faisait une nouvelle cure au Gournigel où j'allai passer avec elle 8 jours en sortant de l'Ecole.

Cependant et déjà depuis quelques temps nous songions à nous mettre en ménage. Nous employâmes notre automne à faire nos préparatifs et avant la fin de l'année nous nous établîmes dans la maison sur la Place, au premier étage qui était à cette époque divisé en deux logements. Nous occupions celui donnant sur la rue du Coq d'Inde et sur la place. L'autre donnant également sur la Place et sur le lac était occupé par mes cousines Meuron Lebel, Il est bon de remarquer à cette occasion que le grand salon actuel était divisé en trois pièces. L'une, celle du bateau, appartenait au logement du Nord, celui où nous logions et nous servait de chambre à coucher. La croisée du milieu éclairait une seconde pièce servant de chambre de domestique pour le logement Meuron. Quand à la troisième elle donnait jour à la cuisine du même logement qui formait la troisième pièce. C'est ici le lieu de consigner la circonstance que sur la maison sur la Place et avant d'aller habiter le faubourg, nous avons successivement occupé le logement au Nord, en second lieu le logement du troisième que j'avais fais arranger après que mon père m'eût cédé la maison, enfin le logement du premier au midi après la mort de mon père.

1828

Ce fut dans le courant de cette année que je commençai à prendre un véritable intérêt aux affaires administratives. Je savais qu'il existait à la chancellerie un répertoire des registres du Conseil d'Etat et rien de pareil ne se trouvait aux archives de la ville, pour les registres du Conseil général.

Sur ma demande messieurs les quatre ministraux m'autorisèrent à entreprendre le Répertoire des Arrêts de ce corps. Je me mis au travail avec courage et je parvins à le terminer en deux ans, en y employant deux heures par jour, de 5 à 7 heures du matin, hiver comme été. Ce répertoire forme un gros volume in folio qui existe encore à la secrétairie de la ville à ce que je suppose. Il est apostillé par moi et signé de mon nom.

Cependant les affaires administratives ne prenaient pas tout mon temps et je devais aussi m'astreindre à des devoirs militaires ce qui du reste rentrait dans mes goûts. Je fit donc en qualité de 2ème sous-lieutenant mon service ordinaire au Val-de-Ruz et après les exercices je reçu un Brevet de 1er sous-lieutenant. C'est en cette qualité que je fonctionnai dans les voltigeurs au camp de Boudry qui avait pour commandant en chef le colonel Frédéric de Pourtalès de Greng. La compagnie dans laquelle j'étais incorporé avait pour chef le 1er lieutenant Auguste Junod, lequel deux ans plus tard devait se trouver sous mes ordres au camp fédéral de Bière, mais n'anticipons pas.

A cette époque et depuis un an ou deux j'avais pris grand goût au tir à la carabine, aussi m'étais-je fais recevoir membre de la Compagnie des fusiliers et j'étais très assidu à ces exercices. Cette année le tir fédéral avait lieu à Genève; je m'y rendis avec une députation des fusiliers dont faisait aussi partie Charles de Marval. Il ne m'est pas resté grand chose de cette partie de plaisir, si ce n'est cependant que j'étais logé avec Marval chez un tailleur nommé Weiss et que sur la place de tir j'entendis un officier en uniforme voulant donner un ordre à un gendarme s'adresser à lui en ces termes: "M. le Gendarme, veuillez, etc...!!" voilà ce qu'étaient les milices genevoises dans ce temps-là. Ont-elles changé dès lors ? C'est ce que je ne saurais dire.

1829

Dans la première réunion du Grand Conseil au mois de janvier, je fut nommé Maître des clés et entrai en cette qualité dans la magistrature. Je dois sans doute cette nomination et ce témoignage de confiance de la part de mes collègues à l'intérêt que je portais aux affaires de la Bourgeoisie et au travail que j'avais entrepris. Quoiqu'il en soit ces nouvelles fonctions me procuraient un surcroix d'occupation assez sensible. Aussi à part quelques absences de peu de durée je fut obligé de tenir pied à bande à Neuchâtel

Cependant je trouvai le moyen de me rendre au tir fédéral de Fribourg, toujours en compagnie de mes collègues des fusiliers. Nous entrâmes à Fribourg sous la conduite de Louis de Pourtalès-Sandoz, notre capitaine cette année-là. L'orateur de la troupe était le chancelier Favarger, alors simple avocat, qui fit à notre arrivée au stand un discours des plus suisse, qui se terminait par ce cri à l'adresse des Puissances qui auraient eu l'idée d'attaquer la patrie commune: "Halte! on ne passe pas!". Ces paroles, comme on peut facilement se l'imaginer, furent couvertes d'applaudissements par nos chers confédérés.

Quelques années plus tard Favarger ne tenait plus le même langage, mais il est vrai que sa position avait changé !

Ce fut pendant le courant de cette année que mon père conçu la malheureuse idée de faire de la Borcarderie un établissement industriel sous la direction d'un certain Harrington, anglais, qui lui avait été recommandé par Monsieur Vaucher, pasteur de Saint-Aubin et Henri de Rougemont. J'aurais dû m'opposer à cette création que je favorisai au contraire par mon silence d'abord, ensuite par ma coopération. Je note ici pour n'y plus revenir que H. était un homme parfaitement incapable, et peu honnête pour ne rien dire de plus; que cette affaire a eu des résultats déplorables financièrement parlant, et que ces résultats, qui ont vivement affecté mon père ont été l'une des causes de sa fin relativement prématurée. Bien est-il vrai cependant, comme je le dirai plus tard, que les événements de 1831 et surtout leurs conséquences, contribuèrent plus que l'affaire Harrington à hâter ce fatal dénouement.

1830

Nommé maître des clés l'année précédente, je devenais de droit, dès le 1 janvier, maître des clés en chef. En cette qualité je présidais le Conseil des quarante qui ne se réunissait que fort rarement et je faisais encore partie des quatre ministraux. Toutefois plusieurs événements, que je vais relater, firent obstacle à ce que je me dévouasse comme je l'aurais voulu, à une fonction administrative que je ne remplis bien régulièrement que pendant les premiers mois de l'année.

Vers la fin d'avril quelques uns des enfants de ma belle-mère, Madame de Tribolet, lui ayant témoigné le désir de faire un voyage à Paris, elle nous donna à chacun une somme de six mille francs pour en faire ce que bon nous semblait. Les DuPasquier et nous, nous décidâmes à entreprendre le voyage projeté. Nous louâmes une voiture de poste et partîmes le 15 avril à ce que je crois. Nous fîmes le voyage à petites journées et couchâmes 4 fois, à Salins, à Lyon, à Montbard et à Sens. Le 5ème jour nous arrivâmes de bonne heure dans l'après-midi à Paris, où nous allâmes nous loger dans un fort joli appartement donnant sur le Boulevard, à l'entresol de l'hôtel de Castille, rue Richelieu, qui avait été retenu par M. Charles Meuron, notre banquier et mon cher cousin.

Comme je connaissais Paris d'ancienne date, je laissais ordinairement nos dames faire leurs courses avec Edouard DuPasquier, et je mettais mon temps à profit d'une autre manière. C'est ainsi que, ayant été chargé de prendre des renseignements sur les hospices pour la vieillesse je visitai successivement Bicêtre (hospice des vieillards hommes) et la Salpêtrière (hospice des vieillards femmes).

Je parcourus aussi d'autres établissements d'utilité publique dans le but de voir s'il n'y avait pas moyen d'établir quelque chose de semblable à Neuchâtel, le tout néanmoins sans aucun résultat.

Après être resté une quinzaine de jours à Paris, j'y laissai ma femme aux soins de DuPasquier et fit mes préparatifs pour un voyage projeté en Angleterre, dans le but essentiel d'examiner de quelle manière, industriellement parlant, nous pourrions tirer parti de la Borcarderie. Muni d'excellentes recommandations, je pus voir beaucoup de choses dans ce voyage, mais je ne tardai pas à me convaincre que, de tous les établissements ou usines parcourues, aucune ne pouvait être installé à la Borcarderie, par la raison toute simple, qu'il aurait fallu établir les choses en grand ce qui aurait demandé d'énormes capitaux, que ni mon père ni moi n'avions à notre disposition. D'autre raisons s'opposaient encore à la mise en exécution des projets de mon père. La force motrice était loin d'être suffisante et ce n'eût été qu'avec une extrême difficulté que nous aurions pu nous procurer le personnel nécessaire. Ces raisons et d'autres encore firent avorter notre oeuvre et cela fort heureusement, comme je ne tardai pas à le reconnaître, car la fortune de mon père y aurait passé, ébréchée qu'elle serait bientôt par les sottises de H.

Quoiqu'il en soit, je quittai Paris le 1 mai pour arriver à Londres le 4. Je dirai seulement que je restai une semaine à Londres, que je visitai successivement Edimboug, Glasgow, Manchester, Birmingham, Oxford, Winchester et Portsmouth, où je m'embarquai le 26 sur le bateau à vapeur la Camilla et qu'après une détestable traversée de 14 heures, j'arrivai au Havre dans la matinée du 27. J'y restai 2 ou 3 jours pour revoir mes anciennes connaissances et repassai par Paris, où cette fois je me logeai à l'hôtel d'Italie, attendu que ma femme et les DuPasquier étaient déjà de retour en Suisse.

Je partis de Paris le 11 juin pour arriver à Neuchâtel le 13. Dès le 14 je repris momentanément mes fonctions de maître des clés, auxquelles furent ajoutées celles d'inspecteur de Police de la ville, poste qui m'avait été conféré pendant mon absence, mais sur ma demande.

Pendant le reste du mois du juin et tout le mois de juillet je fut extrêmement occupé, car il s'agissait de réorganiser la police, qui dans les dernières années et surtout dans les derniers mois, avait été très négligé par mon prédécesseur, le lieutenant-colonel de Perrot.

Le 24 juin, malgré une très vive opposition, je fut nommé capitaine d'infanterie. L'opposition était certainement motivée, car c'était un passe-droit envers le lieutenant Auguste Junod, sous les ordres duquel j'avais été deux ans auparavant au camp de Boudry et qui devais être mon subordonné au camp de Bière pour lequel on faisait des préparatifs. Nous verrons plus loin que cette circonstance fut pour moi l'occasion de nombreux désagréments. Toutefois il y avait ceci en faveur de ma nomination: c'est que le département du Val-de-Ruz manquait de capitaines, tandis qu'ils étaient au grand complet dans le 3ème département (Boudry) dont Junod faisait partie. Or comme l'avancement avait lieu par département et non sur les milices en général il n'est pas étonnant que la commission militaire ait tenu à compléter les cadres du Val-de-Ruz au lieu de nommer des surnuméraires dans le 3ème département.

Le 2 juillet je fit au Val-de-Ruz en compagnie du major Borel, tanneur à Valangin une inspection par village des hommes qui devaient se rendre au camp de Bière. Durant l'après-midi, revenant de Coffrane à Valangin, nous fûmes assaillis par un orage de grêle, tel que je n'en ai jamais vu de pareil. Il tombait des grêlons de la grosseur d'un oeuf de pigeon. Cette colonne ravagea le Val-de-Travers, une partie du Val-de-Ruz et entre autres un domaine que je possédais alors à Clémesin, et en outre le vignoble du Landeron.

C'est le 28 juillet que les cadres du bataillon entrèrent en caserne à Colombier. Après s'y être organisés pendant deux ou trois jours, le bataillon entier fut convoqué pour se préparer pendant une huitaine de jours à faire convenablement son service au camp de Bière. Nous fûmes cantonnés à Boudry, Cortaillod et Bevaix. Les voltigeurs étaient à Boudry et j'étais logé avec M. Auguste Junod chez Monsieur Bovet Fels à la Fabrique. Pendant que nous étions à Boudry, arrive, comme un coup de foudre, la nouvelle de la Révolution de Paris et du renversement des Bourbons. Comme dans les premiers moments on ne savait pas si ces graves événements ne mettraient pas l'Europe en feu, nous nous attendions un peu à aller à la frontière comme troupe d'observation, lorsque dans les premiers jours d'août nous nous mîmes en route pour Bière. Néanmoins nos prévisions ne se réalisèrent pas et le camp se passa le plus tranquillement du monde, quand je dis tranquillement ce fut pour la troupe en général, mais il fut loin d'en être de même pour moi en particulier. Voici à quelle occasion:

Très peu de temps avant la prise d'armes, me trouvant avec le lieutenant-colonel de Perrot sur le perron de l'hôtel de ville, celui-ci que j'avais remplacé comme inspecteur de police, voulant me tenter, me parla de la position mixte de Neuchâtel. Il me dit que cette position ne pouvait pas durer, qu'il fallait nous défaire de l'autorité du Roi, mais conserver soigneusement les membres de notre gouvernement qui étaient tous de braves gens, etc., etc. Je tournai le dos à mon interlocuteur et pour le moment il ne fut plus question de rien. Sur ces entrefaites M. de Perrot fut désigné pour commander le bataillon neuchâtelois à Bière; et, une fois arrivé au camp, il me fit sentir que si je ne voulais pas entrer dans ses idées, il saurait bien m'en faire repentir et en effet il n'y eut sortes d'avanies et de déboires qu'il ne me fit subir. Cela alla même si loin que je fut forcé de m'adresser à l'Etat-major pour tâcher de faire cesser cet état de choses; mais telle était la désorganisation de la hiérarchie militaire à cette époque que, quoique notre chef de brigade (colonel de Steiger-Sandoz) me trouvât parfaitement fondé dans mes plaintes, cependant il ne put pas me faire rendre justice et pourquoi ? Parce qu'il était conservateur, tandis que Perrot était radical et que déjà alors le radicalisme commençait à être tout puissant en Suisse. Il me fallu donc boire la coupe jusqu'à la lie; Aussi ce fut un beau jour pour moi que celui du retour du bataillon à Neuchâtel, où je fut pleinement et complètement consolé de tous les désagréments que j'avais eu à supporter, par les témoignages d'affection que me donnèrent avant de nous quitter, la plupart de mes camarades et surtout la totalité des soldats de ma compagnie. Mais ce qu'il y eut de plus odieux dans la conduite de Perrot et ce que je n'appris que plus tard, c'est que, pendant qu'il cherchait à républicaniser son bataillon, il écrivait au département militaire neuchâtelois que je cherchais à le désorganiser. Au reste prompte justice fut faite de cette accusation dont je n'ai même jamais entendu parler d'une manière officielle.

Au commencement de septembre je repris mes fonctions administratives et de police. Ces occupations furent nombreuses et assez pénibles, d'abord parce qu'il fallait me remettre au courant des affaires et ensuite par le passage à Neuchâtel d'une partie des troupes suisses licenciées après la révolution et rentrant dans leurs foyers. Il n'y avait que peu de semaines que je m'étais remis à la besogne, lorsque je fut encore obligé de m'absenter. La maison Meuron et Cie de Paris venait de suspendre les paiements à la fin d'octobre, et Neuchâtel en général, ainsi que ma belle-mère en particulier y étaient intéressés pour des sommes énormes. Il devint nécessaire d'aller sur les lieux pour assainir l'affaire. Laquelle se trouva encore plus désastreuse qu'on ne le croyait de prime abord. Cette circonstance nécessita une surveillance presque journalière et la présence presque continuelle à Paris d'un représentant des créanciers neuchâtelois, surtout en vue d'obtenir un arrangement. Comme j'avais été employé dans la maison et que, mieux que personne je pouvais en connaître les allures je fut désigné comme ce représentant et je partis pour Paris. Pendant ce premier séjour eut lieu une réunion des créanciers qui nommèrent un syndicat provisoire pour arriver à l'arrangement désiré. Ce syndicat fut composé de Messieurs Guex de Beausobre, un de mes amis, de Monsieur Jämes Odier, associé de la maison Gabriel Odier et Cie et de moi. Nous nous mîmes immédiatement à la besogne et à force de démarches et de travaux nous parvînmes à faire signer l'arrangement projeté par la totalité des créanciers, mais ce ne fut pas sans peine et sans longueur, car tout ne fut terminé que l'année suivante. C'est ici le lieu de remarquer combien il est heureux pour Neuchâtel que cet arrangement ait abouti, car dans le cas contraire, la faillite aurait été déclarée, le chef de la maison M. Meuron aurait passé en cours d'assises, l'actif de la masse aurait été absorbé par les frais d'enregistré et autres, et Neuchâtel aurait tout perdu. Tandis que les créanciers domiciliés dans notre petit pays et surtout dans la ville, sont rentrés petit à petit dans leurs capitaux, et ont reçu ou vont recevoir au moment où j'écris ces lignes (mars 1859) de F. 11 à 1200000.- sur 1700000 qui leur étaient dus et peut-être recouvreront-ils encore davantage.

Pendant ces pérégrinations et vers la fin de l'année je recevais un brevet de premier-lieutenant à l'Etat-major fédéral, qui ne devait pas tarder à être mis en activité.

1831

Cette année marque dans mes différentes carrières, administration, militaire et commerciale par les agitations et des occupations de toutes natures.

Dès le mois de janvier la faillite Meuron m'appela de nouveau à Paris, où je fit deux voyages en fort peu de temps.

Au mois de mars la Diète mettant quelques troupes sur pied, le colonel Frédéric de Pourtalès-Castellane fut appelé au commandement d'une brigade et fut en cette qualité nommé commandant de place à Genève. Il eut la bonté de penser à moi, et après avoir pris en qualité d'adjudant Fritz Meuron, alors capitaine à l'Etat-major fédéral, il me désigna comme son aide de camp. Avant de nous rendre à notre poste, nous fûmes chargés de faire une reconnaissance militaire dans la vallée du lac de Joux et les lieux avoisinants. Ce qui m'est resté de cette excursion c'est que, après une journée très fatiguant pendant laquelle nous avions marché dans la neige pour nous rendre du Pont à Vallorbe, nous nous étions couché fort tranquillement lorsque, au milieu de la nuit arriva une estafette qui enjoignit au colonel de se rendre immédiatement à Genève. Il partit aussitôt l'ordre reçu, avec Meuron, et je ne le suivi que quelques heures plus tard avec le fourrier d'Etat-major Adolphe Renard. Nous restâmes à Genève quelques semaines, et après avoir mis pied à terre à l'hôtel de la Balance, nous prîmes un logement dans une maison située au Bourg de Four. Le séjour que nous fîmes dans cette ville fut des plus agréable. Notre temps était partagé entre notre service, qui consistait à organiser les bataillons (Genevois et Valaisans) qui composaient la brigade, des reconnaissances que nous faisions toujours à cheval et des dîners et soirées qui nous étaient offerts par les notabilités genevoises parmi lesquelles je citerai entre autres les familles Favre, Bertrand et Tronchin en Savigny. Vers la fin d'avril on licencia une partie des troupes, je revins à Neuchâtel et mon service fédéral fut terminé pour ne plus recommencer, sauf un appel qui me fut adressé de la division qui était à St. Maurice, où je ne restai que 2 ou 3 jours.

Au retour de St. Maurice je revins prendre mes occupations qui consistaient surtout dans les fonctions d'Inspecteur de Police. Déjà les têtes commençaient à fermenter, plusieurs brochures et journaux prêchaient déjà, si ce n'est une révolution, au moins des changements importants dans les diverses branches du service public. Matériellement cependant, la tranquillité était parfaite, surtout à Neuchâtel où la police avait les yeux ouverts. Mais il n'en était pas de même dans les autres parties du pays, où se tenaient des conciliabules présidés par le lieutenant-colonel de Perrot. Ces réunions avaient surtout lieu à Bevaix, Marin, Fontaines et Travers. mais, je le répète, à l'extérieur et ostensiblement on se tenait bien tranquille.

Vers la fin de mai je reçu l'ordre de faire des reconnaissances militaires dans le canton de Vaud. Accompagné du fourrier d'Etat-major Adolphe Renard je parcourus successivement et dans l'espace d'une huitaine de jours les environs de Cossonay, puis je revins à Neuchâtel pour mettre mes notes en ordre et faire mon rapport que j'adressai immédiatement au département militaire fédéral.

Cependant l'agitation continuait et les têtes fermentaient de plus en plus, lorsqu'on annonça de Berlin l'envoi à Neuchâtel du major général de Pfuel en qualité de Commissaire royal. La mission avait pour but de prendre connaissance des voeux de la population et de calmer les esprits. Il y parvint momentanément en faisant au nom du Roi plusieurs concessions dont la principale fut l'établissement du Corps législatif qui remplaça les Audiences Générales. Si je suis bien informé, et je crois l'être, les pleins pouvoirs allaient même jusqu'à rendre Neuchâtel indépendant de la domination de la maison de Brandebourg et en faire purement et simplement un canton Suisse. Mais il trouva une telle résistance dans une certaine sphère qu'il dut renoncer à cette idée et cependant quels maux n'aurait-il pas épargné à notre pauvre pays s'il avait usé en plein de la latitude qui lui était laissée !!!

Une fois la mission terminée et croyant avoir pacifié le pays, M. de Pfuel quitta le pays et retourna à Berlin pour faire son rapport.

Cependant les esprits ne restèrent pas longtemps calmes. Dès le commencement de septembre et prenant pour prétexte l'annexion de Neuchâtel à la Suisse qui avait eu lieu le 12 septembre 1814, on proposa un banquet à la salle des concerts pour fêter cet anniversaire. Je ne sais en l'honneur de quel saint je fut nommé membre du comité d'organisation de la fête. Quoi qu'il en soit, prévoyant bien un peu d'échauffement, mais pas d'événements graves, je pus me soustraire à cette corvée en allant avec ma femme passer quelques jours à la Muhlimatt, chez mon beau-frère Stürler, où je comptais rester bien tranquillement jusques après la fête. Mais je comptais sans mon hôte.

Le 12 septembre au matin, au moment où nous partions pour la chasse, je reçus une lettre de mon père, que je puis transcrire vu son laconisme et quoique 28 ans se soient écoulés dès lors:

"Ou annonce un mouvement pour la nuit du 12 au 13. Peux-tu ne pas être à ton poste ?"

Certes, il n'y avait pas à reculer. Heureusement, nous avions encore la voiture qui nous avait amenés de Neuchâtel. Je fit immédiatement atteler et je partis de la Muhlimatt à 8 heures. A 8 h 1/2 du soir, j'arrivais à Neuchâtel, ayant franchi ainsi en un peu plus de douze heures la distance qui sépare la Muhlimatt de Neuchâtel, 17 ou 18 lieues de Suisse. Il va sans dire que j'avais laissé ma chère femme à la campagne.

A mon arrivée, la ville était tranquille; cependant et sans rentrer chez moi (nous occupions alors un logement dans la maison sur la Place) , je me rendis immédiatement à l'hôtel de ville où je trouvai les Quatre Ministraux, réunis en permanence et fort inquiets des événements probables de la nuit. En conséquence, je passai la nuit auprès d'eux: nuit pleine d'angoisse eu égard aux bruits vrais ou faux que l'on répandait et qui se succédaient d'un moment à l'autre. De son côté, le gouvernement siégeait au château; la nuit se passa en pourparlers continuels tendant à savoir comment l'on se défendrait ou même si l'on se défendrait contre une invasion armée. Bref, le résultat de tout cela fut que l'on ne se défendit pas et que vers 6 heures du matin une colonne de 4 à 500 insurgés vint prendre fort tranquillement possession du château de Neuchâtel.

Je laisse à des plumes plus exercées que la mienne le soin de raconter les différentes phases de cette tentative de révolution qui se termina momentanément, comme on le sait, par le retour du gouvernement légitime au bout d'une quinzaine de jours de véritable anarchie et à l'aide des bataillons fédéraux. Néanmoins, je ne puis passer sous silence quelques traits peu connus et cependant assez caractéristiques.

Entre 3 et 4 heures du matin, nous vîmes arriver à l'hôtel de ville un homme habillé en milaine. C'était l'avocat Favarger, depuis conseiller d'Etat et chancelier et alors maire de Travers. Favarger qui, dans les commencements de la fermentation, n'avait pas peu contribué par ses écrits à attiser le feu, s'était rallié franchement au gouvernement du Roi, du moment où on lui avait donné un os à ronger, et cet os, c'était la mairie de Travers. Les gens de cette localité, éminemment révolutionnaires, gardaient rancune à Favarger de son revirement, aussi, lorsque le mouvement fut décidé, cherchèrent-ils à lui faire un mauvais parti et cernèrent dans ce but le château où il était domicilié. Néanmoins, il parvint à s'échapper par une porte de derrière et put atteindre une maison des environs habitée par un justicier, chaud royaliste, et là eut lieu le déguisement sous lequel il arriva à Neuchâtel ayant toujours autant que possible évité la grande route, et ayant à cet effet, pris le chemin du Champ du Moulin. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il se présenta à l'hôtel de ville, il était dans un état d'excitation plus facile à concevoir qu'à décrire. Il entra immédiatement chez les Quatre Ministraux où il se déchaîna avec beaucoup de violence sur la lâcheté qu'il y aurait à ne pas se défendre contre une bande de 2 à 3 cents misérables bandits, les trois quarts pris de vin et mal armés. Néanmoins, le Conseil d'Etat en avait décidé autrement et, malgré Favarger, la résolution fut maintenue.

Pendant que les insurgés étaient au château, le Conseil d'Etat siégeait dans un appartement écarté de la maison Sandoz-Rollin qui était président en exercice. Le secrétaire d'Etat (c'était alors mon père) était installé dans une espèce de grenier dont l'accès était assez difficile. Un jour, une députation de quelques personnes dont je faisais partie demandèrent une audience, désireux qu'on était de savoir ce que l'on pouvait craindre ou espérer. Il était évident que le président ne pouvait pas dire autre chose. Cependant, il lui échappa de prononcer ces paroles : "Hélas, Messieurs, nous sommes sur la pente douce !", ce qui consterna plusieurs personnes; et si pourtant à cette époque on n'avait pas fait des pieds et des mains pour gravir de nouveau cette pente, peut-être eut-on évité bien des malheurs, et notre pauvre pays ne serait-il pas dans la malheureuse position où il s'est trouvé après 1848.

Un autre incident (celui-ci tout comique) survint le jour même de l'entrée des insurgés au château. C'était entre 4 et 5 heures qu'ils avaient pris possession du siège du Conseil d'Etat. A 8 heures, un vénérable magistrat se présente à la porte du Conseil qui était gardé par un factionnaire. Celui-ci voyant un vieillard lui demande où il va : "Mais je vais au Conseil." - "Il n'y a plus de Conseil", répond le factionnaire. "Ah ! c'est différent", répartit le vieillard, et Jean s'en retourna comme il était venu. Cet homme n'était autre que M. le président de Tribolet-Hardy, maire de Lignière pendant nombre d'années, qui n'avait guère mis le pied dans sa juridiction que le jour de son installation. A vrai dire, M. de Tribolet n'était pas grand voyageur, car de sa vie il n'avait quitté Neuchâtel, sauf une fois pour aller à Bâle.

L'insurrection momentanément vaincue grâce aux bataillons fédéraux, l'ordre fut rétabli dans le pays, mais non le calme comme on ne tarda pas à s'en apercevoir. Je profitai de cette bonnasse pour aller faire un tour à Paris où me rappelaient les affaires de la maison Meuron et Cie. Avant la fin du mois d'octobre, j'étais de retour à Neuchâtel où l'on s'occupait de préparatifs et défenses, car les fauteurs de désordres relevaient fièrement la tête et tout faisait présager une nouvelle insurrection mieux organisée, plus générale et par conséquent plus dangereuse que la première. D'un autre côté, le parti royaliste s'organisait aussi, par les soins du général de Pfuel, lequel, de commissaire du Roi dans la Principauté, était devenu gouverneur. Ce fut dans la seconde quinzaine de décembre qu'éclatèrent les hostilités. Mon rôle dans ces événements se borna à peu de chose, car mon poste d'inspecteur de police me retenait forcément à Neuchâtel où, en cas d'attaque, j'étais chargé de la défense de la route conduisant au Val-de-Ruz et des abords de l'Hôtel de Ville. Mais comme on ne donna pas aux insurgés le temps de s'approcher, mes gens et moi nous n'eûmes rien à faire qu'à maintenir la tranquillité intérieure.

Quoi qu'il en soit, deux ou trois jours avant la fin de l'année, tout était terminé et la Révolution vaincue sur tous les points. Le Val-de-Travers, la Chaux-de-Fonds et quelques villages du Vignoble étaient occupés par les royalistes, de sorte que le Nouvel-An se passa fort tranquillement et le mois de janvier fut employé en fêtes et divertissements de toute nature dont Mme la comtesse Pourtalès-Castellane était l'âme et la grande promotrice.

1832

Ce fut dans le commencement de cette année que j'entrai pour la 2ème fois dans la magistrature en qualité de maître Bourgeois. Du reste l'année se passa fort tranquillement et ne fut marquée par aucun incident extraordinaire.

Le 2 octobre ma femme donna le jour à mon fils Georges qui fut baptisé le 14 novembre et qui eut pour parrain et marraine mon frère Auguste et ma belle soeur Louise de Stürler, soeur de ma femme.

A la fin de la même année je reçu un brevet de capitaine à l'Etat-major fédéral, poste que je ne devais pas conserver longtemps, comme nous ne tarderons pas à le voir.

1833

Pendant le courant de cette année je faisais les fonctions de maître-bourgeois caissier, mais comme ce n'était que la caisse des recettes (celle des dépenses était tenue par le maître des clés en second) et que d'ailleurs les caisses ne s'ouvraient que le mercredi, je n'étais pas énormément occupé. D'un autre côté l'année précédente nous avions à l'instigation de mon beau-frère Edouard de Pury, conclu une association pour la fabrication des vins mousseux, association dont le siège était à la Rochette. Les intéressés étaient l'ancien chancelier de Sandoz de Meuron, ancien châtelain du Landeron, Edouard de Pury et moi. A cet effet nous avions fait venir un ouvrier champenois. Nos produits étaient loin d'être mauvais, mais pour ce genre d'affaires, comme pour les autres, il fallait se donner de la peine pour obtenir des débouchés, car les clients ne viennent pas tout seuls. Pour arriver à ce résultat il fut convenu que nous ferions voyager, et je me chargeai du voyage. J'avais rapporté des espérances de réussite, mais nous nous aperçûmes bientôt qu'en fabriquant du vin, nous ne faisions que de l'eau claire et nous nous décidâmes (je le note ici pour n'y plus revenir) de céder notre établissement non sans perte à Monsieur Virchaux de St. Blaise qui dès lors ont continué ce genre de commerce dans une maison qu'ils firent construire dans ce but à l'entrée de ce dernier village du côté de Neuchâtel.

De retour de mon voyage je me mis tout de bau aux affaires de la magistrature et de la police, et l'année se termina sans incident digne d'être noté.

1834

Je devais être pendant cette année nécessairement plus occupé puisque c'était mon tour d'être maître-bourgeois en chef, poste qui ne me permettait guère de découcher et parce que la presque totalité du fardeau de la magistrature reposait sur mes épaules. Ce fardeau ne fut cependant pas très lourd, si ce n'est dans une circonstance tout au commencement de ma préfecture. Depuis quelque temps déjà le séparatisme faisait de grands progrès et n'était pas vu de bon oeil par la grande majorité de la population qui témoignait de son mauvais vouloir à cet endroit si ce n'est pas des actes, au moins par des propos qui dégénéraient quelque fois en vociférations. Or un certain soir du mois de février, à ce que je crois, que j'étais en soirée chez mon beau-frère Tribolet, l'on vient me prévenir qu'il y avait grand tumulte devant une des maisons de la Grand'rue. Je me rendis immédiatement sur les lieux où je m'enquis des causes de ce désordre. Or voici ce qui était arrivé: on avait célébré un baptême dans une maison occupée par un dissident et la réunion n'était pas encore dissoute, ce qui occasionna un rassemblement plus ou moins tumultueux composé de gens des Chavannes ameutés, à ce que j'appris plus tard, par un certain Borel, libraire, homme assez peu religieux, et dont la fille, à son grand déplaisir, était du nombre des séparés. Malheureusement un objet quelconque fut jeté ou tomba d'une des fenêtres de la maison, soit volontairement, soit involontairement, ce qui occasionna un redoublement de tumulte et quelques velléités assez sérieuses de violences contre la maison et les gens qui l'occupaient. Ne pouvant pas percer la foule, je me rendis immédiatement à l'hôtel de ville pour consulter sur ce qu'il y avait à faire avec mes collègues que j'avais convoqués. Mais ceux-ci étaient tellement émus de ce qui se passait, qu'ils ne purent prendre aucune décision. Cependant le temps passait et il fallait, comme on dit vulgairement, tirer ou nager. Je m'érigeai donc momentanément en dictateur. Un moment j'eu l'idée (à l'instar de ce qu'avais fait à Paris un ou deux ans auparavant le maréchal Lobau à la place Vendôme) de faire arriver les pompes à incendie et d'asperger bel et bien cette populace jusqu'à ce qu'elle en eut assez, mais je me rappelai tout à coup que les gardes urbaines, formées en 1831, étaient encore plus ou moins organisées. J'envoyai donc les colonels Meuron de Pourtalès-Steiger, qui s'étaient mis à ma disposition chez M. de Chambrier, président du Conseil d'Etat, pour lui demander l'autorisation de faire battre la générale. M. le président m'ayant fait répondre qu'il me donnait pleins pouvoirs pour prendre les mesures que je jugeais convenables pour le rétablissement de l'ordre, je donnai suite à cette idée. Moins d'une demie heure après, la Grand'rue était évacuée en grande partie, car au bruit de la générale, un grand nombre des assaillants se rendirent à leurs places de rassemblement où j'ordonnai qu'ils fussent gardés pendant un certain temps. Je profitai de cette bonasse pour faire évacuer la maison attaquée et pour faire occuper la Grand'rue par une partie de la garde de la ville. Puis la Garde urbaine fut licenciée, chacun s'en retourna chez soi assez paisiblement et la nuit fut tranquille. Le lendemain on fit des enquêtes, mais comme il arrive ordinairement après des émeutes populaires, on ne trouva pas de coupables et tout fut dit.

Ces désordres ne se renouvelèrent pas. Les dissidents furent plus prudent et comme le peuple savait que l'autorité s'occupait de ces choses, il attendit patiemment qu'une décision intervînt.

Le fait est qu'il y eut pendant cette année de nombreuses conférences entre le ministère de la ville et les quatre ministraux, mais que l'on ne sut à quel parti s'arrêter jusqu'au moment où les dissidents obtinrent de ne pas faire baptiser leurs enfants, mais de faire constater la naissance devant l'officier de la Juridiction, ce qui était déjà un acheminement aux actes de l'Etat civil qui ont été définitivement consacrés après la Révolution de 1848.

Le reste de ma préfecture comme maître-bourgeois en chef se passa sans autre incident remarquable. Aussi ne me reste-t-il à noter pour terminer cette année que la circonstance que je fut rayé, ainsi que tous mes collègues de l'Etat major fédéral, des cadres de l'armée suisse. Voici à quelle occasion: Le département militaire fédéral voulait, dans un but facile à concevoir, nous faire prêter serment à la constitution neuchâteloise, telle qu'elle aura été garantie par la diète. Nous voulions prêter serment à la constitution telle qu'elle était garantie. De là notre radiation qui nous fut annoncée officiellement le 22 décembre.

1835

Comme pendant cette année j'étais maître-bourgeois sortant, c'est-à-dire sans fonction spéciales, je pus me faire remplacer assez facilement et j'entrepris dès la fin du mois de janvier un voyage à Paris avec mon ami Alphonse Robert. Après un séjour à Paris d'une quinzaine de jours, nous revîmes par Nancy, Colmar et Thann, où nous restâmes aussi quelques jours chez M. Edouard Robert, avant de rentrer à Neuchâtel où nous arrivâmes à la fin de février. Je repris alors mes fonctions dans la magistrature, auxquelles le Conseil Général ne tarda pas à joindre celui de Capitaine en chef du Feu qui me donnèrent passablement de tablature, ayant dû réorganiser à peu près complètement le service des incendies, qui avait été négligé par mon prédécesseur. Cette organisation me donna beaucoup d'occupation pendant le reste de l'hiver et tout le printemps, voire même une partie de l'été.

Cependant depuis le camp de Bière de 1830 je n'avais fait aucun service militaire cantonal. Ainsi qu'on l'a vu, j'avais fait partie de l'Etat major fédéral et d'ailleurs mes fonctions administratives et de police m'exemptaient de plein droit de tout service militaire dans le pays. Néanmoins l'occasion de rentrer dans la carrière ne tarda pas à se présenter. Une inspection fédérale pour Neuchâtel avait été ordonnée par la diète pour avoir lieu dans le courant de septembre. Ce n'était pas très difficile pour l'infanterie qui avait toujours été plus ou moins exercée depuis 1831. Par contre ce n'était pas facile pour les carabiniers qui n'avaient pas été réorganisés depuis cette époque. Et aucun corps n'avait été plus désorganisé que celui-ci par la révolution. Au mois d'août un appel me fut adressé dans ce but par la commission militaire. Je n'avais aucune connaissance du service des carabiniers. Néanmoins je devais céder aux instances qui furent faites auprès de moi dans l'espérance qu'avec un peu de persévérance et de travail je pourrais me mettre à même de remplir convenablement la tâche qui m'était imposée. Fort heureusement je ne fut pas trompé dans mon attente et lors de l'inspection, j'eus la satisfaction de présenter aux inspecteurs fédéraux une compagnie qui me valut leur approbation et leurs éloges. Dès lors je restai attaché au corps et j'ai fait 13 casernements de suite à Colombier, 3 ans en qualité de capitaine et 10 comme major. Ce n'est que la révolution de 1848 qui m'a forcé d'abandonner un corps auquel j'étais particulièrement affectionné et qui, au reste, me le rendait bien, j'ose le dire sans forfanterie.

Monsieur Georges de Chaillet Mezerac mourut en automne et j'achetai de ma mère qui était l'une des héritières le domaine de la Prise que j'ai possédé pendant un petit nombre d'années, pour le revendre ensuite au lieutenant-colonel de Roulet qui en est encore propriétaire. C'était pendant la vendange soit au mois d'octobre 1838.

1836

N'ayant plus de fonction journalière à l'hôtel de ville, puisque mes 4 ans de maitre-bourgeois étaient terminées, je m'attachai à remplir de mon mieux les fonctions qui me restaient d'inspecteur de la police et de capitaine en chef du Feu. En cette dernière qualité surtout je m'efforçai d'améliorer les différents services dépendant de cette administration. J'organisai un corps de pompiers à l'instar de ce qui existait alors en Amérique, organisation qui avait déjà été adoptée au Locle par les soins de mon ami M. Jules Huguenin Vuillemin. A cet effet je me fit autoriser à me procurer une nouvelle pompe à mains et un système d'échelles pour le sauvetage.

Plus tard et dans la même année, je fut successivement appelé à la présidence de la commission des forêts dont mon beau-frère Coulon était le membre essentiel et à celle de la commission des Orgues dont l'un des membres M. G. Frédéric Gallot me força à donner bientôt ma démission, tant par sa manière peu aimable de discuter que par l'excessive longueur de ses discours qui faisaient durer d'une manière démesurée les séances de la commission.

D'importants événements de famille signalèrent le courant de cette année. Le 17 avril nous eûmes la douleur de perdre notre cher père qui succomba en 21 jours d'une fièvre nerveuse. Par contre le 24 octobre me naquit une fille à laquelle nous donnâmes le nom de Julie Frédérique Louise, mais qui ne vécut que peu de temps, puisqu'elle nous fut déjà retirée le 30 janvier 1838 à l'âge de 15 mois.

Après la mort de mon père je remplis provisoirement les fonctions de trésorier général, poste qu'il avait occupé depuis qu'il avait été privé de sa place de Conseiller et Secrétaire d'Etat. J'eus même la malheureuse idée de demander la place, mais elle me fut refusée quoiqu'en terme très flatteurs, je dois le dire, et donné à mon ami François de Sandoz-Travers-Travers, lequel, à parler franchement, avait plus de droits que moi à l'obtenir, d'abord parce qu'il était au service direct de l'Etat depuis plusieurs années, et ensuite parce que pour lui et sa famille c'était une question pécuniaire qui ne manquait pas d'être fort intéressante. A la vérité M. de Pourtalès m'offrit en compensation la place de châtelain du Landeron, que Sandoz-Travers qui l'occupait, allait quitter, mais je déclinai cette ouverture parce que je ne voulais relire mon placet, de sorte que je n'obtint pas non plus cette dernière place qui fut donnée à mon beau-frère Frédéric de Tribolet, alors maire des Brenets. Cependant comme fiche de consolation, je fut nommé par le collège électoral de Neuchâtel, membre du Corps législatif, en remplacement de mon père. Je dois dire que je fut très sensible à ce témoignage de confiance de la part de mes concitoyens. J'obtins 133 voix sur 211 votants et je siégeai pour la première fois à la session ordinaire du mois de juin.

1837

Je continuai pendant une partie de l'année à remplir les différentes et nombreuses fonctions dont j'étais chargé, mais, désirant quitter le Conseil de ville, je fit des démarches pour être plus spécialement attaché au service du Gouvernement et je fut nommé membre du département de Justice et Police, fonction qui nécessitèrent ma retraite, pour cause d'incompatibilité constitutionnelle, du Conseil de ville, de la Matrimoniale, de la présidence de la Commission des forêts, de celles de capitaine en chef du Feu, ainsi que du poste d'inspecteur de police, ce qui ne laissa pas que de diminuer sensiblement mes occupations. Toutefois j'en eus encore bien suffisamment car indépendamment des casernements des carabiniers, je fut appelé par le Roi à la date du 10 octobre à faire partie du Tribunal Souverain, qui siégeait régulièrement, outre les sessions extraordinaires, peu nombreuses à la vérité, quatre fois par an, deux fois à Neuchâtel et deux fois à Valangin.

Dans le courant de cette année mourrait la grand-mère de ma femme, Madame Vaucher, dont la succession était assez importante. Cet héritage parvint directement pour une part aux enfants de ma belle-mère Madame de Tribolet qui était décédée deux ans environ avant sa mère.

Une circonstance que je ne dois pas omettre survint aussi dans cette même année. Nous étions à la Prise, et il m'arrivait quelquefois, lorsque je venais en ville, de dîner au Faucon. Un jour du mois de septembre, je m'y rendis avec le professeur Matile, maintenant en Amérique. Il n'y avait guère à la table d'hôte qu'une dizaine de personnes, parmi lesquelles un homme d'une quarantaine d'années, laid à faire peur, et que nous ne tardâmes pas à reconnaître comme Français. Comme tous les Français, et plus encore que la plupart de ses compatriotes, il était bavard et nous ne tardâmes pas à connaître ce qui l'avait amené dans le pays de Neuchâtel. On était à cette époque dans le commencement de la fièvre des entreprises industrielles. Or, M. Brémond de St-Paul (c'est ainsi que se nommait notre olibrius) avait entendu parler des mines d'asphalte du Val-de-Travers. Sans crier gare, il s'était immédiatement rendu à Travers où demeuraient Messieurs Montandon, les propriétaires de la mine, et il s'était rendu acquéreur de l'immeuble dont les propriétaires ne connaissaient pas encore la valeur. En effet, comme Messieurs Montandon ne tiraient parti de leur asphalte qu'en faisant de la graisse de char, ils acceptèrent sans grande contestation la somme que Bremond leur offrit pour l'immeuble sur lequel était située la mine. Il s'agissait, si je ne me trompe, d'une somme de 11,000 livres de Neuchâtel, ce qui faisait un peu plus de F. 15'000. Messieurs Montandon étaient enchantés d'avoir fait une si bonne affaire et Brémond riait dans sa barbe de les avoir mis dedans. Il est vrai que ce marché a dès lors fait passer bien des nuits blanches aux pauvres Montandon lorsqu'ils apprirent que ce qu'ils avaient cédé pour un morceau de pain était une véritable mine d'or, au moins en apparence.

Quoi qu'il en soit, Brémond s'ouvrit à Matile et à moi de ses projets futurs. Comme cette conversation m'intéressait vivement, je proposai à ces Messieurs de venir passer l'après-midi et la soirée à la Prise.

Brémond nous déroula tous ses plans et nous demanda quelques conseils sur les moyens d'obtenir du Gouvernement une concession pour exploiter les mines d'asphalte du Val-de-Travers en général. Je le mis en rapport avec le chancelier Favarger et il finit par obtenir une concession de 30 ans. Dès lors, une compagnie s'est formée à Paris pour l'exploitation, mais Brémond et ses acolytes avaient monté l'affaire sur une si vaste échelle et s'étaient réservé de tels avantages que la compagnie vit ses actions tomber d'une manière effrayante. Je ne sais quel est leur cours actuel, cependant on continue à exploiter, mais je crois que les frais d'administration et autres mangent les bénéfices. A côté de la compagnie française, il s'en forma une neuchâteloise, dont les résultats bons ou mauvais de laquelle la compagnie française entraient pour un tiers. Cette Société, dont je fut nommé président, fut liquidée à perte peu d'années après sa formation. Toutefois, les résultats ont été moins fâcheux pour ses actionnaires que pour ceux de la compagnie française

Indépendamment de la perte pécuniaire qui résulta pour moi de la part considérable que j'avais prise dans cette société, j'eus encore des désagréments de plus d'un genre. Le principal fut dû à la circonstance que je m'étais chargé de plusieurs démarches officielles en faveur de la compagnie française ce qui fit supposer à quelques personnes et entre autres à M. de Pourtalès, ancien président du conseil d'Etat, et surtout à Monsieur de Chambrier, moderne président auquel cette affaire donna quelques ennuis que j'étais intéressé dans la compagnie et que peut-être même j'avais reçu un pot-de-vin. Cette opinion fut manifestée dans une séance de la commission des finances où fort heureusement siégeait mon ami Louis de Marval qui vint me prévenir immédiatement du bruit qui courrait. Comme je lui donnai les explications les plus catégoriques et que je lui affirmai (ce qui était exact en tous points) que, malgré les offres brillantes qui m'avaient été faites, je n'avais jamais voulu accepter ni une demie ni une action. Il transmit le résultat de notre conversation au département, dont le président M. de Chambrier me rendit enfin justice par ces mots qui sont restés gravés dans ma mémoire: "Je n'attendais pas moins de la noblesse de ton caractère". Dès lors M. de Chambrier qui depuis quelques temps était avec moi d'une froideur glaciale, me rendis toute sa bienveillance, de laquelle au reste il m'a donné maintes preuves.

1838

Cette année passa sans incident bien remarquable, sauf la mort de notre petite Louise dont j'ai déjà parlé. Dans le courant du printemps, je reçu mon brevet de major des carabiniers, dont je faisais déjà les fonctions depuis trois ans. Au mois d'octobre, le 7, eut lieu l'inauguration de la cure de Coffrane ou plutôt de la paroisse spéciale. J'y fut invité, à ce que je suppose, en qualité de communier. Il est à remarquer que jusqu'à cette époque, Coffrane avait été gérée de Corcelles, ce qui rendait les fonctions de pasteur de cette paroisse extrêmement pénible.

Enfin ce fut dans les derniers jours de ce mois que je vendis la Prise au Lieutenant-colonel Roulet.

1839

Dans les mois de février et mars je fit un voyage à Paris et Bordeaux. Indépendamment du désir que j'avais de voir cette partie de la France, je voulais aussi prendre quelques arrangements pécuniaires avec mon cousin Alfred de Luze, qui, quoique marié à une femme très riche, mademoiselle Johnston, avait suspendu les paiements un ou deux ans auparavant, ce qui m'avait fait perdre, ainsi qu'à ma mère, des sommes assez considérables. J'emportai de Bordeaux quelques espérances qui ont été réalisées au moins en parties. Au mois de juin je fut nommé au Corps législatif par le collège électoral de Neuchâtel par 130 voix sur 154 votants. Au mois d'août je dus faire un voyage à Stuttgart, voyage entrepris dans l'intérêt d'une de mes proches parentes que je ne puis pas nommer.

Enfin c'est cette année-là aussi que, à la demande de ma femme, nous nous décidâmes à construire la maison du faubourg qui appartient maintenant à nos enfants. C'est, si je ne me trompe, en automne qu'on se mit à l'oeuvre sous la direction de M. Jämes Colin, architecte plein de goût mais fort cher, attendu qu'il se trompa énormément dans les devis.

J'omettrais pourtant une circonstance essentielle c'est qu'au mois de septembre, M. Meuron, puissamment aidé et aiguillonné par son frère Auguste, remboursait une bonne partie de leur capital aux créanciers spoliés en 1830 par la maison Meuron et Cie. Les personnes chargées d'opérer ce remboursement furent mes oncles Coulon et Meuron, et moi, ce qui nous donna passablement de besogne mais aussi, je dois le dire, une grande satisfaction.

1840

Au mois de juin je conduisis Georges aux bains de Schinznach où nous fîmes une cure d'eau l'un et l'autre. Je n'ai conservé aucun souvenir particulier de ce séjour n'ayant, que je sache, pris aucune note. C'est pendant que nous étions à Schinznach que mourut le Roi Frédéric-Guillaume III, ce qui nécessita de renouveler, hélas pour la dernière fois, l'antique cérémonie de la prestation des serments réciproques, qui eut lieu au siège des différentes bourgeoisies et dont, au reste, on peux lire les détails soit dans les journaux, soit dans l'almanach 1841. Tout ce que j'ai à noter ici, c'est que j'y assistai comme major des carabiniers et que j'accompagnais M. le Gouverneur et le Conseil d'Etat dans toutes les localités où le serment fut prêté, c'est à dire Neuchâtel, Valangin, Landeron, Boudry et Môtiers

Peu de temps après et au mois de juillet je fut nommé par le conseil inspecteur des prisons de Neuchâtel.

Enfin c'est au mois d'octobre que je commençai à prendre des notes journalières, ce qui par la suite me facilitera singulièrement le narré de mes faits, gestes et impressions.

Les trois derniers mois de cette année furent pour moi assez chargés d'occupation. Les vendanges étaient à peine terminées que nous eûmes une session fort longue du Tribunal Souverain siégeant à Neuchâtel. J'eus également beaucoup à m'occuper des prisons de Neuchâtel dont j'étais inspecteur, pour divers changements dans le régime sanitaire et alimentaire des détenus, comme aussi pour une amélioration dans les appointements du concierge.

A la fin de novembre ayant quitté la Commission des Orgues, et aucun des sept membres qui la composaient n'ayant obéi à la citation, j'en pris occasion de demander mon congé de président d'autant plus qu'il n'y avait à cette époque plus guère que ce lien qui me reliait à l'administration de la Bourgeoisie.

Enfin pour terminer avec ce qui me concerne dans cette fin d'année, je note que le 25 novembre je reçu du Conseil d'Etat et cela par exception (car je n'étais pas dans la catégorie de fonctionnaire qui y avait droit) la médaille en argent commémorative de la prestation des serments à Berlin, à l'occasion de l'élévation au trône de Frédéric Guillaume IV.

Je dois pourtant encore mentionner une circonstance qui dénote le caractère plus ou moins vénal de l'administration dans un pays voisin. La fermière de la Cornée (montagne sur la frontière française et ancienne propriété de la famille Meuron) désirant obtenir du Conseil d'Etat certaines facilités pour la sortie de ses bois, et supposant peut-être que, comme membre du département de Justice et Police, j'avais quelque influence en cette matière, vint m'offrir deux poules d'eau tirées sur le Doubs. Je refusai le cadeau, mais j'offris de les acheter, ce à quoi elle finit par consentir non sans peine.

faits divers Ce fut au mois d'octobre que M. François de Sandoz-Travers-Travers, mon ami et dont je devait être plus tard le beau-frère posthume, fut nommé maire de Travers. Il avait sollicité cette place pour tâcher de faire du bien (politiquement parlant) à cette partie de la population neuchâteloise. Cependant malgré ses efforts, la douceur et la droiture bien connue de son caractère, il ne fit aucune avance, comme les événements subséquents ne l'ont que trop prouvé.

Le 9 novembre Alphonse de Coulon, maintenant président du tribunal de Neuchâtel, fait ses débuts comme avocat par devant le Tribunal Souverain.

Dans cette période il se manifesta quelques conflits entre le Conseil d'Etat et les Bourgeoisies en général et la bourgeoisie de Neuchâtel en particulier.

Quand au conflit avec les Bourgeoisies voici ce qui se passa. Un certain Borel, qui avait déjà été compromis dans les événements de 1831 et qui avait obtenu sa grâce moyennant un nouveau serment au Roi, fut réclamé par la France au moment où il allait prêter ce serment, comme complice de Tarmis qui avait attenté à la vie de Louis-Philippe. Le Conseil d'Etat, contrairement à ses devoirs, je crois, accorda l'extradition sans figure de justice. De là, grande rumeur dans les bourgeoisies et populations, réclamations, remontrances, recours en Cour, qui comme la suite le démontra donna gain de cause aux bourgeoisies et cela d'autant plus facilement que dans l'intervalle, Borel avait été acquitté par les tribunaux français.

Conflits avec la bourgeoisie de Neuchâtel: Premièrement à l'occasion d'un procès criminel, le maire de Neuchâtel avait ordonné l'exhumation d'un cadavre, sans le consentement des quatre ministraux, et même sans les prévenir, si je ne me trompe. De là, conférences qui n'aboutissent pas, de sorte que pour en finir les quatre ministraux firent fermer le cimetière et ordonner au sous hospitalier de ne jamais délivrer la clé du champ des morts sans leur autorisation. Cet acte de vigueur réussit et le Conseil ne persista pas dans ses prétentions.

Deuxièmement le Conseil d'Etat ayant pris en vue de l'avenir la résolution d'entourer le château de Neuchâtel de quelques fortifications en pierre, demanda à cet effet le concours de la Bourgeoisie, mais le Conseil général ayant refusé toute coopération et ayant même manifesté l'intention de s'opposer formellement à cette oeuvre, le conseil n'insista pas et cette seconde affaire tomba dans l'eau.

1841

Janvier-février-mars L'hiver fut passablement gai et je fut assez dissipé. Bals, soirées, sociétés du dimanche, divers, tout cela se succéda d'une manière assez suivie et fit divertion aux occupations que m'imposait le département de Justice et Police, la direction des prisons et la présidence de la Compagnie des vignerons.

Du reste, pour ce qui me concerne rien de saillant si ce n'est les affaires Virchaux et Bouvier dont on peut voir les détails pour la première à mon livre de notes No 1 Janvier 29 et pour la seconde à la date du 11 mai.

faits divers Dans la famille ma soeur Rose fut demandée en mariage par une de mes connaissances domicilié au canton de Vaud, mais elle refusa net; c'était au mois de février.

L'affaire Borel continua à agiter vivement les esprits, soit dans le sein du corps législatif, soit dans les Bourgeoisies, soit dans la population.

Le 4 janvier mon ancien ami Meuron-Terrisse fut nommé maître-bourgeois.

Le 17 du même mois nous rendîmes les derniers devoirs à M. Jean Frédéric Steiner, qui avait commencé sa carrière comme petit sautier (huissier substitué) et qui à force de travail , de savoir-faire et de bonne conduite s'était élevé au point de devenir maître-bourgeois et président de plusieurs commissions.

Le 31 mars le Conseil de ville usa, pour la dernière fois à ce que je crois, du droit de nommer un de ses pasteurs. Le ternaire présenté par la Vénérable Classe était composé de Messieurs Diacon, professeur de théologie, Berthoud, pasteur à Valangin et Fritz Borel, suffragant de M. Jaquenot défunt. M. Diacon fut nommé par 43 voix sur 51 votants.

Avril-Mai-Juin Pendant ces trois mois, j'ai toujours les mêmes occupations, mais assez variées. Elles eurent essentiellement pour objet: la direction des prisons, la maison des orphelins, la compagnie des vignerons dont j'étais avoyer, les département militaire et de Justice et Police, le tribunal Souverain et le corps législatif.

La circonstance que j'étais membre de ces deux derniers corps m'entraîna à des frais assez considérables, mais que je n'ai jamais regretté; car je donnais régulièrement à chacune des sessions et pour peu que la santé de ma femme le permit, un dîner de 15 à 18 personnes, tant à quelques uns de mes collègues qu'à plusieurs de mes amis.

Ce fut le 19 avril que nous quittâmes définitivement, à ce que je croyais alors, la maison sur la Place pour aller habiter notre propriété du faubourg, sur laquelle Sophie avait désiré que nous bâtissions une belle et bonne maison, à cause de certains désagréments de famille que je ne consignerai pas ici. Cette maison dont Jämes Colin, architecte avait fais le plan et dont il aurait dû surveiller un peu mieux la construction, devait me coûter 40'000 livres tournois; mais le devis était si bien fait que je ne m'en suis pas tiré à moins de 60'000. Mais aux bâtisseurs va le choix d'un architecte.

Du 15 au 20 juin nous fîmes avec Sophie, Georges et Guillaume de Pury, un petit voyage à Zurich dans le but de nous distraire un peu et de consulter le Dr. Raku Escher, sur la santé de ma chère femme.

Le 29 avril survint la mort de ma tante Uranie de Montmollin-Brun, à l'âge de plus de 90 ans. Nous lui rendîmes les derniers devoirs le 2 mai. Avant d'entamer ce qui concerne sa succession, je dois mentionner ici ce que l'on peut obtenir dans les familles, en fait de tradition orale, lorsqu'on arrive à un âge aussi avancé. Ma tante avait encore connu la femme du major de Montmollin, fils du chancelier, de sorte que, par une seule tradition, c'est-à-dire de celle du major à ma tante, nous savions de auditu ou, tout au moins nous pouvions connaître les faits concernant le père du chancelier. Quand je dis nous, je parle aussi de mon fils, puisqu'il avait 9 ans; de sorte que nous arrivons ainsi à la huitième génération.

Relativement à la succession nous eûmes des démêlés assez pénibles, mais enfin pour finir par s'arranger.

Le 21 juin mon frère Auguste fut nommé maître-bourgeois en remplacement de Meuron-Terrisse.

Le 24 juin après 2 ou 3 jours d'indécision ma soeur Rose se décide à accepter la main de Louis de Meuron de la Rochette.

Le 25 avril une délégation de 4 officiers supérieurs fut envoyée à Couvet par le département militaire pour assister à l'enterrement de M. Marcelin Dubied, ancien major des carabinier. Comme chef actuel de ce corps j'en fit partie. Je n'aurais pas mentionné cette circonstance peu importante en elle-même, si cela ne me fournissait pas l'occasion de signaler ici combien le gouvernement d'alors était économe pour ne rien dire de plus, des deniers publics. La députation nommée officiellement, dut faire la course à ses frais.

Le 2 juin Meuron-Terrisse est nommé Banneret à une assez forte majorité et au second tour de scrutin, 513 sur 964 votants. Les concurrents étaient Messieurs de Perrot, Reynier et Frédéric Borel Jeanrenaud.

Juillet Le mois de juillet 1841 reste dans mes souvenirs comme l'une des époques les plus importantes de ma vie. Le 13, j'entrais en caserne à Colombier pour la septième fois comme chef des carabiniers. Après avoir passé la matinée à installer mon monde et dîner avec mes officiers, je montai dans ma chambre pour me reposer. J'étais à peine couché sur mon lit que j'entendis dans la cour une voix que je reconnus de suite pour celle de Monsieur de Chambrier, maire de Valangin. Très étonné de la présence en caserne de Monsieur de Chambrier, car il ne se piquait pas d'être très partisan du militaire et de tout ce qui s'y rattachait, je me précipitai à la fenêtre, quoique fort légèrement vêtu afin de lui demander ce qui l'amenait chez les carabiniers. Il me répondit que c'était à moi personnellement qu'il en voulait. Je le priai donc de monter dans ma chambre et lui offris un siège. Il m'annonça alors sans autre préambule (il ne les aimait pas) que s'étant décidé à quitter la mairie de Valangin, il avait pensé à moi pour le remplacer et qu'il venait me le dire de suite afin que, si je me décidais de mon côté à y songer, je puisse immédiatement faire les démarches nécessaires dans le but d'obtenir la place, soit auprès de S.E. Monsieur le gouverneur, soit auprès de son frère Monsieur le président du Conseil d'Etat. J'avoue que, dans le moment, je fut abasourdi de cette ouverture et que ma première impression fut qu'il y aurait bien de la témérité de ma part de penser à postuler une place qui serait sans doute visée par d'autres plus anciens que moi dans les offices gouvernementaux, plus capables, et qui en tout cas seraient considérés comme ayant plus de droit et de titre à cette place. Toutefois, l'idée me vint dans la conversation que si M. de Chambrier s'adressait à moi, il ne me le faisait pas sans savoir à quoi s'en tenir sur le résultat de démarches éventuelles de ma part et, par conséquent, sans en avoir parlé en haut lieu. Je lui répondis donc que je réfléchirais et que, si le lendemain matin il ne recevait pas de mes nouvelles, ce serait marque que je suivais ses conseils ! Avant d'agir et dans la soirée je dû un peu me recueillir et réfléchir aux raisons qui pouvaient avoir fait penser à moi. Après mûre délibération avec moi-même, je crus en découvrir trois principales et la suite m'a prouvé que je ne m'étais pas trompé.

  1. c'est que de tout temps j'avais suivi avec beaucoup d'intérêt les séances des tribunaux.
  2. C'est que j'avais été maître-bourgeois de Neuchâtel et membre de la chambre matrimoniale et qu'en ces deux qualités la présomption était que je m'étais rompu aux affaires, soit pour ce qui concernait les instructions et jugements criminels, soit pour ce qui concernait tout ce qui avait rapport à la matrimoniale et aux consistoire.
  3. enfin j'étais inspecteur des Prisons de Neuchâtel ce qui m'avait donné une assez grande expérience du régime pénitentiaire,

Quoiqu'il en soit et après m'être consulté avec ma femme, je me décidai dès le lendemain matin, d'aller de l'avant et je fit dans ce but les démarches convenables.

Une semaine après, soit le 21, je reçus un avis du Conseil d'Etat qu'il me nommait commissaire du gouvernement dans la juridiction de Valangin et sur les directions qui me furent données par le chef de l'Etat, j'adressai immédiatement un placet au Roi pour obtenir l'office de maire de Valangin, placet qui fut acheminé à Berlin avec une recommandation du Conseil signée par l'unanimité de ses membres.

Le 24 je sortis de caserne après la revue

Le 28 j'entrai en fonction comme commissaire en présidant une séance de la justice matrimoniale qui dura 5 heures.

Le 31 je présidai au plaid et à une séance criminelle puis je redescendis à Neuchâtel pour recevoir à dîner S.E. Monsieur le Gouverneur, le président du Conseil d'Etat Chambrier et d'autres convives.

Faits divers Le 5 juillet dans l'après-midi au milieu d'un violent orage, la foudre tomba sur la maison Borel près du Crêt et effraya beaucoup ma chère femme, d'autant plus qu'à ce moment je n'étais pas à la maison.

Le 18 il se manifesta un des ouragans les plus violents dont j'ai jamais été témoin. C'était à 10 heures du matin. J'étais alors en caserne et je me rappelle d'avoir été obligé de consigner la troupe dans les chambres pour éviter des accidents qui seraient immanquablement résulté de la chute des tuiles du toit dans la cour.

Dans les allées de Colombier des peupliers plus que séculaires furent déracinés.

A Greng, domaine de M. de Pourtalès, on compta plus de 150 arbres déracinés, à Neuchâtel contre les jetées et le Crêt les vagues s'élevèrent à une hauteur prodigieuse. Enfin il y a eu partout plus ou moins de dégâts.

Le 29, le lendemain de ma prise de possession de Valangin (circonstance de mauvaise augure) survient l'incendie de Coffrane. qui réduisit en cendres un grand nombre de maison. Je m'y transportai immédiatement et ne quittai le lieu du sinistre qu'à 7 heures du soir, alors qu'on était complètement maître du feu. J'y retournai dès le lendemain pour procéder à l'évaluation des bâtiments incendiés et pour organiser un comité de secours.

Août-septembre-octobre Pour ce qui me concerne personnellement, les mois d'août et de septembre n'offrirent rien de bien intéressant. Je continuai mes fonctions de commissaire à Valangin, ce qui me donnait beaucoup à faire; aussi commençai-je petit à petit à me démettre de certaines fonctions qui étaient, sinon incompatibles avec ma nouvelle fonction, tout au moins difficiles à remplir convenablement et simultanément. C'est ainsi qu'au mois d'août je donnai ma démission de membre du Comité de direction (de la maison) des Orphelins, tout en gardant la place de membre de la Direction. Tout le temps que je ne donnais pas à nos fondations publiques fut donné au pressoir; les vendanges ayant commencé le 8 octobre.

Le 18 octobre je dînai à Cormondrèche chez le président de Chambrier avec le comte Marlier, ambassadeur de France en Suisse.

Le 20 je reçu mon brevet de maire de Valangin.

Le 25 une députation des Geneveys sur Coffrane, conduite par le justicier L'Eplattenier, vint me féliciter de ma nomination. Je les engageai à dîner avec moi, ce qu'ils acceptèrent, non sans quelque peine.

Enfin les derniers jours du mois furent employés activement aux préparatifs de mon installation qui devait avoir lieu le samedi 6 novembre.

Le 9 septembre fut célébré le mariage de ma soeur Rose avec Louis de Meuron. Le rendez-vous avant la prière eut lieu chez nous, parce que, à cette époque ma mère était établie à la Borcarderie.

Faits divers 17 septembre. Le colonel Daval, forestier au canton de Vaud, qui avait été chargé de faire le plan d'aménagement des forêts de la ville et bourgeoisie, apporte le résultat de ses travaux. A cette occasion nous passâmes une soirée fort intéressante chez Monsieur Louis Coulon, mon beau-frère, qui était alors président de la Commission des forêts.

7 octobre. Séance du Corps législatif à l'occasion de la suppression des couvents d'Argovie.

15 octobre. Fête du Roi. Dîner de 60 couverts à l'hôtel des Alpes.

21 octobre. J'eus connaissance que, en même temps que mon brevet, il en était arrivés d'autres. Un de conseiller d'Etat pour mon prédécesseur à la mairie de Valangin, un autre de lieutenant de Neuchâtel en faveur de M. Alphonse Coulon, et un troisième de Conseiller d'Etat en service extraordinaire en faveur de M. Frédéric de Rougemont, littérateur dont les neuchâtelois connaissaient les ouvrages. Je n'eus pas de réflexion à faire sur ces octrois, sinon que, quel que fut le mérite de M. de Chambrier, il me parait extraordinaire, ainsi du reste qu'à bien d'autres personnes, que le Roi appelât deux frères à siéger dans le Conseil d'Etat qui n'était composé que de 7 membres.

On assure cependant que dans la pratique cela n'eut pas d'inconvénients, car on prétend que dans les délibérations sur des sujets importants les deux frères étaient très souvent en désaccord.

Le 3 novembre je fit entériner mon brevet et prêtai en même temps le serment de mon office entre les mains du président du conseil d'Etat.

Le 6 eut lieu mon installation dont les détails sont consignés au Livre des notes. La fête, y compris le repas, le cadeau aux jeune gens de Valangin et aux artilleurs me couta F 500.-

Le 14 novembre je demandai mon congé d'avoyer de la Compagnie des Vignerons, poste dans lequel je fut remplacé le 21 par M. Philippe de Pierre.

Le 6 décembre j'assistai au dîner de la compagnie des pêcheurs. Le 16 je reçu aussi mon congé d'inspecteur des prisons de Neuchâtel et le Conseil d'Etat nomma pour me remplacer M. Alphonse Coulon, nommé lieutenant de Neuchâtel depuis quelques jours.

Le 22 décembre je découvris, à mon grand désappointement qu'après une bonne humidité, mes caves, buanderies, etc. au faubourg se remplissaient d'eau. Je la fit extraire avec une pompe, mais comme cet inconvénient se renouvela plusieurs fois, je fut obligé, comme on le verra plus tard, de faire des travaux assez considérables pour remédier à ce vice de construction.

Le 2 novembre, jour des Armourins, mon fils Georges éclaira pour la première fois son oncle Auguste. Il ne s'en souciait guère quoiqu'il eût déjà 9 ans.

Le 12 novembre il y eut un bal à la Salle des Concerts pour célébrer la fête de la Reine.

Le 18 eut lieu, avec assez d'apparat, l'inauguration de l'académie de Neuchâtel qui devait avoir une si courte existence.

1842

L'hiver de 1842 fur pour moi un hiver de distraction. Indépendamment des dîners, bals et soirées de toutes sortes, auxquels je fut invité avec ma chère femme, qui pouvait rarement en profiter, nous eûmes aussi à la maison plusieurs dîners et réunions plus ou moins gais et bruyants. Nous eûmes entre autres le 28 mars (lundi de Pâques) une soirée de 100 enfants qui fut plus ou moins contrariée par le temps. Cependant ils purent un peu prendre leurs ébats dans le jardin.

Le 8 mars je plantai la treille ou plutôt les treilles du faubourg, devant et derrière la maison. Les chapons pour la treille devant la maison me furent fournit pas M. de Büren de Vaumarcus.

A cette époque encore la place d'avocat général étant devenue vacante, je fit des démarches pour la faire obtenir à M. Charles Lardy, sorti naguère de l'université avec grande distinction, mais j'échouai dans mes tentatives eu égard essentiellement à la trop grande jeunesse du sujet.

A l'occasion du tirage d'une loterie en faveur d'un jeune Dessaules, dit Duneuf, sourd-muet, artiste-peintre, M. Maximilien de Meuron propose le 8 janvier la fondation d'un société des amis des Arts.

18 mars. Depuis que j'allais à Valangin soit comme commissaire du gouvernement, soit comme maire, j'avais remarqué dans la salle d'instruction criminelle, au château, des souvenirs de la révolution de 1831. Ces souvenirs affichés à la paroi consistaient en un poignard et une balle trouvée sur les insurgés et, de plus, en un immense tableau sur lequel se trouvaient classés par commune les noms des fidèles en noir et des révolutionnaires en rouge. Je ne pouvais en aucune manière approuver cette façon de perpétuer de douloureux souvenirs et cependant je n'osais pas faire enlever ces objets de mon chef, parce que, s'ils se trouvaient là, c'était sous le patronage, si ce n'est sur l'ordre, de mon prédécesseur. Heureusement qu'à cette époque, l'un des pasteurs les plus respectables du Val-de-Ruz étant venu dans cette salle me témoigna son étonnement et la peine qu'il éprouvait de voir ces choses. J'en pris occasion pour en parler à mon lieutenant et à quelques justiciers, et le lieutenant se chargea de tâter le terrain chez mon prédecesseur pour savoir quel effet produirait sur lui la disparition de ces objets. M'étant assuré que, tout en n'approuvant pas ma manière de voir, on ne mettrait cependant pas d'opposition, je fit, un beau matin, enlever tableau, poignard et balle, ce dont je me suis toujours félicité et bien d'autres avec moi.

A cette époque encore, je continuai une rente viagère de 50 livres 15 en faveur du nommé Jacob qui avait été blessé à mon installation. La somme nécessaire à la constitution de cette rente me fut fournie en partie par mes parents.

avril-mai-juin Le 1 avril il fit un vent d'une violence extraordinaire. A 7 heures 1/2 du soir il sauta brusquement à Joran et dans le même moment le chapiteau en fer blanc de la cheminée de la chambre de Sophie, y compris la pièce de laiton, fut enlevée si violemment qu'en tombant, il ne toucha pas au toit, mais sur la porte treille dont il courba très sensiblement l'un des montants.

Le 10 juin j'assistai pour la dernière fois au tirage aux fusiliers. J'avais fait partie de cette compagnie pendant une quinzaine d'années, sauf pendant deux ans que j'avais été capitaine des mousquetaires. J'étais grand amateur du tir à la carabine et en général je m'étais tiré de cet exercice avec assez de bonheur. J'avais souvent obtenu des prix ainsi qu'en fait foi notre argenterie dépareillée et quelques services à découper. J'avais aussi assité aux tirs fédéraux de Genève en 1828 et de Fribourg en 1829 mais toutes choses en ce monde ont une fin. Ces longues journées devenaient fatigantes et coûteuses, aussi me décidai-je à abandonner tout cela; d'autant plus que cet amusement n'était guère compatible avec mes nouvelles fonctions.

Le 20 juin j'entrai en caserne

Ce fut le 22 avril que ma mère, qui avait maintenant en jouissance tout le premier étage de la maison sur la Place, étrenna son grand et beau salon qu'elle occupa jusqu'à sa mort. C'est ce même salon qui, au moment où j'écris (juillet 1858) est la principale pièce de la Société du Jardin qui occupe ce local depuis Noël 1857.

faits divers Depuis plusieurs années on songeait sérieusement à construire une route de Neuchâtel à Valangin par les gorges du Seyon, et l'on avait, à cet effet, une liste de souscription, à laquelle avaient pris part d'une manière large et généreuse bon nombre de personnes, et surtout les propriétaires de campagnes au Val-de-Ruz. Néanmoins les sommes souscrites étant loin d'être suffisantes, on se décida à abandonner l'idée, et les souscriptions furent remboursées. Cette restitution eut lieu au mois d'avril de cette année.

Le 13 mai on apprit simultanément à Neuchâtel deux catastrophes épouvantables:

  1. celle arrivée sur le chemin de fer de Paris à Versailles dans laquelle nombre de personnes perdirent la vie.
  2. l'incendie de Hambourg dont on voyait encore les traces dix ans après lorsque je visitai cette ville.

Le 20 mai eut lieu l'enterrement du greffier de la Cours de Justice de Valangin, Breguet. Si je note cette circonstance peu importante en elle-même, c'est qu'elle me fournit l'occasion de consigner ici que pendant 6 1/2 ans que j'ai administré la juridiction de Valangin, c'est le seul fonctionnaire directement sous mes ordres que j'ai perdu.

Juillet-août-septembre Je sortis de caserne le 4 juillet et dès le 12 je fit une course à Berne pour chercher une voiture légère et commode à l'usage de ma chère femme qui, étant dans un commencement de grossesse, ne pouvait pas supporter toute espèce de véhicule. Je réussis à me procurer quelque chose de convenable.

Le 23 septembre je fonctionnai comme représentant du parrain au baptême de Mathilde de Wesdehlen. Sa marraine était la comtesse de Bohma, soeur de la mère. La cérémonie eut lieu à midi dans la chapelle catholique; quelles simagrées ! Quoiqu'il en soit, il fallait bien s'y soumettre puisque j'avais consenti à la chose. Cette cérémonie coïncidant avec l'arrivée prochaine de Leurs majestés, dont je parlerai bientôt, cela me fournit l'occasion de donner à dîner à plusieurs personnages que je n'aurais jamais imaginé devoir recevoir à ma table. Du reste en voici la liste: comtesse de Wesdehlen, comtesse de Bohma, comte de Waldburg Truchsess, M. le Gouverneur, comte de Pourtalès-Castellane, de Meyerink, grand maréchal du palais du Roi, président de Chambrier, Calame, conseiller et secrétaire d'Etat, mon oncle d'Erlach en remplacement de Fritz de Pourtalès qui avait refusé. Le dîner se passa fort bien et les convives ne firent pas un long quart d'heure d'honnêteté, occupés qu'ils étaient, tous plus ou moins, des préparatifs pour la réception du Roi.

le 30 septembre, je commençai les vendanges

Le 29 juillet ma soeur Rose accouche d'une fille. Le 28 septembre mon fils Georges eut une suffocation qui ne dura qu'un quart d'heure et à laquelle sa mère porta immédiatement remède. Cette indisposition n'eut pas de suite.

Le 8 juillet, jour des promotions, eut lieu l'ouverture du musée de peinture de Neuchâtel. Son commencement était modeste et se composait de deux tableaux de M. Maximilien de Meuron, un de Léopold Robert, un de Karl Girardet, un de Edouard Gérarder et un de Moritz fils.

Le 15 juillet on appris l'accident et la mort du duc d'Orléan. J'écrivais à cette époque "voilà une grande perte pour la France, c'est une régence à établir à la mort de Louis-Philippe. Dieu sait si cela n'occasionnera par quelques commotions dans un avenir peu éloigné" Les événements de 1848 ont donné raison à ces prévisions.

Pendant le courant de ce mois et du suivant on fit d'immenses préparatifs pour la réception de Leurs majestés le Roi et la Reine

9 août: enterrement de madame Perregaux-Gaudot
10 septembre: mort subite de M. Jacottet, secrétaire de ville
17 septembre: ouverture de la nouvelle route de Monruz
24 septembre: arrivée de L.L.M.M. Voir pour les détails de ce séjour les journaux, brochures et liasses de papiers y relatifs. J'ajouterai seulement que pour l'illumination qui eut lieu le jour de l'arrivée, Colin architecte avait en l'idée de placer 2000 lampions sur le péristyle, ce qui faisait un fort bel effet. Il y avait tellement de monde à Neuchâtel qu'on loua des chambres jusqu'à F 70 et que Bel Wz chez lequel on n'avait pas fait prém d'avance demanda F 100.- pour leur chambre.

octobre-novembre-décembre Après l'agitation et les occupations de toutes sortes qu'avaient amenées le séjour du Roi, mon existence fut des plus calmes et des plus monotone pendant les trois derniers mois de l'années 1842. Toutefois, je note quelques circonstances plus ou moins intéressantes:
12 octobre: je finis de vendanger
23 octobre: dîner chez le curé de Stoklin à l'occasion de son installation comme prêtre desservant la chapelle catholique de Neuchâtel, car alors on n'appelait pas encore officiellement curé.
6 décembre: je préside au dîner de la compagnie des pêcheurs, en l'absence de M. le maire de Neuchâtel, avoyer, qui m'en avait prié, ne pouvant y assister.

faits divers 15 octobre: Il y eut cette année recrudescence de zèle pour fêter l'anniversaire du Roi, et j'assistai à Valangin à un dîner de 80 couverts, mais comme dans le vignoble il fallait un peu aiguillonner le zèle. La fête fut renvoyée au dimanche 16, et je pris part à Neuchâtel à un nouveau banquet de 90 couverts.

Pendant le court séjour du Roi à la Chaux-de-Fonds, les républicains avaient trouvé le moyen de glisser dans les mains de S.M. un placet tendant à demander l'émancipation du pays. Ce placet avait été signé par F.U. Petitpierre, qui avait ajouté moyennant rachat! Le Conseil général dont Petitpierre avait été membre, s'émut et dans une délibération solennelle, suspendait le 31 octobre le dit Petitpierre de la bourgeoisie. Quand au placet en lui-même la réponse ne se fit pas attendre et le 15 novembre elle parvint aux pétitionnaires. Il n'est pas besoin de consigner ici quelle fut la réponse.

1843

janvier-février-mars Les trois premiers mois de cette année furent entremêlés pour moi d'émotions de plusieurs sortes.

Ma chère femme était au terme de sa grossesse et le 24 janvier elle fut atteinte d'une violente cathare qui la confina jusqu'au 14 février, qu'elle donna naissance à 9 h 1/2 du soir à une petite fille. Malgré le cathare et grâce à Dieu la délivrance fut facile. L'enfant alla bien, mais la cathare de la mère dégénéra en fluxion de poitrine qui me donna pendant quelques jours de grandes inquiétudes. Néanmoins ma chère Sophie ne tarda pas à entrer en convalescence et le 22 mars elle put faire sa première sortie. Le 25 mars eut lieu le baptême de l'enfant à laquelle nous donnâmes le nom d'Elisabeth Louise, car le nom de la reine était en grand honneur. A cette occasion nous eûmes une grande réunion, composée d'une cinquantaine de personnes. Le pasteur Jämes DuPasquier fit une méditation qui clôtura dignement cette fête de famille.

Le 14 mars 1843, je fut appelé, en ma qualité de maire de Valangin, à aller à Fontaines examiner une pièce de mécanique que l'inventeur, ouvrier et propriétaire, un certain Maillardet ne voulait pas exhiber au public avant que je l'eusse vue. Je profitai de cette circonstance pour aller visiter la fabrique de Fontainemelon avec le justicier Benguerel. Nous dînâmes chez le principal associé de la fabrique, M. Jacob Robert-Tissot, et à cette occasion j'appris qu'il se fabriquait dans cette maison 200'000 ébauches annuellement.

faits divers Le 29 janvier on fut très inquiet à Neuchâtel de la disparition d'un jeune Monsieur Tisseur, français, professeur de littérature au collège. On ne savait à quoi attribuer ce fait, lorsque le 31 son corps fut retrouvé dans la partie du lac que l'on nomme maintenant Port Stempfli. Personne n'a jamais attribué à un suicide ce douloureux événement. Le fait est que Tisseur avait la vue très basse, qu'il courrait souvent sur la battue en sortant de chez lui et en y entrant; de sorte que l'on a toujours supposé que dans une de ses courses le pied lui avait manqué et qu'il s'était précipité dans le lac.

Dans le mois de mars on annonça trois mariages dont l'un au moins donna lieu à de singulières réflexions. C'étaient les suivants:
Monsieur Oscar Guebhard avec Mademoiselle Louise de Chambrier !
Georges DuPasquier avec sa cousine Marie de Merveilleux
Eugène d'Erlach avec Mademoiselle Elisabeth de Pourtalès, fille de Louis-Auguste

Lorsque je fit mon compliment à madame Guebhard que je connaissais bien, comme on l'a vu précédemment, elle prononça ces paroles assez significatives: "vous savez que lorsque madame G. veut quelque chose, elle le veut bien !!!" Dans le cas particulier il fallait qu'elle eut bien voulu, car ...

avril-mai-juin 1843 Le 27 avril [1846] fut pour moi une journée laborieuse. Il s'agissait de faire l'inspection des greffes de la Chaux-de-Fonds, du Locle et des Brenets dont le siège était au Locle. Parti de Neuchâtel à 4 heures du matin, j'allai d'abord à Valangin prendre M. Delachaux, conseiller d'État, de concert avec lequel nous étions chargés par le Conseil d'État de l'inspection de tous les greffes du pays. Nous parvînmes à terminer notre besogne en deux jours après avoir couché au Locle.

Au mois de juin nous eûmes la session ordinaire du Corps législatif. Comme de coutume j'en profitai pour donner un dîner à quelques députés. J'en invitai 20 et je n'en eus que 10.

Dès 1839 j'étais entré en relation d'affaire avec la maison J.J. Bouvier et Cie et je leur avait confié une somme très considérable. Ces messieurs qui depuis fort longtemps étaient déjà gênés, se trouvèrent au mois d'avril incapables de continuer leurs affaires et furent forcés de suspendre leurs paiements le 17 de ce mois. Cette suspension occasionna une assez grande rumeur à Neuchâtel et nous verrons plus outre comment elle se termina., je ne dis pas à la satisfaction de chacun, mais d'une manière convenable et parfaitement loyale.

Depuis les couches et la fluxion de poitrine, ma chère Sophie ne s'était jamais bien remise. Il lui restais toujours un empêchement au col et une difficulté d'avaler qui n'était pas naturelle. Castella disait que c'était nerveux (c'est toujours ce que les médecins disent lorsqu'ils sont au bout de leur latin). Il y eut une consultation avec le Dr. Anker, qui fut de l'avis de Castella de sorte que l'on ne prit aucun parti dans ce moment.

15 avril: mort de l'ancien chancelier de Tribolet, oncle de ma femme, à l'âge de 90 ans.
20 avril: mort de mon beau-frère Louis de Meuron, qui languissait depuis plusieurs mois d'un phtisie pulmonaire.
7 mai: Installation à Serrières du pasteur Paul DuPasquier
28 mai: inauguration du nouveau temple de Coffrane. Le Gouvernement m'y avait envoyé d'office. Les pasteurs officiants étaient Messieurs Lardy, au nom de la Vénérable Classe, et M. Perret, pasteur de la paroisse.

Juillet-août-septembre 1843 Le 4 juillet eut lieu la bourgeoisie de Valangin à laquelle je me rendis avec M. de Wesdehlen. Ayant été invités pour tous les actes de la cérémonie, nous ne voulûmes pas refuser, mais nous nous promîmes bien l'un et l'autre que c'était bon pour une fois, car nous fûmes 15 heures soit sur le pré de la bourgeoisie, soit dans le bourg, soit à l'auberge. On ne se mit à table pour le diner qu'à 8 heures du soir et nous ne pûmes nous éclipser qu'à 10 h. et demie et nous revînmes à pied, car nous avions besoin l'un et l'autre d'air et de mouvement.

Le 5 juillet attendu le départ prochain de mon neveu Ed. Pury pour l'université, je reçois à dîner tous ceux de ses amis qu'il m'indiqua.

Du 10 au 25 juillet, je fit un casernement qui fut cette année assez pénible, car je fut souffrant de névralgie presque tout le temps. Cependant grâce aux bons soins du Dr. Jämes Borrel (maintenant directeur de Préfargier, et alors médecin à Colombier) je quittai la caserne presque complètement guéri.

Le lendemain 26 juillet ma chère femme partit pour Weissenbourg où les docteurs l'envoyaient. Cette cure était jugée nécessaire pour raffermir les voies respiratoires qui avaient été assez gravement compromises par la fluxion de poitrine. Je ne sais si cette cure servit à quelque chose. Quoiqu'il en soit, elle la fit complète et le 20 août je partis avec Georges pour aller la chercher. Nous passâmes par Fribourg où nous conduisions le Dr. Borrel et où nous le laissâmes, le 21 août à château d'Oex, Le 22 nous primes Sophie à Weissenbourg et nous vinrent coucher à Thoune, en faisant visite au passage aux Tscharner d'Erlach à Amsoldingen, et enfin le 23 nous rentrâmes chez nous après avoir déjeuné à Berne.

Ma chère femme se reposait de la cure lorsque, le 4 septembre elle fut prise de ce que les docteurs appelaient un spasme. Ce fut le premier et malheureusement pas le dernier. Ce spasme consistait en une impossibilité absolue d'avaler quoi que ce soit, sauf de temps en temps quelques gouttes de liquide et particulièrement du lait. Ce premier accident, dont nous connaitrons provisoirement la cause par la suite, dura du 4 au 9. Ce jour-là Sophie sentit tout à coup quelque chose descendre dans l'oesophage, et dès ce moment elle put boire mais rien manger de solide.

Quoiqu'il en soit, c'était toujours nerveux. Aussi nos docteurs recommandèrent-ils de faire faire à la malade une cure d'eau froide à Breliège. Je l'y conduisit le 11 et elle n'en revint définitivement que le 15 octobre. Pendant ce séjour à Breliège je m'y rendis souvent, sois seul, soit accompagné tantôt de Georges tantôt du trésorier Sandoz-Travers auquel ma chère femme était très attachée.

Le 6 avril on enterra M. Junod, conseiller d'Etat et ingénieur des Ponts et Chaussées. Mort en deux jours d'une inflammation d'entrailles. Perte pour le pays, mais surtout pour sa famille.

Le 11 août le dîner d'officiers annuel se tient à Valangin. Tout s'y passa for bien mais je ne pus y assister pour cause d'indisposition.

octobre-novembre-décembre 1843 Ces trois derniers mois furent pour ma vie habituelle assez monotones et rien ne me fit sortir de la sphère de mes occupations habituelles. Je commençai mes vendanges le 20 octobre pour les terminer le 31. Triste qualité de vin !

Le 24 novembre j'eus une séance criminelle très importante à Valangin. Il s'agissait d'un gendarme qui avait tué un individu à la Chaux-de-Fonds d'un coup de sabre. L'affaire ne présentait aucun caractère politique, toutefois l'opinion publique radicale avait été assez émue, parce que le coupable était agent de la force publique. En présentant au gendarme la liste des avocats dans laquelle il pouvait se choisir un défenseur, je lui avais insinué qu'il ferait peut-être bien de prendre M. Piaget, qui jouissait déjà d'une assez grande réputation, surtout auprès des républicains dont il commençait à être l'un des coryphées. Tissot (le gendarme) le choisit et il fit bien, car il fut acquitté, si je ne me trompe, à l'unanimité des 24 juges présents. Après cette longue et laborieuse séance, M. Piaget dîna avec moi au château, où je prenais ordinairement mes repas et nous revîmes ensemble à Neuchâtel à pied.

faits divers Le 10 octobre eut lieu l'ouverture de la trouée du Seyon.
Le 15, jour de la fête du Roi, il y eut au Faucon un dîner de 120 couverts.
Le 9 novembre j'assistai à la séance d'ouverture de l'Académie, où l'on entendis plusieurs discours, entre autres un assez excentrique du professeur de mathématiques, de Joannis, dans lequel il eut le talent de parler contre le catholicisme (lui catholique converti) je ne sais trop à quel propos.

21 novembre: enterrement du président Tribolet-Hardy, maire de Lignières, lequel, à ce que je crois, n'était allé qu'une fois dans sa juridiction, et n'avait fait de sa vie qu'un seul voyage, celui de Bâle.

30 novembre: Installation de Louis-Philippe de Pierre comme châtelain de Boudry. Je n'étais pas invité.

1 décembre: Pose de la pierre formant clé de voute du nouveau Pont de Valangin.

1844

J'assistai le 21 janvier à une séance de la société des sciences naturelles dont je suis membre. Le professeur Agassiz déclara dans cette réunion qu'il croyait à un Dieu créateur, et annonça qu'il développerait cette idée plus tard. Je ne sais s'il a tenu sa promesse dans un discours quelconque, mais ce dont je suis à peu près certain, c'est qu'il en dit quelque chose dans la préface de son grand ouvrage sur les poissons. Jusqu'alors il s'était toujours complètement tu à cet égard.

Le 15 février je fut nommé vice-président du Cercle de lecture (professeur de Joannis, président)

Le 27 mars le président Louis de Pourtalès vint me faire visite pour m'annoncer que très prochainement il me proposerait à la direction de l'hôpital pour en faire partie. Je reçu cette communication avec plaisir parce que j'avais toujours ambitionné cette place, attendu surtout que jusqu'à sa mort (si je ne me trompe) mon père avait été de la direction, dès la fondation de l'hôpital à ce que je crois. Plus tard j'ai du donner ma démission, quoique à mon grand regret, on verra pourquoi dans la suite.

premier janvier, naissance de Maurice DuPasquier.

En automne 1843 ma soeur Uranie de Tribolet ayant été assez gravement malade d'une affection de poitrine, on crut prudent de lui faire passer l'hiver dans le midi de la France. A cet effet son mari la conduisit à Pau. Tribolet ayant été obligé de revenir à Neuchâtel pour la succession Tribolet-Hardy, puisqu'il héritait du fief, une fois les affaires en règle , repartit le 2 février pour rejoindre sa femme. Il n'était à Pau que depuis peu de jours que ma soeur fut atteinte d'une fièvre nerveuse, qui ne tarda pas à se compliquer d'une fluxion de poitrine dont elle mourut le 28 février. Ce fut le 4 mars que nous reçûmes cette fatale nouvelle. Immense perte pour ses enfants, pour son mari, pour sa famille. Ses restes reposent dans le cimetière de Pau.

Le 6 janvier on annonce le mariage de Paul Carbonnier avec Mademoiselle Anna DuPasquier

Je dois consigner ici les bonnes relations que nous avons soutenues tout l'hiver avec les Pourtalès-Steiger qui m'ont comblés de politesse.

Il était impossible d'être en meilleurs termes. Fritz me témoignait une grande amitié et sa femme faisait profession pour Sophie d'un grand dévouement et d'une affection particulière. Si j'insiste sur ce point c'est que l'on verra par la suite qu'il n'en a pas toujours été de même.

Le 16 avril j'arrivai pour la première fois à la direction de l'hôpital Pourtalès à la suite de laquelle on dîna (c'était alors l'usage) chez le président.

Le 20 mai notre petite Elisabeth fait ses premiers pas, à l'âge de 15 mois.

Le 3 avril Tribolet arrive de Pau. Il redoutait ce moment pour ma mère laquelle, grâce à Dieu, ne fut pourtant pas trop éprouvée.

18 avril: naissance de Pierre Montmollin, dont Sophie devient la marraine.

Le premier avril arriva le décret du Roi qui, sur les présentations et remontrances de la Bourgeoisie déclarait positivement que dorénavant aucune extradition de sujet neuchâtelois ne serait faite sans le concours des cours de justice. Ce décret était un blâme formulé au Conseil d'Etat; mais celui-ci ne l'avait pas volé, car il s'était conduit avec une singulière légèreté dans l'affaire d'Aimé Borel (surnommé Darmès)

Le même jour le public apprit d'une manière positive que l'intention de M. Auguste Meuron (de Bahia) était de fonder un établissement de premier ordre pour les aliénés.

Le 20 avril eut lieu l'installation de l'avocat Lardy comme maire des Ponts. Invité à la cérémonie, je m'y rendis avec M. le maire de Neuchâtel chargé de l'installation, et du doyen Lardy son père.

Le 11 mai M. Charles de Chambrier est nommé conseiller de ville par la communauté.
5 juin: Bourgeoisie de Neuchâtel
21 juin: enterrement de M. Carbonnier père.
Du 8 au 20 juillet j'eus à Colombier mon casernement annuel. La plus grande cordialité régna entre les officiers et la discipline fut si bien observée que je n'eus pas un seul cas de salle de police. Aussi dans l'ordre du jour de sortie je pus dire aux soldats en toute vérité que je considérais ce casernement comme un casernement modèle.

Le 3 août je réunis à dîner tous les officiers de carabiniers sous mes ordres, au moins tous ceux qui peuvent accepter l'invitation.

Du 8 au 15 août je fit un séjour à Mettlen chez les Pourtalès-Steiger où je me trouvai admirablement bien; c'était une suite des bonnes relations qui s'étaient établies entre nous pendant l'hiver.

Le 23 je fit avec M. Delachaux la visite de greffe des Ponts.

Je commençai mes vendanges le 8 octobre pour fermer mes pressoirs le 18.

En cette année la fête du Roi se célébra avec assez d'entrain. Il y eut dans la grande salle des Etats au château un dîner de 100 couverts et un de 240 à la salle des concerts pour l'ancienne garde urbaine.

Pendant tout l'automne mes relations avec Greng furent assez suivies, ce qui était dû en grande partie au séjour que firent chez leurs parents Albert et Guillaume de Pourtalès qui se reposaient du voyage qu'ils venaient de faire en orient.

Le 6 décembre j'assistai comme de coutume au dîner de la compagnie des pêcheurs.

Le 12 décembre 1844, j'eus à la maison un dîner d'une composition assez hétéroclite, voici à quelle occasion: A cette époque, plusieurs personnes, dont je faisais partie, rêvaient d'un rapprochement entre les républicains influents des montagnes et les royalistes. Déjà quelques tentatives avaient été faites dans ce but, et, dans le courant de novembre, M. Delachaux, conseiller d'Etat, avait réuni à Valangin plusieurs personnes à dîner. Je suivis son exemple et certes je n'eus pas lieu de m'en repentir. Plus tard, les circonstances ont changé, ce rapprochement est devenu impossible, au moins pour longtemps. Toutefois, je ne me repentirai jamais d'avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour conserver la paix à mon pays et la bonne harmonie entre les citoyens.

Le 16 décembre dans l'après-midi, ma cousine Rose Bourgeois fut, en sortant de chez elle atteinte par un char. Le coup fut si violent qu'elle resta sur place et ne donna pour ainsi dire plus signe de vie. Ce fut un coup affreux pour ma tante Babette Tribolet dont elle était la compagne fidèle et dévouée.

faits divers 3 juillet: mort du trésorier Sandoz-Travers dont l'enterrement eut lieu le 5 à Travers. Je fut l'un des porteurs du coin du drap nommé d'office.
4 août: inauguration du nouveau cimetière ou plutôt de la partie agrandie du cimetière. Discours de M. Guillebert
5 novembre: Armourins
8 novembre: On annonce le mariage de Georges Berthoud avec Caroline DuPasquier
25 novembre: violent incendie au Locle qui consume une quinzaine de maisons. On n'en a jamais connu la cause, mais on a toujours fortement soupçonné un marchand d'avoir mis le feu à son magasin dont le contenu était assuré pour une somme trop considérable.

1845

Le 14 janvier annonce du mariage de Charles de Chambrier avec Mademoiselle de Muralt.
Le 31 enterrement de M. Jode. Je fut porteur d'un des coins du drap à cause des grandes relations de sa femme avec la mienne.
Le 14 février enterrement de Madame Sara de Pury
Le 4 mars eut lieu l'installation de M. Frédéric de Chambrier, fils du président, comme maire de La Chaux-de-Fonds. J'assistai à cette cérémonie et dans ce moment je crus réellement qu'il y aurait possibilité de ramener la population de cette localité à des sentiments royalistes. Chacun était satisfait du choix du Roi et, en effet il n'eut pas été possible de tomber sur un magistrat plus digne de remplir cette place et plus propre à atteindre le but qu'on se proposait, si le maire avait pu changer sa peau et le léopard ses taches. Mais il parait que rien n'y pouvait, ainsi que nous le verront plus tard

Le 16 mars le colonel de Bosset commet un suicide et se tire un coup de pistolet dans la tête. Il avait servi en Angleterre et avait souvent affiché des opinons matérialistes et athées. Au reste c'est l'excès de souffrance auxquelles il était en proie qui le porta à cet acte de désespoir.

avril-mai-juin 1845 Le gouverneur M. de Pfuel étant arrivé le 12 mai pour faire son séjour annuel, je lui donnai un dîner ce qui arrivait assez habituellement à chacun de ses voyages. C'était le 3 juin; je lui adjoignis 15 personnes.

Le 8 juin ma chère femme eut un nouveau spasme qui heureusement ne dura que quelques heures; mais cela nous fit présumer, à notre grand désappointement que le 9 février tout n'était pas sorti de l'oesophage, ce qui se vérifia plus tard.

Le 22 juin, je me rendis à la Chaux-de-Fonds avec M. Delachaux pour assister à un troisième dîner de conciliation donné par M. Charles-Eugène DuBois. Nous nous trouvions mi-partie royalistes et républicains. Le dîner fut très gai. Mais ce que je puis consigner comme le trait le plus saillant de la conversation, c'est que ces Messieurs les républicains nous disaient que tous leurs voeux étaient tournés vers l'émancipation; que toutefois ils n'emploieraient aucun moyen violent pour l'obtenir; que cependant ils l'attendaient de deux manières:

  1. ils parviendraient à avoir la majorité dans le Corps législatif,
  2. s'il y avait une commotion extérieure.

Eh bien! au bout de 2 ans 1/2, tous leurs prévisions se sont réalisées. La république a été proclamée en France; mais juste après Neuchâtel était arraché à la domination du Roi.

Le 30 juin eurent lieu les élections générales du tiers du Corps législatif; je présidai le collège électoral de Cernier et Fontainemelon, où le député royaliste passa. A la Chaux-de-Fonds on réussit aussi à faire passer les députés de cette nuance, mais seulement à une majorité de 40 voix sur 1310 votants. Je fut nommé à Neuchâtel pour la troisième et dernière fois d'un grande majorité.

faits divers 9 avril: fondation et première séance de la société d'horticulture de Neuchâtel

18 août: annonce du mariage du maître-bourgeois et lieutenant Alphonse Coulon avec mademoiselle Julie DuPasquier, fille de Wilhelm.

juillet-août-septembre 1845 Le 4 juillet eurent lieu les promotions. Georges y emporta deux prix et une carte. Ce même jour arriva à la maison pour y passer quelques jours, madame de Senarclens de Vufflens, dont Sophie avait fait la connaissance à Broliège.

J'assistai le 6 avec le département militaire à la revue du bataillon Bosset en caserne à Colombier. Je ne noterais pas ce fait sans la circonstance suivante: Ce brave colonel, homme de beaucoup d'espoir, mais manquant quelque fois de tact, eut l'idée, emporté par je ne sais quel sentiment de crier: vive le Roi! au moment du licenciement du bataillon dans la cour de la caserne. Il fut répondu à ce cri, mais sans enthousiasme, et heureusement la troupe s'en tint là. Mais on n'ose guère songer à ce qui serait arrivé si quelque soldat républicain (et il n'en manquait pas) avait crié "vive la Suisse!" qu'aurait fait le colonel ? qu'aurait fait le département militaire lui-même, qui assistait à ce licenciement des fenêtres de la caserne ? Eh bien ! chacun en secret blâma le colonel; mais d'observations plus ou moins officielles, aucune, et pourtant à mon sens c'était le cas ou jamais.

Du 11 au 25 j'eus aussi à Colombier mon casernement annuel qui se passa comme celui de l'année précédente.

Le 27 nous prîmes une voiture en famille et nous fîmes à Berne et dans l'Oberland une course d'une huitaine de jours, dont nous profitâmes pour voir les Pourtalès à la Mettlen. Les Tscharner à Amsoldingen et les d'Erlach à Gerzensee. Nous fûmes de retour à Neuchâtel le 4 août.

Les LaTrobe de Londres nous ayant recommandé Lady Seymour et son fils, ils arrivèrent le 7 août et nous nous mettâmes en devoir de leur faire pendant 2 ou 3 jours les honneurs de Neuchâtel. Dès lors je n'ai jamais entendu reparler d'eux.

Le 13 août Georges fut atteint d'une angine qui nécessita des remèdes énergiques tels que saignées, émétique, etc. Mais grâce à Dieu, le mal ne dura que peu de jours.

Le 28 août je reçu à dîner les amis de Rodolphe Stürler, présents à Neuchâtel. Pour la curiosité du fait, je transcrit ici leurs noms; on verra qu'ils se sont bien disséminés et qu'ils ont parcouru des carrières fort différentes, au moins pour ceux d'entres eux qui ont parcouru une carrière quelconque:
état en septembre 1864 
officier en Prusse, puis marié à BerneEugène de Pourtalès
ingénieur civil, marié à NeuchâtelEugène de Meuron
en Australie où il végèteAdolphe de Meuron
marié à mademoiselle Renouard de Bussinière
une bonne et grande amie de la princesse Metternich
Edouard de Pourtalès
marié à une anglaise, ne fait rienHenri Ibbetson
président du tribunal du Val-de-TraversAlfred DuPasquier
capitaine instructeur à l'Etat-major fédéral
monnier manqué et maintenant faiseur d'or
Henri Sacc
Au service de l'Autriche où il sert avec distinctionAloys Castella
médecin très capable et charitable, mortFrançois de Marval
Avocat associé Lardy,
président du conseil communal de Neuchâtel,
membre du Grand conseil
Alphonse DuPasquier

Les 4 et 5 septembre nous fîmes Georges, Albert Stürler et moi une course aux montagnes que je désirais faire voir à Georges. Nous y fûmes admirablement reçus: à La Chaux-de-Fonds par le maire Frédéric de Chambrier et au Locle par mon meilleur ami Jules Huguenin et le lieutenant de carabinier P.H. Matthey-Doret qui nous conduisirent au moulin du Col-des-Roches (qui n'étais pas encore percé) aux Brenets et au Saut du Doubs.

Le 22 septembre Sophie m'annonce sous le sceau du secret le mariage de son frère Frédéric avec notre cousine Sophie Meuron

faits divers 5 juin: enterrement de M. Roulet, père.
7 juin: enterrement à la Chaux-de-Fonds de madame Challandes, femme du trésorier. Cérémonie d'autant plus triste qu'elle était morte subitement son mari étant aux bains. Que l'on juge du désespoir de ce pauvre homme ! Eh bien ! malgré ce deuil, malgré l'affliction bien légitime et profonde de toute cette famille, on nous offrit à la Fleur-de-Lys un magnifique dîner de 40 à 50 couverts dont les fossoyeurs faisaient les honneurs. Ne pourrait-on pas abolir cet étrange et détestable usage qui existe encore dans une bonne partie du pays et surtout aux montagnes et au Val-de-Ruz.

Le 18 septembre annonce du mariage de l'ingénieur Gustave de Pury avec Cécile de Perrot-Reynier

Je remarque ici que les mois d'août et de septembre furent extrêmement pluvieux avec quelques alternatives de chaleur assez intenses. Est-ce à cette température assez exceptionnelle que l'on dut l'apparition de la maladie des pommes de terre ? On ne sait qu'en dire, mais le fait est qu'elle se manifesta avec une telle intensité que l'on eut un moment des craintes sérieuses sur la manière en laquelle les pauvres pourraient se nourrir durant l'hiver.

octobre-novembre-décembre 1845 Dans ces trois derniers mois je n'ai rien à noter qui me concerne particulièrement. Notre vie fut assez monotone. Cependant nous recevions assez souvent quelques personnes soit à dîner, soit dans la soirée.

Le 1 novembre eut lieu au Villaret le mariage de Tribolet dont j'étais l'ami de noce. La cérémonie nuptiale eut lieu à Corcelles.

Le 13 novembre arriva d'Australie Agnès LaTrobe qui devait être sous la garde de sa tante Rose.

faits divers Le 5 octobre annonce du mariage d'Auguste Meuron de Bahia avec mademoiselle Elize de Pury.
Le 15 fête du Roi. Dîner de 90 à 100 couverts dans la salle des Etats.
C'est le même jour qu'on commença les vendanges

1846

Au commencement de janvier nous eûmes une grande consultation relativement à Georges qui ne prenait ses leçons de piano qu'avec beaucoup de répugnance. Mademoiselle Petitpierre y perdait son latin et nous notre argent; de sorte qu'il fut résolu quoique à mon grand regret que Georges arrêterait ses leçons.

Peu de semaines après j'eus par contre une grande jouissance, mais à la vérité d'un genre tout différent, Dans une difficulté que la maison Courvoisier et Cie de la Chaux-de-Fonds soutenait avec monsieur François Cornaz, celui-ci m'avait désigné comme son arbitre. Messieurs Courvoisier ayant connaissance de ce choix, m'écrivirent le 5 février qu'ils me priaient d'être aussi le leur et de trancher le différent à moi seul. Il va sans dire que je refusai, mais je n'en fut pas moins extrêmement sensible à ce témoignage de confiance. Aussi ai-je gardé la lettre de monsieur Courvoisier qui se trouve dans mes brevets avec quelques autres de matière analogue.

Comme on avait été assez effrayé de la maladie des pommes de terre et qu'on craignait qu'elle ne se reproduisit les années suivantes, quelques personnes avaient eu l'idée d'en faire venir d'Amérique. Je reçu les miennes le 30 mars par l'intermédiaire de Monsieur Ferdinand d'Ivernois et les fit planter dans la partie supérieure du verger. En général elles ne réussirent ni plus mal ni mieux que les autres. Du reste la maladie ne fit jamais de grands ravages dans mon plantage, très restreint il est vrai.

Pendant l'hiver qui venait de s'écouler, ainsi que cela s'était généralement pratiqué les années précédentes, nous eûmes plusieurs soirées de jeu, accompagnées de soupers. Le 1 avril 1846 nous fûmes invités à une de ces réunions par Gustave de Roulet. Je n'ai jamais rien vu de plus cossu ni de mieux organisé à Neuchâtel. Aussi fit-il bien d'arriver à la fin de l'hiver, car après lui personne n'aurait osé ni voulu s'y frotter.

Le 9 avril 1846 mon fils Georges fut vacciné pour la 2ème fois à l'âge de 13 ans 1/2.
le 29 j'eus mon dîner habituel des membres du tribunal souverain.
Du 3 au 6 juin 1846 je fut en mission aux montagnes pour la visite des greffes.

A la date du 13 juin 1846 je trouve ce qui suit dans mon livre de notes. Je le transcrit ici sans autres commentaires: deux de mes connaissances ont eu il y a quelque temps une scène violente au sujet d'une tierce personne; celle des deux qui avait pris la défense de cette dernière, m'a raconté l'affaire, et il y a peu de jours que j'ai prévenu (en présence de témoins) cette personne de ce qui s'était passé. L'un des témoins a cru devoir prévenir à son tour la personne qui avait été attaquée et de suite celle-ci m'en a fait des reproches en m'accusant d'avoir involontairement participé à une calomnie. Quoique j'ai lieu de croire que le récit qui m'avait été fait est exact, j'ai cependant témoigné à la partie intéressée mes regrets de la conduite que j'avais tenue en cette circonstance, parce que

  1. je m'étais mêlé d'une chose qui ne me regardait pas
  2. Si, en tous cas je voulais m'en mêler, j'aurais dû au minimum m'assurer de l'exactitude du fait.
Si mon fils lit ces lignes, je le supplie de suivre mon exemple en pareille occurrence, car s'il y a un principe incontestable et incontesté c'est que lorsque, même involontairement, on a des tords envers quelqu'un il ne faut pas hésiter un instant à les reconnaître. Ce m'est d'ailleurs une bonne leçon pour l'avenir et j'espère que mon cher Georges en profitera également, soit pour tenir sa langue en bride, soit pour éviter autant que possible de se mêler des affaires des autres lorsqu'il n'en sera pas spécialement chargé.

Le 28 juin 1846 Georges, en compagnie de M. Sauvin et d'une trentaine de camarades va à Chasseral pour assister au lever du soleil le 29. Il revint le soir du second jour, mais excessivement fatigué.

18 février 1846: mort de ma tante de Luze-Mézerac
7 mars 1846: mort de ma tante de Luze-Feer
Le 20 mai 1846 les Edouard DuPasquier quittent leur logement de la poste pour venir habiter leur maison du faubourg.

Depuis plusieurs mois mon excellent oncle Meuron, frère de ma mère, qui avait été longtemps Banneret de Neuchâtel, était assez gravement malade. Dans le courant de cette dernière année la maladie fit des progrès alarmants. Comme il m'avait témoigné en toutes circonstances une grande amitié, j'allai le voir souvent, soit en ville soit au Villaret où il passait tous les étés.

faits divers 18 mars: annonce du mariage d'Albert de Pourtalès avec Mademoiselle Bethmann-Hollweg
6 mai 1846: mort de M. Louis Perregaux, frère de feu mon cousin Théophile Perregaux de Montmollin. Si je mentionne cette circonstance c'est que depuis la mort de ma cousine Elize Perregaux, je lui servais une rente viagère que dans son testament elle avait constitué en sa faveur.

Le 18 mai 1846 Charles Lardy, docteur en droit et avocat, vint m'annoncer son mariage avec mademoiselle Sacc.
20 mai 1846 mort de Madame Pury-Jacobel
30 juin 1846: Bourgeoisie de Valangin. J'y assistai mais cette fois comme simple particulier, ne voulant pas m'astreindre au dîner qui était par trop tardif. On ne se doutait pas alors que cette bourgeoisie serait la dernière tenue sous la monarchie, et sans doute on ne s'attendait pas à ce qu'il s'écoulerait que peu d'années avant que cette antique corporation fut définitivement supprimée par le Grand Conseil d'une république.

Le 1 juillet nous nous rendîmes en famille à la Borcarderie où nous passâmes une grande partie des vacances de Georges. Je profitai de ce séjour au manoir paternel pour donner quelques dîners soit aux pasteurs du Val-de-Ruz soit à quelques notabilités, mais surtout à celui de Valangin.

Du 22 juillet au 4 août 1846 j'eux mon casernement habituel à Colombier. Rien de remarquable si ce n'est une chaleur excessive.

Le mois d'août 1846 fut un mois néfaste pour moi pécuniairement parlant: La maison J.J. Bouvier et Cie dans laquelle j'avais une somme considérable d'engagée, fut obligée de liquider par les soins d'un commissariat dont je fit accidentellement partie à cause de mon oncle Meuron. L'un des commissaires et la liquidataire ne présentait pas une perspective bien brillante. Malgré cet échec j'eus la bêtise de prendre une action dans la société Suchard, Favarger et Cie, qui avait pour but l'achat et l'exploitation de terres en Amérique. Pour en finir d'un coup avec ce qui a rapport à cette désastreuse affaire, je dirai qu'en fin de compte les actionnaires perdirent non seulement le montant total de leurs actions, mais encore une somme représentant environ la valeur du tiers des actions qui étaient de F. 5000. Pourquoi m'étais-je intéressé dans cette affaire ? En grande partie pour être utile à Suchard et à Favarger. Cependant pour tout dire l'une des causes prépondérantes fut que la première souscription était de M. de Sandoz-Rollin. Or comme ce Monsieur ne souscrivait jamais pour rien, je supposais que, s'il s'était décidé cette fois, c'est que l'affaire devait être excellente. Hélas ! Il ne s'en est pas mieux tiré que les co-actionnaires.

Le 23 août ma chère Sophie eut un nouveau spasme qui dura 24 heures. C'était le plus long depuis l'expectoration du morceau de brocher, c'est à dire depuis le 18 mai.

Du 2 au 4 septembre 1846 nous fîmes avec M. Delachaux l'inspection des greffes de Travers et du Val-de-Travers. Nous fûmes comblés de politesses par mon ami Georges Boy de la Tour et par M. Constant Dubied. Par contre la réception officielle par M. le châtelain Courvoisier fut loin d'être cordiale. M. le châtelain n'avait pas été prévenu de notre visite, au moins officiellement, et il trouvait très extraordinaire que d'autres que lui vinssent mettre le nez dans les affaires de la juridiction. De là grande froideur de sa part, je dirai même manque de politesse si ce n'est davantage.

Le 9 septembre 1846 nous eûmes à dîner les Pourtalès de Greng, y compris Albert. Sa femme devait être de la partie mais étant indisposée, nous ne la vîmes que peu d'instants. A la suite de ce dîner Sophie fut tellement éprouvée, que nous dûmes prendre la résolution d'avoir beaucoup moins de monde à l'avenir.

Le 13, lendemain de la mort de mon oncle, ma tante Babette Tribolet me fit appeler pour me demander de me charger de ses affaires. Il va de sans dire que j'acceptai sans hésiter, d'autant plus que je savais d'avance que cela ne me procurerait pas un avantage pécuniaire, ses dispositions étant déjà faites. Le 16 M. de Wesdehlen me sonda de la part du Conseil pour chercher à me faire accepter la direction de la Gendarmerie, vacante par la retraite du titulaire, M. de Perregaux, conseiller d'Etat. Je refusai par les motifs suivants:

  1. Le premier secrétaire de la police centrale venait de mourir et c'était lui qui faisait toute la besogne. Je sais que c'était cette circonstance qui avait engagé M. de Perregaux à donner sa démission; donc la place devenait fort difficile.
  2. J'envigeais qu'il n'y avait guère qu'un conseiller d'Etat qui pût être titulaire, attendu les rapports constants qui devaient exister entre le Conseil et le directeur
  3. et enfin j'avais déjà bien assez de besogne sur les bras pour consentir à me charger encore davantage.
Sur ces entrefaites, M. le gouverneur vint faire sa tournée annuelle et je profitai de sa présence pour lui recommander chaleureusement le maire des Ponts Lardy, dont je connaissais la capacité et l'activité. Lardy fut nommé et la suite a prouvé que je ne m'étais pas trompé dans mon appréciation.

Le 28 septembre 1846 je commençai à vendanger.
12 septembre: mort de mon oncle Meuron. On peut dire de lui que c'était un homme de bien dans toute l'étendue du terme.

faits divers Le 15 août 1846 eut lieu l'enterrement de M. Auguste Favre, secrétaire de la police centrale. C'était un homme éminemment pieux et qui, malgré ses occupations officielles, trouvait toujours le temps de faire une foule de bonnes oeuvres. C'est ainsi qu'on lui doit la création des Ecoles du dimanche à Neuchâtel. Il avait commencé par réunir chez lui 3 ou 4 enfants; maintenant elles sont fréquentées par plusieurs centaines.

Le 6 septembre 1846 la Société militaire fribourgeoise réunie à Estavayer eut l'idée de faire une excursion à Neuchâtel avec le bateau à vapeur (à cette époque il n'y en avait qu'un); le Conseil d'Etat décida que le corps des officiers du premier Département lui ferait les honneurs de Neuchâtel. Je me joignis à cette démonstration et l'on offrit des rafraîchissements à l'Hôtel des Alpes, bon nombre de toasts furent portés. Il y avait déjà dans l'air quelque chose d'inquiétant. Il semblait qu'il se préparait quelque chose. Ce quelque chose ne devait pas tarder à éclater. Quel coup de foudre !!

octobre-novembre-décembre 1846 Au milieu de mes occupations habituelles et des inquiétudes politiques résultant des événements dont je ferai mention ci-après, arriva à Neuchâtel le 6 novembre un officier prussien qui m'était recommandé par Albert de Pourtalès. Cet officier était le capitaine de Bayen, fils du ministre de la guerre. Je n'ai jamais su au juste ce qui l'avait amené en Suisse, mais j'ai toujours supposé qu'il avait une mission en rapport avec les événements dont Genève venait d'être le théâtre et de ceux qui se préparaient dans d'autres cantons. Quoi qu'il en soit, il ne resta que peu de jours à Neuchâtel et je fit mon possible pour faire honneur à la recommandation d'Albert, en conséquence j'offris à M. de Bayen un dîner où je cherchai à réunir l'élite de la jeunesse neuchâteloise. Les convives furent MM. de Bayen, de Bulow, officier de recrutement, Alphonse et Frédéric de Pury, Charles et Guillaume de Chambrier, de Perrot maire de Travers, Sacc professeur, Jämes de Meuron, Sandoz tuord, Eugène d'Erlach, Guyot professeur, Meuron colonel et Edouard de Pourtalès, mon frère, le colonel de Bosset et Frédéric de Chambrier maire de La Chaux-de-Fonds avaient refusé.

Le 13 novembre 1846 nous fîmes avec M. Delachaux la visite des greffes de Lignières, Landeron et Thielle.

Le 16 décembre 1846 j'assistai à Valangin à un dîner du double conseil de Bourgeoisie qui avait été réuni pour la reddition des comptes et en ma qualité de chef de la juridiction j'étais placé à la gauche du maître-bourgeois en chef, qui avait à sa droite M. le pasteur de Valangin. L'une des particularités de ces dîners était que l'on y buvait successivement dans trois coupes différentes qui circulaient pour tous les convives à la santé du Roi, de la Reine, et de la famille royale. Ces trois coupes en argent doré avaient été données à la Bourgeoisie par les personnes suivantes à l'occasion de leur incorporation à la Bourgeoisie, la première en 1763 par mon arrière-grand-père Georges de Montmollin, petit-fils du Chancelier et premier maire de Valangin du nom de Montmollin, la deuxième en ... par M. de Béville, gouverneur de la principauté, la troisième en 1818 par messieurs Frédéric et Alexandre de Chambrier

18 octobre 1846: mort de ma tante Marianne de Meuron Tribolet à l'âge de 91 ans.

faits divers Au commencement d'octobre 1846 avait eu lieu à Genève, non sans coups de canon et effusion de sang, le renversement du gouvernement par le parti radical dont James Fazy était le chef. Cet événement remonta le moral du parti radical suisse en général, aussi tout l'automne se passa-t-il en inquiétudes de toute espèce et l'on passait successivement en revue les gouvernements conservateurs qui branlaient au manche. On parlait entre autres de ceux de Fribourg et de Bâle. Dans notre pays, on signait des adresses, il y avait des conciliabules et des menées de tous genres. Aussi songe-t-on vers le milieu d'octobre à organiser des conseils de défense qui furent décrétés en principe. Néanmoins, le 15 octobre, la fête du Roi fut célébrée avec encore plus d'entrain que les années précédentes, et le 3 novembre on célébra également la fête des Armourins; mais celle-ci pour la dernière fois.

1847

Le commencement de l'année 1847 fut, relativement, exempt de grandes émotions politiques, aussi mes occupations et mon genre de vie suivaient-ils assez paisiblement leur cours ordinaire. Toutefois, la misère était assez générale par suite de la maladie des pommes de terre et elle était surtout à son comble en Irlande où les pauvres mouraient littéralement de faim. Au mois de mars quelques personnes eurent l'idée de faire une collecte en faveur des Irlandais. Cette collecte produisit, y compris le montant d'une monte en leur faveur, qui eut lieu chez ma mère, plus de deux cents livres sterling qui furent envoyés par moi au chapelain de l'ambassade anglaise à Berne, le révérant Tymperley. Ce monsieur m'accusa réception de la somme. Il vint même à Neuchâtel pour remercier les personnes qui s'étaient intéressées à cette oeuvre et pourtant, je n'ai jamais eu la certitude que cette somme soit arrivée à la destination.

Ce qui m'a donné quelques doutes à cet égard c'est que les journaux anglais n'ont jamais parlé de cette collecte, au moins pas à ma connaissance. Bien plus celle que, quelques années après, le sieur Temperley, s'enfuit de Berne comme un vrai chevalier d'industrie, d'où l'on pourrait assez vraisemblablement conclure qu'il s'est adjugé à lui seul le montant de l'oeuvre.

Le 25 mars 1847 je donnai un dîner aux amis de M. Louis Junod, précepteur de Georges, lequel partait pour la Hollande. Parmi les convives se trouvaient certaines personnes qui ont joué un certain rôle lors des événements de septembre 1856, entre autres MM. Gagnebin, Perret-Gentil et Sauvin.

Le 1 avril 1847 Georges prit la première leçon avec M. Evard, maintenant pasteur à Buttes.
Le 22 avril 1847 j'assistai à l'installation de M. Frédéric de Pury Muralt comme maire de la Sagne. Au banquet qui suivit la cérémonie, je fut chargé de porter la santé de la famille royale. Je m'en tirai fort mal, je restai court et pris le parti de ne plus porter aucune santé dans un repas officiel. Au reste la précaution était assez inutile, car ceux auxquels j'ai assisté depuis cette époque ne sont pas nombreux.

Le 11 mai 1847 j'allai également à la Chaux-de-Fonds pour l'installation du successeur de M. Frédéric de Chambrier, son lieutenant M. Dubois,

Le 25 mai 1847 mon neveu Edouard de Pury fut nommé membre du Grand Conseil de la Bourgeoisie par la communauté. Je crois qu'il fut le dernier membre nommé !!

Le 16 janvier 1847 Frédéric de Chambrier était venu m'annoncer qu'il avait donné sa démission de maire de La Chaux-de-Fonds, et que le motif en était tiré de circonstances de famille. Je cru d'abord qu'il s'agissait d'un mariage, mais le mariage ne venant pas, je me suis imaginé dès lors qu'il avait voulu parler des circonstances de la grande famille, et que prévoyant déjà la catastrophe qui devait arriver un an plus tard, sentant d'ailleurs que tous les efforts pour rassurer la population de la Chaux-de-Fonds à des sentiments royalistes étaient parfaitement inutiles, il avait voulu se retirer à temps et avant de pouvoir être taxé de couardise. Ce à quoi il réussit parfaitement, car personne, que je sache, est survenu pareille idée.

17 janvier: mort de M. Louis Courvoisier, Conseiller d'Etat et châtelain du Val-de-Travers, qui avait rempli cette dernière place avec distinction pendant nombre d'années.

1 février: on annonça la suspension de paiements de la maison Ant. Fornachon. Ce fut un événement important, attendu le grand nombre de créanciers qu'elle avait dans presque toutes les classes de la société.

29 mars 1847: Incendie de la cure de Colombier.
26 mai 1847: circonstance de fort peu d'importance, mais qui peut avoir son genre d'intérêt pour les membres de la société du Jardin: François Aeschlimann est nommé concierge.
2 juin 1847: bourgeoisie de Neuchâtel. Le colonel Meuron fut réélu Banneret à une grande majorité. Ce fut la dernière. Les bourgeois domiciliés en ville recevaient, lorsqu'ils avaient assisté à la bourgeoisie 2 pots de vin au lieu d'argent. Cette année-là, le vin choisi pour la distribution sortit de ma cave et j'en mis moi-même et pour mon usage une certaine quantité en bouteilles.

Le 3 juillet 1847 nous allâmes nous établir à la Borcarderie pour les vacances, comme l'année précédente, mais nous ne pûmes pas y être d'une manière bien stable à cause de la mort de notre tante Mademoiselle Isaline Vaucher, qui survint le 10, ce qui nécessita plusieurs courses en ville.

Le 17 commença mon casernement ordinaire à Colombier. Il n'y survint aucun événement remarquable si ce n'est que le 19 la foudre tomba sur une partie du château occupée par les carabiniers. Deux ou trois d'entr'eux furent un peu étourdis de la secousse, mais nous n'eûmes aucun accident grave à déplorer.

Le 26 nous fîmes les partages définitifs de la succession de notre tante Vaucher. Nous eûmes pour notre part la somme assez rondelette de cinquante-six mille livres de Neuchâtel, quoique nous n'avions droit qu'au quart du tiers de la succession.

Le 12 septembre 1847, je fit la connaissance de Monsieur de Sydow, chargé d'affaires de Prusse en Suisse. Je lui fut présenté par M. Calame, Conseiller et secrétaire d'Etat.

Le 15 mon neveu Edouard de Pury vint me parler de l'idée qu'il avait de se présenter pour remplir le poste vacant de châtelain du Val-de-Travers, en m'annonçant qu'il croyait être sûr de l'appuis du Conseil d'Etat. Je lui fit quelques observations tirées surtout de sa jeunesse, de la difficulté de conduire une population aussi turbulente que celle du Val-de-Travers; enfin je l'engageai fort à s'assurer au préalable et par des marques détournées de l'accueil que lui feraient, cas échéant, les membres de la Cour de Justice et les personnes honorablement placées dans les villages comprenant la juridiction.

Je note ici pour la rareté du fait qu'à cette époque j'achetai de M. Guibert, l'une de mes bonnes connaissances, du vin de Marsalla (remplaçant plus avantageusement le madère, comme disent les marchands de vins) au prix fabuleusement bas de F. 1.15 la bouteille sans le verre.

Le 28 septembre on vient m'annoncer l'arrivée au Faucon de mon cousin Maurice de Luze, dans un état très inquiétant de surexcitation morale. Après m'être entendu avec mon frère et Georges Mandrot qui se trouvait par hasard à Neuchâtel, nous fîmes constater la folie, et trois jours après il était transporté dans la maison de santé de M. Miehaus près de Berne.

faits divers Le mois d'octobre 1847 joue un grand rôle dans l'histoire de Neuchâtel. Il est évident que de cette époque date essentiellement la décadence du pouvoir monarchique sur notre petit pays. A qui la faute ?

  • Est-ce au Roi qui n'aurait pas eu l'énergie nécessaire pour faire respecter ses droits?
  • Est-ce au gouverneur qui n'aurait pas été le fidèle interprète ou l'exécuteur ferme de la volonté royale?
  • Est-ce aux puissances qui n'auraient pas voulu élever un conflit à l'occasion de Neuchâtel?
  • Est-ce à la Suisse enfin qui, par son attitude, en aurait imposé à tout le monde?
Réellement on ne sait que répondre à ces questions, et pour ce qui me concerne, je crois fermement que ce n'est la faute de personne et de tout le monde. Je suis intimement persuadé que Neuchâtel ne pouvait plus rester dans la position où il était, eu égard surtout à la nouvelle organisation que la Suisse allait se donner, et que, par conséquent, il était de toute nécessité qu'il devînt uniquement suisse, car, pour devenir uniquement principauté, il était absurde d'y songer, puisque, dans ce cas, notre pauvre pays n'aurait rien eu de stable dans son état politique et eût été en butte à toutes les commotions qui auraient pu survenir en Suisse, mais surtout en France.

Quoi qu'il en soit, le 8 octobre, le gouvernement du canton de Vaud fit saisir à Yverdon le seul bateau à vapeur qui naviguait alors sur le lac de Neuchâtel. L'on fut naturellement consterné et indigné d'un acte aussi inqualifiable. Cependant, l'on comprit un peu mieux la chose, lorsque l'on apprit, le 9, qu'une saisie d'armes avait été opérée aux Verrières et que ces armes étaient destinées au gouvernement de Fribourg qui s'apprêtait alors à la lutte qu'il devait soutenir à l'occasion de la dissolution du Sonderbund décrétée par la Diète. L'on supposait aussi, et je le crois avec raison, que le gouvernement de Neuchâtel n'était pas complètement ignorant du passage de ces armes; or, en s'emparant du bateau à vapeur, la Confédération, par l'organe du canton de Vaud, voulait en premier lieu protester contre ce mauvais vouloir à son endroit des autorités neuchâteloises; en deuxième lieu et surtout, leur enlever le moyen le plus sûr et le plus rapide de faire parvenir ces armes à destination. Sur ces entrefaites et le même jour, S.E. Monsieur le gouverneur arrivait à Neuchâtel et l'on espérait et croyait fermement qu'il suffirait de sa présence pour faire rendre le bateau; mais, hélas ! bien loin de là. Deux jours après, c'est-à-dire le 11, et dans un moment où l'on organisait des comités de défense dans tous les pays, le bateau à vapeur venait narguer Neuchâtel, jeter l'ancre à dix pas du Quai du collège et repartait très tranquillement après trois ou quatre heures de stationnement devant la ville.

Cependant, on organisait des comités de défense, on levait un bataillon soldé auquel le Département militaire remit son drapeau à Colombier le 14 octobre. Je faisais partie de la députation et je dois dire en toute franchise que je fut navré de voir la composition de ce bataillon et surtout de la compagnie ou plutôt demi-compagnie de carabiniers qui en dépendaient. Il me semble que cette circonstance prouvait déjà que la création de ce bataillon n'était pas populaire.

Cependant, le lendemain 15, la fête du Roi fut célébrée avec encore plus d'entrain et d'apparat que les années précédentes, ce qui était dû en grande partie à la présence du gouverneur et à la circonstance que dans des conjonctures aussi critiques on voulait encore se compter. Il y eut au château un dîner de 150 couverts et un bal pour le peuple.

Le même jour (singulière coïncidence), la dissolution du Sonderbund par la force était décidée par la Diète.

Le 17 octobre 1847, Monsieur le gouverneur passa la revue du bataillon de défense sur la place des Halles. Le 22, je me rendis par ordre du Conseil dans toutes les communes du Val-de-Ruz pour sonder un peu les dispositions des populations. En général, je trouvai un bon esprit; toutefois, il me parut que l'idée suivante dominait: On était disposé à se défendre contre des corps francs, mais s'opposer à des troupes fédérales, jamais !!!

Sur ces entrefaites, la Diète ordonna une levée de 50,000 hommes pour dissoudre le Sonderbund. Je crois que cette décision ne fut prise qu'à une ou deux voix de majorité. On appela sous les armes le contingent de Neuchâtel. Le Conseil d'Etat ne voulant prendre sur lui ni la responsabilité de l'obéissance, ni la responsabilité du refus, convoqua pour le 29 le Corps législatif qui devait en décider.

Le 28, l'on apprit que St-Gall et les Grisons étaient disposés à revenir en arrière, et, le 29, le Corps législatif de Neuchâtel décida à une majorité de 73 voix contre 12 que l'on refuserait le contingent neuchâtelois et que l'on se soumettrait aux conséquences de ce refus. Après ce vote, il fut grandement question d'une occupation fédérale. Se défendrait-on, ne se défendrait-on pas contre l'occupation, c'est ce que l'on se demandait avec anxiété. Les crânes voulaient se défendre, les autres hésitaient. Du reste, comment aurait-on voulu prendre la résolution de se défendre, lorsque l'on connaissait les dispositions du Val-de-Ruz, du vignoble en général, du Val-de-Travers et surtout de la Chaux-de-Fonds. A mon sens, s'opposer à l'entrée des troupes fédérales dans la principauté eût été une folie. Heureusement, la Providence épargna à notre gouvernement la dure nécessité de prendre une décision.

Le 18 octobre 1847 un incendie avait réduit en cendres une grande partie du village de Provence. Quoique ce soit un village vaudois, je note cette circonstance parce que, étant communier de ce lieu, ma famille fut appelée à cette occasion à faire quelques sacrifices en faveurs de nos combourgeois.

La Suisse était en armes et l'on se préparait, en apparence du moins, à une attaque d'un côté et à une défense très sérieuse de l'autre. Pendant le commencement de novembre, il n'y avait sorte de bruit que l'on ne fit courir, soit sur des commencements d'hostilité, soit sur des avantages qu'aurait remportés tel ou tel des partis belligérants.

A Neuchâtel, nous étions toujours dans l'attente de ce qui serait décidé sur notre sort. Le 1er novembre, S.E. Monsieur le gouverneur voulut lui-même présider le Département militaire dans lequel siégeaient les "crânes". Mais leur zèle fut un peu refroidi lorsque notre président déclara que son opinion et celle du Conseil d'Etat étaient de ne point s'opposer par la force à une occupation. Or qu'advint-il de tout cela ? Les crânes durent rengainer leur crânerie et le résultat de la délibération fut que chacun des membres du Département ferait son possible pour calmer l'agitation et préparer les esprits à recevoir avec calme la décision du gouvernement qui allait être rendue publique.

Quoi qu'il en soit, on était dans la consternation. Le dimanche 7 novembre 1847, le service ordinaire fut supprimé par ordre du Conseil d'Etat et remplacé par un service liturgique qui fut le même dans toutes les paroisses et qui avait pour but de demander à Dieu de préserver la Suisse des horreurs de la guerre civile, et Neuchâtel en particulier des dangers qui le menaçaient.

Le 8, je fut de nouveau envoyé dans quelques communes du Val-de-Ruz et spécialement à Dombresson dont la population était décidément plus agitée et plus montée que celle des autres communes.

Au reste, dans l'attente des événements qui allaient se passer eu Suisse, l'agitation était générale. On commençait déjà à ne plus savoir à quel saint se vouer. Monsieur le gouverneur et le Conseil ne sachant trop quel parti prendre se décidèrent à envoyer à Berlin le comte Frédéric de Pourtalès-Castellane, ami particulier du Roi plutôt que diplomate, pour demander à S.M. d'aviser. Le Roi avisa, en effet, et le résultat de la mission de Monsieur de Pourtalès fut..... la fameuse lettre patente qui déclarait la principauté de Neuchâtel inviolable.

Quelle inviolabilité !!!

Cette pièce parvint à Neuchâtel le 26 novembre 1847, et, le même jour, il fut grandement question d'un congrès des cinq puissances qui siégeraient à Neuchâtel. La France, la Prusse et la Russie étaient d'accord. Restaient l'Angleterre et l'Autriche qui ne s'étaient pas encore prononcées.

En attendant, les hostilités avaient commencé et les fanfaronnades des cantons du Sonderbund avaient abouti, le 14 novembre, à la capitulation de Fribourg presque sans combat, le 24, à la reddition de Lucerne après un engagement plus sérieux; enfin, les 28 et 29, à la capitulation successive des deux Unterwald, de Schwitz et du Valais.

Ainsi la guerre civile était terminée en Suisse et les cantons formant le Sonderbund bel et bien réduits au silence. Restaient les affaires concernant Neuchâtel, lequel, eu égard à la victoire signalée que venait de remporter la Diète, ne devait pas s'attendre à être traité trop généreusement.

Cependant, il restait à nos gouvernants une lueur d'espérance. On apprit que sir Stratford Canning était envoyé en Suisse par le Ministère anglais. On savait aussi, à n'en pouvoir douter, que l'Angleterre avait joué un rôle actif dans la guerre du Sonderbund, car Peel, son chargé d'affaires, et Tymperley, aumônier de l'ambassade, s'étaient constamment montrés dans les rangs de l'armée fédérale. On espérait donc intéresser Stratford à nos affaires et l'engager à parler en notre faveur, d'autant plus qu'il était personnellement connu du comte Louis de Pourtalès, ancien président du Conseil d'Etat. L'on fut à la piste de ses faits et gestes et ayant appris qu'il devait entrer en Suisse par Neuchâtel, on lui envoya d'abord une députation à Môtiers-Travers, où on devait lui offrir un déjeuner chez M. DuBois-Bovet pendant que l'on changerait les chevaux de ses voitures. Hélas ! déjà en cette première circonstance, on fut désappointé, c'est à peine s'il consentit à parler à la députation et, sous un prétexte ou sous un autre, il repartit immédiatement pour Neuchâtel. Ici nouveau et cruel désappointement. Dans l'espérance qu'il consentirait à s'arrêter au moins un ou deux jours à Neuchâtel, on lui avait préparé un appartement chez M. de Pourtalès, mais il s'arrêta à l'hôtel, ne fit qu'une simple visite de politesse à l'ancien président, et repartit immédiatement pour Berne. Dès ce moment, l'on ne se fit plus d'illusions et l'on dut se convaincre que si l'Angleterre, comme c'était bien le cas, avait quelque influence en Suisse, elle ne l'emploierait pas en faveur de Neuchâtel.

Restait donc à attendre patiemment ce qui serait prononcé sur notre sort par la Diète. Ceci se passait dans les tous premiers jours de décembre.

En attendant, l'agitation allait son train. Mon cher lieutenant Gaberel, qui n'avait pas toujours tout le tact imaginable, eut la malheureuse idée de faire opérer, sans qu'on m'en prévienne, une arrestation politique à Cernier et cela par un dimanche après-midi, dans un moment où les têtes déjà montées étaient passablement exaltées par de copieuses libations. Il en résulta que les inculpés ne furent pas saisis ou tout au moins que force ne resta pas à la justice, car le gendarme et l'huissier durent se retirer précipitamment pour ne pas être en butte aux violences de quelques mauvais drôles.

Mandé pour ce fait au Conseil, il fut décidé que l'on enverrait à Cernier M. de Chambrier, ancien maire de Valangin, et que, de mon côté, j'irais à Dombresson où l'agitation s'était aussi répandue, parce que l'on avait fait courir le bruit qu'il y avait une trentaine de décrets de prise de corps prononcés contre des habitants de cette localité et qu'il s'agissait de mettre ces décrets à exécution.

Je me rendis donc à Dombresson et M. de Chambrier à Cernier. Nous réussîmes l'un et l'autre dans nos missions respectives et nous parvînmes, non sans peine cependant, à calmer les populations, au moins pour le moment, ce en quoi nous étions du reste aidés par les radicaux de la Chaux-de-Fonds, grands meneurs du Val-de-Ruz, en la personne de MM. Brandt-Stauffer et Sandoz-Morthier. Ces Messieurs bien conseillés (je ne sais par qui) ne pensaient pas que le moment fût encore venu de jeter complètement le masque et usaient encore de leur influence pour retenir les populations, qui leur étaient dévouées, dans une espèce de subordination. Ceci s'était passé les 5, 6 et 7 décembre.

Ce ne fut que le 11 décembre 1847 que la Diète se prononça sur le sort de Neuchâtel. Elle décida que nous ne serions pas occupés, mais que, pour nous punir d'avoir refusé nos contingents, nous aurions à payer immédiatement une somme de 300,000 Livres de Suisse.

Le Corps législatif réuni le 14 autorisa à l'unanimité le paiement de l'amende. La majorité déclara qu'elle cédait à la force, la minorité exprima l'opinion que c'était la juste punition de notre refus.

Pour ce qui me concerne, j'avais eu une idée, laquelle je crois aurait été appréciée par l'Europe entière et aurait, à mon sens au moins, fait le plus grand honneur à l'aristocratie neuchâteloise et aux royalistes en général. Cette idée consistait à trouver la somme ci-dessus par voie de souscription et avant qu'il intervînt un vote quelconque du Corps législatif. A cet effet, dès le 12, je fit des ouvertures à M. Meuron de Bahia qui eût été disposé à "faire" une grosse somme. Je me rendis ensuite chez le comte Louis de Pourtalès; mais ici je fut repoussé avec perte et sans aucune hésitation, de sorte que je dus cesser toute démarche. M. de Pourtalès ne trouvait pas l'idée mauvaise, mais ce qui l'arrêta fut le raisonnement suivant qu'il manifesta en ces termes: "Ces b... de radicaux ne payeront rien et c'est ce que je ne veux pas." A l'heure qu'il est, je regrette encore amèrement que ma trouvaille n'ait pas fait fortune et je persiste à croire que, si on y eût donné suite, c'eût été une des belles pages de l'histoire de Neuchâtel.

Ce qu'il y a de curieux, c'est que quelques mois après, lorsqu'il fallut recourir à un impôt progressif pour éteindre la dette contractée pour payer l'amende, j'eus à débourser exactement la somme qu'à part moi j'avais destinée à la souscription.

Le 17 décembre 1847, le gouverneur jugea convenable de partir, ce qui jeta encore plus d'inquiétude et de découragement dans les populations. Il ne devait plus revoir Neuchâtel !!

Les derniers jours de l'année furent employés à multiplier les moyens de défense. A cette occasion, nous eûmes le 23 une réunion solennelle du Département militaire qui dura plus de cinq heures. On y avait appelé le major Delachaux, chef du 6 arrondissement militaire (Chaux-de-Fonds). Il y fut décidé de proposer au Conseil d'Etat les deux mesures suivantes:

  1. mobilisation cas échéant des gardes urbaines;
  2. nomination du commandant en chef en la personne du lieutenant-colonel Meuron-Terrisse.

Quoi qu'il en soit, les ambassadeurs de quelques puissances se trouvaient toujours à Neuchâtel, et le 30 décembre je dînai chez le président de Chambrier avec ceux de France, de Prusse et d'Autriche.

1848

janvier-février Avant de relater les événements politiques de ces deux mois et surtout du dernier si fécond en résultats déplorables pour notre pauvre patrie je mentionnerai quelques faits particuliers d'assez minime importance:
7 janvier: annonce du mariage de Monsieur Guillaume de Chambrier avec mademoiselle Rose DuBois.
16 janvier: au moment où je sortais de table on vint m'annoncer que M. Roulet, mon homme d'affaires, était mort subitement en buvant une tasse de café. Ce triste événement arrivait dans des circonstances assez défavorables, d'autant plus que M. Roulet, qui depuis quelques temps s'était complètement dévoyé, laissait les affaires de la Cour passablement en désordre. Néanmoins je vins à bout de remettre tout en ordre, grâce au concours de Monsieur Roulet, frère du défunt, de M. Bachelin, qui entra chez moi pour remplacer M. Roulet et d'un congé d'un mois que j'obtins du Conseil d'Etat, congé que je réduisis moi-même à une semaine, temps qui fut plus que suffisant pour mettre M. Bachelin au courant des affaires de la Cour.
16 février: mort de Monsieur Mandrot de Luze.

Politique Les commencements, de janvier 1848 furent encore assez agités. On répandait de l'inquiétude dans les communes, ce qui nécessita quelques promenades du bataillon de défense soit au Val-de-Ruz, soit dans les villages de la châtellenie de Boudry. D'un autre côté, les diplomates étaient toujours à Neuchâtel où ils étaient fêtés soit chez les uns, soit chez les autres. J'assistai à presque toutes ces réunions, sans en tirer grande lumière sur l'état politique de l'Europe. Ou bien ces messieurs ne voulaient, ou bien ils ne pouvaient rien dire. Je crois que c'est la dernière alternative qui était la vraie.

Le 19 janvier, je fut appelé au Conseil d'Etat. Je ne sais qui avait fourré dans la tête de quelques-uns de ses membres qu'il serait utile et convenable de provoquer de la part de quelques communes du Val-de-Ruz des manifestations publiques de leur attachement à l'ordre de choses existant. On voulait avoir mon opinion et puis m'envoyer pour accomplir cette belle mission. Je m'exprimai très franchement contre toute espèce de mesures de cette sorte et je dois dire pourtant qu'après m'avoir entendu, le Conseil fut unanime à abandonner son idée, ce qui au reste était d'autant plus en place que depuis quelques jours on n'entendait plus parler d'agitations. C'était le calme qui précède l'orage.

Quoi qu'il en soit, on avait profité de ce moment de répit pour transférer à Neuchâtel le casernement du bataillon de défense, lequel jusqu'alors avait été à Colombier et, le 26 février, le Conseil d'Etat chargea le Département militaire d'offrir un dîner aux officiers de ce bataillon qui allait changer de chef. Il avait été commandé depuis sa formation par le major Auguste Junod d'Auvernier et il allait passer pour une nuit seulement sous les ordres du major d'artillerie Alexandre de Pourtalès.

Le dîner se passa bien, l'on fut très gai et, comme cela se pratiquait en semblable occasion, on fut assez longtemps à table. Cependant, le courrier de France était en retard, je passai à la poste à 7 heures, l'on ne pouvait rien dire. Mais ayant insisté pour voir, si possible, Paul Jeanrenaud, alors directeur, il me fit entrer dans son cabinet et me confia sous le sceau du secret (secret qui ne devait pas être long à garder) que la république était proclamée en France et que Louis-Philippe était en fuite ainsi que sa famille !!!

Quel coup de foudre !

Les deux jours qui suivirent furent des jours d'anxiété et d'angoisse, chacun se demandait ce qui allait arriver et la réponse de chacun était: nous sommes au bord de l'abîme. Cependant je continuai mes fonctions comme de coutume, et je me rendis à Valangin le 29, comme si de rien n'était.

Mais cette journée qui, à elle seule, pourra fournir bien des pages à l'histoire de Neuchâtel mérite que j'entre ici dans des détails particulièrement intimes.

29 février 1848

Je m'acheminai à Valangin de bonne heure le matin et à pied comme à l'ordinaire. Je procédai à une enquête, puis à deux interrogatoires criminels. Ce qu'il y a de curieux, c'est que les deux individus interrogés étaient décrétés de comparution pour délits politiques. Ils arrivaient de la Chaux-de-Fonds qui était déjà en pleine révolution et pourtant ils obéissaient encore à une citation de l'autorité, tandis qu'il leur aurait été facile de s'y soustraire impunément.

Bien est-il vrai que l'un d'eux (un certain Nicolet), au moment où je lui accordai sur sa demande un délai de huitaine pour faire entendre un témoin à décharge, se prit à sourire d'une telle manière que je pus comprendre qu'il comptait bien ne jamais reparaître devant le maire de Valangin comme accusé politique.

De retour à Neuchâtel un peu après midi, j'allai dîner chez ma mère, puis me rendis immédiatement chez Monsieur le président du Conseil pour lui exposer que, dans l'état actuel des choses, (j'ignorais encore ce qui s'était passé aux montagnes) j'étais prêt vu l'état d'agitation dans lequel se trouvait le Val-de-Ruz, à demander un congé ou mon congé, afin que, si le conseil le jugeait convenable, il pût me remplacer, momentanément au moins, à sa convenance. La dessus, M. le président, qui m'avait bien laissé parler, me dit: "Hélas! mon cher monsieur nous seront bientôt tous dans le même cas. Les montagnes sont en pleine insurrection. La république est proclamée à la Chaux-de-Fonds et au Locle. Mon frère est gardé à vue dans la première de ces localités. Au reste le conseil, ajouta-t-il, le Conseil va s'occuper de ce qu'il y a à faire, mais avant qu'il s'assemble, quelques personnes que j'ai fait convoquer, se réunissent chez moi à 3 heures. Soyez des nôtres, je vous prie".

En effet à l'heure indiquée, une vingtaine de personnes étaient réunies dans le salon de M. le président. Chacun y apporta ses nouvelles et ses idées. Celle des idées qui prédominait évidemment était que, contre la force, il n'y avait rien à faire et que ce qui serait le plus convenable était de se soumettre et de faire son possible pour maintenir l'ordre dans la ville en attendant les événements. On se sépara avant 4 heures. M. le président se rendit au château et moi je retournai chez moi au faubourg.

Entre 7 et 8 heures du soir, au moment où nous finissions de prendre le thé, je reçu l'ordre de me rendre au château pour assister à la réunion du Conseil d'Etat où l'on avait convoqué les officiers supérieurs dans le but de prendre les mesures nécessaires à la défense, car l'on venait de décider de se défendre.

Les officiers présents étaient: le lieutenant-colonel Pourtalès-Sandoz, président du Département militaire, le lieutenant-colonel de Roulet, François de Montmollin, major, chef des carabiniers, Edouard DuPasquier, major, chef du premier arrondissement militaire, et Alexandre de Pourtalès, major d'artillerie, qui venait le soir même de prendre le commandement du bataillon de défense. Il est à remarquer qu'à cette époque le colonel Frédéric de Pourtalès-Steiger était à Naples et que dans le moment de la réunion le lieutenant-colonel de Meuron-Terrisse et le lieutenant de Bosset étaient en mission à la Sagne et aux Ponts.

Les officiers ayant été introduits dans la salle du Conseil, Monsieur le président leur annonça que la majorité du Conseil ayant pris la résolution de se défendre, il les avait convoqués pour aviser à un plan de défense et dans ce but il les interpella nominativement en leur faisant connaître que le Conseil de bourgeoisie de Valangin était en permanence et que M. Delachaux était déjà parti pour Valangin dans le but de lui faire part de la résolution qui venait d'être prise.

Avant d'aller plus loin, il est utile, pour l'éclaircissement de ce qui va suivre, d'indiquer comment la majorité du Conseil s'était formée. Avant le départ de M. Delachaux pour Valangin, les voix s'étaient réparties comme suit:
Le présidentnon
de Perrotoui
de Perregauxoui
de Wesdehlenoui
Favargeroui
Delachauxoui
Calamenon
(Il ne faut pas oublier que M. de Chambrier, ancien maire de Valangin, était retenu à la Chaux-de-Fonds.)

Chacun des officiers présents ayant émis ses idées, lesquelles étaient loin d'être concordantes, Monsieur le président consulta de nouveau le Conseil sur l'opportunité de la défense.

Les mêmes personnes que ci-dessus se prononcèrent encore pour l'affirmative, mais comme M. Delachaux était parti, les oui se trouvaient réduits à 4.

Cependant et avant que de prendre une décision définitive, le Conseil jugea convenable de déléguer M. Favarger à l'Hôtel de ville où le Conseil général de la bourgeoisie était réuni pour émettre lui aussi son opinion sur l'opportunité de défendre la ville. Il était alors 9 heures.

M. Favarger revint à 9 h. et demie et apporta la nouvelle que le Conseil général s'était prononcé en grande majorité contre une défense qui était à ses yeux parfaitement inutile et en tout cas fort dangereuse.

Nouveau tour de délibération, nouvelle majorité pour la défense.

Sur ces entrefaites, le concierge [huissier du Conseil d'Etat] annonça que M. de Sydow était dans la grande salle attendant le résultat définitif de la délibération.

Il fallait en finir. En conséquence, on demanda de nouveau aux officiers présents leur opinion sur le plan de défense. Tous émirent encore leurs idées qui ne s'accordaient pas plus que la première fois. L'un fit allusion aux dangers qu'en cas de défaite les royalistes des campagnes auraient à courir; qu'il pourrait bien leur arriver ce qui était arrivé aux landsturm fribourgeois qui, malgré la capitulation, étaient poursuivis comme des bêtes fauves lorsqu'ils regagnaient leur domicile, peu de mois auparavant.

Cette observation parut faire impression et Monsieur le président profita de cette circonstance pour provoquer un nouveau et dernier tour de délibération. Ce fut alors que le chancelier Favarger, lorsque son tour vint d'opiner, se prit la tête dans les mains et prononça ces paroles: "Quand je pense à ces pauvres et braves Sagnards et environniers de la Chaux-de-Fonds et au sort qui leur est réservé si une fois le combat s'engage et qu'il nous soit contraire: je dis non, il ne faut pas se défendre."

Ce revirement changea la majorité en minorité, parce que les membres présents au Conseil étaient divisés trois par trois, la voix du président devenait prépondérante. Dès ce moment, il ne fut plus question de défense; et je rappelle pour n'y plus revenir que ceux qui ont soutenu en définitive l'opinion de se défendre furent MM. de Perregaux, de Perrot et de Wesdehlen, tandis que le président, MM. Favarger et Calame l'emportèrent pour l'opinion contraire.

Aussitôt cette décision prise, elle fut annoncée publiquement à plusieurs personnes qui se trouvaient soit sur la terrasse, soit dans la cour du Château, et au même moment M. de Sydow fut prié d'entrer dans la salle du Conseil.

La consternation était peinte sur tous les visages; quoi qu'il en soit, il fallait aviser et surtout faire connaître officiellement à la bourgeoisie de Valangin ce qui venait de se passer. Monsieur le président ordonna l'expédition des deux arrêts, l'un pour le Conseil de bourgeoisie de Valangin, l'autre pour la communauté de la Sagne, et je fut chargé de porter ces arrêts à Valangin, sauf au Conseil de bourgeoisie à faire parvenir à la Sagne celui qui concernait cette localité.

Pendant que cela se passait, M. de Sydow, prenant la parole, exprima le désir que l'on déléguât sur le champ un conseiller d'Etat à Berlin pour annoncer au Roi ce qui venait de se passer, et donna en même temps à entendre qu'il serait peut-être convenable de désigner pour cette mission le chancelier Favarger.

La délibération du Conseil à ce sujet ne fut pas longue et, à l'unanimité, les deux propositions de M. de Sydow furent adoptées sans discussion, car chacun comprenait, sans que l'idée en eût été exprimée le moins du monde, que s'il était bon d'éloigner quelqu'un dans ce moment, c'était le chancelier qui, comme rédacteur du Neuchâtelois, s'était attiré l'animadversion toute particulière des radicaux qui n'auraient pas manqué de le massacrer s'il était tombé entre leurs mains.

Il fit donc ses préparations à la hâte et partit, si je ne me trompe, à une heure du matin.

Le Conseil d'Etat ayant levé séance, je descendis, bras dessus bras dessous, avec M. de Sydow. Nous nous quittâmes à la Croix du marché, lui pour aller commander à la poste une voiture pour le chancelier et moi pour aller à Valangin en repassant à la maison pour prévenir ma femme et commander un char chez le voiturier Stauffer.

Ceci se passait entre 10 h. et demie et 11 h.

Arrivé à la maison, ma chère femme ne voulut jamais me laisser partir seul et me força en quelque sorte à me faire accompagner par Louis Bétrix, mon domestique. Nous partîmes donc les deux en char à banc, par un temps affreux, et nous arrivâmes à Valangin entre minuit et une heure. Le Conseil de bourgeoisie s'était déclaré en permanence, néanmoins ses membres s'étaient disséminés dans les maisons du bourg et il n'en restait que deux ou trois dans la salle des bourgeois. Je fit immédiatement réunir les membres dispersés et leur donnai connaissance de l'arrêt dont j'étais porteur. La communication de cette pièce fut reçue avec des sentiments bien divers, mais je dois dire que celui qui dominait était un sentiment de profond chagrin, pour ne rien dire de plus, qu'occasionnait la décision prise. Néanmoins, il fallait bien se soumettre, mais ce ne fut pas sans peine et sans que l'on me fit entendre des paroles fort dures à l'adresse de la majorité du Conseil d'Etat.

Comme je n'avais pas à prendre la défense de ce corps, puisque M. Delachaux était présent à la communication de l'arrêt, je me bornai à témoigner le chagrin que j'éprouvais moi-même d'avoir été chargé d'une pareille mission, puis je me retirai, poursuivi jusqu'à ma voiture par des propos plus ou moins convenables. A deux heures, j'étais de retour à Neuchâtel où je me mis au lit pour prendre quelques heures de repos.

1 mars 1848

Mon premier soin à mon lever fut de me rendre chez Monsieur le président du Conseil d'Etat pour lui faire rapport sur ma course à Valangin. De très bonne heure, on afficha une proclamation des Quatre Ministraux et l'on réunit la garde de sûreté pour maintenir la tranquillité dans la ville pendant les moments d'angoisse qui précédèrent l'arrivée des insurgés. Entre autres postes qui furent distribués dans toute la ville, on en plaça un chez moi composé de 12 hommes et commandé par mon frère. A midi, je reçus du Conseil d'Etat l'ordre de me transporter à Valangin pour engager les Sagnards que l'on disait y être restés, à se retirer immédiatement dans leurs foyers. Aussitôt l'ordre reçu, je me mis en route, mais arrivé au Chemin du Pertuis du Soc, je rencontrai le major Girardbille qui m'affirma que la nouvelle était fausse, qu'il avait vu les Sagnards remonter chez eux et qu'il ne restait pas un homme armé à Valangin. En conséquence, je rebroussai chemin et montai de suite au Château pour faire mon rapport. Je rencontrai Monsieur le président qui en sortait, je lui communiquai ce que dessus et retournai à la maison pour attendre les événements.

Cependant, les colonnes républicaines s'étaient mises en marche et approchaient de la ville quoique avec précaution. Ne sachant pas, ou feignant d'ignorer, que le gouvernement ne se défendait pas, ils n'étaient pas animés des meilleures dispositions et l'on pouvait s'attendre à quelques excès. Une députation composée, entre autres, de M. Fritz Perret, qui, républicain modéré lui-même, avait beaucoup de connaissances parmi les insurgés, se rendit aux Hauts-Geneveys où était, dans le milieu de la journée, leur quartier général. Y étant arrivée, non sans de grandes difficultés, car elle dut passer par Fenin, Engollon et Fontaines, elle se fit introduire auprès du commandant de l'expédition qui était Fritz Courvoisier, ancien officier de carabiniers et fougueux républicain déjà en 1831. Ces Messieurs lui exposèrent l'état de choses et l'engagèrent à faire avancer sa troupe tranquillement, puisque l'on ne devait rencontrer de résistance nulle part. Ce ne fut pas sans peine que Courvoisier ajouta foi aux assurances qui lui étaient données; toutefois, les membres de la députation ayant engagé leur responsabilité personnelle, il parut complètement rassuré et s'engagea alors à faire tout son possible pour que l'occupation de Neuchâtel ne donnât lieu à aucun désordre.

C'est ici qu'il y a lieu de faire voir tout ce que le chancelier aurait risqué si on ne l'avait pas éloigné. Dans la conversation qui eut lieu entre les membres de la députation et le commandant Courvoisier, il fut question du départ de M. Favarger. Dans ce moment, Courvoisier eut un véritable accès de rage et, se prenant la tête, il prononça ces paroles significatives: "J'avais pourtant un fameux compte à régler avec lui".

D'où venait cette haine ? De ce que Courvoisier et Favarger avaient été ensemble dans les carabiniers et fort bons camarades. Qu'avant 1831, ils avaient les mêmes idées politiques. Que, dès lors, Courvoisier était resté républicain et que Favarger était devenu fougueux royaliste.

Quoi qu'il en soit, les républicains arrivèrent à Neuchâtel à 6 h. et demie du soir au nombre de 1500 environ. Un grand omnibus les suivait et monta de suite au Château escorté de cavaliers de la Chaux-de-Fonds en uniforme. Cet omnibus renfermait les membres du Gouvernement provisoire qui avaient été nommés dans la journée.

La nuit fut tranquille

2 mars 1848

Cette journée commença par une salve de 101 coups de canon, destinés à annoncer aux populations l'établissement de la République. En me rendant en ville pour voir ma mère qui était très émotionnée de tout ce qui se passait, je vis devant le Faucon une colonne de républicains du Val-de-Travers qui était arrivée dans la nuit. On commençait à afficher des proclamations du gouvernement provisoire. On casernait les troupes et j'eus pour ma part six carabiniers et un artilleur. Dans l'après-midi la présence simultanée en ville de la Garde de sûreté et des républicains donnant lieu de craindre qu'il n'y eut des collisions, on licencia la première sur les instances du gouvernement provisoire, qui ne donnait pas encore des ordres.

Cependant le Conseil d'Etat du Roi siégeait encore chez son président. Que faisait-il ? je l'ignore. Quoiqu'il en soit, cette circonstance portait ombrage au gouvernement provisoire, qui ne pouvait supporter l'idée, et cela se conçoit, de sentir un autre pouvoir dirigeant à côté de lui. Je crois cependant je n'en suis pas certain, qu'il fit signifier au Conseil d'Etat l'ordre de se dissoudre et que celui-ci refusa. Mais ce qu'il y a de positif c'est que vers 6 heures le Dr. Georges DuBois, accompagné d'un détachement de carabiniers, se rendit chez M. de Chambrier et signifia aux membres du Conseil qu'ils eussent à le suivre. Ceux-ci annoncèrent qu'ils cédaient à la force et se laissèrent conduire au château où ils furent emprisonnés dans l'appartement de M. le gouverneur, à part M. Delachaux, qui, ayant siégé jusqu'à 3 heures, était retourné à Valangin.

Enfin j'appris encore dans la journée que la veille, lors de la nomination du gouvernement provisoire à la Chaux-de-Fonds, j'avais été proposé pour en faire partie, mais que, sur l'observation qui fut faite que j'étais lié par un serment au Roi on avait abandonné cette idée.

3 mars 1848

On appris que des commissaires fédéraux étaient arrivés la veille au soir. Dans la journée les ambassadeurs étrangers et entre autres M. de Sydow, quittèrent Neuchâtel. Dans l'après-midi je vis passer au faubourg, retournant chez eux, les gens du Val de St. Imier, qui avaient aidé à opérer le mouvement. Il parait qu'on avait eu assez de peine à se débarrasser d'eux et qu'on n'y avait réussi qu'en leur faisant hommage des piques appartenant à la Bourgeoisie de Valangin ainsi que des deux canons que le Roi avait offerts à la dite bourgeoisie, en commémoration des événements de 1831. Ils emportèrent ces objets en guise de trophées. Bien heureux de les voir déguerpir à ce prix, car pour la plupart c'étaient de fières racailles.

4-15 mars 1848

En attendant, la position du gouvernement provisoire n'était pas couleur de rose. Non seulement ils avaient à désorganiser, mais encore à réorganiser, ce qui lui était difficile, attendu que la grande majorité des fonctionnaires, même les plus infimes, lui refusaient leur coopération, liés qu'ils étaient par leur serment au Roi; mais il était encore en proie à des craintes et à des alarmes continuelles, eu égard aux bruits de toute nature que l'on faisait courir. Tantôt il était question de mouvements contre-révolutionnaires qui s'organisaient en secret, tantôt c'étaient au bruits d'intervention, ce qui nécessita dès le 4 mars la mise sur pied de troupes plus ou moins régulières, puisqu'elles se trouvaient presque sans officiers, attendu que ceux-ci étaient, quand au serment, dans la même position que les fonctionnaires civils.

Aussi dans son embarras le gouvernement chercha-t-il à s'étayer des conseils et du concours d'anciennes notabilités révolutionnaires de 1831, et entre autres du colonel Courant, de Roessinger et de Gaullieux, qui furent mandés à Neuchâtel. Ces messieurs arrivèrent en effet le 5 mars, mais les deux derniers repartirent presque immédiatement, soit qu'ils trouvassent la position trop difficile, soit qu'ils ne voulurent plus se mêler de politique. Quand au colonel Courant il fut chargé de la réorganisation et du commandement momentané des troupes.

Dans la même journée du 5, le drapeau fédéral fut arboré à l'hôtel de ville en l'absence des quatre ministraux, lesquels d'ailleurs n'auraient pas pu s'opposer à cette manifestation. Quelques maisons particulières, mais en petit nombre, se pavoisaient également.

Pour ce qui me concerne dans cette journée, je pris la résolution de ne plus me mêler de la juridiction de Valangin, tant que je ne serais pas délié de mon serment et j'en écrivis dans ces termes à mon lieutenant M. Gaberel, en l'engageant à agir de la manière qui lui paraîtrait la plus convenable.

Le 6, M. de Chambrier, qui était toujours gardé à vue à la Chaux-de-Fonds, fut ramené à Neuchâtel et incarcéré au château avec ses collègues. Restait M. Delachaux qui avait déjà fait la tentative, mais sans succès, de partager le sort commun.

Le 7 et le 8 des commissaires fédéraux étant arrivés en la présence de M. Blanchenay (Vaud) et Neigy (Berne), cet honorable conseiller d'Etat fit auprès d'eux les démarches les plus sérieuses pour être, lui aussi, placé sous les verrous. Il insista même d'une manière fort impérative, mais sans succès, quoiqu'il eut positivement déclaré que dans la dernière séance du Conseil d'Etat, il s'était prononcé pour une défense à toute outrance.

Quelle était la raison de ce refus d'incarcération ? On ne l'a jamais su positivement. Mais j'ai toujours supposé l'un des deux motifs suivants: Ou bien on craignait d'exaspérer les bourgeois de Valangin, ou bien ce qui me parait plus probable c'est qu'il avait dans le gouvernement provisoire des amis et connaissances intimes, qui se seraient trouvé fort mal à l'aise de le sentir en prison, porte à porte avec eux au pouvoir.

Si je suis entré dans quelques détails sur cette circonstance, c'est pour faire tomber une fois pour toutes les soupçons qui avaient planés sur M. Delachaux, tendant à le faire considérer comme en quelque sorte demandé grâce et sollicité la faveur de ne pas partager le sort de ses collègues, tandis que c'est tout le contraire qui a eu lieu.

Le 9, je reçu l'ordre du département militaire ou d'adhérer à la république ou de renvoyer mon brevet de major. Je répondis sur le champ que je n'adhérais pas et que mon brevet m'ayant été donné par le Roi je ne le remettrais à personne sans son ordre.

Du 11 au 15: aux inquiétudes résultant des événements intérieurs venaient s'ajouter les anxiétés produites par l'état général de l'Europe. L'état de désorganisation dans lequel se trouvaient la France faisait baisser les fonds publics d'une manière tellement sensible qu'il y eut en moins de quinze jours une différence de 60% dans le cours des différentes valeurs.

L'Allemagne commençait à s'agiter et c'est sans doute à cette circonstance que nous dûmes, en partie du moins, de ne rien recevoir de Berlin, ce qui continuait à laisser les anciens fonctionnaires dans la plus triste des positions. Ce silence avait d'ailleurs des inconvénients plus graves, à mesure que cela permettait à certaines personnes d'entretenir dans une partie de la population des espérances d'intervention qui ne laissèrent pas que d'exciter la classe des vignerons essentiellement.

Aussi le 12 mars on cria dans les Chavannes: Vive le Roi! et on chanta la Sagnarde. De là appel aux armes et conflit qui coûta la vie à deux hommes inoffensifs, dit-on. Ce conflit aurait pu avoir même des suites incalculables puisque le commandant Courvoisier allait donner l'ordre de tirer sur la ville lorsqu'il en fut empêché par le directeur militaire le docteur George DuBois.

Le 15, 400 personnes assistèrent au convoi funèbre d'un certain Monnard, tué dans l'échauffourée du 12 et le même jour on appris le suicide à Berne de Fritz Perret, chef de la maison F. Perret et Cie; événement désastreux, financièrement parlant, puisque cela entrainait la chute de la seule maison de Banque restant à Neuchâtel et causait une grande perturbation dans la plupart des familles de la ville. Je m'y trouvai, quand à moi, pour une somme assez considérable.

16-31 mars 1848

Cependant la république commençait à s'organiser peu à peu et tant bien que mal. Les élections à la Constituante eurent lieu le 17; mais les républicains savaient si bien que les royaliste ne pouvaient y prendre part qu'à Neuchâtel il ne se présenta que 125 électeurs, et encore dans ce nombre y en avait-il 40 de Serrières.

Toutefois l'arbitraire le plus monstrueux continuait à régner pour de certaines choses dans les actes du gouvernement provisoire. C'est ainsi que le jour même des élections, le Neuchâtelois fut saisi à la poste, en attendant des mesures plus arbitraires encore.

Comme on était toujours dans les mêmes incertitudes sur les mesures qui devaient être prises à Berlin à l'égard de Neuchâtel, l'agitation allait bon train, surtout aux montagnes, aussi le gouvernement, pour assurer la tranquillité dans cette partie du pays, jugea-t-il convenable de prendre des otages dans les localités les plus gangrenées, c'est-à-dire la Sagne, le Locle, la Chaux-du-Milieu et la Brévine. Ces otages furent tout simplement transportés au château de Travers sans le consentement des propriétaires.

Sur les réclamations qui furent faites il fut répondu avec une certaine désinvolture que le gouvernement pouvait bien faire comme l'ancien Conseil d'Etat, lequel peu de mois auparavant avais logé dans le dit château un détachement de troupes destiné à maintenir l'ordre dans la localité. Il fallut bien se contenter de cette réponse. [L'occupation du château de Travers en automne 1847 par une compagnie de la garde soldée avait eu lieu, non à ce que je crois en vertu d'ordres directs du Conseil d'Etat, mais par les ordres de M. Frédéric de Perrot, maire de Travers. Ordre inqualifiable puisque c'était sans le consentement des propriétaires; acte que l'on ne peut attribuer qu'à une étourderie de jeunesse, car en 1847 M. de Perrot était encore fort jeune.],

Quoiqu'il en soit l'emprisonnement de ces otages, qui étaient au nombre de cinq, avait répandu une certaine inquiétude dans les populations et surtout dans leurs familles, lesquelles le 21 mars m'expédièrent deux personnes de la Sagne pour me prier d'intercéder en leur faveur. J'acceptai cette mission quoique je ne m'en souciasse pas le moins du monde, et pour la remplir aussi convenablement que possible, je me décidai à demander une audience au président Piaget, en le priant de la fixer non au château mais dans son domicile, dont alors le siège était dans la maison Bord, place des Halles.

Cependant le silence de Berlin continuant, la position du Conseil Général et des quatre ministraux devenait intolérable. Les bourgeois républicains de la ville aussi bien que ceux du dehors, s'agitaient et menaçaient de se porter à l'hôtel de ville, ce qui provoqua, le 23, une démarche de l'autorité bourgeoisiale auprès du gouvernement provisoire, auquel fut envoyé une députation de trois personnes. Le gouvernement répondit à cette députation que, quoiqu'il arrivât, il saurait maintenir l'ordre dans la ville, mais que quand à la question politique, il ne s'en occuperait en aucune manière, ce qui était tout dire. Aussi le lendemain 24 y eut-il une réunion assez nombreuse de bourgeois dans la grande salle des concerts, à la suite de laquelle un grand nombre d'entre eux se portèrent à l'hôtel de ville.

Il est évident que tout cela était un coup monté d'accord avec le gouvernement, qui avait fait entourer de troupes cet édifice. Aussi au moment où les bourgeois s'y présentèrent, il parut une proclamation du gouvernement qui suspendait le Conseil Général et mettait la bourgeoisie en régie sous la direction de M. Jeanrenaud Besson, qui fit immédiatement apposer les scellés sur les caisses et archives.

Sur ces entrefaites le président Piaget m'avait fixé une audience pour le 26 à 8 heures du matin. Je me rendis en conséquence à son domicile et voici ce qui s'y passa: Je commençai par m'acquitter de ma commission relative aux otages. Sur ce point il me donna l'assurance positive qu'ils étaient et qu'ils continueraient à être bien traités et qu'ils pourraient communiquer librement avec leurs familles mais par écrit, ce dont j'informai immédiatement les personnes intéressées par l'entremise de mon correspondant de la Sagne.

Je profitai de cette circonstance pour entretenir M. Piaget de différentes autres choses qui me tenaient à coeur et entre autres de la détention prolongée des anciens conseillers d'Etat. A cet égard il me donna l'espérance que leur captivité ne serait plus bien longue et qu'en attendant on ferait tout ce qu'on pourrait pour l'adoucir. Qu'en tous cas on leur permettait de prendre l'air et de se promener au donjon. Je lui parlai aussi de la position des royalistes laquelle n'était réellement plus tenable eu égard au manque de nouvelles de Berlin. Il me répondit qu'il déplorait plus que personne cet état de choses, auquel quand à lui, il ne pouvait porter remède. Que tout ce qu'il désirait c'est que les royaliste pussent dans un avenir prochain prêter leur concours à la république. "Nous sommes en pleine Gironde, ajouta-t-il, tâchons de ne pas arriver à la montagne, ce qui est à craindre si vous ne nous tendez pas la main."

Hélas ! Il prévoyait bien ce qui ne devait pas manquer d'arriver et à cet égard je partageais les mêmes craintes mais qu'y faire ? Malheureusement on était encore liés.

Comme je voyais M. Piaget fort disposé à causer, je l'entretins encore de divers sujets plus ou moins intéressants et entre autres de la suppression du Conseil Général. A ce sujet il me dit que cette mesure avait été commandée par les circonstances et pour éviter de graves désordres; que le reste du gouvernement prenait sur lui l'entière responsabilité de ce coup d'Etat qui était essentiellement destiné à sauvegarder les intérêts et la fortune de la bourgeoisie.

En résumé l'impression qui me resta de cette conversation fut celui-ci: c'est qu'alors M. Piaget était sincère lorsqu'il disait désirer ardemment le concours des royalistes, mais qu'au fond de tout cela existait la crainte (qui ne s'est trouvé que trop bien fondée) d'être débordé dans la constituante par des gens à idées plus avancées et plus radicales.

Le 29 mars eut lieu le licenciement des carabiniers en garnison à Neuchâtel. J'assistai par hasard à cette opération et je fut touché des témoignages d'affection que la plupart d'entre eux me donnèrent, une fois les rangs rompus.

1-15 avril 1848

Quoiqu'on fut toujours sans nouvelles de Berlin, on était cependant moins inquiet parce qu'on savait très bien que cela ne pouvait plus longtemps tarder. L'avocat Charles Lardy, qui déjà depuis plusieurs jours se trouvait à Berlin, où il avait été envoyé par quelques personnes, désireux de presser le dénouement de nos affaires, avait eu une audience du Roi et il avait prévenu ses amis de cette circonstance. On attendait donc avec un peu plus de patience.

Sur ces entrefaites eut lieu la réunion de l'assemblée constituante. Dans son discours d'ouverture, si je ne me trompe, le président du gouvernement provisoire Piaget, accusa en quelques sorte de dilapidation les membres de l'ancien Conseil d'Etat. Il se trouvait, disait-on, un déficit de 500 mille francs. Il y avait évidemment erreur dans cette accusation et cette erreur fut reconnue dès le lendemain, après que monsieur de Marval et de Sandoz-Morel, anciens membres du département des finances eurent donné les explications nécessaires. Seulement cette découverte ne fut pas annoncée à la constituante d'une manière fort explicite, ce dont on sut fort mauvais gré, et avec raison, au gouvernement provisoire et surtout à son président, qui après avoir accusé, aurait dû avoir le courage de justifier.

Le 7 avril arrivèrent enfin les premières nouvelles officielles de Berlin et l'on appris, non sans une grande satisfaction, que par rescrit en date du 1er de ce mois, les conseillers d'Etat avaient été relevés de leur serment, circonstance qui devait nécessairement avoir une grande influence sur leur prochaine mise en liberté.

Le 10 l'on eut enfin un second rescrit en date du 6 qui relevait également de leur serment tous les neuchâtelois. Cette pièce, dont le contenu et les termes ont été dès lors tellement controversés par l'esprit de parti, fut cependant trouvé si clair dans le commencement que le jour même de sa réception eut lieu dans la grande salle de chant du gymnase une réunion de 100 fonctionnaires, tant civils que militaires, lesquels à l'unanimité moins deux voix, celles de MM. de Perrot-Reynier et Philippin, décidèrent que leur concours franc et loyal était dorénavant acquis au gouvernement provisoire, ce qui leur serait annoncé par une députation de six membres qui fut reçue le lendemain 11 à 8 heures du matin. Cette députation était composée de MM. de Meuron ancien banneret et colonel, François de Montmollin, Alphonse Coulon, ancien lieutenant de ville, Girardet et Jeanjaquet, capitaine de carabiniers (je ne me rappelle plus le nom du sixième)

M. Meuron qui porta la parole et qui dit entre autres qu'après une pareille démarche, il espérait que les membres de l'ancien Conseil d'Etat ne tarderaient pas à être remis en liberté. Sur quoi j'ajoutai que pour ce qui me concernait c'était une condition sine qua non. Quoiqu'il en soit, la députation fut reçue avec plaisir et reconnaissance, mais il lui fut répondu quand à la libération que le gouvernement n'était pas le maître de l'ordonner, que c'était la constituante, mais qu'il ferait ce qu'il pouvait. On verra par la suite comment l'on compris de part et d'autre ce concours franc et loyal offert et accepté.

Cependant la libération fur prononcées le 12 moyennant toutefois un cautionnement qui fut immédiatement donné par 15 ou 20 personnes dont je faisais partie. L'original de ce cautionnement doit être dans les papiers de la famille Chambrier, ou au moins une copie authentique.

Il fut ensuite décidé que les conseillers d'Etat seraient rendus à leurs familles dans la journée du 13. Ce jour-là d'abord après dîner M. Piaget me fit chercher et je me rendis immédiatement au château. Le but de cet appel était de m'annoncer que ces messieurs sortiraient à 7 heures du soir, mais qu'il me priait de faire en sorte qu'il n'y eut aucune manifestation en leur faveur. Je fit les démarches nécessaires et tout se passa fort tranquillement. Aucune démonstration bruyante n'eut lieu mais chacun se découvrit avec respect à leur passage qui eut lieu du reste par des rues différentes.

Le 14 j'appris que j'étais adjoint à la commission qui avait pour but de préparer l'établissement de la banque cantonale.

Le 15 je me présentai chez tous les anciens conseillers d'Etat pour leur rendre mes devoirs, mais je ne fut reçu que par monsieur le président. Bien est-il vrai que dans l'après-midi du 13, en sortant de chez M. Piaget, j'avais été introduit auprès d'eux par le Dr. DuBois et que j'avais pu leur serrer la main à tous.

16-30 avril 1848

Le 16 étant un dimanche, tous les conseillers d'Etat domiciliés à Neuchâtel assistèrent au sermont du matin, mais dans les bancs du public. Le 19 je fit visite à M. de Wesdehlen. Nous eûmes une conversation relative au concours offert au gouvernement provisoire, et il ne me cacha pas que ce concours donné au gouvernement provisoire ferait un déplorable effet et il m'engagea à en aller parler à Monsieur Alexandre de Chambrier, chez lequel je me rendis en effet. Celui-ci abonda dans le sens de Wesdehlen et me dit que lui et ses collègues avaient hautement désapprouvé la démarche faite le 11.

Cependant je n'étais pas convaincu et je pris le parti de convoquer chez moi pour le lendemain 20 un certain nombre d'officiers de juridiction pour leur exposer ce que dessus malgré l'opinion émise par messieurs les conseillers d'Etat. Tous mes collègues présents à l'exception d'un seul furent d'avis que le concours était commandé par les circonstances. Quand à l'opposant il voulait aussi donner son concours, mais comme simple citoyen et non point comme fonctionnaire, ou tout au moins pas comme officier de juridiction.

Cependant l'agitation allait bon train et j'appris dans la même journée du 20 que l'on faisait circuler dans tout le pays une pétition tendant à demander au Grand Conseil futur, de mettre certains frais, entre autres ceux de la garde soldée ou du bataillon de défense à la charge de l'ancien Conseil d'Etat. Le 21 se réunit de nouveau la commission de la banque dans laquelle, je dois le dire en passant, les membres de la constituante qui en faisaient partie, brillaient par leur nullité. Aussi tout le travail retomba-t-il sur M. Louis de Pury, banquier, et sur moi, qui étions, à ce que je crois, les seuls membres externes. Toutefois on tomba d'accord sur la marche à suivre, ce qui était déjà quelque chose.

Le 22 je fut appelé au château pour m'entendre avec le provisoire sur la juridiction de Valangin, dont on désirait me redonner la direction en qualité de président du tribunal civil et criminel. J'obéis à la citation, mais pour combattre cette idée et priai le gouvernement de ne pas donner suite à son projet, au moins pour le moment. Je fondais mon opinion sur les raisons suivantes:

  1. comme on était la veille de se prononcer sur la constitution et que, par conséquent, le provisoire allait durer, il me semblait qu'il était inutile de rien statuer avant la réunion du futur Grand Conseil, car puisque depuis deux mois les affaires marchaient tant bien que mal, on pouvait bien aller comme cela quelque temps encore.
  2. que tant que le provisoire n'aurait pas fait place à un ordre des choses régulier, il y avait nécessairement des conflits entre l'autorité administrative révolutionnaire et l'autorité judiciaire royaliste ou conservatrice, surtout dans un moment où l'on procédait avec une telle intimidation, qu'il était à ma connaissance que dans des communes presqu'exclusivement royalistes, on se servait de toute espèce de moyens, même les moyens de contrainte pour faire signer la pétition contre les anciens conseillers d'Etat.
  3. que j'avais entendu dire que les fonctions administratives devaient être confiées à un homme tellement taré (l'ex justicier Gaberel) qu'il me serait impossible de soutenir aucune citation avec lui.
  4. depuis que je savais que l'instruction du gouvernement était de changer quelques uns des membres de la cour de Justice, que sur ce point de vue encore je ne pouvais aucunement donner mon adhésion à la mesure, parce que je ne consentirais jamais à sièger avec d'autres hommes que ceux avec lesquels j'avais l'habitude de travailler.

Après m'avoir entendu, le gouvernement m'annonça qu'il renonçait volontiers aux deux dernières mesures indiquées, mais comme je persistais dans ma résolution à cause des deux premières, cette entrevue n'eut aucun résultat et je repartis du château comme j'y étais arrivé.

Bien est-il vrai que dans ce moment-là, j'étais encore sous l'impression des conversations que j'avais eues avec monsieur de Wesdehlen et Alexandre de Chambrier. Je savais en outre que leur opinion était partagée par la grande majorité, si ce n'est l'unanimité de leurs collègues, dans ce sens: c'est qu'ils envisageaient qu'il ne fallait accepter aucune fonction du provisoire tout en étant au contraire d'avis qu'aussitôt que les affaires seraient régularisées par la nominations d'un Grand Conseil, ce serait alors le moment de donner le concours franc et loyal dont il avait été question dans l'audience du 11.

Telle fut (je dois pourtant le dire) la raison prépondérante qui m'engagea à décliner les ouvertures du gouvernement, car il m'aurait été par trop pénible de me placer en quasi hostilité avec tous mes anciens supérieurs.

Malgré les préoccupations du moment on reprenait pourtant peu à peu ses relations sociales. C'est ainsi que le 26 je donnai un dîner à 14 jeunes gens dont les noms suivent:
MM. de PostAlexandre Chambrier
  et Plack, suédoisGuillaume Chambrier
Alexandre DardelAlfred Chambrier
Alfred DuPasquierGeorges Meuron
Edouard PuryHenri Coulon
Alphonse PuryF. de Perrot
Fritz PuryFritz Sacc, prof.

Le jour fixé pour la votation sur la constitution approchait. Deux questions devaient être soumises au peuple:

  1. Rejet ou acceptation de la constitution
  2. acceptation de la constituante en bloc comme Grand Conseil

Il y eut plusieurs réunions de conservateurs pour aviser à la conduite à tenir. On était unanimes pour se prononcer par la négative sur la seconde question. Quand à la première, les avis étaient grandement partagés et un assez grand nombre de personnes, parmi lesquelles je comptais, voulaient accepter, pour faire cesser le provisoire d'abord, et ensuite pour ne pas augmenter par un rejet une agitation menaçante qui se traduisait déjà par des actes d'un arbitraire intolérable.

L'inquiétude se propageait tellement, surtout parmi les anciens conseillers d'Etat, que déjà le 27 M. de Perrot, ancien maire de Neuchâtel, partit pour Bâle, et dans la nuit du 29 au 30, jour fixé pour la votation, il fut suivit par les autres conseillers d'Etat qui s'en allèrent de côté et d'autre, à l'exception de M. Calame dont la femme était dangereusement malade.

Quoiqu'il en soit nous étions au 30 avril, et chacun à part les incorrigibles, se rendit à son devoir. L'assemblée de Neuchâtel dura de 11 à 5 heures. Je faisait partie du bureau. Tout se passa avec ordre et décence. Mais on ne devait connaître que le lendemain le résultat des votations dans tout le pays.

1-24 mai 1848

Ce fut le 1 mai que l'on apprit par le canon officiel que les deux propositions avaient été acceptées par le peuple, la première à une grande majorité, la seconde avec 600 voix seulement.

Certes ce résultat n'avait pas été obtenu sans le nombre d'électeurs plus ou moins douteux que l'on avait fait venir de l'étranger et très spécialement de Besançon et du Val de St. Imier, et sans le système d'intimidation mis en jeu depuis plusieurs jours, système qui alla jusqu'à se traduire en arrestations de citoyens assez influents, entre autres de Monsieur Borel Courvoisier à Couvet et Henri de Rougemont à Saint-Aubin. Quoiqu'il en soit le tour était joué et le parti radical célébra la victoire de plusieurs manières. Une espèce de banquet fut donné à la troupe cantonnée à Neuchâtel et eut lieu sur la promenade noire.

Le Dr. Castella logeait alors dans la maison où se trouve maintenant le Cercle National. Malheureusement il y avait aussi chez lui ce jour-là une réunion de jeunes gens et de jeunes demoiselles qui se livraient à des démonstrations plus ou moins convenables, qui furent aperçus de la troupe. Celle-ci s'en émeut; de là une scène de violence contre la maison du docteur qui eut pour résultat l'arrestation de son fils Paul et d'Albert Coulon, qui ne furent relâchés qu'au bout de quelques jours.

Le 2 mai je reçu une lettre du professeur de Joannis, président du Cercle de Lecture, m'annonçant qu'il donnait sa démission de ce poste. Comme j'étais vice-président je devins président de cette société jusqu'à la prochaine assemblée générale.

Le 3 eut lieu l'enterrement de madame Calame.

Le 8 mourut également et d'une manière assez subite le comte Louis de Pourtalès, ancien président du Conseil d'Etat. Peu de jours avant sa mort, je l'avais rencontré et j'avais profité de cette entrevue, qui devait être la dernière, pour lui demander conseil sur la manière dont je devais me conduire politiquement parlant. "Sert ton pays, me dit-il, sans trop t'inquiéter du gouvernement qui sera à sa tête. Ne fais pas comme les patriciens bernois en 1831 qui ont tout perdu, parce qu'ils s'étaient fourré dans la tête que jamais la république ne pourrait marcher sans eux !" Plus tard j'ai profité du conseil qui était d'ailleurs parfaitement d'accord avec mes sentiments.

Une fois la constitution de la république acceptés, il s'agissait de mettre celle de la bourgeoisie de Neuchâtel en harmonie avec celle du Canton. Un projet fut élaboré à la hâte et le 13 eut lieu une réunion de la générale bourgeoisie, qui fut excessivement agitée et bruyante, dans laquelle le projet fut accepté. Etant indisposé et retenu à la maison depuis plusieurs jours, je ne pus y assister. C'est essentiellement de cette époque que date la grande dissidence dans le parti conservateur, les uns voulant prendre part aux affaires, les autres (qui sont devenus le parti noir) voulant agir comme les patriciens bernois et tenant à peu près le même langage "Laissons la république se tuer par ses excès, disaient-ils, plus les affaires iront mal et moins cela vaudra. On finira alors par nous supplier de reprendre les rênes du gouvernement".

Raisonnement mirobolant qui a abouti au 3 septembre de funeste mémoire.

Mon fils Georges avait atteint l'âge de 15 ans 1/2. Nous nous décidâmes de le placer en change dans une maison des plus respectables de Zurich, M. le diacre d'Orelli-Escher. Il donna avant son départ un goûter d'une trentaine de ses amis. C'était le 18 mai.

Le 21 eurent lieu les élections au Conseil de bourgeoisie de Neuchâtel. En ville les candidats conservateurs (je ne dis pas royalistes) furent élus à une immense majorité, mais il n'en fut pas de même dans le reste du pays, car en définitive ce Conseil fut composé en assez grande majorité de républicains renforcés.

Cependant je sentais le besoin de faire faire une cure de bains à Schinznach à Georges, avant de le conduire à Zurich, et comme mon intention était de l'accompagner, je voulus savoir autant que possible avant mon départ, à quoi m'en tenir sur de nouvelles ouvertures que l'on me faisait pour prendre part aux affaires de ma patrie. La position était maintenant tout autre qu'au début d'avril, la constitution était acceptée et les pouvoirs ne tarderaient pas à être régularisés. C'était donc le moment de suivre le conseil de M. de Pourtalès. J'écrivis en conséquence à M. Brandt Stauffer, membre du gouvernement provisoire, intermédiaire entre le gouvernement et moi. Il me répondis immédiatement qu'il avait été décidé que M. Piaget serait chargé de me proposer pour la place de président du tribunal de Valangin, poste qui ne serait point incompatible avec celui de membre de la Cour d'appel, auquel je devais être appelé également; que du reste je recevrais une communication ultérieure. Ceci se passait le 23 mai et le 24 au matin, je me mettai en route avec Georges pour Schinznach.

24 mai-21 juin 1848

La cure dura du 25 mai au 14 juin. Comme je ne la faisait pas, je profitai de ce temps pour faire de nombreuses et longues promenades à pied aux environs des bains. Quelques neuchâtelois se trouvaient cette année là à Schinznach; entre autres madame de Pourtalès-Sandoz et ses enfants, ma cousine Jequier, deux filles du capitaine Jérôme Favre, et une demoiselle Leuba, fille de M. Auguste Leuba de Colombier. Je fit également la connaissance d'un M. Muralt de Berne, dont le frère venait d'être tué dans les tentatives révolutionnaires de Naples et d'un monsieur Lädemir (?) de Mulhouse. Du 5 au 7 juin je fit une excursion à Bâle avec une des voitures de l'hôtel, dans le but d'y voir ma tante Charlotte de Perrot et son mari, ainsi que M. de Sydow qui s'y était retiré également. Je remportai de cette course des souvenirs fort agréables tellement ma tante fut bonne et agréable à mon égard. M. de Sydow fut également on ne peut plus affectueux. Je ne devais pas revoir ce dernier et il n'est pas probable que je le revoie jamais.

Le 14 juin ma chère femme arriva aux bains accompagnée de ma fille Elisabeth et de ma nièce Uranie DuPasquier. Le 15 nous partîmes pour Zurich et le 16 nous installâmes Georges dans sa nouvelle famille dont l'un des membres, une fille de M. d'Orelli devait venir plus tard à la maison, en échange. Le 17 nous allâmes coucher à Lucerne en passant par l'Albis où nous nous arrêtâmes quelque peu. Le 18 après une journée très fatiguant pour gens et chevaux, nous arrivions à la Mettlen chez nos amis Pourtalès. Fritz n'y était pas et n'y arriva que le 19 fort tard dans la soirée. Il avait été retenu à Neuchâtel par les affaires de la succession de son père à ce que je crois. Quoiqu'il en soit le fait est que, comme à son ordinaire, il était tellement maussade que ma femme ne pouvant plus y tenir, nous nous décidâmes à partir le 21 de fort bonne heure, prétextant des affaires à Berne. Le soir même nous étions de retour à Neuchâtel.

22 juin-17 juillet 1848

Nous étions à peine arrivés que l'on appris que le parti rouge, voulant tenter un dernier effort en France, avait de nouveau pris les armes, mais on ne tarda pas non plus à connaître le résultat de la lutte, résultat qui était tout en faveur du parti de l'ordre. Il parait que le non-succès des anarchistes français fit naître des craintes assez sérieuses, quoique non fondées, de réaction dans notre pays. Aussi le gouvernement provisoire lequel, au dire de George DuBois, directeur militaire, n'éprouvait cependant pas la moindre crainte, mais poussé qu'il était par le parti ultra-radical, crut-il devoir prendre des mesures de précaution. Des gardes civiques furent instituées dans tout le pays. Dès le premier juillet l'ancienne garde de police de la ville (les guets) fut licenciée et remplacée provisoirement par une garde de sûreté composée uniquement de chauds républicains. Cette garde transporta ses quartier au château, de l'hôtel de ville où elle avait longtemps été.

Toutefois ces précautions furent inutiles et devaient nécessairement l'être, attendu que les royalistes, n'étant nullement organisés, n'auraient jamais pu, quand même ils l'auraient voulu, tenter la moindre chose contre l'ordre actuellement établi.

Le 6 juillet je fut nommé président du Cercle de lecture en remplacement de Joannis. Le 11, rencontrant en rue, en pleine croix du marché, le président Piaget, je l'accostai pour lui demander où en était l'affaire des tribunaux. Il me répondit que leur organisation serait encore assez longue, mais que l'on ne perdait pas de vue cette affaire.

Ce fut à cette époque encore que, après bien des pourparlers, on réorganisa la Chambre de Charité de Neuchâtel. Depuis le 1 mars l'ancien comité, dont je faisais partie ne siégeait plus à l'hôtel de ville, mais chez son président M. Berthoud-Coulon. La chambre nouvellement constituée sous la présidence du sieur Petitpierre Borel, membre du conseil administratif, reprit ses séances à l'hôtel de ville. J'en faisais partie mais ce ne fut pas pour longtemps.

Quoiqu'il en soit le séjour de Neuchâtel n'étant pas des plus agréable, je me préparai à faire une nouvelle course en Suisse avec mon neveu Alfred DuPasquier. Nous partîmes le 17 juillet avec la perspective de nous réunir au Righi avec M. d'Orelli, sa famille et mon fils Georges.

Nous prîmes la diligence de Berne et filâmes sur Thoune sans nous arrêter. Après avoir fait un bout de toilette, je conduisis Alfred à Oberhofen chez M. de Pourtalès, qui nous retint fort obligeamment à dîner et nous revînmes coucher à Thoune. Le lendemain 18, après une promenade matinale à l'Allmend, nous nous embarquâmes pour Interlaken, puis pour Brienz et après avoir franchit le Brünig à pied, nous arrivâmes aux environs de 4 heures à Lungern où nous couchâmes. Le 19 nous allâmes dîner et coucher à Lucerne. Le 20 nous embarquâmes pour Weggis où nous devions trouver Georges et sa compagnie. C'est ce qui eut lieu et nous fîmes ensemble l'ascension du Righi où nous couchâmes au Staffel. Le 22 nous descendons par Hoher Damm des Neiges sur Lowerz et allons séjourner à Schwyz. Les Orelli partent à pied pour Einsiedeln et Alfred et moi prenons une voiture où nous donnons place à Hans Orelli. Le 22 nous gagnons Zurich en passant par Rapperschwyl. Nous passâmes les journées du 23 et 24 à Zurich, où nous fûmes festoyés de toutes les manières par les Rahn-Orelli, etc., etc. Nous partîmes de Zurich le 24 au soir et regagnâmes notre chez nous au matin.

Le 31 le conseil administratif de la bourgeoisie quoique composé de républicains, voulut me confier une mission financière pour la France; j'acceptai d'emblée, mais réfléchissant ensuite que des affaires de natures diverses pouvaient exiger ma présence à Neuchâtel, je déclinai l'honneur qu'on voulait bien me faire et je restai chez moi.

août 1848

Le mois d'août me fournit bon nombre d'occupations. Dès le premier je reçu un officier du gouvernement qui me nommait membre du comité de l'Impôt extraordinaire pour Neuchâtel, et comme par le comité même je fut nommé président, la charge devint encore plus lourde, attendu que, seul je ne pouvais pas m'absenter un instant pendant les séances.

Cependant je dus, de temps à autre, m'absenter quelques jours. C'est ainsi que le 5 je m'acheminai à Valangin à pied. Mon but principal était un enterrement, mais comme c'était la première fois, à proprement parler, que je retournais au Val-de-Ruz depuis le 1 mars, j'en pris occasion pour faire visite au pasteur, à M. Delachaux et à toutes mes connaissances de Valangin. Je me rendis ensuite à la Borcarderie où je pris mon frère qui m'accompagna à Engollon où nous assistâmes à l'enterrement du justicier Besson, doyen de la Cour de justice et qui en avait fait partie pendant 52 ans.

Du 7 au 11 je fit un séjour à Concise chez Edouard DuPasquier.

Le 18 le Grand Conseil s'occupa de la nomination des membres des tribunaux. Charles de Marval fut appelé à la présidence de la Cour d'appel, dont je devais également faire partie. Le lieutenant de ville Coulon fut nommé président du tribunal.

Le 20 eurent lieu dans tout le pays les élections des juges de paix. A Neuchâtel les conservateurs l'emportèrent encore cette fois à une grande majorité et ce fut James de Meuron qui fut nommé.

Le 26 il y eut à Valangin une dernière réunion de l'ancienne cour de justice pour aviser au parti à prendre relativement au fonds qui lui appartenait en propre.

Comme j'appris que l'ancien justicier M. Gaberel devait y assister et que cet individu n'avait cessé de me contrarier pendant tout le temps que j'avais été maire de Valangin, que j'avais même du le faire condamner à trois jours et trois nuits de prison pour désobéissance à Justice et que d'ailleurs il était à cette époque le très humble serviteur du gouvernement provisoire, je ne voulus pas présider cette réunion. Mais comme j'appris qu'il était parti immédiatement après la séance et qu'il ne devait pas prendre part au dîner qui suivit, je vins me mettre à table avec mon ancienne Cour de Justice qui me témoigna la plus grande affection. Bien est-il vrai que j'avais jugé convenable de leur offrir quelques bouteilles de bon vin, qui entra peut-être pour quelque chose dans leurs démonstrations. Quoiqu'il en soit ce dernier repas fut désigné sous le nom de Repas d'Enterrement. En effet nous enterrions bien réellement la Cour de Justice de Valangin.

Le 27 je fut singulièrement peiné et contrarié d'une visite de Marval qui vint m'annoncer la détermination qu'il avait prise de refuser la place de président de la Cour d'Appel. Cependant je ne voulus pas suivre son exemple et je tins bon; ce dont au reste je fut bien récompensé, puisque dans sa séance du 31 le Grand Conseil lui donna pour remplaçant M. Dardel ancien lieutenant de Thielle et ancien greffier de la Cour d'Appel, ce qui était à tous égards un choix excellent.

Ce fut aussi pendant ce mois qu'eurent lieu les pourparlers entre les nouvelles autorités bourgeoisiales et la direction de la maison des orphelins, pourparlers tendant à fixer les rapports qui devaient exister entre ces deux autorités. La direction ne voulant rien lâcher de ce qu'elle estimait être ses droits, elle fut mise complètement de côté et ce fut le Conseil administratif qui se mit en son lieu et place en la personne d'un de ses membres

Le 28 nous avions rendu les derniers devoirs à monsieur Jean H. L'Hardy, ancien procureur de ville, bon administrateur mais encore meilleur gastronome chez lequel j'avais fait de gais et excellents dîners.

septembre 1848

Le mois de septembre fut pour moi excessivement chargé d'occupations à cause du comité d'Impôts qui siégeait tous les jours. Il y eut d'abord à boucler le registre des déclarations, ce qui se fit le 8, puis à percevoir le premier terme, ce qui fut terminé le 25. Relativement à la première opération voici ce que je trouve dans mon livre de notes à la date ci-dessus:

"Neuchâtel et sa banlieue ont indiqué comme fortune 45'600'000 livres de Neuchâtel, ce qui produit £ 32'200 et faisant en moyenne 7 1/14 o/oo. Il est à remarquer que les imposés à 1 o/oo seulement ne donnèrent que £ 770 environ. Il est encore à remarquer que maintenant [Il ne faut pas perdre de vue que dans ce moment le président Pourtalès était mort et que les fonds publics, ainsi que les immeubles, avaient perdu beaucoup de leur valeur] il n'y a personne à Neuchâtel possédant un million de livres de Neuchâtel. 4 ou 5 particuliers seulement vont au million de francs de France. L'industrie ne rapporte que près de £ 10'000. Les dons volontaires s'élèvent à £ 700. En un mot Neuchâtel versera à l'impôt £ 333'000 et quelques cents livres. Ce qu'il y a de positif c'est que si dans tout le pays on avait mis autant de bonne foi dans les indications qu'à Neuchâtel, il y aurait amplement de quoi payer la dette, mais je crains bien que cela ne soit pas le cas. Il est bon de noter encore que nous avons eu 1205 indications de fortune de £ 1000 et au-dessus et 410 d'industrie d'un rapport moyen de £ 1000 et au-dessus. [Tous les contribuables à l'exception d'un seul (M. de Perregaux qui fut taxé) avaient fait une déclaration] Après le versement du premier terme, les livres furent scellés et déposés chez moi en qualité de président.

Le 29 eut lieu l'installation de la Cour d'Appel. Indépendamment des fonctions de juge, j'y remplissait celle de président de chambre des appels correctionnels.

Nos deux neveux Rodolphe et Albert de Stürler, officiers au service de Naples, firent partie de l'expédition de Sicile, ce qui nous donna de grandes inquiétudes. Grâce à Dieu, ils s'en tirèrent sain et sauf l'un et l'autre.

faits divers Le 12 septembre fut mise en vigueur la nouvelle constitution fédérale; à cette occasion il y eut une fête au mail à laquelle on ne prit guère part, sauf la société Patriotique et le gouvernement qui fit tirer 101 coups de canon.

Le même jour dans la matinée, l'ancien comité de Charité tint sa dernière séance chez M. Berthoud-Coulon. Dans l'après-midi la nouvelle Chambre, dont je faisais aussi partie, se réunit pour la première fois.

Le 18: incendie de 35 à 40 maisons à Anet.
Le 19: incendie aux Brenets. Le village y passe presque en entier.
Le 28: annonce du mariage du Dr. Anker de St. Blaise avec mademoiselle Charlotte Dardel
Le 30: je me rendis à la Chaux-de-Fonds en compagnie de plusieurs personnes pour rendre les derniers devoirs au trésorier Challandes, qui avait été longtemps maire de la Chaux-de-Fonds, membre du souverain tribunal. J'avais soutenu avec lui les relations les plus amicales pendant un sertain nombre d'années.

octobre 1848

Comme président du Cercle de Lecture, j'avais à coeur de faire prospérer cette société. Ayant réuni le comité le 5, je proposai à cet effet deux mesures importantes qui ne furent suivies d'aucun résultat. La première était l'acquisition de la maison Robert en face du Gymnase, dont neuf membres du Cercle seraient devenus propriétaires à leur périls et risques, jusqu'à la réunion de l'assemblée générale. La seconde de faire des démarches auprès de quelques membres de la Société du Jardin pour arriver à une fusion. L'acquisition de la maison Robert n'eut pas lieu parce que M. Bovet d'Areuse s'en rendit adjudicataire à un prix bien supérieur à celui que nous avions décidé d'y mettre. La fusion ne fut pas prise en considération essentiellement parce que les deux sociétés, quoique composées presqu'uniquement de conservateurs, offraient cependant des éléments trop hétérogènes. La principale opposition vint de la société du Jardin dont la vie était trop intime pour se recruter d'un si grand nombre de membres, dont beaucoup n'avaient ni les mêmes goûts ni les mêmes allures, et faut-il le dire, ni le ton de bonne société. Telles furent les raisons qui me furent données pour repousser mes ouvertures. Dans le moment même je fut assez contrarié de la chose, cependant, en y réfléchissant je dois convenir que les objections étaient fondées et qu'on aurait eu tord de la part de la société du Jardin d'accepter les propositions du cercle de lecture, d'autant plus que cela aurait certainement provoqué la retraite de bon nombre de membres et surtout des plus anciens.

A cette époque j'engageai ma soeur Rose qui depuis son veuvage continuait d'habiter la Rochette, à aller vivre avec ma mère qui était bien seule dans son grand logement sur la Place. Elle se rendit à mes raisons, quoiqu'à regret, et le changement ne tarda pas à s'effectuer.

Le 19: le justicier Lorimier de Villars vint me demander d'être le parrain d'un de ses enfants (une fille). J'aurais vivement désiré refuser, mais je n'osai pas, parce que dans le dernier dîner de la Cour de Justice que j'avais présidé, j'avais déclaré aux membres présents que je serais toujours heureux de leur être utile et agréable, si l'occasion s'en présentait. Or la première fois que l'un de ces messieurs me demandait un service, je ne pouvais pas me donner un démenti à moi-même. Heureusement que dès lors il n'est venu à l'idée d'aucun de mes anciens subordonnés de s'adresser à moi dans le même but ce qui m'eut mis dans un grand embarras.

Le 23 nous eûmes une séance administrative de la Cour d'appel dans laquelle nous adoptâmes définitivement le règlement intérieur de ce tribunal.

Les 25 et 26: séances de la commission de la Banque Cantonale dans laquelle on adopta les projets de statuts.

Le 26 je donnai ma démission de membre de la Chambre de Charité; je ne pouvais me mettre à la nouvelle manière de faire et surtout je ne pouvais pas supporter l'idée d'être présidé par un individu de la façon du citoyen Petitpierre Borel de Couvet dont on racontait des histoires assez scandaleuses.

faits divers Le premier octobre on vint me prévenir qu'à l'occasion des prochaines élections au Conseil National une scission commençait à s'opérer dans le sein du parti conservateur. Les uns voulaient y participer et les autres voulaient s'abstenir. C'est de là que provient le commencement de nos malheureuses divisions qui ont fini par la catastrophe de septembre 1856.

En effet lors des élections qui eurent lieu le 29 de ce mois, les conservateurs ne se présentèrent qu'au nombre de 180 dont je faisais partie. Bien est-il vrai que lors même que tous les conservateurs de la ville auraient porté présence, cela n'aurait rien changé au résultat général, mais si le même mot d'ordre n'avait pas été donné dans le haut du canton on ne peut pas prévoir ce qui serait arrivé et il aurait parfaitement pu se faire que les élections eussent tourné tout autrement. Mais cela n'entrait pas dans les décrets de la Providence.

Le 2 eut lieu l'installation des tribunaux criminels et civils, ainsi que l'assermentation des notaires et arpenteurs jurés. Ceux de ces deux dernières catégories, peu nombreux il est vrai, qui refusèrent de prêter serment au nouvel ordre de choses, furent révoqués de leurs fonctions.

Le 9: commencement des vendanges qui se firent par un temps assez pluvieux ce qui nuisit quelque peu à la qualité du vin, laquelle cependant fut loin d'être mauvaise.

novembre 1848

Depuis la révolution je n'avais pas cessé d'être capitaine en chef du Feu, mais ne pouvant rien obtenir du nouveau conseil de bourgeoisie, je réunis la commission le 8 et nous décidâmes à l'unanimité qu'un office serait adressé au conseil administratif pour lui annoncer que si dans un laps de temps assez court on ne faisait pas droit aux demandes diverses que nous avions formulées, nous nous considérerions comme démissionnaires.

Cet acte de vigueur produisit son effet. Le 11 nous reçûmes une réponse et nous reprîmes momentanément nos fonctions.

Le 25 je fus nommé avoyer de la compagnie des pêcheurs en remplacement de M. l'ancien maire de Neuchâtel Charles François de Perrot, démissionnaire. Bien est-il vrai que dans les pourparlers qui avaient eu lieu avant ma nomination, j'avais déclaré n'être prêt à accepter que si on supprimait le dîner annuel, dans lequel de toute ancienneté, on portait la santé du Roi. Voici comment cela se passait: on remplissait les coupes et on se les passait d'un convive à l'autre. Chaque personne tenant la coupe dans sa main droite disait avant de boire "Au Roi!", puis il buvait et en tendant le vase à son voisin il s'écriait "Vive le Roi!". Or comme la grande majorité des membres n'aurait pas voulu boire de la même manière à la santé de la république, le repas fut aboli et remplacé par une distribution d'argent, comme cela se passait déjà dans d'autres corporations.

Le 15: ma belle soeur de Stürler vient se mettre en pension chez nous avec sa fille Marie.

faits divers Dans la première quinzaine du mois on fit grand bruit d'une prétendue liste (je ne l'ai jamais vue) de quelques personnes qui se seraient engagées à ne se servir comme ouvriers ou à n'acheter que chez des royalistes. La rumeur fut grande dans le camp républicain. Au reste l'on ne tarda pas à se calmer, soit que la fameuse liste n'eût jamais existé, soit que les signataires (je crois que c'est le plus probable) eussent fait disparaitre cette pièce compromettante lorsqu'ils eurent pu juger de l'effet déplorable que produisait une pareille coalition.

Le 30: mort de M. Chatenay qui avait fait bâtir et habitait la maison, maintenant propriété d'une société d'actionnaires, et dont le rez-de-chaussée est occupé par le cercle de lecture.

décembre 1848

Le 6 décembre, jour de St. Nicolas, eut lieu comme d'ordinaire la réunion de la compagnie des pêcheurs. Il y fut décidé que le repas annuel serait aboli, malgré l'opposition d'un membre qui voulait les repas parce que, disait-il, on pouvait aussi bien boire à la santé de la république qu'à celle du Roi, que du reste, ajoutait-il, il savait bien que pour la généralité des assistants, boire à la première santé leur ferait mal à la gorge. La veille j'avais réuni chez moi le comité pour la vérification des comptes, et suivants l'antique usage de toutes les corporations, j'avais offert à souper aux membres qui la composaient. dès lors cet usage est complètement tombé en désuétude.

Le 11 nous commençâmes à nous réunir en Cour d'Appel.

Le 16: une députation de la compagnie des marchands se présenta chez moi dans l'après-midi pour m'annoncer que dans la réunion du matin, celle-ci m'avait nommé Roy et Prévot en remplacement du comte Louis de Pourtalès, décédé. Je fut très flatté de cette nomination à laquelle j'étais loin de m'attendre, puisque je n'étais pas dans les affaires et que j'avais pour concurrent des personnes bien plus capables et depuis bien plus longtemps que moi membre de la compagnie. Mais elle me fit surtout plaisir parce que c'était une preuve que mes concitoyens approuvaient ma ligne de conduite qui consistait à prendre part aux affaires du pays, ce dont je venais de donner une preuve en acceptant une place à la Cour d'Appel, ce dont plusieurs personnes haut placées me blâmaient assez ouvertement.

faits divers Les dissensions intestines ne devaient pas tarder à se manifester, ce qui était d'autant plus fâcheux que les actes qui les ravivèrent constamment à des époques plus ou moins rapprochées, présentaient deux inconvénients majeurs: Le premier de désunir toujours d'avantage le parti conservateur, composé cependant et en général d'hommes accoutumés à s'estimer et à se soutenir mutuellement, le second de donner au gouvernement radical le prétexte et l'occasion de peser toujours d'avantage sur ses ennemis politiques, prétendant (peut être pas toujours à tord) que chacun de ces actes avait pour but de renverser la république et de chercher à amener une restauration.

C'est ainsi que le 4 décembre eut lieu chez M. le doyen DuPasquier une réunion assez nombreuse, composée de membres du ministère de la ville et de plusieurs laïques, destinée à s'éclairer sur la conduite à tenir par nos conducteurs spirituels, en face de la position que leur faisait la nouvelle loi ecclésiastique. Quoiqu'on fut presque unanimes pour trouver qu'il fallait accepter les faits accomplis et que les pasteurs ne devaient pas abandonner leurs troupeaux. Cependant il se manifesta chez quelques-uns une divergence d'opinion qui amena à des résultats désastreux, ainsi que nous ne tarderons pas à le voir.

Le 9 parut la fameuse brochure de M. Frédéric de Rougemont sur la réconciliation des partis. Dès le lendemain des poursuites furent ordonnées contre l'imprimeur (la brochure était anonyme) mais l'auteur se dénonça lui-même. De là procès de presse ensuite duquel il fut condamné à la prison et à l'amende. M. de Rougemont ne voulant pas se soumettre au jugement, force lui fut de s'exiler et son exil dura jusqu'au traité de Paris de mai 1857.

Dans un autre ordre de faits, j'ai à noter ici que le 27 décembre eut lieu l'inauguration de la maison de santé de Préfargier, qui ne tarda pas à acquérir une réputation justement méritée, réputation qui, à l'heure qu'il est, lui amène un si grand nombre de demandes d'admission de malades que la direction est souvent obligée de répondre par des refus, faute de place.

1849

Le 6 janvier, jour des rois, je présidai pour la première fois l'assemblée annuelle de la compagnie des marchands.

Nous eûmes une très longue session de la Cour d'Appel ce qui me donna énormément d'occupation, car indépendamment des séances et des examens des causes, j'étais toujours président de la chambre des appels correctionnels et qu'indépendamment je remplissais les fonctions de membre de la chambre des mises en accusation en remplacement d'un de mes collègues M. Albert Huguenin, domicilié à Hauterive, qui ne tarda pas à succomber et auquel nous rendîmes les derniers devoirs le 28 janvier. J'étais un des porteurs des coins du drap.

A cette époque recommencèrent les tribulation des royalistes ou des conservateurs, comme on voudra les appeler. Voici à quelle occasion: Le 21 janvier eurent lieu les élections des pasteurs, des membres du colloque et des anciens. Tous les pasteurs furent réélus, mais comme on le prévoyait, M. Guillebert refusa sa nomination. L'assemblée électorale avait été assez longue et tumultueuse et les paroissiens étaient passablement exités lorsque le préfet leva la séance. Néanmoins quelques personnes eurent la malheureuse idée d'engager les électeurs conservateurs à se rendre au domicile de M. Guillebert (il logeait alors à la Basse Terrasse) pour le supplier de revenir sur sa détermination. Un grand nombre d'électeurs eurent l'idée plus malheureuse encore de se joindre au cortège, de sorte que la Basse Terrasse fut réellement remplie de monde, ce qui fit croire au château pendant un instant qu'on voulait se rendre maître du siège du Gouvernement. Grande fut donc au château la crainte réelle ou feinte d'une tentative de contre-révolution. Néanmoins M. Guillebert, ainsi qu'on pouvait s'y attendre, persista dans son refus et les électeurs se retirèrent assez paisiblement.

Cependant l'agitation continuait: la nuit du 21 au 22 fut loin d'être tranquille. Toutefois comme la Cour d'Appel siégeait encore, je me rendis au château comme à l'ordinaire, et le tribunal prit séance.

Il parait que l'agitation de Neuchâtel s'était communiquée à plusieurs parties du canton. Je n'ai jamais su au juste en quoi cela consistait, mais le fait est que le conseil d'Etat prit peur, ce qui donna lieu à des mesures plus ou moins arbitraires et vexatoires dont le détail se trouve dans les notes No. 4 aux dates des 22 au 31 janvier inclusivement.

février 1849

Ainsi qu'on l'a vu si on s'est donné la peine de lire les pages indiquées dans le livre des notes, je m'étais employé auprès de plusieurs membres du Conseil d'Etat pour adoucir autant que possible certaines mesures de rigueur qui avaient frappé un assez grand nombre de personnes. Ma position officielle me permettait ces démarches et la circonstance que la Cour d'Appel était en session, me facilitait singulièrement la tâche que j'avais entreprise.

Cependant les mesures vexatoires et anticonstitutionnelles se prolongèrent encore dans les premiers jours de février.

Comme le conseiller d'Etat Dr. Georges DuBois logeait dans la maison Stoll en face de chez moi, c'est à lui que j'adressais ordinairement mes doléances et à cet effet je me rendais chez lui tard dans la soirée, par trois motifs:

  1. Parce que c'était le moment où j'étais le plus sûr de le trouver
  2. Parce que, prétendant qu'il était espionné et craignant que la fréquence de mes visites ne donnât de l'ombrage au parti républicain, il m'avait prié de se rendre à son domicile que lorsqu'il ferait nuit.
  3. et enfin c'est que je ne me souciais pas beaucoup pour moi-même que l'on sût que je soutenais des relations avec lui, ce qui n'empêcha pas que je fusse reconnu un soir par un de mes voisins, dont l'occupation habituelle était de rôder jour et nuit autour de sa maison, je ne sais dans quel but.
Quoi qu'il en soit je fus aperçu et le voisin crut me reconnaître. De là des commérages plus ou moins à mon avantage, dont je fus prévenu par mon ami Alfred Berthoud-Coulon, auquel je racontai alors quel était le but de mes visites en le priant, s'il entendait parler plus outre de cette affaire, de bien vouloir dire ouvertement ce qui en était.

Le 15 février, ma chère fille Elisabeth, alors âgée de 6 ans, pris sa première leçon d'écriture avec M. Grand, instituteur au collège.
Le 25 février eut lieu la mort de notre excellente tante Babette de
Tribolet-Meuron, à l'âge de 92 ans. Nous lui rendîmes les derniers devoirs le 28. Comme depuis la mort de mon oncle Meuron, elle m'avait chargé de ses affaires et qu'elle m'avait confié son testament, j'en fis la lecture au retour du cimetière et ce fut alors que j'appris ce qu'elle ne m'avait jamais dit: que j'étais son exécuteur testamentaire. Je confiai alors les nombreux détails de sa succession au notaire Alphonse Henri Clerc et je ne conservai qu'une surveillance générale et cependant journalière.

faits divers Le 15 février eut lieu, sans ma présidence, une assemblée générale du Cercle de Lecture. Il y fut décidé, à l'unanimité des membres présents, que, quoique les jeux en général fussent prohibés dans cette société, cependant on ferait construire un billard pour l'agrément de ses membres. Quelques années auparavant la proposition en avait déjà été faite, mais on avait dû reculer devant l'opposition d'un assez grand nombre de membres. Autres temps autres moeurs!! Au reste on n'a pas eu lieu de se repentir de cette détermination, au contraire.

Le 18 eut lieu une fête patriotique parce qu'il était nécessaire et urgent de raviver les sentiments républicains. Il y eut un grand banquet à la salle des concerts, ce qui me valut dès le lendemain un office du préfet en ma qualité de président de la société des actionnaires. Voici à quel sujet: Lorsqu'il y a maintes années et après la domination du Prince Berthier, la salle fut restaurée à l'occasion, si je ne me trompe, d'une visite du Prince Royal de Prusse à Neuchâtel, on avait peint en guise de décoration des chiffres du Roi et des Aigles prussiennes. Or c'est ces insignes qu'il s'agissait de faire disparaître. Je fis immédiatement convoquer les actionnaires qui trouvant avec raison que la salle des Concerts devait être envisagée comme un lieu public, me donnèrent l'ordre d'obtempérer aux ordres du préfet, ce qui eut lieu au bout de quelques jours.

Cependant les événements de janvier et du commencement de février avaient fait penser à quelques personnes que ce serait peut-être le moment de s'adresser au Roi pour qu'il voulut bien régulariser notre position. Mon beau-frère Tribolet vint m'en parler sérieusement et nous nous distribuâmes une liste de certaines personnes pour sonder le terrain et aviser, cas échéant, à des démarches sérieuses pour tirer notre pauvre pays du pétrin dans lequel il pataugeait. Je me chargeai de parler à M. Calame, lequel, à son tour, ayant consulté monsieur l'ancien président de Chambrier, son conseiller habituel, déconseilla fortement de faire aucune espèce de démarche, de sorte que le projet tomba dans l'eau. Hélas! à cette époque ces messieurs se flattaient encore d'une restauration, et cependant quels maux n'aurait-on pas évité au pays si alors on avait pris l'initiative. Mais contre l'avis de ces messieurs on ne pouvait rien faire, car qui eut consenti (désapprouvé par ces deux respectable anciens magistrats) à s'attacher le grelot?

mars-avril-mai 1849

Du 19 au 24 mars nous eûmes les dernières séances du comité de l'Impôt, pour percevoir le troisième et dernier tiers. Heureux je fus d'en terminer avec cette corvée.

Du 2 au 7 avril: session de la Cour d'Appel.

Depuis quelques temps déjà plusieurs personnes avaient formé le projet de constituer une société industrielle neuchâteloise. Le 17 avril ce comité de Neuchâtel se constitua aussi et j'en fus nommé président. Il est bon de remarquer ici que cette société n'a jamais battu que d'une aile et qu'elle s'est dissoute au bout de peu de mois, faute d'aliment et eu égard du fort peu d'empressement de nos chers compatriotes pour coopérer à cette oeuvre soit par leur argent, soit par leurs lumières.

Madame de Wesdehlen qui devait aller à Turin faire visite à sa soeur de Robilant, et son mari ne se souciant pas de l'accompagner, demanda à ma femme si elle ne voyait pas d'inconvénient à ce que je l'accompagnasse et si j'y consentirait. Ne demandant pas mieux que de faire ce voyage, je répondis immédiatement d'une manière affirmative et nous partîmes le 27 avril pour être de retour le 5 mai (voir pour les détails au livre à serrure à cette date).

Enfin pour terminer ce qui me concerne pendant ce trimestre, je mentionnerai encore un petit voyage que nous fîmes en famille à Zurich pour voir notre fils Georges. Ce voyage dura du 11 au 22 mai.

faits divers Le 1 mars la Patriotique célébra avec grand fracas l'anniversaire de la Révolution. Il va sans dire que quoique membre de la Cour d'Appel je n'y pris aucune part.

Le 12 on procéda à l'assermentation des pasteurs, des membres du colloque et des anciens. Tout se serait fort bien passé, si plusieurs des anciens n'avaient pas refusé de prêter serment. On verra à cette date quelques observations sur ce refus.

Le 13 eut lieu la mort de madame Louise de Sandoz-Rollin, née Pourtalès et le 9 avril celle de mon ancien lieutenant M. Gaberel, dont je fus l'un des porteurs des coins du drap.

juin-juillet-août 1849

Du 4 au 9 juin nous eûmes une session de la Cour d'Appel, après laquelle je partis pour les bains de Schinznach où le docteur Castella m'envoya faire cette cure. Je fus de retour à Neuchâtel le 10 juillet. Je n'ai pas consigné dans les notes prises alors une circonstance dont cependant je me rappelle fort bien et qui ne manque pas d'importance. C'est que la Suisse était si peu en état de s'opposer à l'entrée des troupes prussiennes si le Roi avait voulu alors revendiquer la Principauté, que le propriétaire des Bains vint un jour me parler fort sérieusement de l'embarras dans lequel il allait se trouver avec une maison plus que pleine de pensionnaires, s'il lui fallait encore loger et nourrir des prussiens, car il était convaincu que dans très peu de jours il en aurait une garnison. Je le rassurai de mon mieux et l'événement a prouvé que je ne m'étais pas trompé. Cependant le fait est que si le Roi avait voulu et s'il avait été maître de ses mouvements, il aurait pu, dans ce moment-là, reprendre son bien sans aucune résistance, ou tout au moins sans résistance quelque peu sérieuse. Mais déjà alors la France considérait la Révolution de Neuchâtel comme un fait accompli et ne voulait pas permettre à la Prusse de compliquer encore la situation de l'Europe, qui était déjà assez embrouillée.

Le 22 juillet, j'allai à pied à la Borcarderie. Je ne mentionnerais pas ce fait si ma fille Elisabeth ne m'avait pas accompagné. Elle avait alors 6 1/2 ans

Le 25 juillet j'assistai à la dernière séance de la Direction de la maison des Orphelins. Le même jour j'appris que j'étais nommé de la nouvelle administration de cet établissement de charité, mais après avoir consulté quelques personnes, je me décidai dès le lendemain à refuser, ce qui entrait d'ailleurs parfaitement dans mes idées.

Du 6 au 11 août nous eûmes la session règlementaire de la Cour d'Appel.
Le 13 je terminai, en ce qui me concernait, avec le notaire A.H. Clerc, les opérations de la succession de tante
Babette.

Le 14 une délégation de l'ancienne direction de la maison des orphelins, dont je faisait partie, remit à la nouvelle les comptes de cet établissement.

Le 18 j'appris par une lettre de mon ami Fritz Marcuard de Berne que mon pupille Maurice de Luze était non seulement mort, mais déjà enterré. Or comme mes fonctions de curateur m'obligeaient de prendre certaines mesures pour sa succession, je partis subitement pour Berne où en deux jours je réglai tout ce qui concernait les effets qu'il avait à Berne et les comptes du Dr. Diehaus.

A cette époque j'avais une disposition à l'humeur dues à différentes causes, qui devaient me rendre si ce n'est insupportable, au moins très pénible à mes alentours. Je dus alors faire un sérieux retour sur moi-même pour combattre cette malheureuse tendance. J'y suis parvenu, mais à la longue et à force de prières.

A la fin de juillet ma chère Sophie fut assez gravement malade pour me donner de l'inquiétude pendant quelques jours. Toutefois elle se remit, mais j'ai lieu de croire que c'était la première phase de la maladie qui devait l'emporter deux ans plus tard.

Le 8 juin eut lieu sur la place d'armes d'Engollon une réunion de la Bourgeoisie de Valangin. A cette époque le sentiment bourgeoisial était encore vivant. Aussi le parti Républicain et gouvernemental y fit-il assez triste figure et les conservateurs remportèrent les honneurs de la journée. C'est fort probablement ce succès qui, trois ans plus tard, donna l'idée à quelques cerveaux brûlés de profiter de cette cérémonie pour opérer une contre-révolution. Mais n'anticipons pas.

Le parti républicains avait encore besoin à cette époque de manifestations bruyantes pour faire entrer petit à petit ses idées dans la masse du peuple. Aussi fut-il décidé que l'on aurait à Neuchâtel un tir cantonal, où seraient convoqués, à grands coups de réclame, nos confédérés d'un grand nombre de cantons et spécialement des cantons voisins. A cet effet on se mit à construire au mail un énorme stand avec tous les accessoires et le tir, qui commença le 10 juin, dura toute la semaine. Comme j'étais absent je ne puis entrer dans aucun détail sur ce qui s'y passa et je renvoie aux journaux de l'époque. Ce que je dois pourtant ajouter c'est que devant faire la cure dont j'ai parlé, j'avais exprès choisit ce moment pour me rendre à Schinznach car rien ne m'attristait autant que ces fêtes radicales.

Cependant les résultats obtenus à la Bourgeoisie de Valangin avaient ranimé les idées de restauration chez un certain nombre de personnes et le bruit courut vers le milieu du mois de juillet que le Roi s'occupait activement de nos affaires. Je note ici dans l'intention de n'y plus revenir que pour maintenir les royaliste en haleine, on faisait courir des bruits de pareille nature à des époques indéterminées et toujours assez rapprochées, et que cette tactique fut suivie toujours très régulièrement jusqu'à la catastrophe du 3 septembre 1856.

Le 28 juillet j'appris d'une manière positive que le ministère prussien avait décidé de ne pas s'occuper activement de Neuchâtel, au moins pour le moment. Quel coup pour les noirs qui avaient promis à leurs adeptes une restauration prochaine et en tous cas pour la fin du mois d'août! Une circonstance importante vint corroborer l'affirmation ci-dessus et mettre le sceau à leur désappointement, c'est le rappel de M. de Sydow, ambassadeur de Prusse en Suisse, qui était l'âme des idées de restauration et qui avait à cet effet des communications fréquentes et par trop patentes avec le cabinet noir. Il fut remplacé par M. de Wildenbruck, qui arriva à Berne peu après son départ. Ce changement si brusque et si inopiné répandit beaucoup d'inquiétudes dans le camp royaliste; aussi les mesures furent prises pour circonvenir sans délai le nouvel ambassadeur, lequel, dès le 29 août, fut convié à Greng avec le cabinet noir et quelques tenants et aboutissants. Comme je n'étais pas du nombre, et pour cause, je n'ai jamais sut ce qui s'était passé dans cette journée. Lentement j'ai lieu de croire que messieurs de Neuchâtel revinrent assez peu satisfaits, mais comme il fallait en retenir le zèle on fit courir le bruit que les nouvelles apportées par M. de Wildenbruck étaient satisfaisantes, que lentement il fallait prendre patience, etc, etc.

Le 19 août avaient lieu dans tout le canton les élections au synode. A Neuchâtel elles furent exclusivement dans le sens conservateur. Je n'y pris pas part, puisque j'étais retenu à Berne par les affaires de Maurice de Luze

septembre-décembre 1849

Le 6 septembre j'assistai comme délégué du comité de l'Impôt, avec le pharmacien Humbert-Droz à la destruction des registres, qui eut lieu au château. Opération dont il fut dressé procès-verbal. C'est ici le lieu d'affirmer que, à Neuchâtel du moins, le secret le plus inviolable a été gardé, ce que je puis d'autant plus affirmer que jamais les registres ne sont sortis de mes mains, et que chaque fois que le comité n'en avait pas besoin, ils étaient mis sous scellés et restaient en dépôt chez moi.

C'est à cette époque (le 8 septembre) que mon oncle Coulon me fit part de sa résolution de demander son congé de directeur de la Caisse d'Epargne, en me demandant si je ne voudrais point consentir à ce qu'il me proposât à la direction pour le remplacer. Cette ouverture me mit dans une véritable perplexité. D'un côté je ne me sentais ni les forces ni les capacités nécessaires pour remplacer l'homme éminent, qui pendant 35 ans de sa vie, avait tout sacrifié pour l'établissement de la Caisse d'Epargne (car il en était le fondateur) et pour la faire marcher convenablement je craignais la méfiance du public qui savait parfaitement ce qu'il allait perdre, sans prévoir comment cette perte allait être réparée. Je savais enfin que le président de la direction, M. de Sandoz-Rollin, verrait ce changement d'un fort mauvais oeil, et j'avais lieu de croire que jamais il ne consentirait à conserver la présidence si je devenais directeur, attendu que depuis longtemps déjà il me témoignait un grand éloignement. D'un autre côté je désirais ardemment avoir un prétexte pour quitter la Cour d'Appel, dont les allures ne me convenaient pas et abandonner complètement la carrière politique ou administrative qui ne me procurait que des désagréments puisque, aux yeux de certaines personnes j'étais trop républicain, tandis que j'étais trop royaliste ou conservateur pour le parti gouvernemental. Je pensais aussi qu'en acceptant l'offre qui m'était faite, je pourrais consacrer le reste de ma vie à être utile à mon pays et cela d'une manière complètement gratuite. Enfin mes amis et le public n'auraient plus d'occasions aussi directe (je le croyais alors) de s'occuper de mes faits et gestes politiquement parlant. Je me décidai donc à dire oui, mais après avoir encore consulté à ce sujet plusieurs de mes amis, qui m'approuvèrent complètement dans ma détermination. Cependant mes craintes n'étaient pas sans fondement et M. de Sandoz prit fort mal la communication que mon oncle lui fit, quelques jours plus tard, de ce qui s'était passé entre lui et moi. Il lui déclara que s'il ne conservait pas sa place de directeur, lui donnerait sa démission de président. Sur quoi, après maint pourparlers mon oncle obtint de M. Sandoz qu'il resterait président, si on ne se bornait qu'à me nommer directeur adjoint.

Néanmoins la direction fut réunie le 8 novembre. M. de Sandoz ne jugea pas convenable d'y assister et envoya même sa démission, ce qui facilita les affaires. Mon oncle fut nommé président et on me confia la place de directeur, en même temps qu'on pria M. de Sandoz de rester président honoraire. Une députation fut chargée de se rendre à Beauregard pour faire part à M. de Sandoz de ce qui s'était passé et pour me présenter à lui en ma nouvelle qualité. Mon oncle, M. DuBois Bovet et moi, fûmes chargés de cette mission. Dans l'après-midi du même jour nous nous acquittâmes de notre tâche, mais M. de Sandoz, prétextant une indisposition, ne voulut pas nous voir et nous ne fûmes reçus que par Madame qui se chargea de transmettre à son mari les communications que nous avions à lui faire.

C'est ainsi que je devint directeur de la Caisse d'Epargne.

Le 18 septembre il y eut à Cormondrèche un grand dîner que M. le président de Chambrier offrit, dans le but évident de tenter un rapprochement entre le cabinet noir ou les royaliste quand même, avec ceux qui avant le Roi ne prenaient en considération que l'avenir du pays. On verra par la suite comment il réussit dans sa tentative, mais ce que je puis consigner ici, c'est que l'essai n'a jamais été renouvelé.

Le 29 septembre j'eus un grand crève-coeur, d'autant plus poignant que ce qui va suivre n'était que le commencement du refroidissement qui s'est opéré dès lors entre Fritz Pourtalès et moi à l'occasion de notre manière différente de voir en politique. Il passa deux jours à Neuchâtel et ne passa pas à la maison, ce qui ne lui était jamais arrivé avant. Bien il est vrai que je n'aurais pas du trouver cette manière de faire bien extraordinaire de sa part, car je savais à n'en pouvoir douter que sa femme m'en voulait beaucoup (elle me l'avait écrit) d'avoir accepté des fonctions du gouvernement de la République. Or ce que femme veut.....

Le 1 octobre j'assistai pour la dernière fois à la Cour d'Appel en qualité de juge, attendu que le jour même de ma nomination à la direction de la Caisse d'Epargne je donnai ma démission et qu'entre le 10 octobre et le 8 novembre il n'y eut aucune réunion du tribunal.

Le 1 novembre je présidai le comité du cercle de lecture. Un jeune Bachelin (peintre actuellement) alors étudiant, était présenté pour obtenir les entrées de la société, conformément au règlement. Il était fils du menuisier Bachelin, grand républicain et directeur des Travaux Publics de la Bourgeoisie. Le règlement alors en vigueur exigeait que pour qu'un étudiant pût fréquenter le cercle, il réunit les voix de l'unanimité des membres présents au comité. Deux membres s'opposèrent à sa réception de sorte qu'il fut exclu. Cette décision me froissa parce que je ne pouvais pas admettre que l'on fit supporter au fils les conséquences des opinions de son père et que le jeune homme était d'ailleurs dépeint comme studieux et ne désirant fréquenter le cercle que pour profiter des ressources scientifiques et littéraires qu'il pourrait lui procurer. Après mûres réflexions je me décidai à donner ma démission de président du cercle pour les motifs qui sont consignés dans une lettre que j'adressai le 3 novembre au vice-président. Le vice-président réunit le comité pour lui donner connaissance de ma lettre et le résultat de cette convocation fut la réception de Bachelin, et une députation du comité, que je reçu le 23 novembre, ensuite de laquelle je retirai provisoirement ma démission.

Le 9 novembre je donnai ma démission d'avoyer de la compagnie des pêcheurs.

Le 11 j'allai à Jolimont avec Louis de Pourtalès chez Guillaume qui y passait l'hiver. Dans ce temps-là Guillaume me blâmait aussi d'avoir accepté des fonctions sous la république et il partageait l'opinion de ceux qui trouvaient que les honnêtes gens ne devaient se mêler en rien de cette pétaudière parce que plus les affaires iraient mal, mieux cela vaudrait, attendu que le peuple mécontent finirait par redemander le Roi à grands cris ! L'avenir a montré quelle était la valeur de cette opinion. Au reste je crois que Guillaume n'a pas attendu le mois de septembre 1856 pour modifier considérablement sa manière de voir à cet égard. Mais alors il était sous l'impression de tout ce qu'il avait entendu au fameux dîner offert à Greng à Wildenbruck.

Du 15 au 21 je fis un séjour à Concise chez mon beau-frère DuPasquier. J'en profitai pour faire nombre de visites et de courses dans les environs.

Le 1 décembre les anciens conseillers d'Etat, à l'exception de M. Delachaux, reçurent du Roi une grande médaille en or, accompagnée d'une lettre en date du 15 octobre, comme témoignage de satisfaction de S.M. pour la fidélité dont ils avaient donné tant de preuves, et dont ils avaient été punis par la république au moyen d'une détention de six semaines. Le contenu de la lettre n'a jamais été connu du public. Je crois avoir deviné le secret de cette non-publicité. D'abord après sa réception, on en fis des gorges chaudes et on annonça très haut que la restauration était proche et que jamais le Roi, ni le Prince de Prusse n'abandonneraient la principauté. Or quelques jours après j'appris qu'en effet le Roi s'exprimait dans ces termes, mais je sais aussi que dans sa lettre se trouvait cette phrase malencontreuse: "mais que l'époque ne peut être déterminée". De là un silence assez significatif, ce me semble.

On a vu par ce qui précède que M. Delachaux avait été omis dans la distribution de la médaille et cela eu égard essentiellement à ce qu'il n'avait pas partagé la détention de ses collègues. Je fus excessivement peiné de cette exception et j'appris en même temps de source certaine que cela faisait en général un très mauvais effet, surtout dans la bourgeoisie de Valangin. Je crus devoir dans cette occasion me mettre en avant et faire mon possible pour que cette injustice fut réparée, parce que, je crois l'avoir déjà dit à l'occasion des événements de 1848, je savais que si M. Delachaux n'avait pas été incarcéré, ce n'était nullement sa faute, et que si on ne voulait pas aliéner au Roi une bonne partie de la population, il fallait avoir quelques égards pour un homme qui, naguère encore, avait été le plus ferme soutien de la bourgeoisie de Valangin. Je fis donc toute espèce de démarches. J'écrivai à M. de Pourtalès de Greng, je m'approchai de M. Calame, puis sur son conseil de M. de Chambrier, auxquels je représentai l'effet déplorable que faisait l'exception. Ces messieurs parurent m'écouter avec attention, sans me dire cependant quel était le fond de leurs pensées. Mais le fait (je ne sais si je dois m'en attribuer le mérite) que peu de semaines après, M. Delachaux reçut la médaille, avec une lettre du Roi que je transcris ici parce que M. Delachaux me l'a communiquée sans le sceau du secret et que j'ai lieu de croire que fort peu de personnes en ont eu connaissance.

Avant cette transcription je dois ajouter encore que comme protestation, M. Delachaux avait été, le 16 décembre, élu au Grand Conseil par le collège de la Côte-aux-Fées, collège éminemment royaliste et cependant ne comptant dans son sein que peu ou point de bourgeois de Valangin.

Lettre à M. de Chambrier:

Monsieur le baron
ayant appris que c'est sans sa faute qu'un des membres du conseil d'Etat de ma Principauté, M. Delachaux a été exclu de la captivité de ses collègues et qu'il a même en vain réclamé d'y prendre part, je vous fait parvenir ci-joint pour ce digne fonctionnaire la même distinction que, le 15 octobre dernier, j'ai conférée aux conseillers d'Etat emprisonnés le 2 mars 1848. En la lui remettant, exprimez-lui aussi tout le plaisir que m'a fait éprouver la manifestation courageuse de la fidélité des bourgeois de Valangin qui, sous son habile direction, a eu lieu sur la place d'armes d'Engollon
signé Frédéric Guillaume
Charlottenburg 31 janvier 1850

Faits divers Le 5 octobre commencèrent les vendanges
Le 19 décembre fondation de la maison de banque Sandoz-Morel, qui ne tarda pas à s'associer Georges Berthoud-DuPasquier

Pendant les trois derniers mois de l'année les bruits de restauration prochaine allaient leur train comme à l'ordinaire.

C'est ainsi que le 6 octobre Leo Roulet, arrivant d'Allemagne, disait qu'il avait vu le Prince de Prusse l'avant-veille, que le Prince lui avait donné bonne espérance, mais qu'il avait eu soin d'ajouter: "Il faut attendre et être sage". C'est ainsi encore que le 22 on annonçait, comme venant de M. Wildenbruck, la nouvelle que M. de Sydow reviendrait dans les dix jours, porteur de l'ultimatum du Roi. Il ne sache pas qu'il soit revenu.

C'est ainsi enfin que le 25 décembre on parlait beaucoup d'une lettre de l'ex-chancelier Favarger à Madame de Pourtalès Castellane, lettre remplie des espérances les plus sanguines.

Quoiqu'il en soit ces rumeurs sans cesse renaissantes donnaient lieu à des désordres. Le 15 octobre, jour de la fête du Roi, il y eut quelques cris à l'Auberge du Cerf (elle appartenait à Madame de Perregaux). Les républicains s'ameutèrent et menacèrent cette auberge d'une invasion violente. Ils ne se calmèrent que lorsque le préfet ou plutôt le commissaire de police Ch.J. Matthey, leur eut promis que dès le lendemain l'enseigne serait enlevée, ce qui eut lieu en effet de la manière la plus brutale et la plus arbitraire, contre tout droit et toute justice.

Le 13 novembre, jour de la fête de la Reine, il y eut aussi des désordres à la Sagne, désordres qui motivèrent l'occupation momentanée de cette commune par un certain nombre de compagnies du contingent.

janvier-avril 1850

Au commencement de cette année, ma mère fit un séjour à Greng, ce qui lui arrivait assez souvent. Elle voyait avec peine que mes relations avec les Pourtalès n'étaient plus aussi intimes qu'autrefois, et elle désirait ardemment les rétablir sur un pied amical. Dans ce but, elle me pria d'aller la chercher. Cédant à ses sollicitations, quoique je ne m'en souciasse pas beaucoup, je pris mon grand parti et le 18 février je m'acheminais. Je fus reçu cordialement, ce serait mal de dire le contraire, mais en partant on se garda bien de me dire au revoir. Une fois en voiture je demandai à ma mère si elle ne s'était pas aperçu de cette circonstance. Elle en convint et en paru contrariée. Pour ce qui me concerne et comme je m'attendais parfaitement à ce qui était arrivé, je pris la résolution de ne plus retourner à Greng sans invitation et je crois que j'ai bien fait.

du 4 au 9 mars je fis une petite excursion à Zurich dans le but de chercher Georges qui dès ce moment resta avec nous jusqu'à son départ pour l'université.

Le 2 avril je fis l'acquisition de la montagne Pourtalès à la Joux-du-Plâne. Comme elle était enclavée entre deux domaines que je possédais déjà du chef de ma femme, je considérai l'affaire comme bonne et comme devant donner une valeur considérable à l'ensemble. La suite a prouvé que je ne m'étais pas trompé, car il y a deux ans que j'ai revendu cette propriété pour compte de mes enfants et à un prix bien supérieur à celui que j'avais payé soit par achat, soit en partage d'hoirie.

Vers le milieu du mois d'avril je sentis la convenance qu'il y aurait à ce que je fisse un voyage dans l'intérêt de la Caisse d'Epargne dans le but de m'assurer que ses intérêts étaient convenablement soignés dans les département français limitrophes, par nos deux notaires messieurs Farine à Champagnole et Bourquard au Russy. C'est le 15 que je partis en compagnie de M. Maret, Procureur de la Caisse d'Epargne. Les détails de cette course sont consignés dans le livre à serrure, en sorte que je n'y reviendrai pas ici.

Notre chère fille Elisabeth fut assez malade la seconde quinzaine de janvier et la première de février. Comme il régnait à cette époque une épidémie assez violente de fièvre typhoïde, cela ne laissa pas que de nous donner passablement d'inquiétude, car Elisabeth était certainement sous l'influence de cette terrible maladie, mais grâce à Dieu nous en fûmes quittes pour la peur et dès le milieu du mois de février notre enfant était de nouveau en parfaite santé.

Le 18 mars nous eûmes le chagrin de voir partir Bertha d'Orelli qui avait été chez nous en change de Georges, qui avait été chez son père.

faits divers Le 8 janvier, par un froid de plusieurs degrés en-dessous de zéro et par une bise assez violente, eut lieu dans la soirée l'incendie de la caserne, située au haut des Terreaux. Cette caserne dont l'intérieur était entièrement construit en bois et qui avait été occupée par la garde soldée jusqu'au 1 mars 1848 était alors le repaire de réfugiés polonais que l'on avait parqués dans différentes parties de la Suisse. Ce fut par leur négligence que le feu se manifesta et il est véritablement providentiel que par le temps qu'il faisait la totalité des rues des Chavannes et du Neubourg, peut-être encore une bonne partie de la rue des Moulins n'y ait pas passé! Les tisons enflammés étaient portés à de grandes distances et dans le commencement surtout le service était tellement mal organisé que l'on fut bien longtemps avant de combattre le feu d'une manière efficace. Notre population n'était pas encore faite à nos nouvelles autorités qu'elle connaissait à peine, et ce ne fut que lorsque les anciens se mirent à donner des directions que l'on parvint à mettre un peu d'ordre dans cette population bien disposée mais mal dirigée. Pour n'en donner qu'un seul exemple, j'ai vu de mes yeux le conseiller d'Etat Steck, d'abord méconnu, puis insulté, puis accompagné de plusieurs gendarmes pour faire respecter son autorité, et enfin forcé de se retirer, voyant que décidemment personne ne voulait lui obéir. Autour de 3 à 4 heures on était maître du feu et tout danger avait cessé puisque l'incendie étais concentré dans les murs de la caserne.

Le 10 janvier mourut au Villaret, campagne appartenant à sa fille madame Meuron, monsieur d'Ostervald, dernier du nom. Cet homme, qui dans sa jeunesse avait possédé une fortune considérable, l'avait dilapidée, non point par mauvaise conduite, mais dans des entreprises industrielles mal conçues. C'est à lui qu'est due une excellente carte du canton de Neuchâtel et une carte de la Suisse, fort bien exécutée, mais peu exacte dans certains détails. Quoiqu'il en soit, après avoir travaillé toute sa vie, il est mort insolvable.

Le 12 février: enterrement de M. Bovet Bonhôte à Colombier
Le 1 mars: mort d'Isabelle de Pourtalès, fille de Louis de Pourtalès-Sandoz
Le 11: mort de M. Reynier père qui avait fait une grande fortune dans le commerce des draps et dans celui des vins. La chronique prétend ... ... mais laissons les morts reposer en paix.

Politique Comme on était à la veille du 1 mars, deuxième anniversaire de notre révolution, il fallait ranimer l'ardeur des fidèles. C'est ainsi que le 15 février on fit de nouveau courir le bruit de notes diplomatiques relatives à Neuchâtel. Le cabinet noir était sans cesse en allées et venues, et le 20 on apprit que la légation prussienne quittait la Suisse. Cette circonstance monta tellement quelques écervelés et leur donna une si ferme confiance dans une restauration prochaine que le 26 février M. Fritz Roulet-Py de Peseux , vendant une vache à un quidam lui dit ces propres termes: "Tenez, en voilà une à côté, si le 10 mars nous n'avons pas la restauration, vous pouvez venir la prendre, je vous la donne!" Je ne sais ce qu'il est résulté de cette promesse, mais ce que je sais c'est que le 10 mars la restauration n'était pas là.

Cependant les royaliste agitaient les hommes de leur parti, les républicains ne laissaient pas que de réchauffer le zèle de leurs adhérents, aussi le 1 mars fut fêté comme l'année précédente et le cercle national illuminé. Le gouvernement n'avait pas l'air de s'inquiéter beaucoup des bruits de restauration et je crois qu'il était bien informé. Car le fait est que dès le 6 avril on remarquait déjà quelque découragement dans le cabinet noir et ses adeptes. Monsieur Fritz Pourtalès de Greng que je vis ce jour-là, détourna la conversation lorsque je voulus lui parler politique, et le jeune Favarger alors étudiant en médecine à Berlin, qui se trouvait de passage à Neuchâtel, me répondit à une question que je lui fis sur ce même sujet, que lorsqu'il avait quitté son père, celui-ci était bien triste parce que les affaires de Neuchâtel reculaient au lieu d'avancer.

C'est le 7 avril que, dînant chez M. Delachaux à Valangin, celui-ci me donna l'autorisation de copier la lettre que M. de Chambrier avait reçu du Roi relative à la médaille d'or.

mai-juillet 1850

Le lendemain de mon retour de voyage, j'assistai à une assemblée de la Bourgeoisie de Neuchâtel qui fut assez tumultueuse. Je n'ai pas gardé un souvenir très exact de ce qui s'est passé, mais on pourra à cet égard consulter les journaux.

Le 13 mai j'eus à la chaumière Pourtalès une longue conversation avec Fritz et Alexandre. Il est à propos de noter ici que le premier, qui lors de la révolution du 1 mars, avait pensé que nous étions définitivement canton Suisse sans espoir de retour, qui avait dès lors cru à une restauration, n'y croyait plus du tout au moment où nous parlions. Combien de fois a-t-il changé d'avis dès lors ? je n'en sais rien. Le fait est que ce brave homme, auquel on a persuadé qu'il était une des pierres de l'angle de l'édifice, a donné dans le panneau, et que ce sont les cajoleries et les obsessions de toutes nature dont il a été l'objet qui nous ont valu l'équipée de septembre 1856.

Le 16 mai je présidai une réunion du comité du Cercle de Lecture, assez importante par son objet. Ehrard Borel avait présenté, pour avoir les entrées du cercle le M. Löwe de Calu, ancien membre du parlement de Francfort. Comme plusieurs de ces messieurs étaient réfugiés momentanément à Neuchâtel et que l'on craignait avec quelque raison, qu'on ne les introduisit successivement, le comité refusa la carte d'admission demandée. Ce refus donna lieu à une correspondance entre Ehrard Borel et moi, dont le résultat fut que cette affaire serait soumise à l'assemblée générale, ce qui eut lieu le 4 juillet. Dans cette séance, dont les discussions furent très animées, l'immense majorité des membres donna pleinement gain de cause au comité, de sorte que pour la suite messieurs les réfugiés allemand durent se tenir pour avertis et que dès lors on n'en présenta plus.

Le 30 mai je donnai ma démission de président des actionnaires de la Salle des Concerts.

A cette époque et pendant 5 ou 6 jours, je fus passablement inquiet d'une assez grande indisposition de ma chère Sophie. Cependant elle s'en remit, mais c'était le prélude de la maladie qui devait l'emporter un an plus tard.

Le 29 juin s'opéra un grand changement dans les bureaux de la Caisse d'Epargne. Jusqu'alors le directeur travaillait aux affaires de l'administration dans son propre domicile ou quelque fois, dans le bureau commun, ce qui ne laissait pas d'offrir de graves inconvénients, d'autant plus que les séances du comité avaient lieu chez le directeur et celui de la direction dans le bureau, duquel il fallait pour ce moment-là expulser les employés. Le comité prit donc la résolution d'affecter une partie du premier étage au bureau particulier du directeur, ce qui avait l'immense avantage de pouvoir y tenir les réunions et du comité et de la direction. Il fallut pour cet effet déloger M. Dardel, secrétaire-caissier, lequel du reste n'eut pas à se plaindre puisqu'en le délogeant ainsi on lui bonifia une somme annuelle plus que suffisante pour se loger ailleurs. Dans la suite les pièces non occupées par la direction ont été affectées à une concierge dont la seule occupation est d'avoir soin des bureaux.

Le 3 juin Georges partit pour Boudry où il devait faire sa première communion avec Paul Coulon. A cet effet nous le plaçâmes en pension chez M. Mackenzie Robert d'où il se rendait chez M. Quinche, alors pasteur de cette paroisse pour prendre ses leçons de religion.

Faits divers Le 12 mai j'assistai à Saint-Aubin à l'enterrement de la première femme de Henri de Rougemont
Le 10 juin on annonça le mariage de M. François de Marval avec Mlle Rose DuPasquier, fille du pasteur Jämes.
Le 19 juin j'assistai à l'enterrement de madame de Sandol-Roy, née Barwell
Enfin le 1 juillet nous fîmes avec Sophie une visite à l'abbaye de Fontaine-André à l'occasion de l'annonce du mariage d'Alexandre de Dardel avec mademoiselle Cécile de Perregaux.

Politique Au commencement de mai il se manifesta un revirement politique dans le canton de Berne. Jusqu'alors ce canton, qui depuis 1830 avait été gouverné exclusivement par des radicaux, eut des élections qui donnèrent la majorité aux conservateurs. Je ne sais si c'est à cette circonstance que l'on dut une recrudescence d'agitation marquée dans le cabinet noir, mais le fait est que justement à cette époque ou peu après il y eut de grandes allées et venues entre Neuchâtel et Berlin. Messieurs de Wesdehlen, Guillebert et Matthey-Doret, ancien maire de la Brévine, s'y rendaient successivement pour s'y trouver ensemble. Ces messieurs furent admis à la table du Roi qui les reçu le plus gracieusement du monde. Naturellement ils ne restèrent pas inactifs et c'est probablement à leurs conseils que l'on dut deux décrets du Ministère qui avaient une certaine importance. Le premier, dont on eut connaissance le 19 juin, avait pour objet la mise sous séquestre à Berlin des fonds que la bourgeoisie de Neuchâtel avait en Prusse, et la nomination d'un curateur pour leur gestion. Ce décret a été en vigueur pendant plusieurs années, et ce n'est qu'après le traité de Paris de mai 1857 que la Bourgeoisie a pu retirer ces mêmes fonds, lesquels du reste (il faut le dire à la louange du gouvernement prussien) avaient été bien administrés et conservés parfaitement intacts.

Le second décret était du 13 juillet. Il avait pour but de déclarer nulle toute vente faite par le Conseil d'Etat de Neuchâtel des immeubles appartenant à l'Etat ou à la Chambre économique des biens d'église. Quand à celui-ci je ne cache pas que personne y ait jamais fait attention.

Il est assez naturel que ces mesures prises par le Roi donnassent de nouvelles espérances aux royalistes qui s'empressèrent d'adresser à S.M. une lettre de félicitation après la non-réussite de l'attentat de Safeloge contre sa personne. On trouvera la réponse que le Roi fit à ces adresses au livre des notes No. 4 en date du 25 juillet. La lettre était adressée de Sans-Souci, juin 1850

Cependant à la réception de cette lettre il se manifesta passablement d'agitation ce qui engagea M. de Sydow à écrire à Charles Lardy une lettre dont j'eus connaissance et dans laquelle il suppliait ses amis de ne pas prendre la lettre patente du Roi, concernant les biens nationaux, comme devant faire concevoir des espérances prochaines de délivrance, car elle n'avait été écrite que pour sauvegarder les intérêts de ceux qui auraient pu penser à acheter de ces immeubles.

Quoiqu'il en soit et dans ce moment-là, M. de Chambrier croyait encore à la restauration. Seulement son opinion était qu'elle ne pouvait pas être durable et que lorsque le Roi aurait repris ses droits, il entamerait des négociations diplomatiques pour dire définitivement adieu à sa chère Principauté.

Mais si le cabinet noir et les royalistes s'agitaient, les républicains ne restaient pas en arrière pour réchauffer le feu sacré. C'est ainsi que du 23 au 29 juin on refit un tir cantonal à l'instar de ce qui s'était passé l'année précédente. Je ne sais si le républicanisme y gagna en intensité, mais ce que je sais c'est que les bourses des actionnaires s'en trouvèrent beaucoup plus légères, attendu qu'ils furent loin de faire leurs frais.

août-septembre 1850

Les 4 et 5 août je fis une course aux montagnes avec M. d'Orelli, chez lequel Georges avait été en pension à Zurich. Comme M. d'Orelli n'avait jamais été ni au Locle, ni à la Chaux-de-Fonds je lui fis voir ces localités très en détails, avec l'assistance d'abord de Jules Challande, ensuite de Jules Huguenin. En revenant et pendant que l'on donnait l'avoine au cheval à la Tourne, nous montâmes à la Tablette d'où nous jouîmes d'une vue splendide.

Le 6 il y eut un incendie à St.Martin. L'une des victimes les plus frappées était Aimé Evard, fils du maître-bourgeois J.P. Evard, chevalier de l'ordre de l'Aigle Rouge, parce qu'en 1831, lors de la prise d'armes, il était maître-bourgeois en chef. Aimé Evard était père d'une nombreuse famille et dans une position assez gênée, ce qui donna l'idée à messieurs Alexandre Evard et Louis Perrin, notaire, de faire une quête en sa faveur. A cet effet ils vinrent me consulter et le 15 nous rédigeâmes une pièce qui ne fut point rendue publique, et pour cause, mais seulement présentée à quelques uns de nos amis. Je ne me rappelle pas le résultat de nos démarches, mais ce que j'ai noté pour en conserver le souvenir c'est que M. Meuron de Bahia, dont la générosité est bien connue, m'apporta un beau jour F. 500.- destinés à cette oeuvre.

Le 30 août nous nous rendîmes à Boudry avec ma chère Sophie pour assister à la ratification de Georges et j'y retournai seul le 1 septembre pour communier avec lui. Ma femme étant indisposée ne put m'accompagner. Le 3 septembre Georges quitta la famille Mackenzie et rentra à la maison. Du 9 au 15 septembre je fis un petit voyage à Lausanne pour affaires et j'en profitai pour aller à Vevey, de là à Bulles en passant le col de Jaman, puis à Concise en passant par Romont et Estavayer. Je restai deux jours chez les DuPasquier, où Sophie vint me chercher avec Georges et Elizabeth.

Le 28 eut lieu la mise en possession et l'investiture des biens de Maurice de Luze, par sa mère madame de Metting, représentée par M. Frédéric de Perrot, avocat. Cette circonstance me donna passablement de tablature, vu la rapacité de la mère, que M. de Perrot atténuait autant qu'il pouvait, mais qui nécessita plusieurs lettres que j'adressai aux frères du défunt: Louis-Philippe à New-York et Alfred à Bordeaux.

Faits divers Le 26 eurent lieu les élections au Conseil de Bourgeoisie, où les conservateurs eurent le dessus à une assez forte majorité. Je n'y portai pas présence parce que d'un côté j'avais été tellement émotionné de ce qui s'était passé à la Générale Bourgeoisie du mois de mai que je craignais que les mêmes scènes ne se renouvelassent, de l'autre la division était tellement dans le parti conservateur que j'étais dégouté de prendre part à aucun acte politique. J'eus certainement le plus grand tord d'en agir de la sorte, mais qu'y faire! c'était ma disposition du moment.

Politique M. Guillebert, en revenant dans les premiers jours du mois d'août du voyage à Berlin dont j'ai parlé, se rendit directement à la Mettlen chez Fritz Pourtalès. J'appris à cette occasion que lorsque M. de Chambrier connu cette circonstance, il fut extrêmement blessé de cette manière de faire et de ce qu'il considérait, à juste titre, comme un manque d'égards, d'autant plus qu'on lui avait laissé ignorer ce voyage qu'il n'apprit que par le bruit public.

Quoiqu'il en soit il parait que l'équipée de messieurs Guillebert et consort avait eu passablement de retentissement et que par leurs supplications, pour ne pas dire leurs importunités, ces messieurs avaient en quelque sorte engagé le Roi à prendre des mesures de rigueur vis-à-vis de la Suisse. Naturellement j'ignore tout à fait ce qui s'était passé à Berlin, mais le fait est que le 13 août j'appris d'une manière positive par une lettre de Paris, datée du 11, lettre écrite par une personne à même d'être très bien informée (mon ami Georges de Morel) que notre pays avait été sur le point d'être occupé par une division française sous les ordres du général Magnan. L'ordre était donné à l'armée française d'entrer en Suisse à la première démonstration des prussiens que le Roi voulait faire marcher sur Neuchâtel.

Si on compare les dates du voyage et de la lettre on pourra se convaincre que la députation du cabinet noir à Berlin n'y avait pas été de main morte.

Cependant tous ces tiraillements fatiguaient singulièrement ceux que je considérait alors, et que je n'ai pas cessé de considérer comme les vrais amis de leur pays de toute part se manifestait l'opinion que l'on devrait s'adresser au Roi pour le supplier d'amener une solution d'une manière ou d'une autre. Il y eut à ce sujet dans le mois d'août et de septembre beaucoup de pourparlers. Je citerai entre autres l'opinion que M. Delachaux, qui désirait ardemment que quelqu'un se mit en avant pour formuler une adresse à S.M., et celle de M. Constant Dubied de Couvet avec lequel j'eus une longue conversation à cet égard le 25 septembre. Enfin je mentionnerai Louis de Pourtalès-Sandoz qui me disait le 17: "nos affaires doivent être décidées avant les élections de 1852". Néanmoins l'on ne fit rien, faute d'un homme qui voulut se mettre à la tête de la manifestation et cela par une raison bien simple, c'est que ceux qui auraient eu quelque influence ne voulaient ou plutôt n'osaient pas, parce que messieurs de Chambrier et Calame déconseillaient toujours une pareille démarche, ce qui se conçoit puisque l'un et l'autre ancien conseiller d'Etat, comblés plus ou moins, ne pouvaient décemment ni prendre part ni approuver même une démonstration tendant à rompre les liens qui attachaient Neuchâtel à la couronne de Prusse, ou plutôt à la maison de Brandebourg.

En attendant les meneurs républicains trouvaient toujours le moyen de réchauffer le zèle de leurs adeptes. Deux des grands révolutionnaires de 1831, le docteur Petitpierre de Travers et le pianiste DuBois de Buttes étaient morts dans les prisons et avaient été enterrés dans le cimetière de Neuchâtel, sans tambour ni trompette de sorte que l'on ne connaissait pas l'endroit où ils avaient été mis. On résolut de réhabiliter leur mémoire et de leur élever un monument qui fut adossé à l'endroit où on supposait qu'ils avaient été inhumés, c'est à dire contre le mur en vent du cimetière. Une fois le mouvement terminé, on convoqua toutes les sections de la Patriotique et le monument fut en effet inauguré le dimanche 29 septembre au bruit du canon et au branle de toutes les cloches de la ville. Un millier de personnes et 58 drapeaux formaient le cortège. Du reste pour rendre hommage à la vérité, je dois dire que tout se passa assez décemment, non sans bruit, mais sans rixe ni provocation.

octobre-décembre 1850

Le 12 octobre nous aurions dû célébrer le 25ème anniversaire de notre mariage, mais nous fîmes abstraction presque complète de cette circonstance, d'abord à cause de la santé déjà assez chancelante de ma chère femme, ensuite et surtout parce que nous n'aurions pas pu inviter la famille, à cause de mon beau-frère Tribolet, dont le mariage s'était célébré le même jour que le mien, soit le 12 octobre 1825.

Le 13 j'eus une très longue conversation avec James de Meuron, qui revenait de Berlin. Il résulte de ce qu'il me dit alors que dans ce moment-là le ministère prussien était très divisé sur les affaires de Neuchâtel. Si ce n'est le Roi et le Prince de Prusse, il n'y avait guère que M. de Radowitz qui prit chaudement à coeur la position de notre malheureux pays. Pour les autres ministres, ils s'en inquiétaient peu et la question neuchâteloise était pour eux comme une espèce de cauchemar. Ce n'était donc pas sans raison que le cabinet noir avait souvent et presque en permanence des représentants à Berlin. Il ne fallait pas se laisser oublier et il était nécessaire au contraire d'agir continuellement sur le Roi par l'intermédiaire de M. de Sydow et du chancelier de la principauté Favarger, qui portait toujours ce titre. C'est donc à eux que messieurs Guillebert et consorts s'adressaient d'ordinaire et ils le faisaient d'une manière tellement peu convenable, le premier surtout, que ce fus à la suite d'une lettre de lui, d'un style excessivement dur, adressée à Favarger, que celui-ci ressentit la première atteinte du mal qui devait l'emporter deux mois plus tard.

James de Meuron me disait encore que toutes les grandes puissances étaient d'accord pour reconnaitre les droits du Roi sur Neuchâtel; que conséquemment il croyait encore à une restauration possible sinon probable. Pour ce qui me concerne j'étais toujours dans l'idée que, entre une reconnaissance de droits et les moyens de les faire valoir, il y avait un abîme et je terminai mes notes du dit jour par ces mots: "Je conclus de tout cela que la république est désormais stable. Dieu veuille que je me trompe!"

Du 1 au 8 novembre, je fis encore chez les Edouard DuPasquier à Concise un séjour dont je profitai pour faire une masse de visites soit à Concise, soit dans les campagnes environnantes.

Le 12 je me décidai, quoique contre mon gré, à signer une adresse au Roi pour le féliciter de la résolution énergique qu'il avait prise le 6 en mobilisant son armée (Il s'agissait de dissentiments entre la Prusse et l'Autriche) J'ai dit contre mon gré, car je considérais en effet toutes ces manifestations comme autant de coups d'épée dans l'eau, mais les raisons qui me déterminèrent furent les suivantes:

  1. parce que cette adresse était rédigée par M. de Chambrier et toute de sa main
  2. parce qu'il avait spécialement chargé le porteur de me la présenter
  3. et enfin parce que dans l'opinion de l'auteur elle était destinée à opérer un rapprochement entre les deux factions du parti conservateur.
Or je ne voulais pas, par un refus, risquer de faire manquer le but que l'on se proposait et surtout je ne voulais pas faire de la peine à M. de Chambrier pour lequel j'ai toujours éprouvé le respect le plus profond.

Pendant presque tout le mois de décembre ma chère femme fut alitée. Elle était alors sujette à des pertes, lesquelles hélas! étaient les précurseurs de la catastrophe qui devait me l'enlever peu de mois après. Ce fut entre autres dans cette maladie que je m'aperçus combien de médecins sont complètement charlatans, et d'autres manquant absolument de tact. Toutefois je ne nommerai personne.

Le 11 décembre après de nombreux pourparlers entre le capitaine Girardet Pettavel et Lardy, avocat de madame Breguet Borel, j'eus le bonheur de mettre les parties d'accord sur des difficultés assez graves qui s'étaient élevées entre elles relativement à leurs intérêts réciproques dans la maison de commerce Pettavel frères. J'avoue que ce fut un beau jour pour moi, car l'affaire aurait pu prendre des proportions fort considérables.

Faits divers Le 17 octobre: commencement des vendanges
Le même jour arriva à la maison Mlle Elisabeth Pedolin qui devait être gouvernante de ma fille Elisabeth pendant plusieurs années.

Le 16 décembre survint à Berlin la mort du chancelier Favarger que l'on attribua en grande partie aux déchirements de coeur que lui avaient fait éprouver les lettres de M. Guillebert. Le fait est que depuis 1831 Favarger avait été un des conseillers d'Etat les plus capables, très dévoué au Roi et grand travailleur. Mais son dévouement à la monarchie n'allait cependant pas jusqu'au fanatisme de messieurs du cabinet noir et il comprenait très bien ceux qui prenant avant tout leur pays en considération, avaient jugé convenable de prêter leur concours à la République. De là la peine que lui occasionnèrent les lettres qu'il recevait puisque c'était une preuve pour lui de la profonde scission qui divisait les conservateurs, scission qu'il déplorait avec beaucoup d'autres.

janvier-avril 1851

Le 27 février je fus renommé président du Cercle de Lecture à l'unanimité des suffrages au service secret. J'avoue que cette marque de confiance me fit grand plaisir, surtout après ce qui s'était passé, tant à l'égard du jeune Bachelin qu'à l'égard du Dr. Löwe, car c'était la preuve que dans ces deux circonstances, ma conduite avait été favorablement appréciée.

Le 3 avril était le 49e anniversaire de ma naissance. Ma chère femme qui était indisposée et déjà assez inquiète de sa santé n'y avait pas pris garde jusqu'au moment où mon ami Jules Huguenin Vuillemin, qui dînait ce jour-là avec nous, but à ma santé. Au reste j'aurais dû y penser moi-même car la veille ma bonne mère m'avait avoué le plus gentiment possible et assez naïvement que si elle se rappelait que j'étais du 3 avril, c'est que Agnès LaTrobe était du 2 !

Le 4 janvier: mort de madame de Sacc, femme du docteur. C'était une DuPasquier de la fabrique de Cortaillod, cousine de ma femme.

Le 5 février: mort de notre cousin Ferdinand DuPasquier. Dans ce temps-là je ne me doutais guère qu'un jour sa fille deviendrait la mienne par son mariage avec mon fils.

Le 1 mars mon neveu Edouard de Pury vint m'annoncer son mariage avec Rose de Marval.

Le 5 avril on m'annonça également le mariage de ma nièce Uranie DuPasquier avec le Dr. Edouard Cornaz

Faits divers Ce fut au commencement de cette année qu'ensuite du refus de M. Guillebert, réélu pasteur, il devint nécessaire de le remplacer. La grande majorité des paroissiens désirait ardemment M. Godet, qui ne voulait pas se présenter et cela pour des motifs faciles à comprendre. Pour le décider à cette démarche on lui envoya une députation pour chercher à lui faire changer d'idée, mais il resta inébranlable dans sa détermination et tout ce que l'on put obtenir de lui, c'est qu'il accepterait son élection, s'il était nommé. Cela se passait le 11 janvier et le 6 avril il fut nommé par 334 voix sur 352 votants. Il est à observer que dans cette circonstance les radicaux s'abstinrent.

Le 21 janvier: annonce du mariage de Mme Mathilde de Pourtalès avec M. Fritz de Watteville.
Le 26: mort de madame de Rougemont Ostervald
Le 2 février eurent lieu les élections de deux membres du Grand Conseil. La lutte fut vive et malgré que le gouvernement eut usé de tous les moyens possibles, soit licites soit illicites et que sur une population de 6000 âmes, on se trouvât on ne sait comment 1335 électeurs, non compris les membres du cabinet noir et tous leurs adhérents. La victoire n'en resta pas moins aux conservateurs qui l'emportèrent d'une quarantaine de voix sur les radicaux. Les élus furent messieurs Jämes de Meuron et Frédéric de Perrot. Leurs concurrents étaient messieurs Philippin, avocat et François Favarger, commissionnaire, qui défunta peu après.

Le 26 mars: enterrement de madame la chanoinesse de Montlezon.

Le 13 avril, M. Godet venait d'être nommé pasteur, je vis arriver chez moi mon cousin Maximilien de Meuron. Voici ce qui se passa à cette occasion. Je transcris tout au long ce qui est porté à cette date à mon livre de notes et cela parce que, ayant souvent eu à parler de M. Guillebert, je veux que l'on voie quels étaient à cette époque mes sentiments à son endroit, sentiments qui n'ont jamais varié.

"Mon cousin m'engage à assister demain à une réunion, qui aura lieu à 10 heures, maison Jeanjaquet en face du gymnase. Il s'agit de s'entendre entre quelques personnes pour faire une souscription en faveur de M. Guillebert, lequel, à ce qui parait, songe sérieusement à s'expatrier. M. de Meuron motive cette souscription et cette réunion assez longuement et me dit qu'avant tout il faut tenir la chose fort secrète. Après l'avoir laissé parler tout à son aise, je lui demande la permission d'être très franc et de lui dire toute ma pensée. Je commence donc par lui démontrer par une citation que j'ai reçue hier, que le secret est déjà furieusement compromis, ce dont il convint, tout en étant fort contrarié. Je lui avoue ensuite que je ne suis nullement disposé en faveur de M. Guillebert qui, à mon avis, nous a fait un grand mal en se lançant à corps perdu dans la politique. Je lui rappelle le 21 janvier 1849, le voyage à Berlin, et enfin sa conduite envers M. Godet, notre pasteur, élu dimanche dernier. Je refuse en conséquence d'assister à la réunion, dans laquelle je ne pourrais pas me taire sur ces différents griefs, mais je termine en lui donnant l'assurance que si l'on parvient à s'entendre et surtout (ce qui est encore plus difficile) on réussit à faire consentir M. Guillebert à revoir quelque chose, je ne resterai pas en arrière, car quels que soient les griefs que j'ai contre lui, je ne puis méconnaitre les immenses services qu'il a rendus à Neuchâtel, opinion que je soutenais même dans un temps (il y a de cela 25 ans) où bien des gens lui jetaient la pierre en prétendant qu'il n'était pas chrétien. Là-dessus mon cousin prend congé et se retire en me remerciant. Reste à savoir les suites que cette affaire aura. Mais je crois fermement que l'idée avortera parce qu'elle est mal conçue et encore moins mûrie".

Quoiqu'il en soit on donna suite à l'idée, on me présenta la liste de souscription où je m'inscrivis pour F. 100.- Après bien des incidents de nature diverse on se présenta chez M. Guillebert qui, comme je m'y attendais, refusa tout net, tout en témoignant toute sa reconnaissance de la démarche que l'on faisait auprès de lui.

Politique Cependant il y avait eu un moment d'arrêt dans les incidents de la politique neuchâteloise, et cela faute d'aliments. Toutefois le mot d'ordre du cabinet noir était: Entretenez le royalisme! Cette disposition ressort évidemment d'une conversation que j'eus le 6 janvier avec Fritz et Guillaume Pourtalès et surtout de quelques mots échappés au premier. Le même système était suivi par le Roi, lequel à cette époque remplaça Favarger en sa qualité de chancelier de la principauté par M. Frédéric de Chambrier, fils du président. Bien il est vrai que pour ce dernier cette place fut une sinécure, car je ne sache pas que M. de Chambrier ait jamais contresigné une pièce. Et ce qu'il y eut de plus piquant dans cette affaire, c'est que plus tard, j'ai appris de sa bouche même que c'est à son corps défendant qu'il avait accepté ce poste et que c'est à cette nomination qu'il avait dû de voir briser sa carrière diplomatique. En effet il ne se passa pas longtemps avant que, sous un motif ou sous un autre, il ne fut engagé à demander sa démission, qui lui fut accordée mais sans compensation car il ne tarda pas à rentrer dans sa patrie.

Toujours dans le but de réchauffer le zèle des fidèles, on fit, dans le mois de février, courir le bruit d'intervention en Suisse de la part des Puissances. C'est ainsi qu'on annonçait que Genève allait être occupé momentanément par les troupes françaises, le Tessin par les autrichiens, et Neuchâtel par les prussiens. Comme ce bruit ne fut suivi d'aucun effet, comme tant d'autres, il parut vers le milieu d'avril une brochure due, parait-il, à la plume de M. de Wesdehlen, imprimé à Berlin, dont un grand nombre d'exemplaires furent importés à Neuchâtel par M. Charles Bouvier qui avait été à Berlin pour les affaires de sa maison de commerce. Ces brochures étaient adressées à M. Guillebert qui se chargea de leur distribution. Elles avaient pour but toujours le même, celui d'entretenir le royalisme.

Non content encore de ces manifestations, on persuada le Roi que l'aristocratie suisse et très spécialement l'aristocratie bernoise verrait avec plaisir la restauration de Neuchâtel. Pour s'assurer du fait, le cabinet de Berlin chargea M. de Rieder d'une mission confidentielle qui fut loin d'être couronnée de succès, car j'appris à n'en pouvoir douter que la majeur partie de ces messieurs, si ce n'est la totalité, dirent à M. de Rieder qu'on s'était étrangement mépris sur leurs sentiments. Cela se passait au milieu d'avril.

Quoiqu'il en soit les républicains travaillaient de leur côté pour raviver les bonnes dispositions de leurs adeptes et le 1 mars il y eut, indépendamment d'un dîner de gros bonnets au Cercle National, un banquet de 200 couverts à l'Ecluse à 50c par tête. Ce prix était évidemment insuffisant, mais le surplus fut couvert par une souscription dans laquelle Erhard Borel, alors préfet, se fit inscrire pour F. 150.-

mai-septembre 1851

Le mois de mai s'ouvre par un mariage et se termine hélas! par une mort, coup terrible et fort inattendu. Le mariage était celui de mon neveu Edouard de Pury qui fut béni par Jämes DuPasquier, ami intime du père de l'époux. Le cortège s'était formé chez Charles de Marval, père de l'épouse. En sortant de la prière on se rendit chez ma mère, chez laquelle on servit à 11 h un déjeuner dinatoire de 72 couverts qui trouvèrent place dans le grand salon. Si je mentionne cet événement dans ceux qui me sont personnels, c'est que dans la soirée et malgré l'état de ma chère femme qui était indisposée, elle tint à recevoir chez elle quoiqu'elle ne put assister à la fête, une grande partie des personnes invitées à la noce. De son lit elle dirigeait tout, et grâce à Julie DuPasquier, Sophie de Tribolet et Mlle Mathilde Bourgeois qui prenaient ses directives et qui lui rendaient compte de ce qui se passait, nous pûmes recevoir et héberger 53 personnes qui ne se retirèrent qu'après 10 heures. Mais hélas! cette fête de famille fut la dernière à laquelle put prendre part ma chère Sophie, dont l'état allait toujours en empirant sans que je me doutasse le moins du monde de l'extrême gravité de la maladie.

Le 23 mai j'allai à Monruz pour y prendre Charles Marval avec lequel je devais aller dîner chez son frère à Voëns. Ma chère femme, qui avait été assez mal les jours précédents, se trouvait mieux, de sorte que je quittai la maison sans trop d'inquiétude. Dans la soirée et à mon retour de Voëns je trouvai encore Sophie très tolérablement mais dans la nuit il se manifesta de la fièvre, ce qui m'engagea à appeler en consultation les docteurs Castella et Favre. Le résultat de leur visite ne parut pas inquiétant et pourtant ils ne savaient trop comment définir l'état de la malade. Le lendemain la fièvre, qui avait paru céder un peu dans la matinée, reprit avec une grande intensité dans la soirée.

Le 26 les symptômes devenant toujours plus graves, il y eut une nouvelle consultation des deux docteurs. Pendant qu'on allait les chercher et un peu après une heure, ma chère Sophie se sentant fort mal, nous fit ses adieux à Georges, Cécile Coulon et moi. A 3 heures elle voulut dire adieu à ses soeurs et cependant j'avais encore quelque espoir. Ici je ne puis que transcrire mes notes des 28, 29 et 30 mai.

"Dieu a retiré à lui l'âme de ma chère Sophie! J'adore et je me soumets! Voici ce qui s'est passé: Lundi dans la soirée l'état de ma chère malade est allé en empirant. Les docteurs Favre et Castella ont eu une dernière consultation à 9h, après quoi Favre est parti avec promesse de revenir. Castella est resté avec nous jusqu'à 11 h. Cécile Coulon veillait. De 11h à 1h nous avons été sans docteur. Alors Favre est revenu et ce n'est qu'à ce moment que chez moi, tout espoir s'est évanoui. Une dernière opération restait à faire. Favre n'a pas voulu être seul, de sorte que je suis allé chercher Castella qui est revenu à 3 heures. L'opération a eu lieu et à 3h40 les angoisses de ma chère femme étaient terminées. Je ne dis pas les souffrances, car elles ne doivent pas avoir été très aigües. Sophie a supporté cette dernière crise avec une patience et une douceur vraiment angélique. 14 heures avant sa fin elle nous disait "Je croyait qu'il était plus difficile de mourir". Quoiqu'il en soit, je rends grâce à Dieu de ce qu'Il l'a enlevée dans ce moment, car quoique le coup qui me frappe ait été aussi dur que cruel, je remercie le Bon Dieu d'avoir épargné à ma chère Sophie les tortures qui l'auraient immanquablement torturée plus tard en son genre de maladie (un cancer à la matrice) et à moi les angoisses que j'aurais ressenties en la voyant souffrir. Du reste les médecins ne se sont doutés de la nature du mal que 18 heures avant la mort et ne m'ont fait part de leur découverte qu'une heure avant.

29 mai: ce matin avant 4 heures je suis descendu pour dire bonjour aux personnes qui avaient veillé (Adèle Meuron, mes nièces DuPasquier et Stürler et mes neveux Alfred DuPasquier et Jean Montmollin), puis c'étaient Louise Pury, son frère Edouard et Paul Coulon. A 4 heures je suis entré dans la chambre où reposent les restes mortels de ma chère Sophie, je me suis agenouillé au pied de son lit et là, comme si elle m'entendait (mais ne m'entendait-elle pas ?) je l'ai priée de me pardonner les chagrins que je puis lui avoir fait et les tords que j'ai eus envers elle. Puis je me suis prosterné devant Dieu et j'ai prié notre Bon Sauveur de me pardonner mes nombreux pêchés et transgressions. J'ai pris l'engagement (ainsi que Sophie me l'a d'ailleurs recommandé avant-hier) de m'appuyer dorénavant sur Lui et sur Lui Seul. Je lui ai demandé de bénir mes chers enfants et de me les conserver, si telle est sa volonté. Enfin je me suis éloigné, pour ne plus la revoir sur cette terre, de ma chère femme à laquelle j'ai été uni 25 ans 6 mois et 3 jours et dont je vais aujourd'hui déposer le corps dans le tombeau.

Vendredi 30: La journée d'hier a été cruelle et fatiguant mais notre Bon Dieu m'a puissamment soutenu. Pendant la matinée je ne suis presque pas sorti de ma chambre, tant pour ne pas être présent aux préparatifs qui se faisaient pour la cérémonie, que pour ne pas savoir lorsque les docteurs feraient l'autopsie de l'oesophage, afin de connaître la cause qui empêchait Sophie d'avaler avec facilité ! J'apprends plus tard que cette infirmité était due à l'arrête de poisson que Sophie avait avalé lors de sa fluxion de poitrine après la naissance d'Elisabeth et qu'elle avait vomi après plusieurs années. L'arrête avait fait plaie, la plaie était cicatrisée, mais c'était la cicatrice même qui occasionnait l'empêchement. L'enterrement était fort nombreux. Pendant le cortège M. Godet fit une méditation aux dames de la famille dans la chambre de Sophie, et dans la soirée nous avons eu méditation et prière de Jämes DuPasquier. Enfin la famille est partie à 9 heures et je suis resté veuf, mais grâce à Dieu, avec mes deux chers enfants.

Ces jours d'angoisse passés je me remis immédiatement à mes occupations et je profitai de mes moments de loisir pour mettre à part divers objets appartenant à ma chère femme, pour les distribuer ensuite à un assez grand nombre de parents et d'amis. Je fus assisté dans cette opération par mes belles-soeurs Stürler et DuPasquier. La distribution eut lieu le 6 juin. Je mentionne ici le nom des personnes auxquelles je donnai un souvenir, mais non le détail des objets qu'on pourra voir du reste sur une feuille séparée jointe à mon livre de notes, à la date ci-dessus:
ma mèreRose de Pury Marval
Frédéric de TriboletLouise Pury
Louise StürlerHélène Pury
Julie DuPasquierJulie Pury
Cécile CoulonAgnès LaTrobe
Rose de MeuronUranie de Meuron
Louise MontmollinUranie Marval
Julie Pury, nièceElise Meuron
Sophie LaTrobeMlle Droz
Sophie Tribolet, nièceMathilde Bourgeois
Uranie DuPasquierMme de Wesdehlen
Marie StürlerGertrude Sandol
Sophie TriboletPauline Ostervald
Sophie PuryPauline Guebhardt
Elise TriboletEmilie Pourtalès
Marie TriboletAugusta Pourtalès
Marie PuryCécile Sandoz
Marie CoulonUranie Sandoz
Madeleine MontmollinMadame Mosset
Mlle PerroudMlle Barbezat
Mlle L. PetitpierreCatherine Russer
Mlle PedolinMarie DuPasquier
Steiger de TschugBertha Orelli
Anna RahnCécile Rahm
Cécile, Adèle et Rose MeuronRodolphe Stürler
Georges WesdehlenPierre Montmollin
Elize TerrisseElisabeth d'Erlach

Ces premiers moments passés il fallut songer à la manière dont je m'arrangerais pour l'avenir. Je ne pouvais guère rester seul avec mes deux enfants et Mlle Pedolin. Il fut donc convenu le 12 juin que ma mère viendrait se domicilier au Faubourg, ainsi que mon neveu Edouard Pury et sa femme. Cet arrangement nécessitait des réparations à la maison, qui ne tardèrent pas à être terminées par les soins de M. Perrin

Ce fut à cette époque que sur la demande de madame DuBois Robert, je consentis à devenir le curateur de son fils le Dr. Ferdinand DuBois (fou à Préfargier, mort depuis) et tuteur de la fille de ce dernier, Alice, maintenant à Genève (août 1860) chez sa tante madame Maunoir. Je fus donc nommé à ces fonctions avec le notaire Maret qui est chargé sous ma surveillance du maniement de la fortune qui est assez considérable.

Du 26 juillet au 3 août nous fîmes avec Georges un petit voyage en Suisse. Prenant la diligence, nous arrivâmes à Lucerne le 27 à 5 1/2 h du matin. Après le déjeuner nous prîmes une voiture qui nous conduisit à Albisbrunn, dans le but de faire une visite à M. Calame, qui y était en séjour. Après avoir passé quelques heures avec lui, nous repartîmes pour Lucerne où nous arrivâmes à 5h. Nous employâmes le reste de la journée à parcourir la ville et le lendemain 28 à 5h du matin nous montions sur le bateau à vapeur pour nous rendre à Fluelen, où nous prîmes le courrier pour arriver à Hospital à 1h. Nous passâmes dans cette localité le reste de la journée et le mardi 29 nous nous mîmes en route pour le Grimsel en passant par la Furka. Cette journée fut des plus intéressante, car nous fûmes favorisés par un temps magnifique qui nous permit de jouir en plein de ce trajet qui se fit de la manière la plus heureuse mais aussi la plus fatiguant. A 5h, après nous être rafraîchis à l'auberge du Glacier du Rhône nous arrivions au Grimsel où nous fûmes reçus de la manière la plus cordiale par le papa Zybach, lequel dès lors a jugé convenable de mettre le feu à l'Hospice, méfait pour lequel il a été condamné aux travaux forcés. Je ne sais ce qu'il est devenu depuis sa condamnation.

Le lendemain 30 il fit un temps déplorable, néanmoins vers 10 heures nous profitâmes d'un moment d'éclaircie pour nous remettre en route, et nous arrivâmes tout d'une traite, sauf un arrêt assez court à la Handeck, à l'auberge de la Couronne à Meiringen. Il était 7 heures, nous avions grand besoin de repos et nous nous y livrâmes avec une certaine volupté après une journée si humide et si fatiguant.

Jeudi 31: Le temps étant toujours très mauvais, nous prîmes une voiture pour nous conduire à Brienz. De Brienz à Interlaken le trajet se fit en bateau à vapeur. Nous nous logeâmes à l'hôtel de la Jungfrau chez Seiler, où ma belle soeur Stürler, venant de Neuchâtel, nous rejoignis dans la journée.

Vendredi 1 et samedi 2 août: La pluie continuant à tomber par torrent, nous fûmes obligés de rester à Interlaken, où les eaux occasionnèrent des désastres fort considérables et cela au point d'enlever le pont dont la chute fut la cause de la mort de 2 ou 3 personnes.

Dimanche 3 septembre: Les communications étant rétablies, nous partîmes d'Interlaken un peu après 10 heures, et sans nous arrêter où que ce soit nous regagnâmes nos pénates vers 9 heures du soir.

Comme la maison du faubourg était envahie par des ouvriers pour cause de réparations, je profitai de ce contretemps pour aller passer quelques jours d'abord à la Borcarderie, puis à Concise d'où je ne revins que le lundi 18, jour de rentrée des auditoires, aux cours desquels Georges devait assister.

Dans les circonstances pénibles où je me trouvais, plusieurs de mes amis voulant me donner une preuve d'intérêt et d'affection, m'engagèrent successivement à leur faire visite. Je me décidai donc à quitter encore mon chez moi et à faire un petit voyage, dont je transcrivis à mon retour les détails dans mon livre de notes. Je les reproduis ici sans autre commentaire.

Parti le mercredi 3 avec la diligence de Berne, j'y suis arrivé à 7 heures. La voiture de Fritz Pourtalès étant venue me chercher, je suis arrivé à la Mettlen près de 8 heures. La réception dont j'ai été l'objet a été des plus cordiale de la part de toute la famille. Le jeudi après déjeuner Fritz m'a accompagné à Berne où je voulais arrêter une place pour Bâle et faire à tout hasard renouveler mon passeport prussien, ce qui a eu lieu. Nous avons parlé politique avec assez d'abandon, puisqu'il est allé jusqu'à me dire que tout en étant convaincu que notre restauration aurait lieu, il ne la désirait ni immédiate, ni même prochaine. Crainte des conséquences !! C'est à dire qu'il ne pensait pas qu'elle eut aucune chance de durée. Le vendredi promenade après déjeuner, puis de nouveau longue conversation politique avec madame Emilie, dans laquelle j'observe la plus grande retenue surtout à l'égard des noms propres. Ce qu'il y a de mieux c'est que son mari a assisté à toute la conversation, mais n'a pas levé la langue, d'où je conclus que j'ai bien fait de me tenir sur la réserve, malgré qu'elle mit tout en oeuvre pour m'en faire sortir en me parlant beaucoup de messieurs tels ou tels.

Départ pour Bâle à 4 1/2 h. Fritz m'accompagne jusqu'à la diligence. La voiture passe par Soleure. C'était la première fois que je prenais cette route et par conséquent aussi la première fois que je voyais Bätterkinden où ma chère Sophie avait été en pension dans sa jeunesse. L'émotion que j'ai ressentie en approchant de ce village, ne peux guère se décrire, ni peut-être s'expliquer, mais le fait est qu'il me semblait que je devais m'arrêter, que j'allais la voir! Hélas! La diligence a franchi le village au grand trot des chevaux et mon rêve s'est évanoui.

Le samedi arrivée à Bâle à 4 1/2 h du matin, déjeuner à la Cigogne, départ pour Thann à 6h par le premier convoi du chemin de fer et arrivée à Wesserling à 9 1/2 h. Monsieur et madame Aimé Gros me reçoivent de la manière la plus amicale et je note d'abord (pour y avoir recours au besoin) que la famille se compose de M. Gros (Jaques) père et de 7 fils, mais je ne fais la connaissance que de 5 qui sont: Albin, l'un des chef de l'établissement, Aimé, id., Léon, médecin à Sainte-Marie aux mines, Edouard associé de la maison Hartmann à Munster, et Jules établi à Mulhouse. Peu après mon arrivée Aimé, mon hôte, me conduit dans une partie de l'établissement et me donne quelques renseignements sur son organisation. La population de Wesserling ou villages environnant, dépendant de la manufacture s'élève à 16000 âmes dont 6000 ouvriers. Ils ont 150 employés payés à l'année et la paie des ouvriers, non compris celle des ouvrières, s'élève à la somme énorme de F. 150000.- par mois. Leurs principaux moteurs sont deux roues à eau ayant ensemble une force de 150 chevaux et comme auxiliaires deux machines à vapeur de 70 à 80 chevaux.

Dans l'après-midi nous allons tirer à la carabine mais je ne me distingue pas, tant s'en faut. Le soir il y avait spectacle pour lequel on avait fait venir un acteur et une actrice de Paris, de passage à Mulhouse. J'ai demandé que l'on m'en dispensât et je me suis retiré vers 8 heures. La salle de spectacle qui a été construite ad hoc contient environ 300 personnes.

Le dimanche, après un premier déjeuner, nous nous sommes rendus au tir. Après avoir assez mal tiré dans la matinée (je me servais d'une arme d'emprunt qui n'était pas en très bon état) je me suis un peu refait dans l'après-midi et j'ai eu assez de beaux coups pour emporter le 8ème prix, consistant en un service à salade argent et ivoire. Ces messieurs attachent une assez grande importance à cet exercice, car ils en font une véritable fête. C'est ainsi que dans l'après-midi, il y a eu procession des tireurs, musique en tête, distribution solennelle des prix, banquet de 90 couverts, toasts, feu d'artifice et enfin bal chez Aimé Gros.

Des impressions de différentes natures me sont restées de cette journée, les premières pénibles en ce que j'ai cru remarquer que quelques uns des chefs de la manufacture faisaient abstraction presque complète du jour du seigneur. Triste exemple pour leurs nombreux ouvriers. Les autres avantageuses car j'ai pu remarquer leur manière d'être, pleine d'abandon avec leurs ouvriers, la confiance que ces derniers leur témoignent, la grande bonté avec laquelle ils sont traités, ce qui produit le meilleur effet.

J'ai fait la connaissance de M. Issac Koechlin, père de madame Aimé Gros, de monsieur Condret, ancien associé de la maison, de monsieur de Billy ingénieur, aussi du pasteur Diacon, de messieurs Roman père et fils, associés de la maison et de messieurs de Fouronaitre (!) amis intimes de M. Gros. J'ai encore appris que, vu l'étendue de la manufacture il y a une compagnie de pompiers et une garde de 50 hommes dont 25 sont employés chaque nuit.

Le lundi 8 M. Gros et ses invités se mirent en chasse et je les laissai aller. Par contre je fis avec M. Coudret une promenade sur une hauteur dominant Wesserling, d'où l'on jouit d'une vue magnifique sur l'ensemble de l'établissement. Dans l'après-midi seconde promenade en famille et soirée chez M. Gros le père où l'on fit une partie de whist. A Wesserling on joue à un sol la fiche les jours sur semaine et à deux sols le dimanche.

M. Gros me dit que jusqu'à présent l'établissement a coûté pour les constructions, machines, cours d'eau, etc. la somme de 18 millions, réduite par des amortissements successifs à celle de F. 1500000.- Mais plus extraordinaire encore, c'est que les établissements de M. Isaac Koechlin à Wyler, qui lui ont coûté deux millions, ne sont portés dans ses livres que pour dix francs!!

Mardi 9: visite générale des manufactures. Ce qui m'a le plus frappé, c'est l'extrême propreté qui règne dans tous les ateliers et l'air d'aisance des ouvriers. Après le déjeuner promenade générale à Grutli et de là sur la montagne dîner en tête-à-tête avec M. et Mme Gros. Soirée chez leur père. Whist.

Mercredi 10: dans la matinée visite aux établissements de Ste. Amarin. Tissage, blanchissage et apprêtage. Après déjeuner promenade à pied à Stockensohren, charmante campagne appartenant à M. Roman. Jolie maison, petites vallées, collines, cours d'eau, cascades, etc. On ne peut pas se figurer quelque chose de plus joli ni de mieux entretenu. Dîner général de famille avec M. Leblois, pasteur de l'établissement. Jeune encore, il parait s'occuper de sa tâche avec beaucoup de zèle. Soirée en famille. Whist pendant lequel je dors.

Les ouvriers de Wesserling gagnent en moyenne 25 sols par jour. Les plus rétribués gagnent 3 francs, les moins payés 6 sols, mais ceux-ci ne sont que des enfants. Presque tous les chefs de famille sont propriétaires.

Jeudi 11: départ en compagnie de M. Aimé Gros et de Jaques Hartmann fils de Munster, pour Allwyler, château près de Soulz, appartenant à M. Gros le père. Il en a fait une ferme modèle et le gouvernement lui a confié l'Ecole d'agriculture départementale. La moyenne des élèves est de 30 et leur instituteur est un St-Gallois. Il parait que les résultats sont satisfaisants. Le pays environnant est très giboyeux. On y chasse le lièvre, le chevreuil et même le sanglier. Après un excellent dîner préparé par la femme du concierge, qui est suisse, je quitte ces messieurs vers 6 heures. Une petite voiture me conduit à Guebwyler où je suis reçu de la manière la plus cordiale par madame Witz-Witz, chez laquelle je passe deux journées des plus agréables. J'y fait la connaissance de son frère et de sa belle soeur, de son neveu M. Jean Koechlin, de ses parents M. et Mme Frey. Nous faisons plusieurs courses dans les environs et spécialement une au Ballon, au pied duquel se trouve un petit lac très encaissé, entouré de forêts et très pittoresque. On y pêche d'excellentes truites. Dîner à la Roll. Celui du fermier et de sa famille consiste en un gros tas de pommes de terre, placé au milieu de la table et avec cela un peu de serret. Voilà leur nourriture habituelle.

Dimanche 14: madame Willy me donne sa voiture jusqu'à Bollwyler où je prends le chemin de fer pour Bâle où j'arrive à 11h.

Lundi 15: départ de Bâle à 6 h, arrivée à Neuchâtel à 8 h du soir. Grâce à Dieu je retrouve tout mon monde bien portant. En somme je rapporte les impressions les plus agréables de mon voyage pendant lequel je n'ai eu que de l'agrément sans aucune arrière pensée.

Conformément à ce qui avait été entendu après la mort de ma chère Sophie, ce fut le 29 septembre que ma mère vint s'établir à la maison.

C'est le 7 juin qu'on m'annonça sous le sceau du secret le mariage du Dr. Edouard Cornaz avec ma nièce DuPasquier DuPasquier.

Le 28 juin je conduisit à Chaumont, pour y faire un séjour de 4 semaines, Elisabeth et sa gouvernante Mlle Pedolin. Je note cette circonstance parce que c'était la première fois que je devais me séparer de ma chère fille pour un temps aussi long. Au reste j'étais fort tranquille puisque ce séjour avait lieu chez sa tante Cécile Coulon.

Le 7 août eut lieu l'enterrement de ma cousine madame Maximilienne de Meuron.

Le 27 ma cousine Mathilde Bourgeois m'annonça son mariage avec un de mes amis Fritz Favarger, frère du chancelier.

A la date du 5 mai je notai ce qui suit: Je lis le passage suivant dans les études sur les hommes et les moeurs du 19ème siècle de Philarèle Chastes, page 339, Paris, Amyot rue de la Paix:

"Comment résoudre le problème et protéger l'industrie sans sacrifier les hommes? Imitez Neuchâtel, si remarquable par le mélange de l'industrie et de l'agriculture. La façade chaumière est une fabrique, le torrent qui tombe fait tourner la roue industrielle, la récolte succède aux opérations manuelles que réclame le tissage ou l'horlogerie. La somme de labeur humain s'accroit avec la fortune publique. Indépendance de tous, dignité de chacun, habitude du travail et de l'économie, pensée religieuse profondément empreinte au fond de cette vie à la fois charmante et lucrative, poétique et utile, peu de bruit, beaucoup de bien être. Je voudrais que les utopistes modernes condescendissent à voir ce qui se trouve si près d'eux."

Hélas! ce tableau pouvait être vrai, au moins en partie, il y a quelques années, mais ... ... la république y a mis bon ordre.

Le dimanche 11 mai eut lieu l'installation de M. Godet comme pasteur de Neuchâtel. J'y assistai en qualité de membre du colloque. Je me trouvai, je ne sais pourquoi, à côté du préfet Grandpierre et j'eus un moment de vive émotion lorsque ce dernier fit un mouvement d'impatience quand M. Godet prononça les paroles suivantes: "Cette grâce (celle dont était rempli St. Paul) me donne la force de prêter un serment public au pouvoir actuellement établi." L'impression que j'éprouvai alors fut partagé par beaucoup des assistants, mais fort heureusement l'incident n'eut aucune suite.

15 juin: incendie à Diesse où le feu consume 17 maisons dans la nuit du 16 au 17. Nouvel incendie 14 maisons brûlent à Montezillon.

28 juin: un jeune Grote, anglais, qui était en pension chez M. Roulet et qui nous était chaudement recommandé par les LaTrobe, mourut de la fièvre scarlatine. Lorsque la maladie s'était déclarée nous l'avions recueilli dans la maison sur la Place, où il fut admirablement soigné par ma soeur Rose. Nous lui rendons les derniers devoirs le lundi 30

Politique Depuis ce moment mes impressions politiques, quoique aboutissant toujours au même résultat, sont tellement diverses que je prends la résolution (si toutefois j'achève mon travail) de transcrire purement et simplement mes notes et appréciations telles que je les ai écrites dans mes livres de notes, au fur et à mesure des événements. Il y aura sans doute beaucoup de répètitions et de redites, peut-être même quelques contradictions, mais seulement apparentes. Quoiqu'il en soit je n'ajouterai ni ne retrancherai rien.

15 mai 1851 Henri d'Ivernois me dit que l'esprit commence à changer dans la vallée des Ponts et que l'on en vient à comprendre que si nous voulons sortir de l'état où nous sommes, il faut faire nos affaires nous-mêmes. D'un autre côté on disait aujourd'hui que M. Philippe Bovet, revenu dernièrement d'Allemagne, avait entendu M. de Sydow se plaindre de ce que les Neuchâtelois revenaient toujours à la charge auprès du Roi; que celui-ci avait donné sa parole qu'il ne nous abandonnerait pas et que cela devait suffire.

16 Mai 1851 Longues conversations politiques avec M. l'ancien conseiller d'Etat Delachaux, de laquelle il résulte qu'il commence à se faire un revirement dans l'opinion des royalistes, opinion qui tend à ceci: c'est qu'il faut avant tout se préoccuper du bien du pays. Cependant dit-il, le moment d'agir n'est pas venu; il faut attendre le 15 octobre, si d'ici là le Roi ne s'est pas prononcé, ce sera le moment de nous prononcer nous-mêmes. Attendons !!!

21 mai 1851 Edouard de Pury et sa femme ont vu M. de Sydow dans leur voyage de noce. Il leur a paru triste et entrepris. Il disait à Rose que le plus beau jour de sa vie serait celui où il pourrait revenir à Neuchâtel; mais il avait l'air de douter que cela pût jamais arriver !! Après cela entretenez le royalisme !! Mon Dieu que de dupes !!!

18 juillet 1851 ma mère m'avait annoncé la veille la visite d'Albert Pourtalès, en passage à Neuchâtel. A 10 1/2 h Albert n'est pas encore venu, au reste il n'y a rien d'étonnant; je pense qu'il est ici pour tout autre chose, car je vois s'acheminer contre son domicile certain membre du cabinet noir, d'où je conclus qu'il y a réunion. Albert arrive un peu après midi et me fait une visite d'environ demi heure. Il se montre très affectueux, me dit même qu'il viendra me voir au mois de septembre à son retour des bains; mais d'invitation d'aller le voir, point. D'où je conclus que j'ai raison lorsque je dis que sa mère a fait le serment de ne plus recevoir chez elle les gens qui ont prêté serment à la république. Soit ! Toutefois je le questionne sur notre avenir à cet égard. il n'est pas très explicite, cependant il dit qu'il faut bien que tôt ou tard le Roi rentre dans ses droits et il a l'air de penser aussi que ce sera avant 1852. Il ajoute que jusqu'à présent on a commis fautes sur fautes et qu'en 1849, surtout le Roi n'avait qu'à lever le petit doigt et que notre affaire était réglée. Avec cela il dit aussi que la Suisse doit être mise à la raison, de sorte que, si j'ai bien compris, ce n'est qu'au prix d'un bouleversement général que notre restauration peut avoir lieu. Quand aux affaires de Neuchâtel, il est noir et archi noir, et selon toute apparence (dans mon opinion du moins) il va devenir l'agent de notre cabinet foncé. Malgré cela il ne blâme personne, et sous ce rapport je ne puis le comparer quand à sa manière de voir en politique qu'à M. de Wesdehlen. Je regrette de ne pas l'avoir vu plus longtemps, peut-être en aurais-je tiré quelque chose d'autre. Toutefois il était évidemment sur la réserve et probablement encore sous l'impression de la réunion de ce matin.

22 août 1851 J'apprends que l'on est revenu du pèlerinage à Hechingen, ou plutôt à Baden-Baden, (on s'y était rendu le 17 et le 18). Voici ce que j'ai pu en savoir: Aussi sûr que vous et moi sommes ici, disait, cet après-midi, Wilhelm Du Pasquier au juge de paix Andrié, nous serons restaurés. Telle est la conclusion que l'on tire du pèlerinage duquel on est revenu aujourd'hui. Quant aux paroles que le Roi aurait prononcées, on se tait, au moins jusqu'à présent; peut-être, plus tard, en saura-t-on davantage. Quoi qu'il en soit, voici ce qui s'est passé: Les Neuchâtelois au nombre de 64 attendaient le Roi au débarcadère du chemin de fer à Baden. A l'arrivée de Sa Majesté, ils obtinrent du directeur des chemins de fer, de rester dans l'enceinte réservée et ils crièrent: "Vive le Roi!" Après quelques pourparlers, le Roi leur fit dire qu'il ne pouvait pas les recevoir au château, mais il se rendit chez M. de Sydow où eut lieu l'entrevue. Elle dura trois quarts d'heure, en présence du prince de Prusse, de M. de Manteuffel et de deux aides de camp et aussi de Mme de Sydow, à ce que je crois. Le Roi fut très aimable pour chacun et donna à tous une poignée de mains. Il causa beaucoup, de même que le Prince et M. de Manteuffel, dont on a été fort content, à ce qu'il paraît. Après l'entrevue, on repartit chacun de son côté. Cependant il paraît que tous les Neuchâtelois n'étaient pas à Baden et que ceux qui étaient en retard auraient été reçus plus tard à Hechingen, mais je ne pense pas qu'ils soient fort nombreux. En tout cas la scène principale a eu lieu à Baden, car c'est là que se trouvaient les gros bonnets. Wesdehlen et Meuron sont de retour.

23 août 1851. On est plus explicite aujourd'hui que hier sur les paroles du Roi à Baden-Baden. Il aurait dit: "Aussi sûr que nous nous trouvons ici ensemble, aussi certaine est votre restauration. Jamais ma Maison n'a manqué à sa parole et elle y manquera encore moins si possible dans cette circonstance."

Le Prince aurait été encore plus catégorique. Mais d'époque déterminée, point. Seulement, au ton du Roi, les auditeurs ont pensé que l'événement devait être assez prochain.

Maintenant, voilà du positif, et pourtant la position respective est-elle changée? Qui a jamais douté que le Roi n'eût la ferme volonté de nous reprendre? Qui a jamais douté de sa parole et de celle de sa Maison? Mais ce sur quoi on n'est pas d'accord, le voici: C'est que les uns voient la possibilité de la chose et les autres sont persuadés qu'elle est impossible; aussi est-ce dans cette persuasion qu'il pensent qu'il faut être neuchâtelois avant d'être royaliste, entendu que le bien-être de notre pauvre petit pays doit aussi compter pour quelque chose dans la balance.

Cette dernière opinion est la mienne. Honni soit qui mal y pense ! Car si quelqu'un aime et respecte le Roi, si quelqu'un regrette le régime monarchique, si quelqu'un enfin désire le retour de cet ordre de choses, moyennant qu'il ait quelque chance de durer, c'est bien moi. Peut-être plus encore que ceux qui crient bien fort et qui, sans autre façon, me traitent de sans-culotte, car telle est l'épithète dont un des fidèles, ou soit disant tel, a bien voulu m'affubler.

Le major Edouard Bovet, qui lui aussi revient de Baden, me confirme ce que dessus; seulement il me dit qu'ils ont reçu le Roi au débarcadère le 19, au soir, et que ce n'est que le 20, à 10 h. du matin, qu'a eu lieu l'entrevue chez M. de Sydow. Quant aux paroles du Roi, elles ont été sans doute fort explicites et il a dit entre autres: "Que maintenant il est d'accord avec son ministère et ses alliés. La Russie surtout insiste pour le rétablissement de l'ancien ordre de choses, la France laissera faire et l'Angleterre... ah! l'Angleterre on ne sait pas. En tout cas, rien ne peut être fait avant que les affaires de France soient réglées et si elles ne se règlent pas comme on l'entend, alors il faudra encore attendre." C'était parbleu bien la peine de faire tant de bruit, car nous revoilà dans le pétrin, et pour longtemps encore.

28 août 1851 le colonel de Reynier est aux anges de son voyage à Baden Hechingen. Le Roi a été charmant pour tout le monde et spécialement pour lui. Il a été trois jours à Hechingen et trois jours il a dîné à la table de S.M.. entre autres questions (fort intéressantes pour l'avenir de notre malheureux pays) que le Roi lui a faite est celle-ci: "Reynier, savez-vous toujours l'allemand ? et autres de même force. Il parait en tous cas que si confidence il y a eu, ce n'est pas le brave colonel qui les a reçues.

1 septembre 1851 M. Delachaux me parle du pèlerinage à Baden. Il en dit entre autres que le justicier Racine qui s'y trouvait, affirme positivement que le Roi a prononcé les paroles suivantes, si ce n'est textuellement, au moins dans des termes s'en rapprochant beaucoup: "Empêcher le plus de mal possible et pour cet effet prendre part aux affaires du pays". Nos chef noirs se garderont bien de parler de cela et pourtant Racine affirme ne pas se tromper en rapportant ces paroles.

2 septembre 1851 On apprend tous les jours quelque chose de mauvais sur ce qui s'est passé à Baden et à Hechingen. Je tiens de deux témoins auriculaires le fait suivant. Le Roi a dit: "Je voulais reprendre la Principauté lorsque mes armées victorieuses se trouvaient dans le grand duché, mais j'en ai été empêché et l'occasion ne se représentera pas. Votre restauration est désormais impossible par la force des armes, mais seulement par la diplomatie, etc, etc." La dessus assurances de toute espèce et voilà ce qu'on nous donne comme de nous amener certainement une restauration. L'une des personnes dont je parle est tellement découragée qu'elle songe à faire ses paquets pour s'expatrier. J'omettrai de noter que, après avoir prononcé les paroles ci-dessus, le Roi se repentit à ce qu'il parait, car il fit appeler dans un salon voisin messieurs de Perregaux, de Wesdehlen et une troisième personne qu'on ne m'a pas nommée. Ces messieurs revinrent presque aussitôt et par l'organe de M. de Wesdehlen, elles annoncèrent que le Roi recommandait le secret sur ce qu'il venait de dire, non pas qu'il craignît qu'on connût ses paroles, mais parce qu'il voulait éviter que les journaux s'en emparassent, etc.

vendredi 19 septembre 1851 M. Calame me parait désapprouver le pèlerinage et ne pense pas qu'il ait, sur quoi que ce soit, avancé nos affaires. Par contre il pense que cela ne fait que raviver les haines des partis.

octobre-décembre 1851

Du 17 au 29 octobre je fis un petit voyage qui avait pour but de passer quelques jours à Dullit chez les Auguste Meuron et à Concise chez les DuPasquier. Je remportai de ces deux séjours les souvenirs les plus agréables. Le 6 novembre Edouard Pury et sa femme vinrent se domicilier à la maison. Du 16 au 15 novembre course à Oberhofen chez les Pourtalès avec ma soeur Rose et Mlle Adèle de Pierre. Le voyage se fit avec une voiture de Stauffer et par un très mauvais temps. Il s'agissait pour moi d'accompagner ces dames dont l'une, Mlle de Pierre, va s'entendre définitivement avec madame de Pourtalès pour son entrée comme dame de compagnie chez la jeune princesse de Prusse. Eu égard au mauvais temps et à l'exigüité du véhicule, le voyage ne fut pas très agréable, mais je fus un peu dédommagé par l'accueil amical dont je fut l'objet à Oberhofen, surtout de la part de mon oncle.

Le 11 octobre fut célébré le mariage de ma nièce Uranie DuPasquier avec le Dr. Edouard Cornaz et le 1 novembre celui de ma cousine Mathilde Bourgeois avec mon ancien ami Fritz Favarger.

Le 3 octobre M. Marel, notaire, vint me consulter sur une proposition qui lui était faite par M. de Perrot-Reynier lequel trouvant que son fils n'ayant plus suffisamment d'occupation comme avocat aurait voulu contracter une association entre eux. J'engageai M. Maret à ne pas refuser, parce que j'ai toujours pensé qu'un avocat et un notaire travaillant ensemble devaient faire beaucoup d'affaires. D'un autre côté il faut faire un traité assez serré pour que chacun des associés sache non seulement à quoi il s'engage, mais encore quelle sera sa part de bénéfice. L'essentiel est de s'entendre d'abord sur les bases de l'association. Dans le cas particulier cette entente sera peut-être assez difficile, car Perrot voudra peut-être avoir la part du lion, tandis que en conscience je pense que s'il y en a une, elle revient à Maret qui a une belle clientèle et qui, pour le moment du moins, n'a besoin de personne. Nous verrons ce que cela donnera. En tous cas une ouverture pareille de la part de M. de Perrot fournit matière à bien des réflexions. Nous voilà donc, nous autres nobles ou aristocrates comme on voudra nous appeler, nous voilà en quelque sorte forcés de solliciter le concours de la Bourgeoisie pour nous aider à soutenir notre rang. Il y a longtemps que je prévoyais une semblable solution mais je ne me serais pas attendu à ce que les premiers pas fussent faits par un membre de cette famille. Pour ce qui me concerne, et s'agissant de l'avenir de Georges, j'ai longtemps pensé (depuis qu'il s'était décidé à étudier le droit) que lorsqu'il aurait terminé ses études universitaires, ce serais là une engaine que je chercherais à lui procurer pour lui faire faire ses premiers pas dans la carrière du barreau; car à mon avis, s'agissant de la pratique, il n'y a rien de tel que de suivre assidûment les séances des tribunaux et de travailler dans une étude de notaire bien achalandée où l'on voit toute espèce d'affaires et où surtout on apprend à les traiter d'une manière convenable. Quelques jours après je fus informé que les ouvertures ci-dessus n'avaient aucune suite.

7 octobre 1851 Longue conversation politique à Monruz avec messieurs Charles de Marval, Jämes de Meuron et Alphonse Coulon à l'occasion d'une lettre de Frédéric de Chambrier à son frère Charles dans laquelle il pose en faits

  1. que notre restauration est certaine et même prochaine
  2. que par conséquent toute alliance avec les républicains modérés serait inopportune et même malvenue
  3. qu'il faut prendre part aux affaires mais comme royaliste et nommer un Grand Conseil royaliste.

Il résulte de tout ce que nous avons dit que sur le premier point nous ne sommes nullement d'accord avec lui. Que sur le second nous partageons ses idées, mais seulement momentanément et qu'il se peut fort bien que par la suite et même assez prochainement, nous en différions complètement. Que sur le troisième enfin nous ne partageons point son opinion par cela même que nous ne pouvons pas croire à une restauration.

N.B. Il ne faut pas perdre de vue que lorsque Chambrier écrivait la lettre, il était à Berlin employé au service du Roi et faisant les fonctions de chancelier de la principauté in partibus.

22 novembre 1851 En sortant d'un dîner chez les Wesdehlen, Jämes Meuron me dit que l'on commence à s'occuper de 1852 et qu'un comité s'est formé éventuellement pour diriger le Parti de l'ordre C'est ainsi dorénavant que les royalistes modérés s'appelleront. A la vérité je n'attends pas grands résultats de leurs agissements, car tant qu'on n'aura pas lâché le grand mot et qu'on n'aura pas accepté la république, les partisans de ce régime ne se rallieront jamais aux royalistes quelle que soit d'ailleurs la dénomination qu'ils prennent.

26 novembre 1851 Je reçois une invitation de Fritz Perrot pour le dîner. Il réunit aujourd'hui les membres de la minorité du Grand Conseil. Je suis fâché que le dîner de famille m'empêche d'assister à cette réunion où l'on s'occupera sans doute de la conduite à tenir en 1852 par les royaliste et le parti conservateur en général. Je désire de tout mon coeur qu'ils arrivent à quelque chose de bien, mais j'en doute car je ne puis assez répèter ici une idée que j'ai déjà souvent inscrite dans mes notes: c'est que tant que le Roi ne se sera pas prononcé, ou tant qu'on ne se déclarera pas républicain de fait, les membres conservateurs de ce parti (et il y en a beaucoup) ne se joindront pas aux royalistes. Telle est ma conviction.

4 décembre 1851 J'apprends qu'avant hier, Louis Napoléon a fait un coup d'Etat comme l'on en a guère d'exemples dans l'histoire (voir les journaux) L'on est pas sans inquiétude sur la suite que cette affaire pourra avoir. Aussi attend-on avec quelque anxiété les nouvelles de demain et l'on se demande déjà quelle influence cela pourra avoir sur nos affaires. Nous verrons, mais j'ai bien de la peine à croire que, à supposer même qu'il se fasse nommer empereur, comme tout porte à la croire, cela nous fasse revenir au système monarchique. Enfin nous verrons.

24 décembre 1851 Les journaux de ce matin font prévoir une très forte majorité en faveur de Louis Napoléon et les fonds publics continuent à monter. L'on dit que tout cela hâtera notre restauration et l'on me citait spécialement un mot de M. le Président de Chambrier, qui doit avoir dit que la restauration était plus prochaine qu'il n'aurait osé le croire. Malgré la respectabilité de cette opinion, je doute encore et je ne croirai à un pareil événement que lorsqu'il sera là. Et à supposer même qu'il s'accomplisse, quelle garantie de durée nous donnera-t-on; il suffira d'un coup de pistolet contre Napoléon pour nous remettre dans le pétrin plus que jamais.

1852 janvier-mars

Le 5 janvier j'assistai chez Fritz Meuron à un dîner auquel il avait convié ses amis nés en 1802. Quoique je ne me souciait pas beaucoup de cette fête qui n'en était pas une pour moi à cause de nos relations en politique, je crus cependant ne pas devoir refuser pour ne pas lui faire de la peine, et franchement je n'eus pas à m'en repentir, car tout se passa convenablement malgré le manque de tact de l'un des convives qui voulut amener la conversation sur la politique, mais heureusement sans résultat. Nous étions 7 savoir: Frédéric de Tribolet, Charles de Marval, Edouard de Pourtalès, Alfred Berthoud, Georges DuPasquier, Meuron et moi. Il est à remarquer que, au moment où j'écris ces lignes (août 1860) nous sommes encore tous vivants.

Le 8 janvier 1852 le comité de l'établissement des Jeunes filles du Prébarreau me pria de consentir à accepter les fonctions de caissier et teneur de livre de cette fondation. Je ne crus pas devoir refuser et je consentis à m'en accuper, aidé que je suis actuellement pour la tenue de la Caisse par Alphonse de Pury-Muralt qui trouve toujours tu temps pour tout ce qui est bon et utile. Je succédai dans ces fonctions à M. Auguste Matthey, ancien receveur qui en avait été chargé dès le principe par ma tante Babette de Tribolet-Meuron, fondatrice de l'établissement.

Politique Je continue à copie purement et simplement mes notes (livre de notes No.5)

18 janvier 1852: Il parait que les espérances de restauration sont toujours moins sanguines. Les membres du cabinet noir sont de mauvaise humeur et quelques uns ne la chachent pas.

19 janvier 1852 Enterrement de madame Gallot. J'étais délégué pour porter les coins du drap avec monsieur Charles Albert de Pury, Max de Meuron, ancien maître-bourgeois Meuron et moi ancien membres du tribunal d'Appel. Consulté sur le rang que nous devions prendre, je répondis sans hésiter que les plus âgés devaient prendre le pas. C'eût été alors monsieur de Pury et Max Meuron qui auraient été à la tête. Mais le Banneret n'étant pas de cet avis et trouvant que si l'on suivait mon opinion cela n'avait aucune signification, on prit le parti proposé par lui, de sorte que lui et moi avons pris le pas comme appartenant au corps supérieur ! A la bonne heure !!!

26 janvier 1852: Depuis quelques jours les espérances de restauration paraissent diminuées. Tout ce qu'on entend dire est assez décourageant pour ceux qui avaient une foi implicite dans cet événement. On parle d'assurances données à la Suisse par Louis Napoléon en la personne du général Dufaux.

29 janvier 1852: Le Dr. Sacc me disait aujourd'hui que c'était une infamie que l'on n'eût pas l'air de s'occuper de nous à Berlin.

31 janvier 1852: On me disait hier soir que M. le président Chambrier avait annoncé il y a quelques jours à une personne qu'on m'a nommée, que quand à lui il ne conserverait plus d'espérances de restauration.

le 5 février 1852 Georges donnait un dîner aux maîtres et monitrices de l'Ecole du dimanche. M. le ministre Sauvin, qui en fait partie, me disait qu'on lui avait assuré que le chancelier provisoire de la Principauté (Chambrier) était à Paris depuis quelques jours, et comme il avait l'air d'ajouter foi à cette nouvelle et d'y attacher une grande importance, je lui demandai pourquoi il s'y trouvait? Sur ce il me répondit que sans doute c'était pour contre-signer les actes relatifs à Neuchâtel. Et sur ce que je lui témoignais combien improbable était cette nouvelle ou tout au moins le but qu'il assignait à ce voyage, il ajouta qu'en tous cas ce voyage avait une grande portée ! qui vivra verra ! En attendant, sauf à se tromper et je ne demande pas mieux, je crois que tout cela, vrai ou faux, est absurde.

le 9 février 1852 Visite à madame de Wesdehlen qui pense qu'en politique nos affaires reculent au lieu d'avancer. Elle blâme fortement toutes ces nouvelles plus ou moins fausses que l'on s'amuse à répendre pour entretenir le royalisme. Cependant elle a foi dans la restauration mais elle ne peut lui assigner un terme rapproché. Elle ne sait ni quand ni comment elle viendra et nous tombons d'accord sur ce point que le plus fin n'y voit goutte pas même le Roi.

le 25 février 1852 Visite à Jämes de Meuron qui vient me parler des élections. Il résulte de ce qu'il me dit qu'en général on est découragé et qu'on se dispensera d'y aller. Telle est au moins mon opinion et je la fonde sur ce qu'il n'y a rien à faire tant que notre position n'est pas réglée. Or quand le sera-t-elle? Dieu seul le sait. Le Roi ne veut pas nous lâcher et ne peut pas nous répondre. Ergo !!! Pauvre Pays !

le 28 février 1852 Je trouve sur la promenade Fritz Pourtalès et son frère Louis. Nous entamons la politique et de cette conversation il ressort d'une manière évidente que non seulement cette famille s'apprête à quitter Neuchâtel, mais même la Suisse [heureusement que, dès lors, ils ont changé d'opinion (note de 1860)] En effet suivant ces deux messieurs, la Suisse est perdue à tout jamais. Je gouvernement de Berne est pourri et tombera au premier moment. Celui qui le remplacera fera du socialisme en grand, comme par exemple de décréter l'intérêt à 3 % au lieu de 4 ou 5 ?? Les puissances laisseront faire afin que la Suisse se détruise elle-même, ce qui ne manquera pas d'arriver. Les conservateurs ne sont conservateurs que de leurs culottes et encore ils les perdent. Le terme même de conservateur est un non sens, car ils ne conserveront rien du tout. Une fois Staempfli à la tête du gouvernement de Berne, le gouvernement fédéral tombera également et sera reconstitué par Druay, Rueff dans le sens du radicalisme le plus dur et du socialisme le plus rouge. En un mot tout va au plus mal. Bloesch et son gouvernement ne sont que des imbéciles, etc, etc. Il faut avouer que tout cela n'est pas gai, mais je crois réellement que ces messieurs se grossissent l'avenir à plaisir. Quand à moi, et sans prétendre précisément que tout va bien, tant s'en faut, je ne puis cependant partager toutes ces craintes.

5 mars 1852: Le Grand Conseil a décidé hier que les élections auraient lieu le 28 mars. Voilà donc une deuxième législature qui va s'installer et notre position est toujours la même. Il y a plus encore: la scission qui existait entre les royalistes, laquelle, dirait-on, devrait être finie à cette époque est plus prononcée que jamais, et il est maintenant certain que le futur Grand Conseil sera composé presque entièrement de radicaux, parce qu'on ne sait ou on ne veut pas s'entendre.

Grand Dieu! où allons-nous et dans quel piège nous a-t-on fait tomber? Quels sont les sens de ces gens qui nous précipitent dans l'abîme parce que, disent-ils, plus mal les affaires iront, mieux cela sera. Ont-ils encore quelque espérance d'une restauration désormais quasi impossible et ne pensent-ils plus à leur pays ? Ne se trouvera-t-il pas enfin un homme assez indépendant pour faire un appel à la fusion des honnêtes gens royalistes et républicains et ne pourra-t-on pas en définitive arborer le drapeau neuchâtelois sans arrière-pensée? Là et là seul est le salut de notre pauvre pays, c'est mon intime conviction. Mais, diront ceux qui seront appelés à lire ces lignes, pourquoi ne prenez-vous pas l'initiative. Hélas! Ma réponse est bien simple, ma situation m'en empêche absolument. Je ne puis pas être un homme politique. Le directeur de la Caisse d'Epargne doit être un homme neutre et ne peut faire parler de lui en dehors de la sphère qui lui est assignée. D'ailleurs ce n'est pas à 50 ans qu'on entre en lutte. Il faut quelqu'un de plus jeune. Ne trouvera-t-on donc personne ? Dieu le veuille !

Visite de Paul Jeanrenaud qui vient me parler d'élections et de profession de foi. On jurerait qu'il savait ce que j'avais écrit là-dessus, car il m'a manifesté les mêmes sentiments que ceux exprimés.

6 mars 1852: Je reçois plusieurs visites politiques et je déclare, tout en ne voulant pas me mêler des affaires d'une manière active que mon opinion est telle que je l'ai transcrite ci-dessus. On est toujours très divisés sur la manière d'agir lors des élections. Un grand nombre veulent s'abstenir, un plus grand nombre encore veulent aller voter, les uns avec une liste purement conservatrice, les autres avec une liste mixte, et cela pour aboutir à quoi ? à rien, tant que l'on ne se joindra pas franchement aux républicains honnêtes. Cela est dur à penser, mais c'est comme cela et l'on n'y changera rien à moins que le Roi !!! mais .... ....

7 mars 1852: madame de Wesdehlen disait aujourd'hui à ma mère que depuis fort longtemps M. de Perregaux n'avait rien reçu de madame Pourtalès à Berlin, ce qui n'était pas bon signe, et que d'un autre côté on commençait à avoir des doutes sur la capacité de M. de Sydow, dans ce sens du moins, c'est que relativement aux affaires de Neuchâtel il n'avait pas vu juste. Et c'est dans ces circonstances que l'on nous fait considérer la restauration comme prochaine et que l'on nous engage à nous abstenir des élections !! Jésuites que vous êtes.

10 mars 1852: Je reçois la visite d'Edouard DuPasquier qui vient encore me parler d'élections et me demander si je suis bien décidé à m'abstenir. Je réponds que oui tant que l'on n'abandonnera pas la ligne de conduite que l'on croit devoir continuer à suivre. Je lui avance bien franchement, mais en le priant de le garder pour lui, que je trouve que messieurs Chambrier et Calame auraient bien fait de ne pas se mettre autant en avant dans les circonstances actuelles, car ce sont eux, plus que personne (même le cabinet noir) qui entretiennent le ryalisme, dans ce sens au moins que leur drapeau est toujours celui du Roi, et que, par l'influence, bien légitime du reste, qu'ils exercent, ils empêchent toute fusion entre les républicains modérés et nous autres.

17 mars 1852:Rodolphe Stürler me dit que les personnes les mieux informées annoncent qu'on s'occupe de la Suisse à Francfort mais dans quel sens ? Nul ne le sais. Toutefois ces royalistes paraissent reprendre grande espérance ! C'est comme à l'ordinaire !!

18 mars 1852: On colporte par la ville, me dit-on, une lettre de M. de Sydow qui donne à entendre dans des termes formels que notre restauration aura lieu avant les élections. Or les élections sont fixées au 28 courant, c'est-à-dire dans dix jours !!!

19 mars 1852: Visite à madame de Wesdehlen où je trouve mademoiselle Henriette Petitpierre, sa belle-soeur. Ces dames sont en dissentiments sur la question de savoir si le cabinet noir travaille, oui ou non, à ce que l'on n'aille pas aux élections. Madame de Wesdehlen prétend que non, mademoiselle Petitpierre que oui et on m'interpelle. Je dis franchement ce que j'en sais, c'est qu'on a travaillé mais qu'on ne travaille plus. La dissension s'anime et Mlle Petitpierre va chercher son frère. Malheureusement il n'est pas à la maison, sans cela il serait venu et à lui aussi j'aurais dit bien franchement tout ce que j'avais appris. Ce que je sais de plus clair et ce que l'on avoue même, c'est que le cabinet noir désire un rapprochement avec M. de Chambrier, mais que celui-ci se refuse à entrer en pourparlers. Pourquoi ? C'est ce que l'on ignore. En sortant, madame de Wesdehlen m'annonce que son mari aura positivement une explication avec moi. J'attends son appel, mais je ne prendrai pas l'initiative.

20 mars 1852: Visite de M. de Sandoz-Marval qui vient m'annoncer que je suis désigné comme candidat au Grand Conseil. Je refuse formellement, me fondant essentiellement sur ma place de directeur de la Caisse d'Epargne, position que je ne veux compromettre en manière quelconque.

22 mars 1852: Je reçois la visite de deux délégués du Val-de-Ruz (messieurs Breguet de Coffrane et Numa Guyot de Boudevilliers) qui viennent m'offrir la députation pour la circonscription électorale de Coffrane. Je les remercie de leur bons souvenirs et les prie de témoigner toute ma reconnaissance aux délégués des communes qui les ont envoyés, mais je refuse positivement, d'abord parce que je suis directeur de la Caisse d'Epargne, puis par la raison que j'ai déjà refusé pour Neuchâtel. Ils me témoignent leurs regrets et se retirèrent.

Les affaires se compliquent, M. de Chambrier reçoit des lettres dans lesquelles on luit dit qu'il perd le pays. Elles sont, dit-on, signées l'une de M. Bovet de Vaudijon et d'Areuse, une autre de plusieurs particuliers du Locle, entre autres de monsieur L'Hardy-Droz, Henriot, DuBois, etc. Enfin une troisième de monsieur Matthey Doret, ancien maire de la Brévine, qui menace de rayer de la liste des royalistes tous ceux qui iront aux élections. On dit encore que M. de Chambrier leur répond de bonne encre.

23 mars 1852: Les noirs travaillent à force et on assure que des localités, dont les habitant voulaient, au moins en partie, aller aux élections, ont maintenant décidé le contraire. On parle entre autres de la Sagne.

Dînant chez les Wesdehlen, j'ai avec monsieur une longue conversation politique qui ne sort pas un instant de la plus grande modération. Je ne puis ici en transcrire les détails puisque nous nous sommes imposé un secret absolu. Mais ce que je puis dire en gros c'est que tout en prétendant ne pas influencer, le cabinet noir influence non pas directement si l'on veut, mais au moyen d'agents qui ont l'air d'agir d'eux-même et qui quelque fois font des bêtises en allant trop loin. Ce qui ressort encore de cette conversation c'est que ces messieurs se plaignent de M. de Chambrier qui met, disent-ils, peu de franchise dans les entretiens qu'ils ont ensemble.

24 mars 1852: L'exaspération des conservateurs contre le cabinet noir est très grande à cause des lettres reçues par M. de Chambrier. Il sera curieux de voir ce que cela donnera. L'affaire des lettres à M. de Chambrier s'envenime toujours davantage.

25 mars 1852: Dans l'après-midi il y a un comité électoral chez M. de Chambrier. En en sortant M. Maret me confie sous le sceau du plus grand secret, jusqu'à demain que cela sera public, que M. de Chambrier a reçu du Roi une lettre du 18 mars dans laquelle S.M. annonce qu'elle ne peut songer à nous reprendre par la force des armes, ce qui troublerait la paix de l'Europe et que, en attendant des temps meilleurs, ses fidèles neuchâtelois doivent s'efforcer de sauver ce qui reste de nos institutions. Au reste j'espère obtenir une copie de cette lettre que j'accolerai, car elle en vaudra la peine. (accolée à la date du 25 mars à mon livre de notes No.5)

Que va dire le cabinet noir et surtout les auteurs et signataires des lettres à M. de Chambrier, lorsqu'ils verront que c'est toujours lui qui a la confiance du Roi et cela avant tous autres. Quelle tuile sur leurs pauvres têtes !!!

26 mars 1852: Il me parait difficile au vu de la lettre ci-dessus que l'on puisse encore conserver des espérances de restauration. Au reste sur ce point comme sur beaucoup d'autres les opinions ne seront pas les mêmes.

27 mars 1852: On parle d'une circulaire de M. de Chambrier aux diverses localités du pays, qui lui ont écrit des lettres, dans laquelle les membres du cabinet noir sont traités sans aucun ménagement. Si cela est exact, comme je le crois, une réponse ne se fera pas attendre et alors gare la guerre !!

M. Maret vient me dire qu'une bonne partie des pièces citées précédemment sont dans le "Républicain" d'aujourd'hui. Quel gâchit !!! Je le prie de me procurer ce numéro du journal, il me l'apporte dans la soirée. Quelle aigreur ? Quelle rancunes ? Quelles haines ? Tout cela pour provoquer. Je suis trop heureux de m'être complètement abstenu de politique depuis quelques temps. Au moins suis-je en dehors de tout ce tripotage qui certe ne peut faire aucun bien. Ce qu'il y a de pénible dans tout cela, c'est que c'est de notre pauvre pays qu'on s'occupe le moins. Quand donc ouvrira-t-on les yeux ?

28 mars 1852: Aujourd'hui, jour d'élections générales au Grand Conseil, mon intention est non seulement de m'abstenir, parce que je suis persuadé qu'on fait fausse route, mais encore de ne pas sortir de chez moi (toujours pour me tenir en dehors de l'agitation excessive qui existe surtout entre les royalistes)

L'affaire des lettres s'envenime toujours davantage. Les noirs disent que les pièces du procès sont à Berlin et que le Roi jugera.

On m'assurait cet après-midi que par un abus de confiance injustifiable, c'était le professeur Perret qui avait fait autographier la lettre de Fritz Chambrier et que c'était par l'imprimeur qu'elle avait été livrée au Républicain. Une adresse de confiance adressée à M. de Chambrier se couvre, dit-on, de signatures. La signerai-je ? Cela est encore douteux, mais je ne le pense pas, voulant conserver ma pleine et entière indépendance. Arrivé à la fin de cette journée, je demande à Dieu, du fond de mon coeur, que tout ce qui s'est passé cer derniers jours ne laisse pas trop d'aigreur dans les esprits.

30 mars 1852: Je rencontre Fritz Pourtalès qui me dit qu'il avait l'intention de venir me voir. Nous parlons des tristes affaires du jour. Il ne me dit rien que je ne sache déjà, mais il convient qu'on a eu des grands tords des deux côtés. Il ne se confirme pas que Perret ait fait autographier la lettre de Fritz Chambrier, mais ce qui est positif, c'est que sans autorisation il en a fait, fait faire et laissé faire plusieurs copies, ce qui n'est pas moins odieux. Somme toute je suis content de la conversation et toujours plus content aussi d'être resté neutre, ma position n'en est que plus facile.

Visite à madame de Wesdehlen pour la remercier de m'avoir fourni l'occasion de m'expliquer avec son mari.

31 mars 1852: Le Républicain d'hier donne la lettre du Roi, ci-devant mentionnée, de sorte que la république sait au moins bien à quoi s'en tenir; aussi les républicains font-ils assez gorge chaude. Fritz Pourtalès vient me voir et me confie sous le sceau du secret que l'on tente un raccommodement entre le cabinet noir et M. de Chambrier. C'est le premier qui fait les avances par l'entremise de M. Max Meuron. Il est chargé d'assurer M. de Chambrier du respect et du dévouement de tous ces messieurs et de leur envie de vivre en bonne intelligence, moyennant qu'il déclare qu'il n'a pas eu l'intention d'offenser les personnes qu'il nomme dans les circulaires adressées à diverses personnes. Dieu veuille que ces démarches aient du succès.

avril-septembre 1852

Du 12 au 25 avril je fis un voyage dans le but de conduire Georges à Heidelberg et j'en profitai pour aller à Francfort. J'ai gardé de cette excursion un souvenir d'autant plus agréable que pendant ces quinze jours je n'ai pas entendu mot de politique.

Le 4 juin 1852 je me remis en route pour un plus long voyage. Je visitai sucessivement Bâle, Strasbourg où j'assistai le dimanche 6 à la distribution des aigles aux garnisons de la ville et autres lieux circonvoisins, cérémonie assez imposante où je ne puis cependant remarquer aucun enthousiasme, quoique, au dire de certains journaux "des cris mille fois répétés, etc, etc.". Je partis pour Paris le même jour à 6 h du soir pour arriver dans la grande capitale le lendemain soir à la même heure, le chemin de fer n'étant pas encore ouvert sur toute la ligne. Je restai à Paris du 7 au 16 et j'y employai mon temps de la manière la plus agréable en revoyant presque toutes mes anciennes connaissances. J'y eus aussi quelques conversations politiques assez importantes pour être mentionnées, ce qui aura lieu ci-après. Enfin je regagnai mon chez moi en passant par Bruxelles, Cologne, Biberich, Mayence, Francfort, Heidelberg et Bâle et je fus de retour à Neuchâtel le mardi 22 à 10 h du matin.

Le 1 avril 1852 Neuchâtel fit une perte à jamais regrettable par la mort de M. Auguste Meuron de Bahia, fondateur de Préfargier. Cet homme philantrope par excellence avait déjà fait beaucoup de bien à son pays et en aurait fait bien davantage encore s'il eût vécu. C'est au moins ce qu'il m'avait fait entrevoir dans les nombreuses visites que je lui fis pendant sa maladie, dont malheureusement il n'avait soupçonné la gravité que lorsqu'il fut trop tard pour donner suite à ses intentions, et qui l'êmpêcha de revoir son testamenht. qui a été vivement critiqué et avec raison. Son enterrement eut lieu le 3 au milieu d'un concours immense de personnes de toutes classes et de toutes conditions.

Je dois ici, quoique à regret, mentioner une circonstance qui se rapporte à cette cérémonie et qui prouve à quel degré de haine peuvent conduire les passions politiques. M. le président de Chambrier, comme beau-frère, était deuxième en rang dans le cortège. Eh bien! messieurs du cabinet noir, M. de Wesdehlen en tête, refusèrent de lui donner la main comme c'est d'usage en pareille circonstance. J'ai su depuis que ce manque d'égards universellemnt blâmé du reste, avait fait une vilaine impression sur M. de Chambrier.

Ce fut le 6 avril qu'on placa à l'angle de ma propriété du faubourg la fontaine qui s'y trouve maintenant. J'avais cédé gratuitement le terrain nécessaire moyennant certaines conditions.

4 mai 1852: mort de M. Bovet Borel

Politique, 10 avril: C'est incroyable tout ce qu'on a mis en oeuvre pour empêcher les électeurs des Verrières d'aller aux élections du 28 mars: menaces d'occupation militaire en cas de restauration, assurances positives aux gens des environs que les habitants du village ne voulaient se mêler de rien ! Manoeuvres déloyales qui eut réussi ! Mais honte à ceux qui les ont employées, parmi lesquels on cite entre autres le capitaine Guye et M. Matthey Doret, ancien maire de la Brévine qui parcoururent dans ce but une grande partie du pays.

1 mai 1852 Réunion de la Générale Bourgeoisie de Neuchâtel à laquelle je n'assiste pas. En en sortant Alfred DuPasquier vient me dire que tout s'est passé, si ce n'est tranquillement, du moins régulièrement et que par l'alliance des royalistes avec les républicains conservateurs, les Rouges ont eu complètement le dessous. Voilà un commencement de fusion. Quand viendra la grande ? Là et là seul est le salut de notre pauvre pays.

13 mai 1852: Les idées de fusion font des progrès. Numa Guyot de Boudevilliers, un de mes anciens officiers de carabiniers, me dit que la fusion seule peut sauver le pays. Qu'on commence à s'en convaincre dans le Val-de-Ruz. Lentement ajoute-t-il on n'ose pas l'avouer tout haut.

21 mai 1852: Fritz Pourtalès me disait, hier au soir, que nos affaires n'allaient pas, mais qu'elles avaient risqué de bien aller. Voici, paraît-il, ce dont il s'agit: Le secrétaire particulier du Roi aurait été envoyé à Londres dans le but d'accélérer notre restauration et, d'entrée, la conférence aurait été bien disposée; mais la France a demandé des concessions [Septembre 1860 Par le plus grand des hasards, j'ai appris, il y a peu de jours, en quoi consistaient les concessions demandées par la France et cela d'une manière certaine. Il s'agissait purement et simplement de l'annexion de Genève à la France. C'est depuis l'annexion de la Savoie que les gens bien au fait de la politique de l'Empereur ont commencé à parler] auxquelles les puissances auraient peut-ètre accédé. La Prusse seule a fait fort, je crois, et tout a été rompu. Qui maintenant aura encore de l'espérance?

Visite de messieurs Jämes de Meuron et Calame. Il résulte de la conversation

  1. que M. de Chambrier renonce à habiter Neuchâtel et qu'il ne veut plus prendre part aux affaires. On comprend qu'après ce qui s'est passé, il en soit dégouté. D'ailleurs il est probable que maintenant il sent que le rôle des royalistes, même modérés, est passé, et comme il ne peut pas être Républicain il abdique le rôle de chef de parti. D'ailleurs les affaires sont si peu avancées que Fritz Chambrier doit avoir dit en sortant d'une conférence entre lui, le secrétaire particulier du Roi et Fritz Meuron, que maintenant il ne pouvait plus rester chancelier de la Principauté et qu'on lui faisait jouer un rôle de dupe. Il résulte de ce qui précède que le parti royaliste va encore se diviser et je serais bien étonné si cela ne converti pas bien des gens à mon opinion, c'est-à-dire que bon gré mal gré il faut accepter la république sauf à l'améliorer tant qu'on pourra.

22 mai 1852: Fritz Pourtalès me disait encore ce matin que notre restauration n'avancait pas faute d'une volonté ferme, et dans sa bouche c'est beaucoup; qu'il avait parlé à tous les membres du corps diplomatique à Berne et que tous lui avaient répondu que sans doute les droits du Roi étaient incontestables, mais que la chose était bien difficile. Il me semble que dans la bouche d'un diplomate ce mot veut tout dire.

entre autres choses on m'annonca encore comme positif le départ du professeur Sacc. Certes, s'il y avait quelque chance de restauration, même éloigné, il ne partirait pas.

24 mai 1852: Madame Elize de Meuron me dit que quinze jours après les élections son beau-frère le président de Chambrier lui disait que la restauration était plus éloignée que jamais. Ces propos joints à sa retraite ne sont-ils pas très significatifs ?

Voyage à Paris, 12 juin 1852: Henri de Rougemont me fait part d'une conversation qu'il a eue avec M. de Bunsen à Londres: "Les cinq grandes puissances (c'est M. de Bunsen ou M. de Rougemont qui parle) sont d'accord pour reconnaître les droits du Roi sur Neuchâtel et aucune ne mettra opposition à ce que l'on emploie des moyens coercitifs envers la Suisse pour rendre la Principauté à son souverain légitime. Toutefois, rien ne peut se faire encore, il faut d'abord que le ministère anglais soit stable et, pour cet effet, attendre que la Chambre des Communes ait été renouvelée, ce qui mènera jusqu'en novembre. Mais il y a plus: Il faut une manifestation imposante de la part des royalistes neuchâtelois, au moyen d'une adresse couverte de nombreuses signatures, qui sera envoyée au Roi, et une copie d'icelle à M. de Bunsen, afin que celui-ci puisse prouver au ministère anglais et à l'ambassadeur de France que le parti royaliste à Neuchâtel est, sinon le plus nombreux, au moins très considérable, car ces messieurs (mal informés) pensent que ce n'est pas le cas. A cet égard, ils ne sont renseignés que par des Suisses et qui pis est par des radicaux. En tout cas, la restauration doit avoir lieu, non pas que l'on tienne beaucoup à rendre au Roi une petite principauté, mais parce que c'est une question de principe, que l'on ne peut pas laisser tomber."

Certes voilà du positif, et pourtant je doute encore et mes doutes seront difficilement levés.

Rougemont ajoutait encore: "Si M. de Bunsen tient à avoir les pièces indiquées in-extenso, c'est que, de Berlin, on ne lui envoie jamais que des extraits, or il faut qu'il puisse montrer les originaux au ministère anglais et à l'ambassadeur de France, pour les convaincre de la force du parti royaliste à Neuchâtel. Mais, en tout cas, il repousse toute idée de manifestation violente ou armée de la part des Neuchâtelois.

14 juin 1852: Madame Elize de Meuron me dit que M. de Chambrier a demandé au Roi son congé de président du conseil d'Etat, que la réponse du Roi est intervenue, mais qu'on en ignore complètement le contenu.

16 juin 1852: Le général de Courtigis me parle de la position de Neuchâtel. [Le général de Courtigis figure au nombre des officiers généraux de l'armée de Paris qui, en novembre 1850, jurèrent fidélité et dévouement au prince Louis-Napoléon pour le jour où il lui conviendrait d'agir. (Souvenirs du général comte Fleury. Paris, 1897, tome I, p. 159. ) Par son mariage avec Julie de Meuron, qui était la fille de Guillaume de Meuron et d'Alexandrine Lebel, Courtigis, nous apprend M. Pierre de Meuron, était le cousin germain de la mère de François de Montmollin.].
Je lui dis franchement ma façon de penser à cet égard et il me promet non seulement d'en parler au Prince-Président, mais encore d'insister sur la justesse de mon opinion qui est la sienne. Il m'en écrira.

28 juin 1852 A la suite du protocole de Londres, la manifestation par signatures a eu lieu: on dit qu'il y en a plus de 5000. Par contre, l'on annonce que les républicains font une contre-manifestation qui sera adressée à l'Assemblée fédérale. Reste à savoir combien il y aura de signatures. Une autre manifestation sera la bourgeoisie de Valangin, qui se réunit le 6 juillet. Que sortira-t-il de tout cela? Je ne sais. Ce qu'il y a de positif, c'est que des incrédules jusqu'à présent commencent à espérer. Quant à moi, je ne crois, ni n'espère. Non pas que je croie une restauration absolument impossible. Mais que ferait-on après? Isolés comme nous le sommes, nous serions à la merci du premier mouvement révolutionnaire soit en France, soit en Allemagne. De tout cela je conclus que ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de s'en rapporter complètement à Dieu qui arrangera les choses pour le mieux et pour notre plus grand bien.

29 juin 1852 Je reçois une lettre de Courtigis, que je communique immédiatement à M. Calame avec l'autorisation d'en parler à M. de Chambrier, lettre dont voici la teneur:

"Paris, 26 juin 1852.
J'ai entretenu longuement le Président des affaires de Neuchâtel. Il s'y intéresse beaucoup. Il m'a dit que la France, dans l'intérêt du droit et aux termes des traités, s'interposait pour que le roi de Prusse fût reconnu dans les titres et droits qui lui ont été garantis par les traités de Vienne, mais que la France n'appuyerait pas une restauration proprement dite et qu'elle négociait pour que le Roi en sacrifiât une partie pour assurer au canton de Neuchâtel une indépendance relative, toute particulière, avec un gouvernement librement établi par la majorité de ses habitants et en liaison avec le pacte fédéral suisse. La France n'appuyera pas seulement cette indépendance intérieure pour Neuchâtel, mais pour tous les autres cantons suisses, de manière à faire cesser l'oppression des petits par les grands et d'y combattre le radicalisme par le bon sens populaire en général. Telle est actuellement la marche que compte suivre le gouvernement. Je ne pense donc pas qu'une restauration proprement dite s'effectue à Neuchâtel; les dangers qui en résulteraient plus tard pour le canton n'ont échappé à aucun homme politique non intéressé personnellement dans la question; et je ne doute pas qu'une fois le principe de la légitimité de la domination prussienne reconnu, tout tendra à en éviter les conséquences; mais je crains que, de la part de la Prusse, cela n'entraîne à des négociations qui, si elle résiste, feront trainer les choses en longueur; en sorte qu'à moins d'une grande sagesse de la part du Roi, je crains que le statu quo ne dure encore longtemps. Il serait du reste bien important que toutes les personnes d'opinion modérée qui aiment leur pays pour lui-même fissent entendre au Roi la voix de la vérité plutôt que d'un aveugle enthousiasme. Cela hâterait beaucoup la solution."
[Signé]: Courtigis.

30 juin 1852: Grande agitation provoquée par un appel fait dans le républicain et par une proclamation aux patriotes de se rendre à la Bourgeoisie de Valangin qui doit se réunir mardi prochain. Le but de cet appel est de contrebalancer la manifestation royaliste qui devait être le résultat de l'assemblée. Que fera le pouvoir ? Que fera la Bourgeoisie ? Quand au premier je ne sais, quand à la seconde, son conseil se réuni aujourd'hui pour aviser.

Depuis quelques semaines je songeais à me remarier et à donner une mère à mes enfants. J'étais préoccupé surtout d'une recommendation que m'avait faite ma chère Sophie, dans une maladie dont elle avait cru ne pas revenir, et qui m'avait adressé ces paroles: François, tu te remarieras et tu épouseras Cécile Sandoz. Comme j'avais 50 ans sonné, je pensais que c'était le moment d'agir. Cependant avant de faire aucune démarche, je crus devoir communiquer mes projets à mon cher fils d'abord, puis à ma soeur Coulon après toutefois m'en être ouvert à ma belle-soeur Julie DuPasquier.

Nous verrons dans la suite de cet écrit comment se dénoua l'ouverture que je fis à la personne intéressée et comment tout se termina par un événement que je dois à juste titre considérer comme l'un des plus heureux de ma vie.

Faits divers: Ce fut le 9 juillet que le bateau à vapeur "le Cygne" fit sa première course. Ce bateau n'est pas le premier qui ait navigué sur le lac de Neuchâtel. Il avait été précédé de deux autres. qui n'avaient pas fait leurs affaires, mais il était le premier de la série de ceux qui sillionnent maintenant (1860) les lacs de Neuchâtel, de Bienne et de Morat.

11 juillet 1852: Mon neveu Paul Coulon, maintenant pasteur à Fleurier et alors proposant de fraiche date lit ses commandements pour la première fois.

23 août 1852: Mort de madame DuPasquier Roulet, cousine de ma femme.

Politique On continue de s'agiter beaucoup relativement à la Bourgeoisie de Valangion. Les deux camps font fort. Le Conseil de Bourgeoisie a écrit au Conseil d'Etat qu'il le rendrait responsable des désordres qui pourraient arriver. Les radicaux recrutent partout, on prétend qu'ils seront environ 10000, mais on ne sais pas encore quel sera le lieu de réunion.

2 juillet 1852: Voir les journaux pour ce qui concerne et concernera la Bourgeoisie de Valangin.

12 juillet 1852: madame Elize de Meuron m'apprend que Wesdehlen était à Londres dans les derniers jours de juin et les premiers de juillet, car en revenant il passait à Paris le 5, en repartait mardi 6 jour de la Bourgeoisie de Valangin. Il n'est donc pas étonnant qu'il n'assistât pas à la manifestation. Il est évident, à mes yeux du moins, qu'il portait à Londres les listes des fameuses signatures. Voilà encore pourquoi il y avait procession des membres du cabinet noir chez lui mercredi 7 dans l'après-midi. Il venait d'arriver.

17 juillet 1852: Je reçu une lettre de monsieur le pasteur Ladame de La Chaux-de-Fonds (voir livre de notes No.5) Je ne la transcrirai pas ici vu sa longueur, mais le résumé en est que, prévoyant une excitation toujours croissante dûe au protocole de Londres et aux assemblées de Valangin, et redoutant une catastrophe, il me supplie de voir s'il n'y aurait pas moyen de calmer l'agitation au moyen de pourparlers qui auraient lieu entre les hommes calmes et recommandables des deux partis. Je lui réponds que sans doute tout ce qui se passe est déplorable, que ses vues sont excellentes, mais que je ne puis me mettre en avant. Quoi qu'il en soit et vu la gravité du contenu de cette lettre, je crois devoir la montrer à M. Calame.

19 juillet 1852: Visite à M. Calame à l'occasion de la lettre ci-dessus. Nous tombons d'accord que dans les circonstances présentes il n'y a rien à faire dans le sens indiqué. Ces propositions viennent trop tôt ou trop tard. Elles auraient eu plus de chances de succès avant le protocole de Londres et surtout au commencement de l'année et avant les élections.

21 juillet 1852: Le président Dardel vient dîner avec moi, nous causons beaucoup des affaires du jour et je lui communique entre autres avec autorisation d'en parler à son collègue le professeur Prince un résumé de la lettre de M. Ladame.

22 juillet 1852: Extrait d'une lettre de Courtigis datée de Tours le 19 courant: "Je ne sais rien de mauvais au sujet de Neuchâtel mais croyez bien en ce que je vous ai dit, c'est que la politique du Prince et du gouvernement, tout en reconnaissant les droits du roi de Prusse, négocie pour l'indépendance de Neuchâtel et qu'elle ne manquera pas de s'appuyer sur l'espèce de démonstration populaire qui a eu lieu à Valangin. Dans de pareilles circonstances il me paraitrait bien utile, que les personnes notables, qui comme vous-même et bien d'autres préfèrent la stabilité et le vrai bien de leur pays à une satisfaction de sentiments personnels, ne fassent pas tous entendre leurs voix, pour ôter au voeu général qui se manifeste toute espère de couleurs et d'esprit de parti. C'est le cas de dire: Le pays avant tout! toute autre considération d'intéret personnel ou de sentiment doit s'effacer devant ce grand principe."

23 juillet 1852: M. Huguenin de Mulhouse dont j'avais fait la connaissance à Wesserling dîne avec moi. Il est républicain et voit beaucoup de monde dans le pays parce qu'il y a beaucoup de relations d'affaires. Il a l'intime conviction qu'en cas de restauration, les républicains neuchâtelois joueront leur va tout et qu'ils tapperont dru à droite et à gauche, avant de partir pour l'Amérique où un grand nombre d'entre eux ont l'intention de se réfugier, pour éviter les rigueurs du pouvoir monarchique, car eux aussi sont persuadés qu'on frapperait sur eux sans grâce ni merci !
Belle perspective !!

28 juillet 1852: Il parait que, avant son départ, Ibbetson a reçu une lettre de M. de Bunsen qui lui annonce un accroc pour les affaires de Neuchâtel. La France et l'Angleterre voudraient toutes deux attacher le grelot pour exercer une influence sur la Suisse. Mais ne veulent pas agir simultanément, et chacune revendique la priorité des démarches, de sorte que jusqu'à ce qu'elles se mettent d'accord, il est probable que rien ne se fera. Or, dit-on, Ibbetson va faire tout son possible pour que quelque chose se fasse. Nous verrons bien. Où en sommes-nous réduits pour que ce soit un anglais qui se mette en avant pour forcer la restauration ? Je disait quelque part que M. de Bunsen avait fait une sottise en proclamant, en quelque sorte publiquement, le résultat de la séance où le protocole avait été signé. Tout ce qui se passe ne fait que me confirmer dans cette idée, et j'en reviens toujours à mes moutons, c'est que notre restauration est chose impossible, au moins très difficile et que nous ne parviendrons à faire quelque chose de bien et à changer de gouvernement que lorsque tous les honnêtes gens se réuniront dans une seule et même idée: "le bien du Pays avant tout"

29 juillet 1852: J'apprends que le Grand Conseil s'occupe de l'abolition de la Bourgeoisie de Valangin et que probablement la motion passera. Ils font une grosse sottise, d'abord parce que c'est vider la constitution et ensuite parce que c'est inutile, attendu que d'ici à ce que cette corporation soit appelée à se réunir de nouveau, notre pauvre pays sera décidément monarchique ou républicain.

1 août 1852: Aujourd'hui dimanche sermon de M. Godet sur l'obéissance aux Puissances supérieures. Discours qui est sévérement critiqué par les royalistes noirs et pourtant c'était la critique la plus amère qu'il pût faire du gouvernement actuel, car il disait: "Obeissez lors même que le gouvernement auquel vous êtes soumis serait lui-même sorti de la violence et de la révolte!". Pour ce qui me concerne j'accepte en plein les devoirs prêchés et je l'ai dit à M. Godet, tout en ne lui cachant pas que pendant tout le sermon j'avais été en chair de poule.

On parlait beaucoup aujourd'hui de la Loi sur la Haute Trahison (voir les journaux) et quelques personnes pensaient qu'il n'y avait plus qu'à quitter le pays. Je crois que l'on se fait des montagnes à plaisir. Il est vrai que la loi est ridiculement sévère, et je crois tout à fait hors de propos, car personne ne songe à bouger. Quand aux correspondances, s'il y en a, on saura bien les soustraire à l'autorité. Mais je crois que c'est plutot un épouvantail qu'autre chose et surtout l'envie de montrer ou de faire croire qu'on est fort.

2 août 1852: On est tellement effrayé de la loi sur la Haute Trahison, que j'appelle Philippine (oeuvre de Philippin), que à Valangin, le bruit ayant couru qu'on arrêterait tous ceux qui ont été en pélerinage à Baden l'année dernière, plusieurs personnes s'étaient disposées à déguerpir mais la réflexion est venue, elles sont restées et je crois qu'elles ont bien fait.

3 août 1852: Je rencontre quelqu'un en qui j'ai toute confiance et qui a vu tout dernièrement M. l'ancien Avoyer Fischer de Berne qui lui a racconté que, dans une entrevue qu'il avait eue dernièrement avec M. de Sydow, celui-ci lui avait dit qu'il était profondément découragé et que le moment était peut-être venu où il devait donner sa démission. Ce à quoi M. Fischer doit avoir répondu que peut-être il aurait déjà du prendre ce parti en 1848. Si cette circonstance se confirme, serait-ce par hasard parce que la restauration approche, ou ne serait-ce pas plutôt une grande présomption en faveur de mon opinion déjà si souvent transcrite dans ces notes ?

4 août 1852: Je dîne chez M. de Castella avec le curé de Neuchâtel. Conversation intéressante. Le curé me dis que les membres de la Fabrique voudraient vendre toutes les propriétés du Faubourg à elle appartenant, afin de bâtir Eglise, Presbytère et Ecoles sur la place Pury !! Ces messieurs marchent ! Je lui réponds que je croyais que leurs désirs devraient être satisfaits, attendu qu'ils ont déjà le Presbytère et l'Ecole et que l'Eglise viendra plus tard dans le même local. Puis madame Jacot-Guillarmod leur donnera la maison sur la route et ils seront alors en possession d'un ensemble qui ne manquera pas d'intérêt.

Au moment où j'écris ces lignes (novembre 1860) le projet d'Eglise a été momentanément abandonné. On a aggrandi la chapelle qui se trouve près de l'hôpital Pourtalès et on a construit un hopital spécialement dédié aux catholiques sur le terrain dominant le Prebytère et le bâtiment d'Ecole.

Le docteur qui revient de La Lance me dit que madame de Pourtalès de Greng lui a confié que maintenant tout le désir de M. de Sydow est que le Roi puisse s'en tirer tant soit peu honorablement avec la question de Neuchâtel !! madame de Pourtalès qui jusqu'à présent avait eu une foi plus que robuste dans la restauration, ouvrira-t-elle enfin les yeux ?

6 août 1852: Jules Challandes, qui était descendu pour un enterrement, vient me voir et me dit d'une manière positive que, d'abord après la bourgeoisie de Valangin, il a été question d'une levée de boucliers du parti royaliste. Fritz Pourtalès devait être le commandant en chef, et Meuron, chef des Montagnes. On s'est assuré dans tout le pays des hommes sur lesquels on pouvait compter. A la Chaux-de-Fonds, il y a eu peu d'entrain, et même si peu que l'on avait résolu de laisser de côté cette localité. Aussi transportait-on déjà les armes disponibles à la Sagne. Somme toute, le mouvement a manqué, mais cela m'explique bien des choses et, d'abord, c'était un dernier effort que l'on voulait faire après la lettre reçue par Ibbetson (28 juillet) [Ibbetson, capitaine anglais, avait pris part aux événements politiques de 1831. En récompense de ses services, il avait reçu la naturalisation neuchâteloise et la bourgeoisie de Valangin.] Ensuite voilà pourquoi Fritz Pourtalès annonçait la restauration pour le mois d'août. Ne serais-ce pas la cause de la lettre de M. Ladame ? (16 juillet) et la catastrophe dont il parle ne devait-elle pas être le résultat des menées royalistes par une levée en masse des républicains? Enfin la non-réussite du projet n'est-elle pas la cause du profond découragement de M. de Sydow? (3 et 4 août). Enfin encore, et brochant sur le tout, cette entreprise avortée n'est-elle point la cause des derniers décrets du Grand Conseil? Quant à moi, j'en ai la conviction. Voilà où quelques insensés ont voulu nous mener, et cela pourquoi?!!! Ici je dois supprimer les réflexions. J'ajoute encore que M. de Chambrier, ayant eu connaissance de ces projets, est allé aux Montagnes pour calmer les populations. Il y est parvenu, mais comment? En promettant au nom du Roi, la restauration!!!
Hélas où allons-nous ?

7 août 1852: J'ajoute, à ce que j'écrivais hier, que le projet de mouvement coïncidait parfaitement avec le retour de Londres de M. de Wesdehlen. Lui aurait-on fait entendre qu'il n'y avait qu'une manifestation matérielle et violente qui pût avancer la restauration? Je serais bien tenté de le croire après tout ce qui s'est passé dès lors. Ce qui donne de grande force à cette supposition, c'est que je viens d'apprendre, par une personne qui était à Londres lors du protocole, et qui est à même d'être très bien informée, que M. de Bunsen, ensuite d'ordres supérieurs, avait dit à Ibbetson de venir à Neuchâtel pour chauffer et qu'il avait même été jusqu'à prononcer ces paroles: "Prenez-moi deux cents hommes, et jetez-moi toute cette boutique par la fenêtre." Ce qu'il y a de curieux, c'est que cette conversation avait lieu après la signature du protocole, qui doit s'exprimer tout autrement que ne le disait M. Henri de Rougemont (voir ci-devant), et qui, tout en reconnaissant les droits de la Prusse, mettait pour une solution qu'aucun moyen coercitif ne serait employé contre la Suisse pour arriver aux résultats désirés.

8 août 1852: Extraits d'une lettre de Courtigis, daté de Tours le 5 courant: "J'ai eu hier des nouvelles de Paris au sujet de Neuchâtel (parties de bonne source). Elles confirment ce que je vous ai dit dans une lettre précédente des intentions du gouvernement et de la tendance des négociations diplomatiques qui sont ouvertes et se poursuivent avec une certaine activité".

9 août 1852: Une lettre que j'ai reçue d'une personne sure, s'exprime ainsi: "Tout n'est pas gai pour nous à Berlin."

14 août 1852: Hier j'étais à Greng, où l'on ne m'a plus paru aussi sanguin vis-à-vis de la restauration. L'on envisage le fameux protocole comme une sottise à mesure qu'il n'aura pas de suite. L'on quitte définitivement Berlin. En un mot, on a l'air vexé contre le Roi et sa manière d'agir. Or, qui se trouvait à Greng? Mon oncle Albert, [Frédéric de Pourtalès-Castellane et ses fils Albert, ministre de Prusse, et Guillaume, mentionné plus bas.], son ami le comte de Goltz, homme rempli d'esprit, dit-on, en tout cas fort aimable, le colonel May, le curé de Bottens. Avec tous, j'ai parlé politique, mais plus particulièrement avec Albert, Goltz, et le colonel May, et les deux derniers partagent ma manière de voir. Il est bon de remarquer que M. de Goltz est diplomate prussien. Il paraît que Fritz Chambrier revient en Suisse, au moins momentanément, mais pour le quart d'heure, il se tiendra éloigné de Neuchâtel.

23 août 1852: Quelques étudiants reviennent de Berlin; ils ne disent rien de bon de nos affaires. M. de Manteuffel ne nous aime pas et ne fera pas grand'chose pour nous. Il faut donc encore attendre. Jusques à quand!!! Le professeur Sacc y a aussi été et a dit à quelqu'un de ma connaissance qu'il était dans la consternation de ce qu'il avait vu et entendu. Ouvrira-t-on bientôt les yeux?

26 août 1852: Quelqu'un de très bien informé me dit que notre situation politique s'en va en dégringolant, mais que, malgré cela, les Noirs entretiennent toujours les espérances.

3 septembre 1852: Frédéric de Rougemont disait, l'autre jour, à Corcelles sur Concise, qu'il y avait moins d'espérance de restauration que jamais.

octobre-décembre 1852

Dans une réunion qui avait eu lieu dans mon bureau à la Caisse d'Epargne, le 31 août, sous la présidence et à l'instigation de M. le pasteur Godet, on s'était entretenu des moyens à trouver pour améliorer la classe pauvre et l'engager à l'économie. Beaucoup d'idées avaient été émises, mais on ne s'était dléfinitivement arrêté à aucune. Toutefois on avait paru se réunir à celle que j'avais présentée et qui sonsistait à donner une prime aux personnes de cette classe qui paieraient régulièrement leurs loyers. De concert avec M. Jules César Clerc je fis un projet de règlement d'après lequel tout chef de famille pauvre qui paierait régulièrement une quote part de son loyer tous les quinze jours, recevrait à titre de prime la cinquième partie du prix de son loyer. Ce règlement ayant été adopté un comité se forma définitivement sous la présidence de M. Jämes de Meuron. Cette oeuvre se poursuit depuis l'année 1853. Trois cent ménages environ en profitent encore (1860) quoique la prime ait subi une réduction de moitié.

Le 28 novembre mon oncle Coulon me parla pour la première fois de l'idée qu'il avait de construire des logements pour les pauvres, dans la propriété ci-devant Gagnebin à l'Ecluse, appartenant alors à la Caisse d'Epargne. Cette ouverture n'eut pas de suites, eu égard à des circonstances complètement indépendantes de la volonté de la Caisse d'Epargne. Toutefois cette idée ayant germé, l'oeuvre fut reprise plus tard ainsi que nous le verrons dans la suite.

Le 21 octobre fut célébré le mariage de ma nièce Marie de Stürler avec Albert Coulon, négociant à Londres.
Le 17 novembre eut lieu la mort de madame marianne DuPasquier d'Ivernois, tante de feu ma femme.

Faits divers, mardi 5 octobre 1852: Toute la matinée il a fait un véritable ouragan qui a empêché la circulation des bateaux à vapeur. La température est extraordinaire pour la saison. Pendant l'ouragan qui dura encore à 6 h du soir, le baromètre a beaucoup baissé. Entre 1 et 2 h le thermomètre marquait +17 1/2 Réaumur (21.9 Celcius) et à 5 3/4 h +16 (20 Celcius).
mercredi 6 octobre 1852: L'ouragan a cassé ou déraciné 8 gros peupliers à la Rotonde et un marronier sur le Crêt. Un des peupliers avait 113 pieds de longueur.
11 octobre 1852: Commencement des vendanges.
10 novembre 1852: On emploie pour la première fois à Neuchâtel le télégraphe électrique.

Politique et chemins de fer: Si je place ces deux objets sous la même rubrique, c'est que la politique n'a pas été étrangère aux chemins de fer et vice-versa.

Les 15 et 16 octobre, je fis une visite à Greng et, à mon retour, je consignai les réflexions que cette course m'avait suggérées. Les voici textuellement:

Et d'abord: la froideur, pour ne pas dire plus, que l'on me témoignait depuis peu de temps après la révolution a complètement disparu et tout le monde, au contraire, m'a témoigné la plus grande affection et la plus entière confiance. En voici la preuve. Nous avons eu en famille une conversation politique, dont j'ai immédiatement fait le résumé: Albert me dit qu'à ses yeux une restauration est désormais impossible, vu la lâcheté du Roi et de son gouvernement qui entassent bêtises sur bêtises. Une seule chose reste à faire aux Neuchâtelois, c'est de s'adresser au Roi pour le prier de nous délier de nos serments d'une manière positive, car il faut pouvoir travailler au bien de son pays et un grand nombre ne se croient pas encore déliés. Cela n'empêcherait pas le Roi de faire valoir ses droits, cas échéant, ce qui n'arrivera pas encore.
Voilà ce que dit Albert.

Ma cousine va presque plus loin et dit que, quant à elle, son opinion est que la lettre du 5 avril 1848 est suffisante et que les Neuchâtelois doivent s'en contenter.
Guillaume ne dit pas grand'chose, mais sourit lorsque je lui dis que je trouve que l'opinion a beaucoup changé dans la maison. En effet, que deviennent toutes ces allées et ces venues d'il y a un ou deux ans? Je comprends maintenant que toute correspondance ait cessé entre Mme de Pourtalès et le Cabinet noir que l'on trouve maintenant bien coupable d'entretenir chez les royalistes des illusions qu'il ne peut plus raisonnablement conserver. En attendant, M. de Pourtalès, qui avait demandé au Roi son congé de Grand-Maître des cérémonies, envoie maintenant sa démission, purement et simplement, parce qu'on a éludé de répondre à sa demande. Au dîner du 15 (jour de la fête du Roi), ma cousine a porté la santé du prince de Neuchâtel et non du Roi, ce qui est significatif. J'ai répondu comme suit: J'y bois en reconnaissance de tout le bien qu'il nous a fait et de celui qu'il pourra encore nous faire, mais!!! Voilà donc mes prévisions qui se confirment de plus en plus.

30 octobre 1852: Longue conversation politique avec James de Meuron de laquelle il résulte que l'état du pays est toujours le même. Cependant il croit que si, à la fin de l'année, la conférence de Londres n'a rien décidé, on ne sera pas loin d'une solution républicaine et que ce sera le cas alors d'envoyer quelqu'un au Roi pour le prier de nous laisser à nous-mêmes.

13 novembre 1852: Après un dîner auquel j'avais été convié par Paul Carbonnier à Wavre, nous avons eu une conversation politique dans laquelle Charles de Chambrier nous a vivement intéressé en nous donnant des détails sur de certaines relations entre son père et le Cabinet noir. Mais de cette conversation est résulté pour moi que l'idée de fusion est encore antipathique à bien des gens et spécialement aux proches, tenants et aboutissants des anciens conseillers d'Etat; et avec cela, on convient que sans la fusion nous sommes perdus. Dès lors je dois présumer que, sans que l'on s'en rende bien compte, cette idée fait cependant des progrès.

16 novembre 1852: J'avais passé la soirée d'hier à la Rochette avec M. l'ancien avoyer Fischer, de Berne, et voici ce que je trouve dans mes notes: C'est une vraie jouissance d'entendre M. Fischer causer et raconter plusieurs épisodes peu connus de notre histoire. C'est ainsi que nous entretenant du peu d'influence que la diplomatie a sur le radicalisme, il nous dit qu'il était très lié avec Sir Stratford Canning et qu'il le vit très souvent à l'époque de sa mission en Suisse, tôt après la guerre du Sonderbund; que ce diplomate était chargé, entre autres, de faire entendre raison aux autorités fédérales sur trois points principaux:

  1. de ménager Neuchâtel à l'occasion de son refus de fournir ses contingents;
  2. de faire en sorte que les cantons sonderbundiens fussent traités avec équité et douceur après leur défaite;
  3. de bien prendre garde de toucher au pacte fédéral.
Eh bien! malgré les recommandations de l'Angleterre, Neuchâtel a dü payer 300'000 livres de Suisse et a été révolutionné trois mois après, les cantons souderbundiens ont été écrasés et le pacte a été bouleversé quelques mois plus tard. Qu'a fait alors la diplomatie? Rien.

Sur la question neuchâteloise, M. Fischer pense que les puissances n'ont pas le loisir de s'occuper de nous et que d'ailleurs après la proclamation de l'Empire, on ne sait trop ce qui arrivera. Les idées d'une annexion à la France commencent à germer, non seulement chez nous, au dire de M. Calame, mais encore dans l'Oberland bernois, selon M. Fischer. C'est ainsi qu'un paysan de ces contrées lui disait spontanément: Mieux vaudrait être français que de retomber sous la patte des radicaux. Qui vivra verra.

19 novembre 1852: On me disait aujourd'hui que le cabinet noir était, pour le moment du moins, complètement découragé. Mais patience, on trouvera bien un moyen quelconque pour raviver les espérances, c'est trop essentiel pour qu'on s'en fasse faute.

18 décembre 1852: Ces jours-ci on ne rencontrait dans les rues que le ministre et professeur Perrot, qui colportait chez ses amis et connaissances une lettre du Roi dans laquelle S.M. lui exprime toute la part qu'elle prend à sa position, suite de sa fidélité. Le Roi termine en lui demandant d'accepter une pension dont on n'a pas pu me dire le chiffre. Personne plus que moi ne se réjouira de cette marque de bienveillance vis-à-vis d'un homme malheureux de toute manières, mais le moment est bien mal choisi pour une pareille manifestation ! Il y a 8 mois à peine qu'il se mettait à dos toute la famille Chambrier par un abus de confiance vraiment révoltant (voir 28 mars). Au reste je suppose que notre pasteur Godet est pour quelque chose dans tout cela, car il se conduit aussi bien avec ses adversaires, que ceux-ci se conduisent mal avec lui.

Divers, 4 décembre 1852: Je reçois la visite de M. Edmond Montandon ancien conseiller d'Etat depuis 1848 qui vient me parler du chemin de fer des Verrières. La garantie ayant été refusée par le Grand Conseil, il voudrait arriver à une garantie par souscription, mais partielle. Je lui annonce que je suis personnellement très disposé à faire d'une manière ou d'une autre un sacrifice dans le but d'arriver si possible à la construction du dit chemin de fer. Je vais ensuite parler de cette affaire à messieurs Martin et Pury. A cette occasion ils me disent que, ayant été éventuellement chargés de recueillir des souscriptions pour le chemin de fer Central. pas un capitaliste n'a pris une seule action, mais que plusieurs se sont annoncés pour vouloir s'intéresser fortement à un chemin de fer neuchâtelois. L'amour propre national commence à se mettre de la partie. Qui sait ce qu'il en résultera ?

9 décembre 1852: M. Auguste Leuba, conseiller d'Etat, convoque chez lui quelques personnes pour s'occuper de la question des chemins de fer. Il s'y trouve 10 républicains et 4 royalistes. Les royalistes sont messieurs H. DuPasquier, Sandoz-Morel, Louis de Pury et moi. Les républicains, la commissaire des chemins de fer nommée par le Grand Conseil. On me nomme membre du comité provisoire, mais je refuse par crainte des conséquences à cause de ma qualité de directeur de la Caisse d'Epargne.

15 décembre 1852: Les délégués conservateurs auprès du comité provisoire des chemins de fer n'ont pas cru pouvoir s'en occuper plus outre sans une espèce d'assentiment des capitalistes de Neuchâtel. A cet effet ils en avaient fait convoquer 50 à 60 pour aujourd'hui, afin de leur soumettre la question de savoir si, cas échéant, ils pouvaient continuer à s'occuper de l'affaire, conjointement avec les membres républicains nommés dans l'assemblée de jeudi dernier. Il s'est présenté à cette assemblée (à laquelle je n'ai pas voulu assister pour la raison ci-dessus) 30 ou 35 personnes, me dit-on. Toutes sauf 5, dont M. Calame, se sont prononcés pour l'affirmative. D'autres encore voulaient éliminer tout d'abord la ligne des Verrières, mais la majorité a donné pour direction de s'occuper d'un réseau général.

Que conclure de ce fait ? Il me semble en premier lieu que l'opinion émise par la majorité représente celle du pays en général, qui désire ne pas être en dehors des chemins de fer. En second lieu et c'est ici, à mon avis, le point important, c'est qu'une fusion commence à s'opérer entre les partis politiques. Voilà des royalistes ou conservateurs qui vont travailler avec des républicains. On apprendra à se connaitre et à s'apprécier, et une fois le premier pas fait, qui sait où cela pourra conduire ? Je ne sais si je me trompe, mais j'ai donc l'idée qu'en s'opposant à la proposition, M. Calame entrevoyait ce résultat, car pourquoi serait-il opposé aux chemins de fer ? Tandis que lui et M. de Chambrier, qu'il aura sans doute consulté, doivent en leur qualité d'anciens conseillers d'Etat du Roi, être complètement apposés à toute fusion politique, attendu que c'est le mot d'ordre venu de Berlin dans la lettre de Fritz Chambrier qui a été rendue publique le printemps dernier. Je conclus donc de tout cela qu'avant qu'il soit longtemps, les conservateurs et les républicains modérés se tendront la main, non seulement pour s'occuper des intérets matériels de notre pays, mais encore de sa politique, et que le moment n'est pas éloigné où l'on ne s'inquiétera plus du Roi, s'il ne veut ou ne peut s'inquiéter de nous.

22 décembre 1852: Je prie mon oncle Coulon de citer le comité de la Caisse d'Epargne pour s'occuper de la souscription aux chemins de fer et j'y souscrit pour mon compte particulier 20 actions. Si cela ne réussit pas, on en sera quitte pour un sacrifice de F 3 à 4 par action, pour faire face aux frais d'étude, voyages, correspondance, etc.

24 décembre 1852: Le comité de la Caisse d'Epargne refuse de prendre part à la souscription, voulant pour le moment et crainte des conséquences, rester complètement en dehors des actions des chemins de fer Suisses.

1853 janvier-juin

Après une conversation avec M. Th. de Rutté, établi à San Francisco (Californie) je me décide à lui confier une somme de cinq mille francs pour qu'il la fasse valoir pour mon compte dans ce pays-là. Je noterai ici pour n'y plus revenir que dans l'espace de deux ans ce capital a doublé. Alors j'ai eu la bonne idée de retirer le capital primitif et de ne laisser à de Rutté que les intérêts. Bien m'en a pris, car un certain Kellersberg, associé à de Rutté, qui tenait la maison de San Francisco, ayant pris la fuite pendant que de Rutté était en Europe, la maison a nécessairement fait faillite et une faillite désastreuse. Néanmoins de Rutté étant retourné en Californie pour prendre connaissance de l'affaire, il est parvenu, au bout de plusieurs années, à conclure un arrangement avec ses créanciers par lequel il s'engage à leur remettre un tant pourcent de leurs créances, dans un laps de temps déterminé. Cet arrangement conclu, il s'est remis à la tête de ses affaires et les créanciers attendront patiemment qu'il puisse donner effet à ses promesses et engagements. Jusqu'à présent il n'est rien venu et cependant je ne désespère pas, car de Rutté est un honnête homme.

14 mars 1853: Départ pour un grand voyage dont plus bas les détails afin que tout ce qui y a rapport soit consigné dans un seul et même chapitre.

Politique, 5 février 1853 On me disait hier que le Roi, à l'occasion des félécitations du travail, que quelques fidèles persistent à lui faire parvenir, avait fait une réponse encore plus explicite que les précédentes, annonçant une restauration prochaine. Pauvre Roi ! Pauvres neuchâtelois !

8 mars 1853: Longue visite de M. D. Dardel, président de la Cour d'Appel. Il me parle de la crise qui a motivé la démission du président Piaget (voir les journaux). Celui-ci lui disait encore ce matin que sa décision était irrévocable et que jamais il ne siègerait au Conseil d'Etat avec Ami Girard et que puisque le Grand Conseil n'avait pas voulu forcer ce dernier à se retirer, lui Piaget, se considérait comme bel et bien démissionnaire. Que du reste il savait bien qu'il n'avait qu'à lever le petit doigt et qu'au bout de 48 heures Girard ne serait plus au château, chassé qu'il en serait par les patriotiques, mais que de pareils procédés lui répugnaient tellement qu'il ferait tous ses efforts non pour les encourager mais pour les empêcher. "Bien plus, ajoutait-il, si contre ma volonté on fait une démarche violente en ma faveur, je n'en profiterai pas, car à aucun prix je ne veux conserver mon poste par la violence, quoiqu'il puisse arriver." Il résulte encore de cette conversation ce que je croyais être malgré que cela ne soit pas l'opinion générale, c'est que Piaget est pour la fusion avec les conservateurs, mais non avec les royalistes, et que dans ce cas où notre affaire serait réglée dans le sens républicain, il serait le premier à la proposer, mais que jusqu'alors il n'en peut être question. Si la minorité du Conseil d'Etat l'a forcé à prendre le parti de se retirer, cela est dû à sa vaine opposition à la garantie demandée pour les chemins de fer, et que cette minorité est vivement appuyée, si ce n'est poussée, par les partisans de cette garantie et entre autres par Brandt Stauffer, Fritz Lambelet, Grandjean, etc., etc. Quoiqu'il en soit la retraite de Piaget est une chose fâcheuse, car on ne sait réellement par qui le remplacer, aussi j'espère encore que d'ici à la session du7 Grand Conseil au mois de mai, on trouvera bien un moyen de faire déguerpir Girard et alors les choses rentreront dans leur état normal, si tant est qu'on puisse appeler état normal le mode de vivre qu'on nous a fait depuis le 1 mars 1848.

(note postérieure) Mes espérances se sont réalisées, Girard est sorti, Piaget est resté. Y a-t-on gagné grand chose ? Non et cela à cause de la malheureuse échauffourée du 3 septembre 1856. C'est mon entière conviction.

Divers, 3 février 1853 Assemblée du cercle de lecture dans laquelle on s'occupe pour la première fois d'une manière sérieuse de l'acquisition de la maison Chatenay pour y installer le cercle.

du 23 au 26 février: Il a fait un tel temps de tempête et de bourrasques de neige que les communications postales ont été interrompues sur presque toutes les courses.

28 février 1853: Première assemblée générale des chemin de fer neuchâtelois (maintenant Franco-Suisse). Voici la liste des membres du Conseil d'Administration composé de 11 membres:
Henri DuPasquier485
Sandoz-Morel481
Pury, banquier468
Louis Edouard Montandon464
Auguste Leuba438
Tengler, colonel428
Fritz Lambelet415
Jacot-Guillarmod411
G.H. Lambelet296
Ladame, prof275
Brandt Stauffer272
  viennent ensuite
Gustave Pury250
Fritz Perrot217
Ad. Pourtalès189
Knab84
Dr. Perret15
Les républicains y sont en grande majorité, mais ce sont des gens capables.

(note postérieure) Cette commission n'a rien produit et ce sont messieurs Leuba, Jacot-Guillarmod, etc. qui ont pris l'affaire à leurs périls et risques jusqu'au moment où en juin 1856, le Grand Conseil a adopté les statuts du chemin de fer Franco-Suisse (voir les pièces officielles)

Voyage à Berlin, Hambourg, Angleterre et Paris commencé le 14 mars et fini le 15 mai.
Parti de Neuchâtel le 14 mars, j'arrive à Bâle le soir et j'y este la journée du 15 pour voir plusieurs personnes. J'en repars le 16 par chemin de fer pour arriver de bonne heure à Heidelberg où je trouve
Georges en bonne santé. Séjour jusqu'au 20. Je profite de cet arrêt pour faire plusieurs promenades intéressantes avec Georges Tribolet et François Pury qui font avec mon fils leurs études à Heidelberg. Le 20 nous allons à Mannheim en compagnie de Tribolet et Pury qui nous quittent dans la soirée. Georges reste pour faire une partie du voyage avec moi. Le 21 départ de Mannheim à 7 3/4 h par bateau à vapeur et arrivée à Cologne à 9 1/2 h. Le 22 séjour à Cologne, j'en profite pour voir avec Georges les curiosités de la ville et entre autres le dôme. J'invite à dîner le jeune docteur Béguin qui est en garnison à Teutz. Le 23 départ pour Arnheim où nous arrivons en douze heures avec le bateau à vapeur. Journée froide et surtout ennuyeuse à cause des tracasseries de la douane hollandaise à Lobilz. Hôtel du Soleil excellent mais fort cher.

Le jeudi 29 nous partons de Arnheim par chemin de fer, de manière à arriver à Amsterdam à 10 heures. Installés à l'hôtel, je fais prévenir M. Louis Junod, ancien précepteur de Georges, qui vint nous trouver avec son nouvel élève Edouard de Werdt. Pendant un séjour d'une semaine en Hollande, nous avons été reçus de la manière la plus cordiale par la famille Werdt. Nous avons visité successivement Laardam et Brock renommés pour leur propreté minutieuse et poussée à l'excès. C'est dans ces villages que la principale pièce de la maison ne s'ouvre que trois fois dans la vie d'un membre d'une famille, c'est à dire à son baptême, à son mariage et à sa mort. C'est encore dans ces localités très spécialement que les vaches, lorsqu'elles sont à l'écurie, ont la queue attachée à une poulie, de manière à ce qu'elle soit toujours suspendue, afin que quelle que soit la position que la vache prend, sa queue ne puisse jamais traîner par terre.

La Haye, dont le musée d'histoire naturelle est magnifique, mais dont le local est tellement insuffisant que le gardien nous assurait que seulement pour ce qui concernait les oiseaux, 20'000 pièces étaient encore en magasin, faute de place.

Haarlem, remarquable par son musée de tableaux et son grand orgue. Notre course dans cette ville, coïncidant avec l'époque du dessèchement du lac, qui, si je ne me trompe pas, a été terminé depuis, nous fûmes admis à visiter dans le plus grand détail l'une des trois pompes employées à cette opération. Chacune de ces pompes aspirait 50 millions de litres d'eau en 24 heures.

J'omettais de signaler que le jour où nous avons été à La Haye, nous avons fait à pied une excursion à Scherveningen, localité célèbre par ses bains de mer.

Le mercredi 30 et le jeudi 31 furent employés à la continuation de notre voyage sur Hambourg en passant par Arnheim, Oberhausen et Harbourg où l'on s'embarque sur l'Elbe. Arrivés le jeudi à 11 1/2 h du matin à Hambourg nous descendons à l'hôtel de l'Europe, un des meilleurs où j'ai jamais logé.

Nous ne sommes restés à Hambourg que 4 1/2 jours, mais grâce à l'obligeance de deux de nos compatriotes, messieurs Auguste Meuron, architecte, et Alfred Borel, ces journées ont été bien employées et bien remplies. Ce que nous y avons vu de plus remarquable, indépendamment des maison pour la classe pauvre et ouvrière (ce qui était mon but principal en entreprenant ce voyage) maisons sur lesquelles j'ai pris un grand nombre de notes, que j'ai coordonnées pour en faire un long rapport que j'ai communiqué à la direction de la Caisse d'Epargne. Ce que nous avons vu de plus remarquable, dis-je, sont les choses suivantes:

Le Wasserkunst, construction destinée à fournir à la ville une eau extrêmement abondante. Ce monument, car on peut l'appeler de ce nom, est situé à quelque distance de Hambourg. Il est muni d'une machine à vapeur de la force de 150 chevaux et élève l'eau à une hauteur de 212 pieds anglais, hauteur jugée suffisante pour conduire l'eau jusque dans les combles des plus hautes maisons de la ville. Pour arriver au sommet de l'usine, il faut gravir 375 marches d'escalier.

Les Serres du sénateur Jenitch dont l'une entre autres ne contient absolument que des plantes et arbustes des tropiques.

Nous partîmes de Hambourg le mardi 5 avril à 5 1/2 h du matin, pour arriver à Berlin le même jour à 4 1/2 h du soir. Nous nous logeâmes au British hôtel où mon frère Auguste et son fils Jean nous attendaient.

Notre séjour à Berlin, qui a été de 10 jours, m'a vivement intéressé non seulement à cause de tout ce que j'y ai vu, mais aussi de tous ce que j'y ai entendu relativement à Neuchâtel. Mais procédons par ordre.

Dès le lendemain de notre arrivée ma première visite fut à Albert Pury qui faisait alors ses études théologiques et qui dans ce moment était assez malade d'une gastrite de laquelle toutefois il commençait à se remettre. Ma seconde visite, et celle-ci nécessitée par les circonstances fut aux banquiers Breest et Delpeke, pour lesquels j'avais une lettre de crédit dont je fis un assez copieux usage. Enfin je me rendis en troisième chez Guillaume de Pourtalès dont la réception fut des plus affectueuses. Je profitai de ses bonnes dispositions pour le prier de me fournir les moyens de visiter quelques unes des maison qui ont été construites, soit à Berlin même, soit dans les environs, à l'usage des classes ouvrières et pauvres. Il y mit une obligeance extrême et ce fut dans son équipage que nous fîmes cette excursion qui m'intéressa vivement quoiqu'elle ait duré plusieurs heures. Je note encore ici qu'une autre fois Guillaume m'a accompagné dans d'autres maisons et qu'il m'a remis plusieurs livres, notes et plans relatifs à ces constructions, pièces qui m'ont été fort utiles plus tard.

Comme M. de Sydow était logé dans le même hôtel que moi, je crus qu'il était convenable que je lui fisse une visite, pendant laquelle, fort heureusement, il ne fut pas question de politique, car si nous avions abordé ce sujet nous n'aurions certainement pas été d'accord, puisqu'il croyait fermement ou tout au moins feignait de croire à une restauration pour Neuchâtel. Tandis que j'avais une opinion diamétralement contraire. Cette dernière opinion était d'ailleurs partagée par plusieurs personnes clairvoyantes et assez à même d'être bien informées qui me disaient "que notre restauration n'était pas probable, et fût-elle possible, elle ne serait pas désirable parce qu'elle n'aurait aucune chance de durée".

Le jeudi 7 avril 1853 je fis plusieurs visites et terminai ma journée par un dîner chez Guillaume, qui me raconta alors un fait qui mérite d'être rapporté: Son frère Albert devant se rendre à Berlin pour quelques jours, avait désiré avoir un appartement au British hôtel, où son beau-père M. de Bethmann Holweg logeais déjà.. Mais le maître de l'hôtel, fougueux partisan du parti de la Kreuz Zeitung refusa net de le recevoir, de peur de se faire un mauvais parti vis-à-vis de ce parti-là, de sorte qu'Albert a du se chercher un logement ailleurs.
Vendredi 8 avril 1853: Je vais avec mon frère à caserne du bataillon pour y voir les neuchâtelois qui y sont encore. Je rentre à l'hôtel pour le dîner après lequel M. le pasteur Andrié vient me prendre pour me conduire au Kreuzberg d'où l'on jouit d'une jolie vue de Berlin.
Samedi 9 avril 1853: Je fais de nouveau quelques visites et j'assiste à une revue passée par le Roi de 3 régiments d'infanterie de la Garde, après laquelle nous nous rendons avec Georges à Charlottenburg, dans le but essentiel de voir le monument de la Reine Louise que je trouve admirable. En arrivant, de retour à l'hôtel, nous trouvons une invitation pour passer la soirée chez madame la chanoinesse de Zastrow, où nous trouvons tous les membres de la famille qui nous comblent de prévenances; seulement trop pour notre liberté.
Dimanche 10 avril 1853: Visite au comte et à la comtesse de Dohna, soeur de madame de Wesdehlen. Heureusement que Guillaume de Pourtalès consent à m'y accompagner, ce qui fait que j'y suis plus à mon aise. De 2 à 3 h sermon d'un monsieur Muller. En sortant nous nous rendons chez M. Andrié, lequel toujours prévoyant et aimable, veut bien m'offrir un dîner où je me rencontre avec les personnes suivantes: Elshotz, médecin en chef d'Etat-major, DuBois père et fils, mon frère Auguste et son fils Jean, le major Merveilleux, Paul Guebhard, Bernard de Gélieu, Ernest Favarger, Henry pasteur français, Benoît L'Hardy professeur et Georges. Réunion fort intéressante. Je passe ma soirée à la maison, après avoir fait en sortant de chez Andrié, une promenade avec Auguste Merveilleux.
Lundi 11 avril 1853 Le temps était magnifique, j'en profite pour faire une excursion dans les environs de Berlin avec Georges et Ernest Favarger. Nous nous rendons successivement à Potsdam, Sans-Soucis, Charlottenhof et Babelsberg, résidence du Prince de Prusse. Nous rentrons à Berlin à 6 h.
Mardi 12 avril 1853: Notre matinée est employée d'abord à visiter le palais avec M. Otto de Zastrow, puis avec son frère Auguste la caserne de Hohenzollern à Moabit ainsi que l'établissement ou plutôt la pension pénitentiaire. J'ai visité plusieurs établissements de cette nature soit en France, soit en Angleterre, mais je n'ai rien vu d'aussi parfait genre ni de mieux adapté au but qu'on veut atteindre. Les détenus y exercent toutes sortes de métiers et cela avec un ordre admirable et un silence complet. Si l'on joint à cela la propreté parfaire qui règne dans la totalité de la pension, on se convaincra facilement, je crois, que le pénitencier de Berlin peut être proposé comme modèle d'établissement de cette nature.

Arrivé au terme de mon séjour à Berlin, je ne peux pas quitter cette ville sans faire quelques politesses. J'offre donc un dîner à mon frère qui part dans la soirée, à son fils
Jean, de Gélieu, major de Merveilleux, Ernest Favarger, Ernest Reynier et Charles Godet. J'avais aussi invité Paul Guebhard qui a refusé. Par contre je n'avais pas convié Eugène de Pourtalès qui n'était pas venu me voir, mais je l'ai regretté plus tard lorsqu'en rentrant, presque au moment de nous mettre à table, j'ai appris qu'il était venu dans la matinée.
Mercredi 13 avril 1853: Je passe toute cette journée chez Guillaume de Pourtalès, avec son frère Albert et le comte de Golz.
Jeudi 14 avril 1853: Préparatifs de départ et visites d'adieu. Nous visitons encore le nouveau musée et l'établissement de Kroll, espèce de café chantant, mais fort bien organisé, aussi les gens de la haute classe ne craignent pas de le fréquenter.
Vendredi 15 avril 1853: Georges me quitte pour retourner directement à Heidelberg. Quand à moi, je me dirige vers Düsseldorf en passant par Brunswick et Hanovre et j'arrive à destination à l'hôtel Breitenbach à 9 1/4 h du soir. Le logis est excellent, mais je suis fort désappointé en ne trouvant personne qui parle le français, et je n'ai plus Georges pour me servir de truchement.
Samedi 16 avril 1853: L'une de mes raisons pour m'arrêter à Düsseldorf était d'y voir le général Kusserw, lequel était en 1831 à Neuchâtel en qualité de capitaine aide de camp du gouverneur de Pfuel. Je lui écrivis donc dès le matin pour savoir si et quand il pouvait me recevoir. Sa réponse ne se fit pas attendre et je me rendis immédiatement à son invitation. Je passai avec lui la journée la plus agréable. Il m'offrit à dîner et me fit voir tout ce qu'on peut voir à Düsseldorf lorsqu'on n'y passe que quelques heures et entre autres l'académie de peinture.

Tout naturellement nous eûmes aussi une conversation sur les événements de Neuchâtel. Eh bien! lui aussi me disait qu'il ne croyait pas à notre restauration, à moins d'une guerre générale et encore !! Cependant le Roi lui avait parlé plusieurs fois d'un commandement éventuel qu'il pourrait bien lui donner et lui avait fait entendre assez clairement qu'il s'agissait de Neuchâtel. Mais le commandement n'est jamais venu et Kusserw est mort, si je ne me trompe.

Je quittai le général à 5 heures et je partis de Düsseldorf à 6 h pour arriver le soir même à Aix-La-Chapelle, à l'hôtel du Grand Monarque. Je note ici que c'est dans la salle de cet hôtel que j'ai vu pour la première, et j'espère pour la dernière fois, l'expérience des tables tournantes. Six personnes étaient autour d'une table ronde assez massive. Elles furent assez longtemps sans pouvoir faire faire aucun mouvement. Enfin la table se mit à tourner. Trois ou quatre des acteurs furent bousculés aux grands éclats de voix de l'assistance. Sur quoi je n'en demandai pas davantage, et je me retirai dans ma chambre.

Dimanche et lundi 17 et 18 avril 1853: Voyage de Aix-la-Chapelle à Londres en passant par Malines, Bruxelles, Lille, Calais et Douvres En arrivant à Londres à 11 h du matin, je me fis conduire de suite chez Albert Coulon où je devais loger. Je trouvai sa femme qui ne m'attendait pas, attendu qu'une lettre que j'avais écrite de Berlin n'était pas encore parvenue. Par contre à 7 h du soir, lorsque son mari rentra de son bureau il ne fut pas surpris de me voir, parce qu'il avait reçu ma lettre dans la journée.

Je restai à Londres jusque et y compris le jeudi 18 et grâce à l'obligeance de Conrad Rahm, qui y continuait ses études en médecine, de M. Roberts, de Jean et Pierre de Salis je vis beaucoup de choses intéressantes et grandioses au plus haut degré. Je mentionne ci-après celles qui m'ont le plus frappé et qui m'ont paru les dignes d'être consignées dans ces souvenirs.

Et d'abord quand à ce qui était le principal but de mon voyage, j'emploie plusieurs jours à visiter des maisons pour la classe ouvrière et pauvre, et je me munis d'une masse de documents qui ont été très utiles lorsqu'on s'est occupé à Neuchâtel d'établissements pareils. Les cottages de Windsor, sous le patronage du Prince Albert, que j'ai visité en détail avec Pierre de Salis, sont les maisons qui m'ont paru le mieux appropriées au but.

J'ai eu l'excellente occasion de parcourir et de voir dans le plus grand détail l'établissement de brasserie de Barclay, Perthins et Co. C'est tout un monde et ce qui pourra en donner une idée c'est qu'il existe dans l'établissement 172 cuves dont la plus grande contient 126'000 galons de bière et la plus petite 36'000. Dans la forte saison il se fabrique jusqu'à 7 millions de gallons de bière par jour.

Muni d'une recommandation pour un des employé supérieur de l'Angleterre, j'ai pu aussi visiter un merveilleux établissement dans toutes ses parties. Il faut l'avoir vu pour se faire une juste idée de tout ce qu'il renferme, ainsi que de l'admirable perfection des machines qui y sont employées, soit pour la confection et le numérotage des billets de banque, soit pour le pesage accéléré et une à une des monnaies d'or. Une fois la tournée finie, tournée qui dura plusieurs heures, je fus introduit dans la salle des directeurs où l'on me mit dans la main un petit paquet de billets afin que je puisse dire que j'ai porté un million de francs dans le plus petit volume et au moins de poids possible. A cette occasion, un des directeurs me raconta qu'un Turc haut placé, ayant été comme moi admis à visiter la Banque, reçu aussi le petit paquet, mais croyant ou faignant de croire que c'était un cadeau, il le mit tout simplement dans sa poche. Ce ne fut qu'à grand peine qu'on put lui faire comprendre qu'il se trompait étrangement et qu'on parvint à le lui faire restituer.

Je mentionnerai encore ici un dîner que je fis chez M. Roberts, architecte honoraire de la société pour l'amélioration des logements pour la classe ouvrière et pauvre, qui m'avait été d'un puissant secours pour la visite des logements de cette catégorie. Je mentionne ce dîner uniquement à cause du curieux assemblage de convives. Voici ce que je transcrit des notes prises le même jour: "Dîner chez M. Roberts. Convives: M. Roberts, sa femme, russe qui a changé de religion, le comte Soldino de Florence devenu protestant, un napolitain et sa femme qui ne se disent pas protestants mais chrétiens, Lord ... pair d'Angleterre, M. Taylor, secrétaire de plusieurs sociétés religieuses, enfin Miss je ne sais comment, fille de l'Evêque de Dublin. Dîner très intéressant quoique je sois loin de partager toutes les idées qui y sont émises.

Vendredi 29 avril 1853 Je parti de Londres à 10 h pour arriver à Liverpool à 4.45. Je trouvai à la gare Edouard DuPasquier qui me conduisit d'abord à son restaurant habituel pour y dîner puis me plaça en quartier de logement chez son hôte M. Roget, où je fus reçu de la manière la plus affectueuse.

Le samedi 30 fut employé à visiter des maison pour les classes ouvrières, maisons non complètement terminées, à parcourir les docks et à visiter le Great Britain, bâtiment à vapeur transatlantique. A 6 h je partis, accompagné d'Edouard, pour Chester où nous arrivâmes à 8 h au Royal Hôtel par un fort vilain temps. Comme notre unique but, pour faire cette petite excursion (à laquelle Edouard, à cause de ses occupations ne pouvait consacrer que deux jours) était de voir les ponts de Bangor, nous ne fîmes aucun séjour à Chester, d'où nous repartîmes le dimanche 1 mai à 7 1/2 du matin pour arriver à Bangor à 10 h. Nous descendîmes au Penskyn Arms hôtel. Je ne crois pas avoir jamais logé dans une auberge mieux tenue, plus propre et moins chère, au moins en Angleterre. Ce qui me frappa, entre autres choses, ce fut les Bording Greens (bourlingries) d'un gazon irréprochable et soignés dans une perfection que je n'ai remarquée nulle part.

Ici encore j'ai admiré des cottage que le duc de Penskyn a fait construire pour les tenanciers.

Après avoir fait un léger repas, nous nous fîmes conduire aux deux ponts qui relient le pays de Galles à l'île d'Anglesey. L'un suspendu en chaînes pour les communications ordinaires, l'autre le Britanica servant uniquement à l'usage du chemin de fer et construit en tubes. Je ne m'amuserai pas à faire ici la description de ces deux ponts dont il est parlé dans maintes revues et dans tous les guides à l'usage des voyageurs et touristes. Je dirai simplement que ce sont, surtout le dernier, les deux monuments de ce genre les plus merveilleux que j'ai vus et qui existent, au moins en Europe.

Nous partîmes de Bangor le lundi 2 à 6 1/4 h pour arriver à Chester pour déjeuner. Après ce repas je dis adieu à Edouard qui retournait à Liverpool. Quand à moi je pris le premier train partant pour Londres où j'arrivai chez les Coulons à 5 h passablement fatigué et fort heureux de pouvoir prendre quelque repos avant de me remettre en voyage pour retourner à Neuchâtel.

Mon second séjour à Londres ne fut que de 4 jours, c'est à dire du 3 au 6 mai. J'en profitai pour parcourir encore plusieurs établissements pour la classe ouvrière et pour les matelots, établissements qui sont une preuve de ce que les anglais savent faire pour l'amélioration des classes inférieures de la société. Sous ce rapport il faut avouer qu'ils ont le talent d'inventer à propos et le mérite de ne rien épargner pour arriver à la perfection aussi tôt que possible.

Le mercredi 4 mai j'eus la chance d'assister à Escher Hall au 50ème anniversaire de la société biblique. Cette réunion était présidée par Lord Schaflesburg. Malheureusement ce n'est qu'à grand peine que je parvins à comprendre une partie seulement des discours qui y furent prononcés. Mais ce qui rendit pour moi cette cérémonie particulièrement intéressante, c'est la présence dans l'assemblée et dans une tribune réservée de Mistress Beecher Stowe, l'auteur de la Case de l'oncle Tom.

Après avoir fait une visite d'adieu aux personnes qui m'avaient tellement facilité le but de mon voyage et entre autres M. Roberts, je quittai Londres le 7 mai à 6 heures du matin pour arriver à Paris, par Folkestone et Boulogne, à 6.40. Trois quarts d'heure après, j'étais rendu à l'hôtel Saint Phar, boulevard Poissonnière.

Je ne restai à Paris que six jours mais j'employai bien mon temps. Indépendamment de nombreuses commissions dont je m'étais chargé et d'une quantité de visites à mes amis et connaissances, je visitai aussi des maisons pour les classes ouvrières et entre autres la Cité Napoléon, rue Rochechouard. Toutefois je n'ai pas tiré grand parti de ce qui existe à Paris dans ce genre. Les constructions ne ressemblent en rien à ce que j'ai vu en Allemagne et en Angleterre et l'imitation en aurait été peu pratique à Neuchâtel.

Politique: Pendant mon séjour à Paris j'appris de différents côtés que l'on était à Neuchâtel, à cette époque, dans une de ces phases sans cesse renaissantes, d'espérance de restauration. C'est ainsi que je reçu de Heidelberg une lettre de Georges qui m'annonçait que Louis de Wesdehlen venait de passer à Heidelberg, en route pour aller voir M. de Sydow, pour lequel il avait des dépêches. Pr... Morel me confiait que M. de Perregaux venait de donner l'ordre à son fils Fritz de revenir à Neuchâtel pour y être présent lors du grand événement. Hélas !!!

Je quitta Paris le vendredi 13 mai au soir par le chemin de fer de Strasbourg, et passant par cette dernière ville, Bâle, Laufon, Sonceboz et Bienne je me retrouvai en bonne santé à Neuchâtel dans la matinée du dimanche 15.

A mon arrivée à Neuchâtel, je fus malheureusement très occupé, mais au bout de peu de jours je pus cependant reprendre mes allures habituelles. J'en profitai pour mettre à exécution un projet que je nourrissais depuis longtemps, celui d'avoir mon ami Jules Huguenin Wuillemin du Locle, en séjour chez moi. J'avais reçu en maintes occasions de lui et de sa famille de nombreuses marques d'amitié et j'avais toujours joui chez lui au Locle de la plus bienveillante hospitalité. Je le décidai donc à venir passer quelques jours chez moi. Je m'efforçai de lui rendre son séjour aussi agréable que possible en invitant nos amis communs, et il eut l'air de se bien trouver. Arrivé chez moi le 26 il me quitta le 30 au matin.

Le 3 juin je reçu la nouvelle de l'arrivée à Londres de ma soeur Sophie Latrobe, venant d'Australie, après une absence d'environ 14 ans.

Le 24 juin les copropriétaires de l'immeuble Chatenay entrent en jouissance de cet immeuble, sauf à y installer le Cercle de Lecture un peu plus tard.

Politique, 7 juin 1853: J'apprends une circonstance dont je me doutais mais seulement très vaguement: c'est que l'année dernière, à l'époque de la Bourgeoisie de Valangin et lorsque le capitaine Ibbetson avait été envoyé par le chevalier de Bunsen pour jeter par les fenêtres toute la boutique gouvernementale, comme on l'appelait fort pittoresquement, il y avait eu à la Mettle une réunion de délégués des montagnes, où chacun avait été interpellé sur le nombre d'hommes sûrs que pourrait fournir chaque localité et sur lesquels on put compter positivement. Récapitulation faite on en compta 300, si je ne me trompe et encore !!! Là dessus chacun s'en alla comme il était venu. On ne sait trop ce qui s'en suivit, Le capitaine est revenu cette année, il y a peu de semaines, mais cette fois il a tenu un tout autre langage et je sais de source certaine qu'il recommandait sur toutes choses la plus grande prudence, car disait-il, on perdrait tout en voulant brusquer les affaires. Eh voilà comment et par qui nous sommes menés !

10 juin 1853: J'apprends encore que le cabinet noir est fort loin d'avoir des espérances bien sanguines à l'endroit de la restauration, mais que la position qu'il s'est faite vis-à-vis des royalistes lui commande de réchauffer le zèle de temps en temps.

M. de Wesdehlen me confirme dans l'idée où j'étais que M. de Chambrier écrit ses mémoires et que même ils seraient déjà livrés à l'impression, si on ne lui avait pas fait des observations dont il a tenu compte. Entre autres celle-ci, c'est que cela amènerait une guerre de plume interminable, obligés que se croiraient les adversaires politiques (royalistes noirs) de réfuter les appréciations qui leur paraîtraient erronées.

26 juin 1853: Georges dans une lettre reçue hier, me transmettait un extrait de la Gazette de Carlsruhe que je transcris ici tel quel: "M. le Chambellan de Pourtalès est de retour à Berlin, d'un voyage qu'il a fait dans son pays d'origine afin d'examiner les affaires, que du reste un des membres de cette importante et loyale famille s'était prononcé d'une manière favorable à la fusion des royaliste avec le système et même avec le gouvernement actuel." Sans attacher une grande importance à un article de journal, je renvoie cependant aux réflexions que je faisais à la date du 17 octobre 1852 à la suite d'une course à Greng.

juillet-septembre 1853

Ces trois mois font époque dans l'histoire de ma vie. Après la mort de ma chère Sophie je ne tardai pas à sentir le besoin de rendre une mère à mes enfants et surtout à ma chère fille Elisabeth. Déjà dans l'automne de 1852 j'avais fait des ouvertures à Mlle Cécile de Sandoz-Travers, qui par des raisons intimes de famille avait du les repousser. Néanmoins je n'avais pas perdu tout espoir et je pris la résolution de patienter dans la prévision que peut-être les circonstances pourraient changer. Ce qui m'engageait d'ailleurs à attendre était la circonstance suivante: Ma femme qui était fort bien avec la famille Sandoz, ayant eu dans une de ses crises nerveuses (mais non dans sa dernière maladie) ayant eu, dis-je, le pressentiment d'une mort plus ou moins prochaine, m'avait dit en propres termes: François tu te remarieras et tu épouseras Cécile Sandoz. Après une pareille recommandation il est évident que je ne me serais décidé à abandonner la partie que si toute chance de réussite avait disparu. Je patientai donc et fis bien. Dans le commencement de juillet je ne sais quels vagues indices me parvinrent que peut-être les circonstances de famille de Mlle Sandoz avaient subi quelques modifications. J'écrivis donc à ma belle soeur Julie de Pury pour la sonder à ce sujet. Elle ne tarda pas à me répondre que, sans pouvoir me donner de grandes espérances, je ferais peut-être bien d'écrire à madame Sandoz, ce que je fis immédiatement. C'était le 21 juillet. Pendant les jours qui suivirent, ne recevant pas de réponse, je fus dans de grandes inquiétudes. Enfin le dimanche 24 juillet je reçu une lettre qui m'autorisait à me présenter aux Ruillères. Je partis immédiatement pour la Borcarderie où je donnai cette bonne nouvelle à ma mère et dès le lendemain 25 de grand matin, je m'acheminai à Travers, d'où je pris à pied le sentier des Ruillères. Après quelque hésitation je reçu une réponse favorable. J'étais heureux et dès le soir même je retournai à Neuchâtel, d'où je ne tardai pas à repartir pour aller passer quelques jours aux Ruillères. Je ne m'étendrai pas longuement sur les préliminaires de notre union, et je me bornerai à transcrire ici ce que j'inscrivais sur mon livre de notes le 10 août, à mon retour de la montagne:

Revenu momentanément à la maison, mon premier soin est de consigner ici l'expression de mon bonheur et de la reconnaissance toujours plus vive que je ressents pour ma chère Cécile qui se montre dans le principe si bonne, si pieuse, si sage et si affectueuse. Que notre Bon Dieu soit béni de la grande grâce qu'il m'a faite.

Du 10 au 15 août je restai à Neuchâtel où Cécile était venue de son côté et nous fîmes plusieurs visites, puis nous remontâmes ensemble aux Ruillères, pour en redescendre peu de jours avant celui où devait se célébrer notre mariage qui fut béni par Jämes DuPasquier qui avait déjà béni le premier. Ce fut le 8 septembre.

Après un déjeuner dinatoire nous partîmes pour Fribourg, le lendemain nous allâmes coucher à l'hôtel Beyron en passant par Bulles, Châtel-St-Denis et Vevey. Le jour suivant à Genève par St-Gingolph, Evian et Thonon. Après être restés 2 à 3 jours à Genève, nous en repartîmes pour aller coucher à Orbe. Le lendemain nous arrivions pour le dîner à Monlezi où nous trouvâmes la famille de ma femme réunie, y compris mes deux chers enfants Georges et Elizabeth. Dès lors je ne trouve aucune note jusqu'au 2 octobre. Je les repris en écrivant les lignes suivantes: "mon mariage et les événements qui l'ont précédé et suivi, m'ont tellement éloigné de la maison que pendant tout ce temps, je n'ai pas eu le loisir de prendre des notes. Qu'aurais-je noté d'ailleurs ? Toujours la même chose, c'est à dire l'expression de l'immense bonheur que j'ai de posséder une femme accomplie qui me rend l'existence aussi douce et facile que possible au milieu des préoccupations politiques et autres qui agitent le monde.

2 juillet 1853: arrivée à Neuchâtel de Sophie Latrobe et de ses enfants.

Le 13 juillet 1853, ayant coordonné mes notes et classé les papiers que j'avais rapportés de mon voyage concernant les maisons à l'usage des classe ouvrières et pauvres, j'eus une conférence avec M. Marcelin Jeanrenaud, directeur des finances de la république, pour savoir de lui si, cas échéant, la Caisse d'Epargne aurait l'autorisation de bâtir quelques maisons sur le terrain qu'elle possédait à l'Ecluse. Je ne sais quelle était son opinion, mais ce que je sais parfaitement c'est que jamais le Conseil d'Etat n'a voulu donner cette autorisation. Pourquoi ? C'est ce que j'ai toujours ignoré. A cet égard on peut faire beaucoup de suppositions.

Politique, 16 juillet 1853: On me disait, ce matin, que le Cabinet noir songeait de nouveau à une levée de boucliers dans le pays. Serait-ce dans ce but que l'un de ses membres les plus influents a fait, ces jours derniers, une course dans les Montagnes? Les fous!!!

19 juillet 1853: On me disait qu'un des noirs les plus incorrigible avouait maintenant qu'on avait fait une grosse sottise de ne pas aller aux élections.

octobre-décembre 1853

Je dois noter ici un trait qui fait grand honneur à celui qui en est l'auteur. En 1842 je fus chargé par monsieur Auguste Montandon Breguet de Coffrane (fils de mon ancien justicier et frère de mon ancien greffier) et par un autre, d'arrêter des places sur un bateau partant de Londres pour l'Australie. Les places étaient au nom de Montandon, avec lequel seul j'avais eu à faire. Arrivé à Londres Montandon ne s'inquiétant guère des engagements que j'avais pris en son nom, prit passage pour lui et ses compagnons sur un autre navire. Cette escapade me força après bien des pourparlers à donner aux armateurs une indemnité de £ 20 environ et malgré mes réclamations, ni Montandon ni son père Charles Henri ne me remboursèrent jamais un sol. Je croyais la somme perdue et j'en avais fait mon deuil lorsqu'il y a quelques semaines M. Breguet revint d'Australie. L'un de ses premiers soucis fut de s'informer où en était cette affaire et malgré la déclaration que je lui ai faite que j'envisageais qu'il ne me devait rien puisque j'avais eu à faire avec Montandon seul, il m'a apporté hier la somme entière de F. 521.35. Je note ici ce fait, car il est bien rare aujourd'hui de voir une conduite aussi noble et désintéressée.

Contraste: Depuis longtemps déjà, longtemps avant la mort de ma chère Sophie, ma mère avait cru pouvoir donner à mon frère Auguste, sur sa demande, le portrait de notre oncle Georges, frère aîné de mon père, mort le 10 août 1792 à Paris lors du massacre des Suisse. Cette circonstance m'avait fait de la peine parce que j'envisageais: d'abord que ma mère ne pouvait pas disposer ainsi d'un portrait Montmollin, ensuite je pensais qu'un fois ou l'autre ce portrait auquel je tenais beaucoup, devait une fois m'appartenir comme aîné de la famille. J'en avais parlé dans ce sens à ma mère, à ma soeur Coulon et à mon frère même, mais peut être un peu trop vivement. Et ces derniers pourparlers n'avaient donnés aucun résultat. Cela me peinait d'autant plus que, aussitôt après le transport du portrait chez Auguste, Sophie qui avait envie de ce tableau fût une fois en possession de notre fils Georges [Ce désir a été exaucé ultérieurement. En effet à la mort d'Auguste le tableau a été remis par son fils
Jean, à Georges. Il est devenu par héritage la propriété de Albert, fils de Georges.]
, en avait parlé également dans le même sens. Les choses étaient dans cet état lors de mon mariage avec ma bien aimée Cécile. En lui parlant de nos affaires de famille, de mes relations avec mes frères et soeurs et de mes petits chagrins, je lui avait naturellement conté ce qui s'était passé et comprenant l'importance qu'il y aurait à ne pas laisser s'envenimer l'affaire, elle avait cru devoir reprendre les pourparlers par l'entremise de Cécile Coulon. Il parait que cette dernière a parlé à mon frère hier et d'après ce que Cécile me dit, on ne sait encore quelle résolution il prendra. Toutefois il est bien de noter que tout ce que je demandais pour le moment, c'est que mon frère, tout en gardant le portrait dans son petit salon, où il fait très joli pendant au sien, reconnaît que le don fait par ma mère était nul, attendu qu'elle n'avait pas le droit de le faire. Craignant que la détermination de mon frère ne soit pas conforme à ce que je considère comme étant juste, craignant également que si cette affaire ne se terminait pas selon mes désirs cela fis grande peine à ma chère Cécile, j'ai pris la résolution, après avoir beaucoup prié, de charger ma femme de dire à Cécile Coulon que j'abandonnais complètement toute réclamation et que même cas échéant je ne me prévaudrais jamais de manière quelconque de mon droit d'aînesse pour réclamer comme mien, quoique ce soit de la succession de mon père en qualité d'aîné de la famille, ce qui n'empêchera pas toutefois que si Dieu me conserve mon cher fils, je ne fasse, dans son intérêt des demandes dont je laisserai juge l'assemblée de famille [Au moment où je transcrit ces lignes (juin 1861) je constate que le tableau est toujours chez mon frère qui ne m'en a jamais reparlé, quand à l'argenterie, je l'ai retenue en entier, non sans quelque opposition de mon frère qui voulait en avoir la moitié. Mais sur ma déclaration que je préférais tout abandonner plutôt que de morceler le lot, il n'insista pas. Toutefois, lors de la première communion de mon neveu et filleul Jean, j'en ai détaché quelques pièces pour lui faire par anticipation son cadeau de noces.] Ceci au reste se rapporte uniquement au grand service d'argenterie donné par la ville de Neuchâtel à mon grand-père, pour le paiement duquel, ma chère Sophie qui y tenait beaucoup pour Georges, avait mis une somme à part pour en faire l'acquisition. Je le répète donc, je n'exigerai plus rien. Je ferai des demandes et je me conformerai joyeusement à la décision de la famille. Si je devais quitter ce monde avant ma mère, je prie mon cher fils de bien peser ce qui est ici consigné et de prendre un parti également conforme aux préceptes de la charité chrétienne et à ceux commandés par la bonne harmonie dans la famille, afin que et autant que cela dépendra de lui d'avoir la paix avec tous.

31 décembre 1853: Me sentant assez indisposé je terminerai mon journal de l'année par les lignes suivantes: "Notre Bon Dieu m'envoie un avertissement. Epreuve bien légère en regard des bénédictions sans nombre et de toute nature dont Il m'a comblé dans l'année qui vient de finir".

Le 2 octobre 1853 nous allâmes en famille au sermon de l'hôpital pour entendre le premier discours de notre neveu Paul Coulon, alors proposant, qui s'en tira de main de maître.
18 octobre 1853: Mort de ma tante Augustine de Meuron
4 novembre 1853: Départ de Georges pour Paris où il va achever ses études de droit.
10 décembre 1853: mort de mon neveu Tribolet à la suite d'une rougeole compliquée de gêne dans les voies de la respiration.

Faits divers: 15 octobre 1853: étant venu à Travers pour passer la journée, on vint pendant le dîner nous annoncer qu'il y avait eu un incendie aux Ruillères. Nous eûmes un instant de grande inquiétude, mais nous ne tardâmes pas à apprendre que c'était les Ruillères d'Ivernois et non les nôtres. On n'a jamais connu la cause de ce sinistre.
2 novembre 1853: Ce jour-là j'assistai à la consécration au Saint Ministère de messieurs William Pettavel et Gustave Rosselet.
7 novembre 1853: Première réunion des actionnaires de la société du bateau à vapeur du lac de Neuchâtel qui se constitue en société anonyme.
4 décembre 1853: Ouverture de la route des gorges du Seyon tendant à Valangin. Ce n'est que le 13 que s'est faite l'ouverture officielle.

Politique: On me disait, il y a trois jours, que le colonel Meuron, qui ne parle pas volontiers politique, avait annoncé tout dernièrement, dans un dîner, et sans y être provoqué le moins du monde, que très incessamment l'on allait s'occuper de la régénération politique de l'Europe, et que l'on commencerait (notez bien l'expression) par la restauration de Neuchâtel!!! Qui vivra verra. Quant à ce qui me concerne, les mêmes doutes que précédemment subsistent, mais ne font que se fortifier tous les jours davantage. Nous verrons qui aura raison, en fin de compte.

1854 janvier-mars

L'année 1854 eut pour moi de tristes commencements. Indépendamment d'autres événements dont je parlerai plus tard, ma chère femme qui n'était pas bien depuis quelques temps me donna de grandes inquiétudes pendant quelques mois. Cependant elle se remit petit à petit et assez tolérablement pour que nou allions passer quelques semaines aux Ruillères pendant l'été. Plus tard néanmoins, son état de santé nous obligea encore à un déplacement dont je ferai mention en temps et lieu.

Cette maladie et d'autres circonstances rendant mon domicile à Neuchâtel plus ou moins précaire, je dus songer à me décider à prendre une aide pour la direction de la Caisse d'Epargne, mes fonctions devenant toujours plus pénibles et mes occupations plus nombreuses par suite du développement énorme que prenaient de jour en jour les affaires de la Caisse. J'en parlai à mon oncle Coulon qui m'approuva fort. Restait à trouver une personne convenable. Après y avoir beaucoup réfléchi je jetai les yeux sur Alphonse de Pury-Muralt auquel je fis des ouvertures à ce sujet. Il hésita plusieurs jours avant de me donner une réponse affirmative. Enfin et sur mes instances, il consentit à faire un essai de six mois, au bout de quel temps il se réservait d'abandonner la partie s'il le jugeait convenable. J'acceptai avec reconnaissance et fis bien, car (ceci se passait au mois de mars) au bout des six mois, il se décida à accepter définitivement les fonctions de directeur adjoint, ce qui me mit l'esprit complètement en repos. Dès lors je n'ai eu qu'à me féliciter de mon choix et tous les jours encore (en 1861) je rends grâce à Dieu de travailler avec un homme si actif, si dévoué et prenant le plus grand intérêt à l'Etablissement que nous dirigeons ensemble.

Le 30 janvier 1854: nous eûmes la douleur de perdre notre chère soeur Sophie LaTrobe qui ne s'était jamais complètement remise d'un chute à cheval qu'elle avait faite pendant son séjour en Australie.
9 février 1854: mort de madame Elize de Meuron.

11 février 1854: Je reçu une visite d'Alexandre Pourtalès qui m'entretint longuement d'une proposition qu'il voulait faire à la Direction de l'hôpital Pourtalès, ayant pour but de substituer des diaconesses protestantes auc soeurs hospitalières catholiques qui desservaient l'hôpital depuis sa fondation. Je lui dis que j'étais complètement de son avis, mais que je craignais les influences de toute nature qui viendraient contrecarrer sa proposition. Quelques jours après seulement et le 25 février 1854 mes prévisions commençaient à se réaliser et j'eux la visite de Louis de Pourtalès, président de la direction qui vint aussi me parler de cette affaire, dans le but évident de me sonder et de connaître mon opinion, que je ne lui cachai nullement. On verra bientôt quel sera le résultat de cette démarche.

Politique, 3 janvier 1854: Longue visite de Fritz Pourtalès qui ne parle plus beaucoup de restauration mais de satisfaction. Si seulement il avait toujours conservé cette opinion !!

15 février 1854: (note de 1861) J'ai omis de signaler un épisode de l'enterrement de madame Elize de Meuron. Le cabinet noir parait avoir eu une réunion pour savoir si les membres toucheraient oui ou non monsieur le président de Chambrier, beau frère et deuxième en rang dans le cortège. Les avis se sont partagés mais en fait messieurs de Wesdehlen, Guillebert, de Perregaux et de Meuron n'ont pas touché. Fritz de Pourtalès et Louis de Marval l'ont fait. Les autres n'étaient pas à l'enterrement. Cet affront a été vivement senti par monsieur l'ancien président et sa famille. Et voilà jusqu'à quel manque d'égards peuvent conduire des dissensions politiques !!

9 mars 1854: J'apprends que le Cabinet noir a été ce matin en séance solennelle, car on avait convoqué de la Mettle, Fritz Pourtalès.

12 mars 1854 On parle plus que jamais des menées du Cabinet noir. On prétend même qu'il y a des conférences entre anciens chefs militaires. A quoi pense-t-on? Je ne suppose pas que l'on veuille faire un mouvement maintenant, mais n'aurait-on pas l'intention de se mettre en mesure pour le cas où la Suisse serait plus ou moins menacée par les puissances. Nous verrons!...

avril-juin 1854

Le 26 juin 1854 le docteur ayant déclaré ma chère Cécile en convalescence, nous célébrâmes cette heureuse nouvelle par un service d'actions de grâce fait par monsieur Nagel.

10 mai 1854: Direction de l'hôpital Pourtalès. M. le président nous annonce entre autres avoir nommé le Portier de son chef et avoir fait son règlement de concert avec M. l'économe et il ajoute que s'il a pris ce parti, c'est en grande partie parce que dans une réunion précédente où il avait été question de ce poste M. de Montmollin avait insisté pour que ce fût un protestant et pour qu'il fût fait un règlement dont il ne pût s'écarter. Que dans ces conjonctures il avait jugé convenable de procéder à cette nomination lui-même, parce qu'il envisageait que c'était dans sa compétence ainsi que la nomination des employés subalternes. (Les soeurs sont-elles des employés subalternes ?) Et il donna bien positivement à entendre qu'il n'avait pas voulu se laisser forcer la main. Là dessus je me dis que ce qui suit: C'est que je regrettais que mon opinion eût engagé M. le président à faire une nomination que je croyais devoir être faite pour la direction, que du reste je ne voulais point revenir en arrière mais que je croyais encore qu'il eût été convenable de prévenir la direction avant plutôt qu'après la nomination, et qu'en tous cas je pensais que c'était à la direction de faire ce règlement. Il est à noter que le portier nommé est catholique. Rentré chez moi j'adressai la lettre suivante à monsieur le comte Louis de Pourtalès, président de la direction:

Monsieur,
Je viens vous prier de recevoir ma démission de membre de la direction. Après ce qui s'y est passé, je ne me sentirais plus la liberté d'exprimer mon opinion. Veuillez agréer l'expression de tous les regrets que j'éprouve de ne plus appartenir à une administration dont c'était pour moi un honneur et un vrai plaisir de faire partie, surtout en souvenir de monsieur votre père qui avait bien voulu penser à m'y faire entrer.
Veuillez etc., etc.

Vers 4 heures Louis de Pourtalès vint me voir pour me témoigner ses regrets de ce qui s'était passé le matin et me demander de retirer ma lettre. Nous nous quittâmes en fort bonne intelligence mais je lui annonçai que jusqu'à nouvel ordre je persistais dans ma résolution. Je fis la même déclaration à Alexandre qui vint aussi pour m'engager à tenir bon dans la direction au moins jusqu'à ce que celle-ci aies décidé si elle voulait conserver les soeurs catholiques oui ou non.

Je ne crois pas que je revienne en arrière, car la nomination du portier, telle qu'elle a été faite, me parait destiné à établir en principe que le président est tout puissant et qu'en tous cas en agissant comme il l'a fait, il a gravement manqué à la direction.

12 mai 1854: Marval vient dîner avec moi. Lui aussi a donné sa démission de membre de la direction de l'hôpital. Dans sa séance d'aujourd'hui, la question du changement des soeurs actuelles en diaconesses était soulevée en principe et elle a été renvoyée indéfiniment. Ont voté pour ce renvoi: le président, M. de Sandoz-Rollin, le pasteur Guillebert !! et Alfred Berthoud. Ont voté pour le principe Fritz Pourtalès, Marval, Alphonse de Pury-Muralt, de sorte que lors mêmes que j'eusse pris part à la délibération, le résultat aurait été le même, puisque l'on aurait été 4 contre 4 et que la voix du président est prépondérante. Toute la famille Pourtalès est navrée de ce résultat, sauf Louis qui comme d'ordinaire s'est laissé mener par les Sandoz-Rollin.

Pour donner une idée de la bonne foi qui a présidé à cette délibération de la part de la majorité c'est

  1. Qu'en arrivant à la séance M. de Sandoz-Rollin a prétendu qu'il ignorait de quoi il s'agirait !!
  2. Il a affirmé ensuite que durant la vie de l'ancien président, celui-ci ne lui avait jamais parlé de la possibilité de remplacer les soeurs tandis que je tiens de madame de Pourtalès elle-même qu'un jour, demandant à son fils Louis si son père ne lui avait jamais parlé de cela, il lui répondit: "non, pas à moi, mais à mon beau-père." Or qui est beau-père de Louis si ce n'est monsieur de Sandoz-Rollin.
Quoi qu'il en soit, après la discussion, Marval a donné sa démission séance tenante. Qu'arrivera-t-il de tout cela ? Nul ne le sait. [Note de 1861: En demandant en principe le changement des soeurs, nous n'avions jamais pensé et nous l'avions dit, qu'il fallut brusquer les affaires, dût-on même attendre 10 ans. Eh bien ! 6 ans ne s'étaient pas écoulés que malgré les influences de Sandoz-Rollin, le changement était opéré. Pauvre Louis !]

16 mai 1854: Installation du Cercle de Lecture dans la maison Chatenay.
19 mai 1854:M. de Wesdehlen vient nous annoncer le mariage de sa fille Marie avec un prince Simonetti d'Ancône, ancien ministre des finances de S.S. Pie IX
12 juin 1854: Annonce du mariage de Fritz Perrot avec Mlle Cécile DuPasquier.

Politique, 22 avril 1854: Promenade de trois heures pendant laquelle survient un épisode assez curieux. Je passais sur la vieille route de Chaumont, au-dessus de Fontaine-André, lorsque je fus accosté de la manière la plus amicale par M. de Perregaux, qui, par forme de conversation, commença à me demander mon opinion sur la politique générale et sur les affaires d'Orient; puis, après un moment, il ajouta que cette guerre le peinait surtout à cause des affaires de Neuchâtel, dont cela retardait indéfiniment la solution. Je lui répondis que dans mon opinion cette solution était toute trouvée depuis le 1er mars 1848 et que, déjà alors, je croyais notre révolution bel et bien consommée, et que, malgré toutes les assurances de restauration que l'on nous avait données dès lors, j'étais resté inébranlablement dans mes convictions. Il me demanda mes raisons pour penser de la sorte et je les lui expliquai ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le transcrire dans ces notes. Là-dessus, il répliqua que cependant le Roi lui avait dit à lui-même, et que le prince de Prusse lui avait répété, qu'ils n'abandonneraient jamais Neuchâtel. "Peuvent-ils ce qu'ils veulent?" répondis-je. Il ne sut trop que dire et me parut du reste assez découragé, surtout en pensant à ses enfants qui n'auraient point de carrière. Puis il me demanda ce que je comptais faire de Georges [Georges de Montmollin, 1832-1906, juge au Tribunal de Neuchâtel et juge de paix.]. "Un bon Neuchâtelois, répondis-je, et j'espère bien que, soit en république, soit en monarchie, il fera ce qu'il pourra pour être utile à son pays." Il ne me désapprouva pas et mit la conversation sur le chapitre élections. Encore sur ce point, je lui fis part de mes idées de fusion. "Inutile, répliqua-t-il, notre population est bientôt plus de la moitié suisse". "C'est égal, fis-je à mon tour, lorsque nous n'aurons plus de royalistes, mais seulement des conservateurs, nous aurons la majorité." "Croyez-vous?" "J'ai tout lieu d'en être convaincu". [Note de 1861: Je ne me doutais pas alors de la sottise du 3 septembre 1856 qui a tout compromis.]. Après cela il me raconta l'histoire des démêlés de M. de Chambrier avec le cabinet noir et me dit que la scission provenait de l'interprétation que M. de Chambrier avait donnée à la lettre du Roi du 18 mars 1852. Interprétation tout à fait inexacte, puisque M. de Chambrier engageait les neuchâtelois à aller aux élections tandis que le cabinet noir savais de science certaine (la lettre existe, dit-il) que le Roi avait eu au contraire en vue de faire en sorte qu'on n'y allât pas. Quoiqu'il en soit, ce qu'il en est suivi a mis le comble à la zizanie. On a eu plusieurs conférences pour tâcher de se rapprocher, mais tout a été inutile et ce qui a fait déborder le vase est ce qui s'est passé à l'enterrement de madame Meuron, où par parenthèse M. de Perregaux convient qu'on aurait bien fait de se dispenser d'aller. Dès lors des tentatives de rapprochement ont encore eu lieu par l'entremise de Fritz Chambrier d'un côté et des colonels de Roulet et de Bosset de l'autre, mais ici encore on a échoué parce que M. de Chambrier n'a jamais voulu reconnaitre avoir eu tord de publier la lettre dans laquelle il nomme l'un après l'autre tous les membres du cabinet noir. Voilà où en est cette affaire aujourd'hui, de sorte que de part et d'autre, on est aussi animé qu'auparavant. Cependant cet état de tension est insupportable, dit M. de Perregaux, à tout le cabinet noir et surtout à M. Guillebert qui aurait accepté une rédaction que M. de Chambrier aurait consenti à faire, mais qui n'a pas été trouvé suffisante par ces autres messieurs.

juillet-décembre 1854

Pendant les six derniers mois de l'année nous fûmes excessivement nomades, ou plutôt nos séjours à Neuchâtel ne furent que de courte durée. Nous partîmes pour les Rouillères dans le commencement de juillet et y fîmes un séjour d'environ deux mois pendant lesquels je fis nombre de promenades dans les environs que j'appris à connaitre, ainsi que les derniers chemins conduisant à Môtiers, Couvet et Travers. Du reste aucun événement marquant, mais de grandes inquiétudes au sujet du choléra qui s'avançais rapidement vers les frontières de la Suisse, car il sévit avec une grande intensité à Gray, avec moins de violence à Besançon; quelques cas se manifestent même à Pontarlier après quoi il disparait. Notre bon Dieu nous avait encore préservés de ce fléau.

A la fin d'août nous retournâmes à Neuchâtel et dans les mois de septembre et d'octobre nous fîmes plusieurs petits séjours à Travers chez ma belle-mère.

Le 12 octobre nous vîmes partir avec beaucoup de regrets Mlle Pedolin qui avait été pendant plusieurs années gouvernante d'Elisabeth.

La santé de ma chère femme nous paraissant nécessiter un séjour pour l'hiver dfans un climat un peu moins rude que celui de Neuchâtel, nous nous décidâmes à retenir un appartement à l'hôtel Byron près Villeneuve. Nous partirons de Neuchâtel le 30 octobre pour arriver à notre destination le 1 novembre. Nous y passâmes deux mois en compagnie de notre nièce Hélène de Pury qui avait bien voulu consentir à nous accompagner pour tenir compagnie à ma chère fille.

J'employai une partie de mon temps à mettre en ordre et à examiner en détails quelques papiers de famille que je réintégrai ensuite aux archives. Elisabeth prit quelques leçons soit à Villeneuve, soit à Montreux. Quand à ma chère femme elle fut assez souffrante pour que nous ayons été obligés d'appeler le Dr. Cossy à Aigle qui la connaissait déjà des bains de Lavay, où elle avait été pendant le printemps avec sa soeur Uranie. Nous étions à peu près décidés à passer tout notre hiver à l'hôtel lorsque le 20 décembre je reçu une dépêche télégraphique qui m'annonçait que ma mère était gravement malade. Je partis immédiatement pour Neu8châtel, où j'arrivai à 7 h du matin le lendemain, après avoir, malgré un froid assez vigoureux, voyagé toute la nuit et changé de voiture à Lausanne et à Yverdon. Je trouvai ma mère mieux, mais toujours dans un état assez inquiétant, ce qui m'engagea à revenir à Neuchâtel, d'autant plus que, sauf la bise qui ne se fait jamais sentir dans cette partie du canton de Vaud, la différence de climat n'était pas assez sensible pour faire un grand bien à Cécile. En conséquent je pris une bonne voiture avec laquelle nous revîmes en famille le 27 décembre, au grand contentement d'Hélène et d'Elisabeth qui trouvaient le séjour de l'hôtel Byron un peu triste.

1855 janvier-mars

Après notre retour de l'hôtel Byron, ne sachant trop ce que l'avenir me réservait à cause de la santé de ma chère Cécile, je ne repris pas immédiatement mes fonctions de directeur de la Caisse d'Epargne, dont je continuai à charger Alphonse de Pury-Muralt qui se tirait de cette besogne à la plus grande satisfaction du comité.

Le 6 février ayant appris que M. Alexis Berthoud ancien pasteur de Valangin, était tombé subitement et gravement malade, j'eus l'idée de proposer à son frère Alfred de me charger momentanément d'un de ses pensionnaire, un jeune Bodmer de Zurich, ce qui fut accepté. M. Berthoud étant mort le même jour, Bodmer ne resta chez nous que fort peu de temps et déjà le 11 il nous quitta pour rentrer à la pension.

22 février 1855: Ce matin à 2 3/4 M. Bachelin est venu m'appeler. A 3 h j'étais sur La Place. On s'attendait à chaque instant à ce que ma chère mère rendit le dernier soupir. Peu à peu la faiblesse a diminué; ma mère nous a dressé la parole à plusieurs reprises et m'a entre autres recommandé de faire lire pour elle à ma chère Cécile le texte du jour (Jean XVII.24). Vers 6 heures elle a bu un grand verre d'eau, peu après du bouillon. Tout en l'avalant, elle me disait "C'est un état bien singulier". Lorsque à 6 h je suis parti pour retourner au Faubourg, ma chère mère était couchée et avait l'air de dormir (Elle était habituellement assise dans son lit pour cause d'appecxion). Je retourne sur la Place à 9 h. Bientôt l'agonie commença et notre chère mère expira tranquillement à 4 h de l'après-midi. C'est le 25 février que nous lui rendîmes les derniers devoirs. Je n'ajoute rien si ce n'est l'expression de la profonde douleur de toute la famille.

Le 3 mars 1855 eut lieu la première assemblée générale des actionnaires de la Banque Cantonale neuchâteloise. Je fus nommé président du conseil d'administration par 397 voix sur 413 votants et la séance dura de 9 h à 3 1/2 de l'après-midi. C'était pour moi un assez grand surcroit d'occupation, surtout au commencement, car je dus signer les 2000 actions, ce que je fis en trois jours, les 28, 29 et 30 du même mois.

Le 22 mars 1855 survint la mort de mon oncle Coulon qui expira à 5 1/2 h du soir après une agonie très angoissante. On l'enterra le 25.

Le dimanche 18 février nous eûmes un sermon de M. Nagel. Au sortir du temple plusieurs chefs de famille et autres personnes se rendirent chez lui pour lui témoigner le regret des paroissiens de l'appel qui lui était adressé de Bâle où on le demandait pour remplacer Lobstein et pour lui demander de rester à Neuchâtel.

Le 1 mars 1855 le Dr. Edouard Cornaz, mon neveu, est nommé médecin de l'hôpital Pourtalès.

avril-septembre 1855

Dans le commencement d'avril la banque me procura passablement d'ennuis, eu égard à la nomination du futur directeur. Après bien des recherches nous avions enfin découvert un homme que nous croyions nous convenir à tous égards. C'était un monsieur Petitpierre, établi à Paris, qui avait d'abord accepté, mais qui se retira au moment d'être confirmé par les actionnaires. De guerre lasse, le conseil d'administration, à l'unanimité, jeta les yeux sur M. Marcelin Jeanrenaud, conseiller d'Etat, et me chargea de faire des démarches auprès de lui pour l'engager à accepter ce poste. Après plusieurs pourparlers et au moment où je croyais que c'était chose faite, il m'écrivit une lettre dans laquelle il m'exposait que par suites de circonstances particulières et d'engagements pris avec ses collègues, il ne pouvait pas se décider à accepter, quoique à son grand regret. Force fut donc de chercher ailleurs. M. Henri Nicolas, banquier, membre du conseil d'administration, m'avait éventuellement parlé de son fils Henri, commis chez L.E. Oppermann à Paris, lequel, quoique fort jeune, pourrait convenir à la place. Je pressentis à ce sujet le conseil d'administration qui me chargea, dans un prochain voyage que je devais faire à Paris, de prendre encore des renseignements sur les capacités et cas échéant de lui faire des ouvertures. Edifié à son sujet, je lui fit carrément la proposition de se laisser porter comme candidat à l'assemblée des actionnaires. Il y consentit et fut nommé, non sans quelque opposition, par les actionnaires dans leur réunion du 19 mai. C'est ici le cas de noter que le choix a été fort heureux, car voilà 6 ans (en 1861) qu'il est à la tête de la Banque et personne, que je sache, moi moins que tout autre, n'a jamais regretté qu'il ait été appelé à remplir ce poste.

N'ayant pas pris de notes depuis plusieurs semaines, voici ce que je trouve consigné dans mon journal à la date du 29 mai:

Depuis le 12 avril à ce jour je n'ai pris aucune note, d'abord à cause de mon voyage à Paris qui a duré cinq semaines, ensuite à cause des occupations qu'ont amenées notre déménagement du Faubourg sur la Place. Je n'entre dans aucun détail sur le voyage de Paris, car ils sont consignés dans mes lettres à ma chère Cécile, qu'elle a gardées et je me borne à un résumé très succinct des diverses circonstances qui ont accompagné mon retour qui a eu lieu par la diligence de Bâle le 17 mai à 10 h du matin. J'étais parti le mardi 15 de Paris à 8 h du soir et je m'étais arrêté à Strasbourg plusieurs heures de la matinée de mercredi pour faire visite à mes nièces Madeleine Montmollin et Julie Pury. A mon arrivée je trouvai ma chère femme moins bien qu'à mon départ, cependant et je le consigne ici avec un indicible bonheur. Sa santé me parait s'être améliorée dès lors malgré les fatigues du déménagement.

Samedi 19 eut lieu l'assemblée générale des actionnaires de la Banque. Certaines rumeurs, qui me parvenaient à tous les instants, me faisaient craindre qu'il y eut un coup monté! Dans quel but ? Je ne sais trop, mais en définitive tout se passa tolérablement, et avec un peu de fermeté je parvins à maitriser les délibérations.

Dès lors et jusqu'à aujourd'hui notre déménagement a été ma principale occupation. Ce moment, que je redoutais un peu, surtout pour ma chère Cécile, s'est cependant assez bien passé. C'est le vendredi 25 que nous nous sommes définitivement installés dans notre nouveau, et j'espère dernier logement sur cette terre. Ma femme s'était dès le matin fait conduire chez sa mère, où nous avons dîné, et le soir nous couchions sur la Place. Dimanche, jour de Pentecôte, nous avons eu l'idée de prier M. Godet de demander à Dieu pour nous sa bénédiction sur notre nouveau domicile et nous avions convié à cette cérémonie tous nos près parents, mère, frères et soeurs, neveux et nièces de tous côtés. Y assistaient aussi monsieur F. de Pourtalès de Greng que Rose (je l'en ai remerciée) avait pensé à amener, madame Mosset et nos domestiques. Nous étions 37 ou 38 y compris les ministres, car M. Nagel aussi était de la partie. Veuille notre bon Dieu continuer à me bénir comme Il l'a fait jusqu'à maintenant et surtout rendre la santé à ma chère, très chère femme.

Ces jours ont encore été parsemés d'incidents plus ou moins importants. C'est ainsi que Rose nous a annoncé son mariage avec LaTrobe ce qui nous a fait grand plaisir par plusieurs motifs. Hier enfin nous avons eu une réunion de l'hoirie pour préparer nos partages définitifs. Auguste ne voulant pas de la Dame puisqu'il prenait déjà la Borcarderie, j'ai du la retenir, mais comme c'était un morceau un peu trop gros pour moi, Rose, sur sa demande, a consenti à ce que nous la relaissions en indivision, à condition toutefois, qu'elle n'ait à s'inquiéter de rien. Au reste cette indivision ne dura pas longtemps et dès le 29 septembre, peu de jours avant son mariage, elle me rétrocéda sa portion par acte public et dès lors j'ai été seul propriétaire de cet immeuble.

Le 18 juin 1855 nous partîmes pour les Ruillères où nous séjournâmes jusqu'au 21 septembre. Ce séjour n'offrit rien d'extraordinaire, si ce n'est cependant que nous y reçûmes beaucoup de monde, venant de tous les côtés de la région et entre autres la famille LaTrobe, c'est-à-dire M. Pierre, sa soeur et plus momentanément sa fille d'un neveu de Livonie.

Je profitai aussi de ce long séjour à la montagne pour faire diverses tentatives d'améliorations nécessaires. Je veux parler des voies de communication et un essai pour nous procurer de l'eau.

Quand aux premières je me mis à la tête d'une requête pour une route devant aboutir aux Plânes, frontière vaudoise. A cet effet je fis signer la pièce à plus de cent particuliers de Couvet et j'expédiai le tout au Conseil d'Etat avec une lettre particulière à l'adresse de son président, M. Piaget, dans laquelle je lui annonçai confidentiellement que peut-être les souscriptions des intéressés suffiraient presque pour faire la route. Je ne reçu pas de réponse, cependant un beau jour, au mois de septembre, j'aperçu l'arpenteur Otz avec plusieurs autres, prenant des niveaux et préparant un tracé. Je crus que j'étais arrivé au but, mais hélas ! Des jalons ont bien été plantés, mais dès lors je n'ai plus entendu parler de la route dont il a pourtant été question dans le rapport de la Direction des Travaux publics. Néanmoins il n'y a plus aucune espérance de voir ce travail se commencer car dans l'état où se trouvent les finances de notre chère république, il n'est guère probable que de longtemps encore on puisse songer à faire des routes et surtout des routes de montagne.

Quand à l'eau j'avais quelque espoir de faire arriver une fontaine devant la maison et j'avais même demandé dans ce but quelques conseils au professeur Desor. L'exécution des plans de ce dernier aurait été très couteux sans garantie de succès. J'y renonçai donc, ce qui ne m'empêcha pas de faire d'autres essais, mais ces essais n'ayant pas réussi, j'abandonnai mon idée pour laisser les choses dans le statu quo où elles resteraient encore longtemps, car ce n'est pas moi qui en ferai de nouveaux.

J'ai dit que nous avions reçu beaucoup de monde pendant notre séjour. Je citerai entre autres réceptions celle de la société de Chaux de Travers dont je faisais partie et à laquelle j'offris un goûter. Puis celle d'anciens carabiniers qui vinrent passer une journée avec moi. C'étaient messieurs Jules Huguenin Wuillemin et Louis Jeanjaquet, capitaines, Emile Huguenin des Ponts et Louis Coulin, lieutenants, et Célestin Guyenet, caporal, qui eurent l'air de se trouver fort bien chez leur ancien major, qui était fort heureux de les recevoir.

Je noterai enfin que le 25 juillet nous ressentîmes une assez forte secousse de tremblement de terre.

octobre-décembre 1855

Dans les trois derniers mois, il y eut dans le pays une agitation énorme relative aux chemina de fer. Le Franco-Suisse et le Jura Industriel étaient en présence, et le gouvernement fort mal disposé pour le premier, accordait toutes ses faveurs au second. De là la résolution prise le 24 novembre par le Grand Conseil de prendre 6000 actions, soit une part de trois millions à cette entreprise insensée, de là par conséquent le commencement de notre catastrophe financière dont nous verrons la fin quand ?!!!

Quand au Franco-Suisse en voie de formation, l'Etat ne fit rien pour lui. Il fallut donc recourir aux souscriptions particulières et c'est grâce à ces dernières et à la puissante coopération du Paris-Lyon que cette entreprise a été menée à bonne fin. Pour ce qui me concerne, je commençai à souscrire une vingtaine d'actions, lesquelles ont été amenées petit à petit au nombre de 50, qui me reviennent à F. 400 environ chacune (juillet 1861)

3 octobre 1855: Le mariage de ma soeur Rose avec mon beau-frère LaTrobe fut célébré civilement à Neuchâtel et religieusement à Valangin. Après la cérémonie il y eut un déjeuner à la Borcarderie.

21 décembre 1855 Naissance de Maurice Tribolet

Politique: On s'étonnera peut-être que de toute l'année, je n'aie pas même fait mention de politique. Je ne sais réellement pas à quoi en attribuer la cause. Ne se serait-il rien passé d'important ? c'est possible. Mais ce que je crois plutôt c'est que je ne voulais pas me répéter constamment sur les on dit des faits et gestes et des menées du Cabinet noir. Ce calme durera encore un certain temps, mais le coup de tonnerre du 3 septembre 1856 ne le troublera que trop tôt et me forcera à revenir à la politique, momentanément au moins, bien plus que je ne l'aurais désiré.

1856 janvier-avril

Dans le commencement de février je reçu de M. Roberts, dont j'avais fait la connaissance à Londres é l'occasion des maisons à construire pour les classes ouvrières et pauvres, une lettre qui accompagnait une brochure en anglais de sa composition, intitulée "Nomes reforms" avec invitation de la traduire, et si je le jugeais convenable, de publier cette traduction. Après avoir pris connaissance de ce petit mais très intéressant ouvrage, je me décidai à entreprendre cette publication. Mais la première chose à faire était de trouver quelqu'un qui voulut bien m'aider dans cette oeuvre. J'eus donc l'idée de m'adresser à M. Charles Coulon, lequel avec son obligeance ordinaire voulut bien se charger de la traduction. Puis je pris des arrangements avec le libraire Leideeku pour l'imprimer et l'éditer, à mes frais cela va sans dire. La plus grande difficulté que nous rencontrâmes fut de trouver un titre à la brochure, car la traduction littérale de "Nomes reforms" était impossible. Or après mûres réflexions nous nous décidâmes pour "Réformes domestiques" Une fois le titre trouvé et la traduction achevée tout alla facilement et la brochure ne tarda pas à paraître.

Au mois d'avril M. Roberts m'annonça sa visite pour venir me remercier de la part que j'avais prise à cette oeuvre. Je profitai de son très court séjour à Neuchâtel pour réunir à la maison, soit dans une soirée, soit dans un dîner, les personnes à moi connues pour s'occuper le plus activement de l'amélioration des classes pauvres. M. l'ancien président Chambrier entre autres fut l'un des convives. Si je le mentionne spécialement on en verra la raison plus tard. Quoiqu'il en soit ces réunions furent instructives et agréables, je dirai même utiles à mesure qu'elles contribuèrent à donner du crédit à une idée que j'avais déjà depuis longtemps, mais qui ne fut mise à exécution que plus tard, idée qui avait pour but de fournir des logements sains à la classe ouvrière.

La fièvre des chemins de fer était à son apogée et on s'occupait activement d'arriver à une solution, lorsque le 18 mars je reçu la visite de monsieur Gustave Réal, secrétaire général de la compagnie Paris-Lyon. Il m'était recommandé par monsieur Hottinger et Cie et Hentsch, ancien associé de Albert Coulon. Son but était autant que je me rappelle de s'assurer d'abord de la réalité des efforts neuchâtelois pour arriver à une affaire sérieuse relativement à la construction du Franco-Suisse et ensuite de prendre des renseignements sûrs touchants le personnel du futur Conseil d'Administration. Je l'éclairai de mon mieux et je n'entendis plus parler de lui. Néanmoins il faut que mes avis aient été pris en sérieuse considération puisque dès lors le chemin de fer s'est construit sous le patronage et avec le concours effectif du Paris-Lyon.

Faits divers, 10 janvier 1856: Annonce du mariage de Jämes DuPasquier du Havre avec une demoiselle Risler de Mulhouse.
16 janvier 1856: mort de Mme Rosalie de Meuron qui habitait dans la maison du verger.
22 janvier 1856: Annonce du mariage de Fritz DuPasquier avec Mlle Rosalie Jéquier
6 février 1856:Mort de l'ancien trésorier d'Ivernois
25 mars 1856: Annonce du mariage du pasteur Bonhôte avec Mlle augustine DuPasquier, fille de Jämes
10 avril 1856: Annonce du mariage de Gustave du Bois avec Mlle Louise de Pury-Pourtalès

Politique: Si la politique avait été au calme plat pendant la guerre de Crimée, il n'en fut pas de même lorsque celle-ci fut terminée et surtout après la conclusion de la paix. Les espérances et les menées du Cabinet noir se ravivèrent et nous conduisirent enfin à la catastrophe qui termina son rôle, et cela à tout jamais. Je reprends donc mes notes et transcrirai mes impressions, sans commentaires, mais aussi sans en rien retrancher. Si la politique avait été au calme plat pendant la guerre de Crimée, il n'en fut pas de même lorsque celle-ci fut terminée et surtout après la conclusion de la paix. Les espérances et les menées du cabinet noir se ravivèrent et nous conduisirent enfin à la catastrophe qui termina son rôle et cela à tout jamais.

Les premières données que j'eus à cet égard résultèrent d'une lettre du général de Courtigis, en date du 14 avril 1856 et que je reçus le 16. Je crois devoir la transcrire:

Lorsque je vous ai écrit ma dernière lettre, j'étais fort peu au courant des affaires de Neuchâtel, et jugeais d'elles comme de beaucoup de choses étrangères au congrès. Je vous ai dit par analogie que je ne pensais pas que cette question si délicate devint l'objet de discussions sérieuses, me promettant toutefois de m'éclairer lorsque j'en trouverais l'occasion: Eh bien! cette occasion, je l'ai trouvée et saisie après le grand banquet impérial auquel j'ai assisté avant-hier, en ma qualité de commandant de division de l'armée de l'Est. Me trouvant donc ainsi placé au milieu de la foule des ambassadeurs et plénipotentiaires, j'ai eu une longue conversation avec M. de Manteuffel, et j'en ai profité pour lui parler de Neuchâtel en me permettant de me faire un peu auprès de lui l'interprète des sentiments de la noblesse neuchâteloise et de la partie saine de la population de ce bon pays, le priant de me faire connaître, s'il n'y avait pas d'indiscrétion, si déjà dans le congrès il avait été question du retour de la principauté sous le protectorat prussien, ce qui paraissait être le voeu de tous les patriciens du pays [Note de 1861: Pour expliquer ces lignes, il est bon de savoir ce que je n'ai appris que plus tard, c'est que, dans ce moment-là, Courtigis voyait journellement Eugène d'Erlach, qui avait été envoyé à Paris par le Cabinet noir, je ne sais dans quel but.]. Le ministre me dit alors qu'effectivement on en avait touché quelques mots, mais que l'affaire n'était qu'engagée; que, dans un premier entretien avec l'empereur Napoléon, il lui avait exprimé le vif désir du roi de Prusse de rentrer dans sa souveraineté de Neuchâtel et que l'Empereur ne lui avait pas paru faire opposition; qu'il avait donc quelque espoir que les choses pourraient tourner selon les voeux du Roi, et qu'il m'engageait à en parler moi-même à l'Empereur suivant mes sentiments, et qu'il lui demanderait dans quelques jours une nouvelle audience pour l'en entretenir de nouveau comme de l'un des plus ardents désirs du Roi; et qu'alors il traiterait la question à fond. Qu'il avait bien lieu de supposer quelque opposition d'une ou deux puissances, mais que, néanmoins, il avait bon espoir de voir les choses revenir à leur ancien état, sauf les modifications que pourraient exiger les circonstances.

Ce matin, fort de cette entrée en matière, je suis allé chez lui à l'ambassade de Prusse, il m'a reçu avec beaucoup de cordialité, m'a de nouveau engagé à en parler et m'a dit ensuite confidentiellement, que le roi de Prusse devait avoir avant peu une entrevue personnelle avec l'empereur Napoléon et que la question neuchâteloise serait une des principales choses que le Roi traiterait personnellement comme l'une de celles à laquelle il attachait le plus de valeur; que si la réussite avait lieu, comme il l'espérait, les dispositions de la Prusse pour une occupation militaire protectrice étaient arrêtées et les moyens convenus avec Hesse-Darmstadt et Baden; que peut-être la France, comme voisine et bonne alliée, se chargerait de cette mission.

Si cela était, j'en demanderais la conduite à l'Empereur, m'estimant très heureux s'il m'était donné d'aider mes bons amis et parents de Neuchâtel, et de frotter ma bonne division avec les democ-soques de la Suisse. A la première occasion, je parlerai à l'Empereur de tout cela, mais n'ayant aucune mission de me mêler de cette affaire, je ne puis qu'y mettre une grande réserve.

M. de Manteuffel m'a dit avoir reçu ce matin la visite de M. de Wesdehlen à qui il aura probablement tenu le même langage qu'à moi.

Du reste, je me tiendrai maintenant au courant de cette affaire, et vous informerai de ce que je saurai. Je vois qu'il faut agir sur l'Empereur et le crois assez favorablement disposé, mais de là à une détermination bien arrêtée il y a encore loin.

Il est probable que j'entretiendrai, dimanche prochain, l'Empereur de vos affaires.

Je ne dis mot de cette lettre avant d'être mieux informé et surtout avant que les élections soient passées, pour ne pas risquer de mettre le feu aux poudres.

18 avril 1856: On voir aujourd'hui dans le républicain qu'il commence à percer quelque chose des réclamations de la Prusse. Ce serait la Russie qui réclamerait l'affaire auprès du Conseil Fédéral.

Au dîner que j'offrais à M. Roberts, dîner qui s'est d'ailleurs fort bien passé, la présence de M. de Chambrier n'a pas contribué à le rendre gai. Il était évidemment très préoccupé. Etait-ce de la situation politique en elle-même ? Etait-ce des menées du cabinet noir ? Etait-ce de sa santé ? Je crois que c'était un peu de tout. Quoiqu'il en soit, son peu d'entrain et son mutisme presque complet, ont jeté comme un seau de glace sur la réunion.

20 avril 1856: Elections au Grand Conseil. Ces journées me sont toujours pénibles parce que, en conscience, je ne puis pas prendre part à ces opérations. Mes amis politiques s'obstinent à nommer des députés royalistes parce que royalistes. Je ne puis partager cette manière de voir et voilà pourquoi je m'abstient. Si on voulait au moins les nommer quoique et ajouter aux candidats un ou deux républicains ce serait différent à mes yeux, parce que je ne verrais plus dans la liste que des candidats neuchâtelois conservateurs. Peut-être cette manière de voir est-elle fausse et il le faut bien puisqu'elle n'est partagée que par bien peu de gens. Mais qu'y faire ? Aucun raisonnement n'a encore pu me faire changer sous ce rapport.

A 3 heures M. Bachelin vint m'annoncer le résultat des élections et ce résultat se trouve justement être un résultat de fusion. C'est en fait la fusion dont on ne voulait pas en droit. Les détails suivants le prouvent:

  • 1169 bulletins avaient été délivrés
  • 1169 bulletins sont rentrés
  • 20 bulletins ont été déclarés nuls
  • nombre de votants comptés 1149
  • majorité absolue 575
Voici les noms dans l'ôrdre où ils sont sortis:
Alphonse DuPasquier   642liste royaliste
Henri Coulon640liste royaliste
Samuel Petitpierre622liste royaliste
Jacot-Guillarmod612indépendant mais
liste républicaine
Auguste Leuba611indépendant mais
liste républicaine
Philippin587indépendant mais
liste républicaine
Fritz Lambelet587indépendant mais
liste républicaine
Voilà les 7 députés nommés.
Voici maintenant le nombre de voix obtenues par les autres candidats:
Jacottet, avocat590liste royaliste
Alphonse de Pury-Muralt   576liste royaliste
Berthoud-Coulon569liste royaliste
Charles Chambrier563liste royaliste
Ehrard Borel500Gouvernementaux
liste républicaine
Eugène Favre489Gouvernementaux
liste républicaine
Henriod, major465Gouvernementaux
liste républicaine
Il y a donc une fusion forcée entre les royalistes et les indépendants, et voilà qu'on en est revenu à mon système, malgré les meneurs qui encore hier criaient "point de fusion".

21 avril 1856: Conversations à droite et à gauche sur les élections d'hier, desquelles il résulte que les royalistes s'accusent réciproquement d'avoir voté pour les indépendants. Or comme cette manière de faire n'est pas approuvée par les sommités, chacun s'en défend, mais je le crains bien, aux dépend de la vérité.

mai 1856

Voyage à Paris Obligé de me rendre à Paris pour une affaire fort importante et fort désagréable concernant la Caisse d'épargne, je ne profitai pas moins des loisirs que cette affaire me laissait pour m'enquérir un peu de ce qui se passait relativement à nos affaires et sonder l'opinion publique.

Aussitôt après mon arrivée, je fis plusieurs visites dont l'une au général Courtigis qui m'avait écrit la lettre transcrite ci-devant, et voici ce que je trouve dans mon carnet de poche de 1856:
C'est par cette lettre que j'avais appris le voyage de MM. de Perregaux et de Wesdehlen à Paris, voyage qui a fait un tel bruit chez nos ultra-royalistes que l'on assurait que d'un moment à l'autre, on devait s'attendre à une restauration. Pouvant de mon côté savoir quelque chose par Courtigis, je lui répondis immédiatement pour le prier de me tenir au courant, surtout puisqu'il devait avoir une conversation avec l'Empereur. Je n'avais pas eu de réponse, ce qui s'explique, puisque la conversation n'a eu lieu que dimanche dernier, 27 avril, jour où Courtigis a dîné aux Tuileries. Or, c'est de cette conversation qu'il m'a entretenu ce matin, et voici ce qu'il en résulte: d'après ce que lui avait dit Manteuffel, il s'est cru autorisé à demander à l'Empereur ce qu'il en était de l'affaire en question. Sa Majesté lui a répondu qu'en effet Manteuffel lui avait parlé; que la question était grave et délicate; qu'il savait que le Roi attachait une importance extrême à cette affaire, et qu'il devait en conférer avec lui dans une entrevue qu'ils devaient avoir ensemble (mais du lieu et de l'époque de la conférence, pas un mot). Sur ce, Courtigis dit à l'Empereur que, s'il devait donner assistance matérielle, il espérait que Sa Majesté serait assez bonne pour lui donner le commandement de l'expédition éventuelle.
L'Empereur: "Vous avez donc bien envie de quitter Paris?"
Courtigis: "Puisque Votre Majesté n'a pas voulu m'envoyer en Crimée, je serais bien aise de faire quelque chose et surtout d'être envoyé à Neuchâtel où j'ai des parents et des amis et où je serai bien reçu".
Là-dessus, l'Empereur de sourire, mais de réponse, point.

Voilà où en est l'affaire. Est-elle aussi avancée que nos messieurs le croient? J'en doute fort. En tout cas ce sera long et la montagne accouchera d'une souris. Telle est d'ailleurs l'opinion de toutes les personnes que j'ai vues aujourd'hui et qui m'en ont parlé.

Il résulte encore de ce que j'ai appris que Manteuffel disait à Courtigis qu'un seul bataillon suffirait!!!?; que MM. de Perregaux et Wesdehlen n'ont pas fait de visite à Courtigis, ce qui me paraît l'avoir blessé; que M. de Perregaux n'a point vu l'Empereur, comme le bruit en a couru à Neuchâtel, et que, par conséquent, ces messieurs n'ont entendu que Manteuffel et peut-être quelques autres plénipotentiaires qu'ils savaient être favorables à la Prusse. De sorte qu'ils n'ont entendu qu'une cloche et par conséquent qu'un son.

2 mai 1856: Visites et entre autres à M. Hottinger. Je reste fort longtemps chez ce dernier pour causer des affaires de Neuchâtel. Il considère ces dernières comme une véritable plaisanterie de la part de la Prusse et il ne peut pas lui, entrer dans l'idée que l'Empereur qui agit avec grande prudence et circonspection, malgré sa puissance, veuille risquer de nouveau de brouiller les cartes pour une affaire toute d'amour propre pour le Roi de Prusse et de si peu d'intérêt au point de vue européen. Courtigis chez lequel je dîne revient sur la question de Neuchâtel et ne m'apprend rien de nouveau, sinon que Manteuffel lui a dit que l'entrevue du Roi et de l'Empereur aurait lieu à Paris, où l'Empereur de Russie devait se rendre également.

Le 29 mai 1856 je dînai chez Félix de Mirmont qui me dit en grande confidence que messieurs de Perregaux et de Wesdehlen n'ont pas eu lieu d'être satisfaits de leur voyage à Paris. Sans doute monsieur de Hatzfeld et Manteuffel les ont très bien reçus. Ce dernier leur a dit entre autres que jamais le Roi etc., etc. (toujours les mêmes ritournelles). Mais ces messieurs ayant demandé à être présentés à l'Empereur, c'est alors que le désappointement est arrivé parce que ni Hatzfeld ni Manteuffel n'ont voulu prêter les mains à une pareille démarche, de sorte qu'il est maintenant certain à mes yeux que ces messieurs ont voulu voir l'Empereur, mais qu'ils n'ont pas pu.

Après avoir épuisé ce qui concerne la politique pendant mon voyage, je reprends quelques uns des événements les plus saillants de celui-ci.

Jusqu'à mon départ pour l'Angleterre qui eut lieu le 15, je m'occupai beaucoup de l'affaire de la Caisse d'Epargne qui m'avait amené à Paris.

Le 3 mai je reçu à dîner à l'hôtel Molière où j'étais descendu, quelques jeunes gens, savoir: François DuBois, Paul Coulon, Adolphe Perrot, Jean de Merveilleux, Franz Sandel, Jämes de Chambrier, Fritz de Perregaux et Graffenried. Ces messieurs parlaient beaucoup de politique neuchâteloise mais je m'abstins par bonne considération.

Je fis plusieurs dîners plus ou moins agréables, chez madame Borel du Havre, chez les Courtigis, chez Aimé Gros, chez Bellenot de Monruz et à l'hôtel du Louvre avec Albert Coulon et sa femme. J'en refusai deux, l'un chez monsieur Hottinger pour cause d'absence, l'autre chez madame de Mülinen Rougemont (maintenant madame Georges de Morel) où je ne me souciais pas d'aller.

Enfin le jeudi 15 je partis pour l'Angleterre où je devais aller passer quelques jours avec Georges chez les LaTrobe qui étaient alors domiciliés à la Mote près Tunbridge. Nous fîmes avec mon beau-frère plusieurs promenades fort intéressantes et nous clôturâmes ce séjour par une échappée à Londres, d'où je repartis directement pour Paris avec Georges le 21 à 7.25 du matin, pour arriver à destination à 7.25 du soir.

Le 26 mai [1856], passant sur la place de la Concorde, je rencontrai le bétail du canton de Fribourg qui se rendait à l'Exposition qui devait s'ouvrir le 1er juin. Les vaches avaient leurs clochettes, dont l'harmonie dans Paris produisit sur moi un effet singulier et très émouvant. Ce même jour j'offris chez Véfour un second dîner à quelques amis de Georges, savoir Fritz Perregaux, Jämes Chambrier, Anker le peintre, Adolphe Perrot, Franz Sandol, Charles Sandoz, Paul Coulon, le neveu , Jean de Merveilleux, auxquels j'adjoignis Edouard Dubied, alors à la tête d'une maison de Mulhouse, s'occupant de construction de machines.

Je note ici que ce dîner, auquel il ne manqua rien, me revint, vins, cafés et liqueurs comprises à F. 125, soit F. 11.40 par tête. Nous étions onze.

Le 27, j'assistai à une revue passée par l'Empereur au Champ-de-Mars. Il y avait 35'000 hommes.

Le 1er juin, j'assistai à l'ouverture de l'Exposition et je quittai Paris le 2 pour revenir directement à Neuchâtel avec Georges qui se rapatrie définitivement

juin-août 1856

J'employai le mois de juin à me remettre un peu au courant des affaires soit de la Banque, soit de la Caisse d'épargne, et le 28 du même mois, nous allâmes nous établir aux Ruillères où nous séjournâmes environ deux mois. Je n'ai, jusqu'à la fin de ce séjour, rien de bien intéressant à noter, si ce n'est que je fis un grand nombre de promenades dans les environs, et que nous essuyâmes un grand nombre d'orages soit de jour, soit de nuit; mais le dernier, d'un autre ordre, il est vrai, devait en clôturer la série d'une manière terrible, c'est ce que nous verrons bientôt.

18 juin 1856: Départ de notre neveu Samuel Pury pour l'Australie.
Le 25 juin nous apprîmes la mort de M. de Muralt rougemont et le 23 juillet celle de Mlle Elize d'Ostervald

septembre 1856

Ici je transcris purement et simplement mes notes journalières, sans autre réflexion:
3 septembre 1856: Malgré un temps de brouillard, nous allons avec Bellenot (Bellenot, de Monruz, était arrivé la veille et devait passer quelques jours avec nous) au Creux-du-Van, mais le brouillard était tellement épais que nous ne nous aventurâmes pas plus loin que le chalet. En revenant à 11 heures, j'étais indisposé et me changeai de pied en cape. Un instant après, M. Blanchard arrive et nous annonce qu'une contre-révolution a éclaté à Neuchâtel la nuit passée. Les colonels
Pourtalès et Meuron sont à la tête, dit-on. La poste du Locle est partie, mais avec un laissez-passer signé Pourtalès; M. Blanchard repart immédiatement pour engager Mme Sandoz et Uranie, parties ce matin pour Travers, à remonter. Arrive Franz Sandol, qui nous annonce son père, et repart de suite. Son père arrive et dîne avec nous. En sortant de table, son domestique vient lui annoncer que la colonne républicaine, en descendant, a pris son fils et qu'on le fait marcher en tête. Ces dames partent pour Pontarlier. Ce pauvre père, furieux et consterné, nous quitte pour passer la montagne. M. Blanchard ajoutait que le Locle était au pouvoir des royalistes, ainsi que Neuchâtel, et que les conseillers d'Etat Piaget et Humbert étaient en leur pouvoir.

Cinq heures: Nouvelles de Travers: C'est le colonel Denzler qui est à la tête de la colonne républicaine. Franz Sandol et le notaire Borel sont prisonniers sur parole chez M. Blanchard. Sandol écrit à son père auquel j'envoie immédiatement un exprès.

Jeudi 4 septembre 1856: Hier au soir, à 10 h. 1/2, Franz Sandol est venu me réveiller pour avoir des nouvelles de son père. Je lui fais part de ce que j'ai fait. Il est en liberté sous caution. Je l'ai beaucoup encouragé à retourner au Marais, sauf à voir plus tard. Ce matin, le Vallon est parfaitement tranquille. Le courrier de Neuchâtel de hier soir est arrivé. La ville était libre dans ce sens que l'on y circulait librement. Le château seul était barricadé. Rien du reste du pays. Il est 6 h. 1/2. Tout cela est bien angoissant. On voudrait avoir des nouvelles à chaque minute. Bellenot part pour Couvet à 7 h. et reviendra peut-être. A 8h. 1/2, Paul Meuron arrive de Travers et nous apporte Le Neuchâtelois et la Feuille d'Avis. Il nous annonce qu'une dépêche de ce matin, à 5 h., apprend que le château a été repris par les républicains. Dans le même moment arrive Alphonse, qui apporte les journaux et une lettre de Georges de 1 h. après-midi. Il est à Neuchâtel et garde la maison. A 11 h. 1/2, Franz Sandol revient pour chercher des nouvelles de son père, mais nous ne pouvons lui en donner, l'exprès n'étant pas revenu. Il nous dit du reste que la reprise du château, qui paraît positive, n'a pas eu lieu sans effusion de sang. Bon Dieu! quelles nouvelles allons-nous recevoir? A 3 h., l'exprès revient de Bevaix et de Concise. Heureusement Sandol était dans ce dernier endroit, et a pu écrire à son fils pour le rassurer. Je lui envoie immédiatement la lettre de son père. Il est 6 heures. Le reste de la soirée, nous attendons en vain des nouvelles.

5 septembre. Il est 7 h. 1/2; je n'ai encore aucune nouvelle, c'est à n'y rien comprendre. Quelle longue attente!

8 h. 1/2. Les nouvelles n'arrivent que trop. Grand Dieu! quelle punition d'une folie aveugle (de ce moment, sauf des faits spéciaux, s'il y en a, je m'en réfère aux journaux et aux lettres que je conserverai en liasses). Dans l'après-midi, vers 3 h., arrive H. Sandol, revenant de Concise; puis M. Blanchard et Paul Meuron. Sandol couche aux Ruillères

6 septembre 1856: Sandol reste la journée avec nous et retourne au Marais dans la soirée.

Depuis dimanche, je n'ai pris aucune note. Ce jour-là, je suis venu à Neuchâtel pour voir les affaires d'un peu plus près. En arrivant, j'ai vu d'abord ma belle-soeur Louise qui m'a dit que si son mari était au château, elle en était un peu la cause, car elle n'avait rien fait du tout pour l'empêcher de s'y rendre [Cette phrase et d'autres preuves dont nous pourrions faire état infirment l'assertion de V. Humbert, reproduite par le Dr CHATELAIN dans sa brochure posthume: Du rôle de la Prusse dans le mouvement des royalistes neuchâtelois du 3 septembre 1856, à la page 77, suivant laquelle Auguste de Montmollin aurait bien été au rendez-vous du Vauseyon, mais pas au château.]. Par contre, sa belle-mère lui a adressé une parole sévère, mais qui est restée sans effet. Ensuite, j'ai été dîner avec Georges chez Cécile Coulon, où se trouvait Mme Emilie de Pourtalès. Elle ne m'a pas dit grand-chose, mais assez pourtant pour que je puisse en conclure que, dans son opinion, son mari [Frédéric de Pourtalès-Steiger.] et Meuron ont été en quelque sorte sacrifiés. Je savais d'ailleurs que le pauvre Fritz avait été poussé d'un côté par les Sagnards, de l'autre par le Roi. Pour le moment, il me paraît évident que c'est M. de Wesdehlen qui est à la tête du mouvement, et pour ainsi dire le seul coupable, car c'est son entêtement et son fanatisme à froid, qui lui ont fait prendre des ombres pour des réalités. C'est lui qui a influencé le Roi en lui faisant envisager que le nombre des royalistes était beaucoup plus considérable qu'il ne l'est en effet. C'est encore lui qui a fanatisé les Sagnards, de concert avec MM. tels et tels. Qui vivra verra et cela avant qu'il soit longtemps.

Vendredi 12 septembre 1856: L'on m'assurait ce matin que Jeanrenaud-Besson disait que Wesdehlen et le professeur Perret étaient les plus compromis. Quand, le jour de l'occupation, on témoignait à Meuron des inquiétudes sur les résultats, il répondait: "Soyez tranquilles, la Prusse, la France et même la Suisse sont pour nous". - (Rapporté par un réfugié qui a été au château.)

Dimanche 14 septembre 1856: Longue conversation avec le conseiller d'Etat Marcelin Jeanrenaud, de laquelle il me paraît résulter que le pouvoir en connaît beaucoup plus sur la conspiration, qu'on ne le pense généralement. Que tout ce que le Conseil d'Etat désirerait, serait de voir, les royalistes devenir Neuchâtelois-conservateurs: "car, me dit-il, vous pouvez être certain que les trois quarts du pays sont conservateurs, et s'il n'y a plus de royalistes, les honnêtes gens auront nécessairement le dessus, et nous pourrons enfin marcher, car depuis déjà deux ans au moins, le gouvernement est sans force. Il ne peut pas se faire obéir au Val-de-Travers. Dans ce moment, il est en lutte avec le Comité de salut public du Locle. En un mot, la machine gouvernementale ne chemine pas. Il m'affirme que, dans son opinion, il faut des conservateurs aux affaires. Pour eux, reprendre une grande influence serait facile, du montent où l'on n'aurait pas constamment autour de soi ce cauchemar de restauration qui paralyse tout. Quant aux suites de l'échauffourée, il ne sait qu'en dire. Cependant et pour ce qui est de l'entreprise même, il y avait lutte jusque dans la Camarilla prussienne. L'Autriche, dans cette question, est fort louée d'être bien disposée pour la Prusse. Quant à la France, on ne sait qu'en dire, il paraît que l'Empereur, qui n'est pas à Paris, ne s'est pas encore prononcé; toutefois les lettres qui leur parviennent de Paris peuvent faire croire que l'on envisage assez légèrement toute cette question, et que l'on ne mettra pas la Suisse en demeure de satisfaire aux exigences de la Prusse. Il ajoute enfin que l'un des motifs qui lui font désirer que les royalistes se prononcent dans le sens neuchâtelois, serait qu'il est intimement convaincu que, dans ce cas, les prisonniers seraient traités avec beaucoup plus de ménagements. Je crois qu'en me tenant ce langage, M. Jeanrenaud est sincère, car je l'ai toujours reconnu vrai. Quant à l'opinion soulignée ci-dessus, il y a déjà plusieurs années que je la partage, et je puis même dire, sans m'avancer trop que si l'on m'avait cru, lorsque je faisais des propositions de fusion, nous serions plus avancés que nous ne le sommes, et que nous aurions évité la dernière catastrophe.

Lundi 15 septembre 1856: M. Junier me disait, ce matin, qu'en général les prisonniers du Temple étaient assez irrités contre leurs chefs, ce qui, pour quelques-uns, ne me paraît pas fort extraordinaire puisque des soldats ont reçu des cartes de citation telles qu'ils devaient les envisager comme régulières, parce qu'elles étaient timbrées: Direction militaire. Je me rends au château pour voir mon frère [Auguste de Montmollin.] et lui serrer la main; mais pas moyen de se rien dire. En sortant, dans l'après-midi, je rencontre Fritz Perrot qui me paraît disposé à déclarer en plein Grand Conseil qu'il blâme le mouvement. Il espère que ses collègues feront de même. Dieu veuille qu'il ne se trompe pas, car ce serait le meilleur, pour ne pas dire l'unique moyen, pour les députés de cette catégorie, de conserver encore quelque influence dans ce corps.

Mardi 16 septembre 1856: Je reçois une lettre de mon frère qui me prie d'aller de temps en temps chez lui. Je m'y achemine et trouve tout en ordre. Il est dans les prisons.

Mardi 17 septembre 1856: Visite à Mme Emilie de Pourtalès. En en sortant, je rencontre Alexandre [Alexandre de Pourtalès, fils de Frédéric de Pourtalès-Steiger]. Il est complètement de mon opinion et voudrait que, sans tarder, les membres des familles dans une certaine position fissent une manifestation dans le sens républicain. Du reste, il me raconte, sur les derniers événements, des circonstances fort curieuses qui ne font que confirmer tout ce que je crois être la vérité sur la participation du Roi, malgré que l'on dise le contraire.

Samedi 20 septembre 1856: Je reçois une lettre de Courtigis, dont copie:

Je viens de recevoir votre lettre, au moment de partir pour Lyon, où je me rends pour mon inspection et prendre le commandement de ma division qui s'y trouve déjà depuis six semaines. Quant à ce que vous me demandez, je ne puis que vous dire que je ne sais absolument rien et qu'on ne dit rien. Le maître de la maison, de qui tout dépend, n'est pas là, et toutes les questions qui sont de nature à nous préoccuper se décident dans un secret absolu. On pense que tout cela se traitera à fond, quand la commission du congrès de Paris se rassemblera pour clore tout le travail qui lui reste à élaborer. On croit ici que les braves gens qui se sont brûlé les doigts ont été poussés par une influence supérieure assez peu énergique pour oser se mettre en avant, et qui calera par un compromis avec la révolution.
J'étais du reste bien persuadé que vous ne vous mettriez pas dans une telle entreprise, très honnête selon moi, mais bien insensée.

Aujourd'hui on change les quartiers de logement des soldats. J'en reçois six qui se conduisent bien.
Cinquante soldats et deux officiers chez les Wesdehlen. L'on assure que c'est sur l'ordre formel du château, attendu que plus l'instruction du procès avance, plus il se prouve que M. de Wesdehlen est le principal, si ce n'est l'unique auteur, de tout ce qui est arrivé. Mon frère a trente soldats et deux officiers. Les esprits sont aigris. On ne peut presque pas discuter sans se fâcher, surtout avec certaines personnes. Je prends donc le parti, dès à présent et jusqu'à nouvel ordre, de retourner peu ou point à la Chambre [Cercle du Jardin], et de vivre beaucoup en famille. Reste à savoir si, plus tard, il ne faudra pas prendre un parti plus radical, car qui sait ce que l'hiver nous prépare.

Mardi 23 septembre 1856: Dans la matinée, je vais au Cercle de lecture, où s'établit une longue conversation politique sur l'état actuel de nos affaires. Je suis tout réjoui d'entendre que M. DuBois, ministre, ancien pasteur de Buttes, est complètement de mon avis sur la question et qu'il envisage, comme je le fais moi-même, qu'une restauration monarchique serait fort à craindre attendu le peu de garantie qu'elle offrirait d'une durée plus ou moins longue. Restons donc ce que nous sommes et chacun dans notre sphère, faisant le plus de bien possible à notre pauvre pays. Telle est l'idée, telle est la conclusion que nous tirons l'un et l'autre de cette conversation dans laquelle le principal interlocuteur, outre nous deux, était le professeur Desor.

Dimanche 28 septembre 1856: Georges a été tellement émotionné de la séance du Grand Conseil d'hier, où il faisait d'ailleurs excessivement chaud, qu'ayant en outre pris froid en sortant, il en prend un commencement d'esquinancie, ce qui l'engage à faire chercher le Dr. Cornaz.

La déclaration de M. Calame, faite hier au Grand Conseil (voir les journaux) fais assez grande sensation. On en est généralement satisfait, car l'on envisage que, dès ce moment, il n'y a plus de royalistes, au moins dans le Grand Conseil et, à mon sens, pas davantage dans le reste du pays, car chacun, sauf quelques exaltés, pense qu'il nous faut une position bien tranchée.

Mardi 30 septembre 1856: Illumination. Beaucoup de personnes, dont je fais partie, ne prennent aucune part à cette manifestation, malgré les menaces de bris de vitres, etc., etc. Néanmoins la soirée et la nuit se passent tranquillement et l'on ne parle pas de voies de fait, soit contre les maisons, soit contre les personnes qui n'ont pas illuminé.

octobre 1856

Pendant ce mois et les suivants ce qui me concerne est tellement lié à la politique que c'est dans cette rubrique que je mentionnerai mes fraits et gestes

La maladie de Georges suit son cours avec des alternances de haut et de bgas. A la fin du mois, indépendamment de la faiblesse corporelle, el est affligé d'une extinction de voix fort pénible pour ses alentours et surtout pout lui.

Faits divers: 21 octobre 1856, Mort de M. le Président de Chambrier. Ce magistrat distingué, déjà peu bien depuis longtemps, avait reçu le coup de mort de l'expédition du 3 septembre, qu'il désapprouvait complètement et qu'il n'avait pas pu prévenir puisqu'il n'en avait été informé que la veille dans la soirée. Je tiens d'un témoin auriculaire qu'en apprenant la fatale nouvelle, que le coup avait été exécuté, il s'assit sur le gravier et, se prenant la tête à deux mains, il s'écria à plusieurs reprises: "Mon pays est perdu!". Dès ce moment, son état alla en empirant journellement, jusqu'au jour de sa mort qui arriva à Cormondrèche, où il avait passé l'été.

26 octobre 1856: mort de M. de Pourtalès Guibert.

Politique Je reprend mes notes quotidiennes:
10 octobre 1856: J'apprends dans la matinée que mon frère a du être interrogé aujourd'hui. J'apprends également que le Grand Conseil vient de voter les statuts de la Société Générale Helvétique du Crédit mobilier, dont le siège est à Neuchâtel. Beau moment pour fonder une compagnie au capital de vingt cinq millions !!! [Au reste cette compagnie, élucubration du juif Raymack, d'Aimé Humbert, Meyer bijoutier, et tutti quanti, n'a jamais eu un instant d'existence].

2 octobre 1856: Longue promenade avec Alexandre de Pourtalès qui ne voit pas les affaires couleur de rose, comme qu'elles tournent. La seule solution qu'il envisage comme la moins désastreuse serait que le Roi nous lâchât moyennant amnistie. Il parait que c'est l'opinion générale de sa famille qui ne sont pas sous les verrous.

11 octobre 1856: Course en ville pour m'enquérir de l'élection de demain. (municipalité) dont les résultats paraissent devoir être en faveur de la liste gouvernementale, quoique l'autre liste soit propagée par d'ardents républicains. Mais on agit par voie d'intimidation, on refuse des cartes aux libérés sous caution, on expulse des familles dont des membres sont quelque peu compromis, ce qui fait que beaucoup de gens du peuple resteront à la maison.

12 octobre 1856: C'est aujourd'hui que part le bataillon vaudois. Bon voyage !! A 11 heures on se rend au Temple du Haut pour les élections du Conseil Général de la municipalité. L'assemblée est nombreuse. Le préfet préside bien, de sorte que tout se passe avec ordre. A 12 1/2 h on était dehors, à 4 h on ne connait pas encore les résultats. Gare le tapage lorsqu'on le connaitra. A 5 1/4 h une salve de canon se fait entendre. Quel est le résultat ? Je l'ignore mais puisqu'on tire au canon, il faut que les républicains soient satisfaits. Quand je dis les républicains, je veux dire les radicaux, car qui n'est pas républicain maintenant? Promenade aux flambeaux. Danse près de la statue Pury. Chants nocturnes. Joyeux enterrement de notre chère bourgeoisie. Hélas !!

13 octobre 1856: Visite à madame Emilie de Pourtalès qui ne me reçoit qu'un instant. Les royalistes paraissent très affairés ce matin. Je ne sais quelles nouvelles ils ont. Visite de Louise Montmollin qui est toujours un peu plus échauffée à l'endroit de la politique. Alexandre Pourtalès dit que ses commis voient les affaires comme nous.

21 octobre 1856: Pendant un petit séjour à Travers madame Dubied Courvoisier est venue faire une visite à ma belle-mère. On a parlé politique et au moment où je quittais le salon pour m'acheminer vers les Ruillères où j'allais faire une promenade, madame Dubied m'a traité de mitou. Je n'ai pas relevé le propos dans le moment, mais je lui ai écrit une lettre dans laquelle je lui dit franchement la surprise qu'a occasionné chez moi cette espèce d'apostrophe. Or comme cette lettre est en même temps une profession de foi politique, je l'accole ici avec la réponse intervenue.

Madame
Lors de votre visite à Madame de Sandoz, vous vous êtes servi, en vous adressant à moi et en me le destinant, d'un terme sur la valeur duquel je ne voulais ni ne pouvais discuter en présence des personnes qui se trouvaient au salon dans ce moment:
vous m'avez appelé "mitou". Si, en m'appliquant cette épithète, vous avez entendu (ce que je ne puis croire) que je n'avais pas d'opinion bien arrêtée en politique, que j'attendais l'issue des événements pour me prononcer, en un mot que j'étais un homme toujours prêt à me jeter du côté des gros bataillons, je repousse cette épithète de toutes mes forces et je dois vous déclarer, madame, que vous vous êtes trompée de tous points.
Par contre, si vous appelez "mitou" un homme qui depuis plus de trente ans est au service de son pays, auquel on a confié une quantité très considérable de fonctions et de postes sans en avoir jamais recherché aucun, qui a rempli ces postes et fonctions avec le seul désir d'être utile à sa patrie et à ses concitoyens, un homme qui a servi son prince jusqu'au 1°, mars 1848 avec la plus inviolable fidélité, mais qui a pris au sérieux la lettre [Lettre qui déliait tous les Neuchâtelois de leur serment de fidélité] du roi du 5 avril de cette même année;
si vous appelez "mitou" un homme qui, dès lors, ne s'est mis au service non de tel ou tel parti, mais de son pays, en acceptant des fonctions purement gratuites et souvent ingrates, un homme qui a recherché depuis la révolution, autant qu'il était en lui, de rétablir l'union et la paix parmi ses concitoyens, un homme enfin qui, tout en regrettant le passé, veut être Neuchâtelois et rien que Neuchâtelois, oh ! alors, j'accepte l'épithète et m'en fais honneur.
Voilà, madame, les courtes réflexions que j'aurais eut l'honneur de vous présenter, si comme je vous le disait en commençant cette épitre, j'avais pu entrer en discussion avec vous.
Je tiens trop, madame, à votre estime et à celle de votre respectable famille pour ne pas vous donner ces explications que je vous prie de bien vouloir communiquer aux personnes qui, comme vous, ont l'air de croire qu'on ne peut être véritablement ami de son pays qu'en adoptant des opinions extrêmes, lesquelles, j'en ai l'intime conviction, finiront pas entrainer la ruine de notre chère patrie.
J'aurais sans doute pu ajouter une foule de considérations à ce qui précède, mais le temps me presse; je dois terminer en vous assurant, madame, de la considération etc., etc.

Réponse de madame Dubied
Monsieur,
En effet c'est un témoignage d'estime de votre part que la lettre que vous m'avez adressée. Permettez moi de commencer par vous en remercier de tout mon coeur.
Un de nos amis et connaissances mutuelles, que nous aimons et estimons tous deux, qui partage votre point de vue et qui dans sa sphère se consacre aussi au bien de son pays me disait il y a peu de temps: Eh bien! madame, l'insuccès de la réaction ne vous prouve-t-il pas que nous autres "mitous" avions raison ? En voyant se placer aussi gracieusement et aussi franchement dans cette catégorie un bon neuchâtelois, j'avoue que je vous y ai placé avec le sentiment intime que ce n'était point une épithète désobligeante et je n'ai d'excuse à vous demander, monsieur, que si mon ton ou ma vivacité ont pu vous le faire supposer. Dans ce cas j'ai même des remerciements à vous adresser de m'avoir épargné une douleur maternelle, que vous auriez si légèrement pu raviver. Les affliction de la patrie deviennent aussi celles de la famille; que de motifs d'humiliation !!
Agréez, monsieur, etc.

22 octobre 1856: Me trouvant avec M. Calame à Cormondrèche pour y faire notre visite de deuil, nous en revenons ensemble, et causant du défunt il me dit que depuis le 3 septembre M. de Chambrier ne s'est plus du tout occupé de politique, que cependant deux ou trois fois il s'est ouvert avec lui, mais sans toutefois se prononcer assez pour qu'on put se servir de l'autorité de son nom pour dire quelle était exactement son opinion. Néanmoins il paraitrait que la déclaration au Grand Conseil a été approuvée par lui et que tout ce qu'il pouvait espérer dorénavant c'est que nous puissions marcher à l'instar des autres cantons de la Suisse, sans plus s'attendre en aucune façon d'une restauration.

25 octobre 1856: Cécile Coulon vient nous voir et nous dit que madame Emilie, en désaccord sur ce point avec ces autres dames (cabinet noir) ne croit plus à la possibilité d'une restauration, fondant son opinion, entre autres, sur la tiédeur des neuchâtelois à cet endroit. Si seulement le Roi pouvait penser comme elle !!

28 octobre 1856: Je vois Alexandre de Pourtalès qui parait assez inquiet sur le résultat des affaires de Neuchâtel. Il craint un croc-en-jambe de l'Empereur Napoléon. J'avoue que pour le moment je ne puis partager ces craintes, quoique quelqu'un d'autre me dit aussi et sait que Barmann à Paris avait l'air passablement mal à son aise.

30 octobre 1856: Quelqu'un de très bien informé me dit que, il y a quelques jours, un envoyé de M. de Sydow a été à Neuchâtel. Il était porteur d'une quinzaine de lettres soit pour les noirs, soit pour les partisans de la déclaration Calame. Il est vrai que pour ceux-ci il n'y en avait que deux ou trois et entre autres pour M. Calame lui-même et pour Fritz de Chambrier. Les noirs ont persisté vis-à-vis de lui à soutenir que le voeux de la grande majorité du pays était pour la restauration. Cependant l'un d'eux a été assez franc pour avouer que ce serait dangereux. Quand à messieurs Calame et de Chambrier, ils ont dépeint l'état du pays tel qu'il est de sorte que ce monsieur est retourné à Sigmarsingen bien informé. Aura-t-il dit toute la vérité ? C'est ce que l'avenir nous apprendra. Quoiqu'il en soit et tout en croyant que les royaliste étaient très nombreux, il a fini par dire à l'un de ses interlocuteurs: "Oui, une restauration est possible, mais après ?!!". C'est ce que nous disons depuis longtemps, par conséquent elle n'est pas à désirer.

Il parait aujourd'hui dans les journaux une déclaration de quelques neuchâtelois du Locle qui déclarent accepter la république et qui engagent leurs concitoyens à signer aussi. Signera-t-on à Neuchâtel ? Je crois qu'on doit le faire. Pour ce qui me concerne personnellement j'y suis très enclin, cependant je veux encore voir ce qu'on en dira et spécialement des gens en qui j'ai assez de confiance.

novembre 1856

Pendant le courant de ce mois l'état de mon cher fils a plutôt empiré. Dans les premiers jours du mois et dans l'espoir d'une amélioration j'avais, sur l'avis du docteur, fait des démarches pour louer quelque chose au canton de Vaud et j'avais réussi. Déjà nous faisions nos préparatifs de départ lorsque le Dr. Castella, venant de Fribourg, eut la malheureuse idée de vouloir faire une visite à Georges. Ce pauvre docteur fut si bête dans ses questions qu'il lui adressa, lui parlant de maladies honteuses, etc., etc. qu'après cette conversation mon pauvre fils fut tellement émotionné que dès lors, le mieux qui existait, fut loin de se soutenir et comme complication à la maladie existante, il se déclara une gastrite, ce qui nous fis abandonner tout projet de départ, au moins pour le moment. Par conséquent je résiliai le bail que j'avais contracté dans les environs de Vevey et bien m'en prit, car les derniers jours du mois, il se manifesta une sorte de paralysie dans les jambes, qui rendit tout déplacement absolument impossible et qui nécessita la présence presque continuelle d'une garde-malade, car Georges ne pouvait pour ainsi dire être laissé un moment seul.

Politique, 1 novembre 1856: Lettre de Jean de Montmollin ensuite de quoi je vai voir messieurs F. de Perrot et Calame, pour causer dela déclaration des royalistes du Locle, que je voudrais signer, mais pas seul. Teneur de la lettre:

Mon oncle,
Il y a maintenant un an que vous m'accompagniez à la diligence lorsque je partais de Neuchâtel pour retourner à Berlin. Personne ne pensait alors à ce qui se passerait chez nous un an après et moi encore moins que mon père se trouverait en prison. Je vous écris, mon oncle, ces quelques lignes pour vous remercier de la grande bonté que vous avez témoigné aux miens pendant ces jours malheureux et que vous leur témoignez encore.
Il est maintenant probable que le Roi se remettra en possession de Neuchâtel et avant ce moment-là, c'est-à-dire depuis le moment où le gouvernement actuel se retirera des affaires jusqu'à celui où il sera remplacé par celui du Roi, les prisonniers, n'étant plus gardés, risquent d'être massacrés par des forcenés. Je ne doute pas, mon oncle, que l'on n'y pense, le moment venu, mais vous comprendrez l'inquiétude que je ressens, sachant mon père en prison et par conséquent en danger.
C'est, mon bon oncle, en vous présentant tous mes respects et toute mon affection, que je reste votre tout dévoué et reconnaissant neveu et filleul.
Jean de Montmollin
Hohenzollern ce 28 octobre 1856

[(Août 1861) Je dirai une fois pour toutes que c'est le contenu de cette lettre qui a été mon principal mobile dans toute la part que j'ai prise dès lors aux différentes phases des mesures prises par le gouvernement. Mon but était d'inspirer assez de confiance aux autorités républicaines pour être employé par elles n'importe comment, afin que, cas échéant d'une attaque contre les prisonniers je puisse être en mesure d'être informé de ce qui se passait et d'agir selon les circonstances, aidé que j'aurais été par des gens à moi connus, mais que je ne nomme pas par bonne considération. Grâce à Dieu, ces prévisions ne se sont pas réalisées. Tout ce que je demande donc aux personnes qui me liront, c'est d'être bien convaincu qu'en cas d'événement fâcheux, j'aurais fait mon devoir et employé tous les moyens possibles pour sauver les prisonniers qui ont été bien plus près d'être attaqués qu'on ne le croit généralement]

4 novembre 1856: Dans l'après-midi les bruits de restauration prennent une certaine consistance. La diète de Francfort a, au dire des journaux, accédé au protocole de Londres. On dit encore qu'une certaine inquiétude règne au château. Cependant on avait l'air très tranquille en ville et mmalgré les apparences je persiste à croire que la restauration n'est pas possible et encore moins désirable, par bien des raisons que j'ai déjà déduites ci-devant. Enfin nous verrons; en attendant la position est intenable.

5 novembre 1856: On me parle d'une déclaration analogue à celle du Locle. C'est Louis Quinche, notaire, qui s'est mis à la tête de cette manifestation après avoir consulté M. Calame (Je l'avais engagé à ne rien faire sans cela) Je la signe, moi 17ème après Louis Coulon, Charles de Marval et Samuel Petitpierre. Ce n'est pas sans y avoir bien réfléchi que je prends cette détermination et il faut que mes motifs aient été bien puissants, puisque je surmonte dans cette circonstance la répugnance extrême que j'ai à faire de la peine à quelques uns de mes amis, à mes parents et surtout à ma chère femme, pour laquelle cela est bien pénible, mais qui me pardonne parce que je lui affirme, ce qui est vrai, que je le fais en conscience. Du reste elle connait mes motifs et les comprend, mais sans m'approuver.

6 novembre 1856: Ce soir les journaux sont très guerroyant à l'endroit de la Suisse, de la part de la diète germanique qui exige, à ce qu'il parait, l'élargissement des prisonniers sans aucune condition.

7 novembre 1856: Quelqu'un qui a des relations avec le président Piaget me disait ce matin qu'au château on croyait toujours d'une solution pacifique de la question neuchâteloise. Que tout ce qui se passait maintenant avait été prévu à Berne et qu'en fin de cause les prisonniers seraient relâchés purement et simplement moyennant l'abandon des droits du Roi sur Neuchâtel. Seule solution possible à mes yeux. La déclaration des royaliste portait ce soir 30 signatures. Elle est imprimée et sera envoyée dans toutes les partie du pays.

11 novembre 1856: Longue visite à M. Calame qui m'explique les raisons qui l'empêchent de recommander dans le Neuchâtelois la signature de la déclaration. La principale est qu'étant le rédacteur du journal, il ne peut recommander la signature d'une pièce qui l'approuve lui personnellement. Je comprend cette raison et quoique je n'approuve pas les autres qui sont d'une nature différente, cependant je les comprend aussi et je n'insiste pas. Tout ce qu'il pourra faire pour le moment, c'est d'annoncer que la déclaration est déposée dans la librairie Gerster où on peut la signer et cas échéant où ceux-ci consentiraient, et pourquoi n'y consentiraient-ils pas? à publier les noms des signataires dans son journal.

12 novembre 1856: Visite de Louis de Marval qui vient me faire des observations sur l'inopportunité et le danger à ses yeux de la déclaration que j'ai signée. Il croyait que je m'étais mis à la tête de cette manifestation. Je le détrompe sur ce point, puis je lui explique les motifs qui m'ont engagé à donner ma signature. Il les comprend et nous nous quittons très bons amis.

18 novembre 1856: Numa Guyot de Boudevilliers, ancien officier des carabiniers, vient me voir et me raconter des choses assez curieuses sur l'échauffourée du 3 septembre. Le capitaine Comtesse était allé chez lui dans l'après-midi du 2 pour lui dire qu'on comptait sur lui ainsi que sur le major Girardbille. Ils témoignèrent de grands doutes et se décidèrent à venir consulter M. Calame, qui ouvrit de grands yeux et leur dit qu'il ne pouvait pas leur conseiller de prendre part à une expédition qu'il considérait comme une folie, que du reste ils feraient bien d'aller s'en ouvrir à M. de Chambrier. Ils descendirent à Cormondrèche où ils reçurent même réponse. Eh voilà pourquoi personne de Boudevilliers ne s'est rendu au château. M. Guyot ajoute que lorsque Comtesse lui proposa d'être de la partie, il lui annonça positivement que le colonel Pourtalès avait été à Berlin, qu'il avait les ordres du Roi, que tout était arrangé avec la Suisse qui ne mettrait pas un homme sur pied pour réprimer le mouvement !!!

19 novembre 1856: Article fort remarquable, à mon sens au moins, sur la question neuchâteloise de Secretan dans la chronique de la Revue Suisse.

25 novembre 1856: On me disait ce matin qu'en apparence le général Dufour avait complètement échoué dans sa mission, à mesure que l'Empereur exigeait très haut l'élargissement des prisonniers; par contre et par dessous mains il avait fait entendre à Dufour que si la Suisse ne s'exécutait pas, elle n'aurait pas à redouter les mesures coërcitives parce que lui, l'Empereur, n'y donnerait jamais les mains, bien au contraire. Il envisagerait comme un casus belli la circonstance où la Prusse mettrait un homme sur pied pour marcher contre la Suisse. Dans l'après-midi la nouvelle tout autre. Un ardent républicain annonçait que Piaget et Aimé Humbert, revenant de Berne, avaient dit à leurs intimes que l'affaire de Neuchâtel était arrangée aux conditions suivantes:

  1. Les prisonniers seraient relâchés sans condition
  2. La Prusse se serait engagée vis-à-vis de la France à ne pas faire valoir ses droits sur Neuchâtel, moyennant que le Roi conservât le titre de Prince de Neuchâtel et moyennant une indemnité pour la cession forcée de son domaine privé.
  3. La Suisse garderait pour elle tous les frais de procédure, d'occupation, etc., etc.
Dieu veuille que cette dernière version soit vraie. Dans la soirée il se confirme qu'il se passe quelque chose. Quoi ? On n'en sait trop rien. Ce qu'il y a de positif c'est que Piaget et Aimé Humbert aujourd'hui à leur retour de Berne ont fait assembler immédiatement le Conseil d'Etat, qui était encore en séance à 7 heures, mais rien ne transpirait de ce qui s'y passait.

26 novembre 1856: A l'encontre des nouvelles d'hier qui se confirment plutôt que d'être démenties, une personne assez haut placé me disait avant midi qu'elle savait de source certaine que le Roi ne pouvait ni ne voulait céder et qu'il aurait sa principauté coute que coute et quoiqu'il arrive. Nous verrons bien !

28 novembre 1856: On dit qu'une lettre arrivée de Berne à madame de Pouirtalès annonce la mise en liberté des prisonniers comme prochain. Il parait que la lettre existe en effet, mais ce que je ne comprend pas, c'est que madame de Pourtalès en parle. Quoiqu'il en soit la ville était pleine de cette nouvelle que chacun commentait à sa manière. Nous verrons bientôt ce qu'il en est. Il parait pourtant que, hier au soir, le Conseil fédéral a eu une séance à la suite de laquelle une dépêche télégraphique est arrivée au Conseil d'Etat, mais rien ne transpire sur son contenu.

29 novembre 1856: Les nouvelles d'hier ne sont point encore confirmées. On est dans l'attente. Les journaux sont assez belliqueux. Il y a de l'inquiétude un peu chez tout le monde. Quand tout cela finira-t-il ?

30 novembre 1856: Madame de Pourtalès a si bien fait en répandant la nouvelle de Berne qu'on est devenu beaucoup plus sévère à l'égard des prisonniers. Ainsi depuis hier plus de visites aux prisons et plus de promenades jusqu'à nouvel ordre. Inspection par le commandant Henriod des maisons voisines des prisons. Il est vrai que ces mesures peuvent avoir quelque coïncidence avec le discours du Roi à l'ouverture des chambres prussiennes qui se sont réunies hier, discours dont on attend le contenu avec une grande impatience. Quoiqu'il en soit tout cela montre combien les royalistes devraient être prudents, et surtout les parents des prisonniers, mais malheureusement ils ne le sont pas et ils en portent et en porteront la peine bien davantage, s'ils ne mettent pas de l'eau dans leur vin.

Dans la soirée on ne sait encore rien du discours du Roi; ce sera sans doute pour demain.

décembre 1856

Pendant ce mois la maladie de Georges suit son cours. Dans les commencements, la paralysie fait des progrès sensibles, ce qui nous obligea à avoir presque en permanence un infirmier. L'état s'améliore dans les derniers jours et quoique très faible, mon cher fils peut pourtant se lever, marcher un peu et faire quelques tours de chambre.

Politique, 1 décembre 1856: Il parait que madame de Pourtalès est bouleversée des mesures prises ensuite de son indiscrétion. Elle a l'instruction de voir Denzler et de le prier de faire en sorte que les conséquences de sa faute ne retombent pas sur les autres prisonniers.et qu'on leur permette derechef de voir leur parents. Louise Montmollin vient me demander conseil et je lui donne le suivant tout en lui faisant prendre l'engagement de ne pas me nommer. Je voudrais que les femmes et les parents des prisonniers signassent une déclaration par laquelle ils s'engageaient sur l'honneur et sur leurs biens, non seulement à ne pas favoriser une tentative de délivrance ou d'évasion, mais même de s'y opposer de tout leur pouvoir. J'aurais bon espoir d'une pareille démarche. Elle parait me comprendre et abonder dans cette idée. Elle fera dès aujourd'hui des démarches pour aviser aux moyens de s'entendre.

On commente ce que l'on connait du discours du Roi qu'on ne trouve pas assez explicite et pour certaines personnes pas assez vigoureux.

On dirait aussi que, vu les nouvelles qu'elle répand, madame de Pourtalès serait priée de s'éloigner de Neuchâtel. C'est ce que je ne puis croire.

2 décembre 1856: Visite à Louise Montmollin pour lui parler de la déclaration ci-dessus. Je lui donne, sur sa demande, une espèce de formulaire. Elle s'en occupera ce matin. A midi madame de Pourtalès n'a reçu encore aucune signification. Cet après-midi les prisonniers se promènent de sorte que les mesures de rigueur ont cessé, du moins en partie. Cela est dû à une lettre de madame de Pourtalès à Denzler pour lui expliquer ce qui s'est passé.

3 décembre 1856: Fritz Perrot, de retour de Berne, dit que dans la ville fédérale tout souris à la Suisse dans le conflit avec la Prusse et que le Conseil fédéral a l'air passablement rassuré.

Louis Montmollin m'écrit que, toutes réflexions faites et après en avoir conféré avec madame de Pourtalès, elle ne donnera aucune suite à l'idée émise ci-dessus. A la bonne heure !!

7 décembre 1856: Je puis aller voir mon frère, les visites aux prisonniers étant de nouveau autorisées.

10 décembre 1856: Le bruit avait couru et les journaux en avaient parlé que Piaget et Aimé Humbert étaient allés à Berne pour demander une augmentation d'occupation militaire et ce bruit, comme de raison, trouvait des gens qui y ajoutaient foi. Eh bien! J'ai appris ce matin d'une source non suspecte que c'est précisément le contraire qui a eu lieu. L'augmentation était réclamée par les radicaux du Locle et ces messieurs allaient à Berne non seulement pour combattre cette demande, mais encore pour chercher à ce que le bataillon cantonné à Neuchâtel fût caserné. Voilà au moins ce qui m'a été assuré par une personne digne de foi et en mesure d'être bien renseignée.

15 décembre 1856: On annonce que, hier au soir, sont sortir de prison sous caution Louis de Pourtalès et Wolfrath, mais avec recommandation de ne pas se montrer. On espère que d'autres, quoiqu'en petit nombre, les suivront.

Dans l'après-midi on parle beaucoup de brochures, d'articles de Journaux qui s'occupent de la question de Neuchâtel. On dit que Piaget est à Berne. Les malins annoncent qu'il se passe quelque chose et que la Suisse est moins solide sur ses ergots.

16 décembre 1856: Visite de Paul Coulon arrivé d'hier au soir. En passant pas Paris il a vu Courtigis qui lui a raconté les détails d'une entrevue qu'il avait eue avec l'Empereur le 7 courant. Cette entrevue, il l'avait demandée à la réception d'une lettre de M. de Perregaux qui exposait les choses à sa manière. Voici quel aurait été le résultat: D'abord l'Empereur n'est pas content de la Suisse. Il parait que la mission de Dufour aurait échoué parce que la Suisse par son organe, refusait absolument de mettre en liberté les prisonniers quoique le Roi ait annoncé verbalement abandonner ses droits, si cette condition était admise. L'Empereur aurait encore dit qu'il fallait que cette affaire se terminât promptement et que les puissances y mettent ordre. Dans quel sens ? C'est ce qu'il ne disait pas. Quoiqu'il en soit, il ne parait pas que ce serait par la force des armes, car Courtigis lui ayant demandé, cas échéant, le commandement de l'expédition. S.M. lui aurait fait entendre qu'il ne s'agissait pas de cela. Ce qu'il y a de positif c'est que Courtigis va partir pour Lyon avec sa famille pour y prendre le commandement de sa division et y restera probablement plusieurs années, au moins à ce qu'il croit. Tout cela ne veut pas encore dire grand-chose, car depuis le 7 les affaires de Neuchâtel paraissent être entrées dans une nouvelle phase, au moins à en croire les journaux et la circulaire en date du 8.

17 décembre 1856: Visite à Louise Montmollin qui m'annonce que probablement mon frère va être mis en liberté sans caution. Dans l'après-midi je cherche à savoir ce qu'il en est et je ne puis rien apprendre. Mais dans la soirée le commandant Henriod vient me faire signer l'acte de cautionnement pour cinquante mille francs que je signe sans hésiter, de sorte que mon frère, signant aussi un engagement, sera mis en liberté au plutôt aux arrêts à domicile, demain au soir ou après-demain au plus tard. Henri de Rougemont et Sauvin, ministre, ont refusé de prendre aucun engagement, de sorte qu'ils resteront en prison. Par contre Edouard Pourtalès sortira en même temps que mon frère, ainsi que deux ou trois autres.

18 décembre 1856: Vers 5 1/2 du soir le commandant Henriod vient m'annoncer que mon frère sortira dans une heure. Je m'empresse d'en prévenir sa femme. Les conditions sont sévères, car il ne peut voir que des personnes désignées à l'avance du nombre desquelles je ne suis pas. Mais Henriod m'assure que j'obtiendrai facilement de Denzler une permission spéciale, seulement il m'engage à attendre à samedi, ce que je ferai. Nous sommes lundi.

Les nouvelles politiques sont assez alarmantes. La France, dans un article du Moniteur, se déclare très mécontente de la Suisse. Il faudra voir ce qu'il en adviendra. Le moment est bien sérieux.

12 décembre 1856: Je na sais pas encore quel effet a produit l'article du moniteur dans les régions gouvernementales. Cependant le National menace les puissances des foudres révolutionnaires. Nous verrons.
Visite à mon frère
Dans la soirée on était assez curieux de savoir ce que ferait la Suisse dans les conjonctures actuelles. On saura peut-être à quoi s'en tenir à la fin du mois, puisque les chambres fédérales sont convoquées pour le 27. Puissent-elles écouter les conseils de la prudence et d'un véritable patriotisme et veuille surtout notre bon Dieu nous protéger dans cette affreuse crise.

20 décembre 1856: L'horizon politique se rembrunit de plus en plus. Levée de troupes, dont un bataillon au moins de Neuchâtel. Marche immédiate aux frontières. Telles sont les nouvelles qu'on répand aujourd'hui.

22 décembre 1856: Mise sur pied de toutes les troupes suisses et pourtant des personnes bien informées ne croient pas à la guerre (voir les journaux). Conversation avec le président Dardel qui ne sait que dire de la situation. Il a lu une partie du rapport du procureur général et il me cite de curieuses circonstances. Au reste le dit rapport sera imprimé de sorte que chacun pourra en avoir connaissance.

23 décembre 1856: Longue visite à mon frère qui ne peut toujours voir que fort peu de personnes. Il trouve toujours, et sa femme encore plus que lui, que l'expédition du 3 septembre a été une chose nécessaire et qu'il fallait racheter l'iniquité commise le 1 mars 1848. Quand aux conséquences il s'en inquiète peu. Qu'il y ait guerre, que la Suisse et notre pauvre pays en particulier soient ruinés pour longtemps, c'est un mal sans doute, mais un mal nécessaire, car il faut que le Roi reprenne possession de sa Principauté, quitte à voir ce qu'il en adviendra plus tard. Eh voilà où peut pousser le fanatisme politique.

Dans l'après-midi j'apprend qu'une dépêche télégraphique de Berne annonçait ce matin que l'on s'était arrangé sous la médiation des puissances. Tout le monde, sauf les noirs, était content de cette bonne nouvelle, lorsque peu après 14 heures arrive une nouvelle dépêche qui annonce au contraire que tout est rompu et qu'il faut s'attendre aux extrêmes.

Grand Dieu! prends nous sous ta bonne protection!

24 décembre 1856: Le Grand Conseil est réuni et les nouvelles sont plus à la guerre que jamais. M. Matthey Junod, correspondant de la Caisse d'Epargne au Locle, me raconte comment s'est passé dans cette localité la nuit du 2 au 3 septembre. Entre autres choses curieuses c'est que tout était si mal organisé, que lorsque la colonne royaliste sortit du Locle à 9 h du matin environ, poursuivie de loin par les républicains de la Chaux-de-Fonds, elle ne pensa pas à relever les factionnaires qui furent désarmés par ces mêmes républicains et le maire du Locle Ch. Auguste Jeanneret (qui n'avait pas été prévenu) arrêté dans son fauteuil à la maison de ville par le président du Grand Conseil actuel Eugène Huguenin, au moment où M. le maire lui annonçait qu'il était son prisonnier.

Le Grand Conseil était réuni aujourd'hui pour les voies et moyens concernant la guerre (voir les journaux). M. Calame et 5 de ses collègues n'ont pas cru devoir adhérer à la proposition du gouvernement. Je le regrette car il me semble que lorsqu'ils ont fait leur déclaration, il y a quelques temps, ils avaient par cela-même pris l'engagement de donner à la république les moyens de se soutenir. Fritz Perrot et Henri DuPasquier, ainsi que d'autres, l'ont pensé ainsi et à mon avis ils ont bien fait.

25 décembre 1856, Noël: Vers midi on m'annonce M. Louis Desor et Eugène Jeanjaquet, qui viennent me présenter une liste de souscription en faveur des familles pauvres, dont les membres seront probablement appelés sous les armes d'ici à peu de jours. Cette liste émane d'un comité qui fait un appel par trop ronflant. Néanmoins, comme j'avais déjà eu l'idée de faire, mais un peu plus tard, un appel semblable pour venir au secours des victimes de la guerre cas échéant, je souscris pour les raisons suivantes:

  1. Il faut être conséquent avec soi-même, et comme j'ai signé l'adhésion à la déclaration Calame, j'ai voulu prouver par des faits que tout ce que je redoute, c'est une restauration dans l'état actuel de l'Europe.
  2. et surtout parce que par la mise sur pied de la totalité des troupes du canton, une masse de familles vont se trouver dans la misère et qu'il est absolument nécessaire de leur venir en aide pendant cet hiver.
Toutefois je ne laisse pas ignorer à ces messieurs que j'aurais préféré un appel beaucoup plus simple et moins emphatique; car si je ne m'étais attaché qu'à la forme j'aurais refusé de signer. Mais il m'a semblé que le fonds emportait tout et voilà pouquoi j'ai apposé ma signature pour mille francs.

26 décembre 1856: Les Journaux seraient plutôt un peu plus pacifiques, mais la situation ne parait pas devoir changer encore.

Je reçois une lettre de M. Sandoz-Morthier. Je la transcrit ci-après:

Chaux-de-Fonds le 25 décembre 1856
Monsieur François de Montmollin
Neuchâtel
Monsieur,

Dans les circonstances graves où se trouve notre patrie et en particulier notre canton, permettez-moi de vous adresser ces quelques lignes. C'est de mon propre mouvement que je le fais et je désire même que ce que je vais vous dire demeure entre nous. Persuadé que comme moi, monsieur, vous voudriez le bien et le bonheur du pays, je ne crains pas de vous écrire. Je ne crois pas que ces lignes puissent être mal accueillies de vous. Si je me trompe, tant pis! ce que je fais est dans un bon but. En 1848 j'ai déploré l'avènement de la république française. Sans cet auxiliaire les partisans de notre émancipation n'auraient jamais songé à y arriver par une révolution à main armée, du moins pas les gens réfléchis et raisonnables qui comptaient en grand nombre dans leurs rangs. Il est au reste suffisamment prouvé que plusieurs de mes amis et moi, nous sommes constamment apposés à toute espèce de tentation de cette nature jusqu'au fatal moment où nous fûmes débordés par les masses que l'on ne pouvait laisser flotter seules. Si j'ai été du gouvernement provisoire, ce n'est certe pas par ambition, ni parce que j'avais des idées et des principes révolutionnaires. Ces principes n'existèrent jamais chez moi. C'est à force de sollicitations que j'acquiesscai à en faire partie et parce qu'on m'assurait qu'étant très connu dans le pays, connu surtout pour un homme calme et modéré (ceci sans flatterie) je pourrais être utile, et bien que je me sentisse incapable, bien que je reconnaisse que ma position, sous tous rapport ne me permettrait pas d'entrer dans cette spère, j'acquiesçai néanmoins à prêter mon concours pour un moment, croyant ne faire en cela qu'un acte de pure patriotisme. Si jamais vous, monsieur, ou d'autres personnes m'ont supposé d'autres vues et d'autres intentions, on s'est grandement trompé sur mon compte.

Si, à une époque antérieure, j'ai déploré, comme je viens de vous le dire, l'avènement de la république française, je déplore aujourd'hui la position où nous nous trouvons, bien que je me sois toujours attendu à ce qu'un jour ou l'autre, cette question deviendrait fort épineuse pour la confédération. Eh bien! Monsieur, le moment est là. Redevenir ce que nous étions avant 1848 ne me parait pas possible. Devenir principauté prussienne purement et simplement ne ferait pas, je crois, notre bonheur pour plus tard et je crois que par notre position géographique, nous devons faire partie intégrante de la Confédération avec une forme républicaine quelconque.

J'ai entendu souvent des ci-devant royalistes modérés et assez haut placés en parler dans le même sens et même depuis l'événement de septembre, plusieurs de cette catégorie ont adhéré franchement et sans réserve à la république. Aujourd'hui encore monsieur l'avocat Cuche, monsieur l'avocat Delachaux et six ou huit de leurs amis viennent d'envoyer leur adhésion par écrit à la préfecture. Monsieur Delachaux a même offert ses services comme commandant d'un bataillon de landwehr.

Il n'y a selon moi qu'un seul moyen d'éviter la guerre, fléau que je redoute non pas parce que les armes suisses peuvent être malheureuses, mais fussent-elles heureuses que la guerre est toujours un fléau et un grand malheur pour la Suisse que, à tout prix, on devrait chercher à éviter. L'idée me vient que pour ne pas arriver à cette fâcheuse extrémité et pour aider à un arrangement, les gens modérés comme vous monsieur et d'autres, gens qui avez toujours désiré, je crois, que cette question se vide à l'amiable, auriez une grande influence auprès du Roi. J'ai donc la conviction que si vous, monsieur, et d'autres familles de Neuchâtel bien connues du Roi, de concert avec quelques personnages d'autres localités, j'ai la conviction, dis-je que quand vous enverriez une adresse à Sa Majesté pour la prier d'abandonner notre pays à tout jamais, moyennant amnistie pleine et entière de tous les citoyens plus ou moins compromis dans la dernière affaire, cette démarche émanant d'une partie de ses anciens sujets qui lui étaient dévoués, ferait plus d'avance que toutes les démarches diplomatiques n'ont fait jusqu'à ce jour et je voudrais de tout mon coeur que quelqu'un en prît l'iniative. Si cette manière de voir était la vôtre, monsieur, et que voulussiez vous prêter à la chose, tous les honnêtes gens, d'un parti comme de l'autre, vous en auraient la plus grande reconnaissance. Ce serait sauver le pays d'une bien grande calamité. Si cela était en mon pouvoir comme je crois que cela est du vôtre, je ferais tous les sacrifices pour y arriver.

Pardonnez moi, monsieur, cet entretien est comme que vous l'envisagiez, veuillez croire que c'est l'oeuvre d'un citoyen qui voudrait et désire vivement le bonheur de tous et surtout éviter de plus grands malheurs que ceux que nous supportons depuis trois mois. Par ce moyen les prisonniers seraient sauvés; si on attend les troupes prussiennes pour les sauver je crains qu'ils ne soient massacrés avant leur arrivée, non par moi ni des gens de ma catégorie, mais pas des fous qui ne se cachent pas de le dire.

Agréez, monsieur, l'assurance de toute ma considération
L. Sandoz-Morthier

Je lui répondis de suite que, d'après l'attitude que j'ai prise il n'y a aucun moyen pour moi de me mettre en avant, parce que je sais que le Roi ne recevra aucune députation, ni aucune pièce tendant à l'émancipation, que d'ailleurs je suis à l'index à Berlin; de sorte que s'il y a quelque chose à faire c'est par d'autres, mais que je doute fort du succès. Quand à ses craintes je ne puis que les partager [Ici je ne dirai pas toute ma pensée, car ces craintes je les partageais, mais vis-à-vis de mon correspondant je devais paraitre complètement rassuré.] parce que je ne crois pas qu'il se trouve chez nous assez de gens capables de préparer et de commettre de sang froid une action aussi atroce et que d'ailleurs les prisonniers sont sous la garde de la Confédération et du gouvernement, qui ne peuvent pas, sans se couvrir de honte, tolérer une chose pareille.

A peine avais-je terminé ma lettre qu'on m'annonça mon frère qui ce matin à reçu l'autorisation de voir quelques membres de sa famille.

27 décembre 1856: Depuis quelques temps le journal "l'Indépendant" est rempli de menaces et d'injures. Cela ne me va pas, car j'envisage que ce n'est pas en y allant de la sorte qu'on ramènera le calme dans notre malheureuse patrie. En conséquence j'écris à la direction du journal pour lui annoncer qu'à partir du 1 janvier je renonce à mon abonnement.

J'omettais de dire qu'on annonçait aujourd'hui que Henri DuPasquier était parti pour Berlin dans le but, croyait-on, de voir le Roi et de lui exposer la situation réelle du pays. Je désire que cette nouvelle soit vraie, quoique je doute fort de la réussite de ses démarches.

28 décembre 1856: Après-midi publication qui appelle pour les 9 jours prochains, chacun pendant 3 jours, les 3 bataillons neuchâtelois pour les organiser à Colombier. Ce soir à la Chambre on paraissait complètement rassuré.

29 décembre 1856: Devant aller à la direction militaire pour une affaire officielle, j'ai eu une assez longue conversation avec Grandpierre qui croit plus que jamais à la guerre, attendu que les prétentions de la Prusse sont telles que la Suisse ne pourra jamais les accepter. Voici ce que j'ai compris: La Prusse renoncerait bien à ses droits, mais en réservant d'une manière absolue le rétablissement des Bourgeoisie et de la vénérable Classe, sous la garantie des puissances. Ici j'avoue que je ne comprends plus rien, car que seront les Bourgeoisie et même la Classe sans la monarchie ? Et nous aurions la guerre parce que le Roi exigeait ces deux choses ? Il faut qu'il soit terriblement harcelé par le cabinet noir. Du reste M. Grandpierre me confirme que Henri DuPasquier doit être parti pour Berlin et qu'on le lui a dit dans la dernière séance du Grand Conseil, mais il dit que c'est trop tard. Il croit aussi que Alexandre de Pourtalès travaille au maintien de la paix, mais inutilement.

Henry DuPasquier n'est point à Berlin et personne n'y est allé. Par contre il paraitrait que Alexandre Pourtalès est décidément en mouvement. Que fait-il? Je l'ignore.

Le conseil municipal m'ayant nommé membre de la commission de secours, prévue par la loi militaire, en faveur des familles dont les membres seront appelés à entrer en campagne, j'accepte par écrit.

Ce matin on avait l'air passablement pacifique, néanmoins et malgré les efforts de la diplomatie, j'ai toujours des doutes.

Il est question de la formation d'une garde civique. J'ai l'intention de me faire inscrire, mais je trouve beaucoup d'opposition dans ma famille, parce qu'on ne me comprend pas et que je ne puis pas dire quel est mon but.

31 décembre 1856: Les nouvelles seraient pacifiques selon les uns, guerroyantes selon les autres. Attendons!

Visite à Cécile Coulon que je charge de dire mille choses affectueuses à madame Emilie de Pourtalès, puisqu'elle m'a fermé la porte et que je ne puis pas la voir.

Visite de Georges DuBois qui passe pour aller à Bienne où il est médecin de division. Il me dit qu'il vient d'apprendre qu'une dépêche de ce matin, adressée à Alphonse de Pury par Rodolphe Steiger annonce que le Conseil Fédéral accepte la médiation de l'Empereur et que Barmann est reparti pour Paris.

Dans l'après-midi j'apprends que la dépêche de ce matin est positive, mais la nouvelle est-elle vraie ? C'est ce dont on parait douter dans les régions supérieures qui sont toujours assez à la guerre. En tous cas nos sommités gouvernementales n'ont pas entendu parler de cette dépêche avec plaisir, car Alphonse Pury a été cité à la préfecture où on lui a reproché de répandre de fausses nouvelles et de semer de l'agitationm dans la population.

Quelle fin d'année! Veuille notre bon Dieu permettre que le commencement de la nouvelle année soit plus calme et qu'en tous cas cette grande épreuve tourne à la gloire de son nom et nous fasse entrer en nous-mêmes !!

1857 janvier

Pendant le mois de janvier la santé de Georges s'améliore sensiblement. Dès le 3 il put se lever et dès le 13 faire quelques pas, appuyé soit sur deux bras, soit sur deux cannes, et enfin le 25 il fit une première sortie en voiture. De ce moment nous fîmes nos préparatifs de départ pour Montpellier où nous décidâmes de passer le reste de l'hiver.

1 janvier 1857: Ne sortant pas, je reçu plusieurs visites et une entre autres de ma belle-soeur Uranie que je remerciai avec effusion du bon esprit qu'elle apporte à mon égard dans les circonstances actuelles, quoiqu'elle ne partage pas, loin s'en faut, ma manière de voir.

Les nouvelles sont toujours à la paix, mais j'ai toujours peur de l'entêtement de la Prusse.

2 janvier 1857: Pas de nouvelles politiques. Le château est toujours à la guerre. Démarches pour décharger un peu mon frère des logements militaires et pour m'en faire donner, car voici deux fois que je n'en ai pas. Matthey le pharmacien auquel je m'adresse, me promet de faire son possible pour qu'on ait égard à ma double réclamation.

On me disait assez positivement ce matin que le télégramme reçu le 31 décembre par Alphonse Pury avait failli être la cause de la fermeture du Cercle des Halles.

J'apprends que Louis de Wedsehlen, je ne sais pour quelle cause, a été arrêté de nouveau à Saint-Aubin la nuit dernière et remis en prison.

3 janvier 1857: Quoique les nouvelles ne soient plus à la guerre, cependant on reçoit l'ordre de la mise sur pied d'un bataillon d'infanterie, d'une compagnie de guides, tous de Neuchâtel.

Réunion de la commission de secours dont je suis nommé vice-président, ce qui me dispensera, je l'espère, de prendre part aux réunions de la garde civique, dans laquelle, toutes réflexions faites, je me suis fait insérer aujourd'hui.

4 janvier 1857: Ce matin les débats sont tout à fait à la paix, j'ignore ce qu'il en est des autres journaux.

Visite de Théodore Meuron qui vient de voir Jeanrenaud-Besson qui lui a dit que le gouvernement savait de source certaine que la Prusse ne ferait marcher ses troupes que le 15 courant. Serait-ce un indice de la paix ?

5 janvier 1857: Il m'arrive quatre carabiniers en logement. Ne pouvant pas les recevoir assez bien je leur donne à chacun une pièce de 5 francs pour la journée et ils vont chercher un gîte quelconque.

On dit qu'on surcharge les prisonniers d'une manière extraordinaire et on parle d'une certaine d'hommes chez plusieurs. Serait-ce qu'on prévoit qu'ils seront incessamment relâchés et qu'on veut le leur faire payer tandis qu'on le peut encore ? C'est ce qu'on ne tardera pas à savoir, car évidemment on approche d'un dénouement quelconque.

6 janvier 1857: Longue visite d'Alexandre de Pourtalès qui me raconte comment les choses se sont passées avec son frère Fritz. Voici ce qui s'est passé samedi 27 décembre: Il avait proposé à son frère de demander son élargissement provisoire s'il voulait consentir à se rendre à Berlin pour demander au Roi de ne pas faire la guerre. Fritz y avait donné les mains, mais les autorités fédérales ont refusé l'autorisation. Le lundi Alexandre a revu son frère pour lui faire part du résultat de sa mission. Alors il a été décidé que Fritz écrirait une lettre au Roi et qui serait portée par l'avocat Charles Lardy. La lettre a été écrite et cachetée. C'était dans la matinée. Malheureusement Lardy ne voulait partir qu'à 5 heures du soir. Dans l'après-midi madame Emilie a vu son mari, la lettre a été détruite, de sorte que l'affaire en est restée là. Voilà l'influence des femmes ! Au reste Alexandre est furieux contre le cabinet noir qui, à ce qu'il prétend, le fait espionner de toutes manières et suivre partout où il va. Il me cite des faits qu'il affirme être vrais, mais que je ne puis consigner ici, car ils sont tellement monstrueux, que si Alexandre ne m'en certifiait pas l'exactitude, je ne pourrais y croire.

Quand à son opinion sur la situation, il ne sait qu'en dire et à cet égard il est dans la même perplexité que nous tous. Seulement il prétend savoir de source certaine que la Suisse a fait toutes les concessions qu'elle pouvait raisonnablement faire et qu'elle ne peut aller au delà. Néanmoins il ne croit pas à la guerre, parce que la majorité en Suisse ne s'en soucie pas malgré les apparences.

Cornaz arrivé aujourd'hui de Lausanne prétend que plus que jamais on y croit à la Paix.

8 janvier 1857: Les journaux sont toujours à la paix. Départ des troupes pour les bords du Rhin. Dans la soirée j'apprends qu'une dépêche télégraphique arrivée cet après-midi au Conseil d'Etat annonce la convocation des chambre fédérales pour les 13 au 14 pour discuter des propositions de paix acceptables, dit la dépêche. Dieu veuille que ces conditions soient acceptées.

9 janvier 1857: Les nouvelles d'hier sont complètement confirmées. Dans l'après-midi les nouvelles sont toujours à la paix. J'apprends aussi que M. Martin, avocat général dans l'affaire de septembre est arrivé avec le bateau à vapeur et qu'il a dit confidentiellement au capitaine que le procès n'aurait pas lieu.

11 janvier 1857: Dans la soirée mon fils vient me voir et me dit que ce matin, au service divin célébré pour les prisonniers, ceux-ci avaient l'air bien tristes, surtout Meuron et Rougemont. Cela ne m'étonne pas et pourtant maintenant ils ne sont tristes que de voir leurs espérance déçues. Plus tard et après mûres réflexions ils le seront bien d'avantage d'avoir mis leur pays dans l'état où il est, mais peut-être sans jamais l'avouer.

13 janvier 1857: Hier au soir j'ai eu une longue conversation avec mon frère, dans laquelle je lui ai expliqué les motifs qui m'avaient fait agir ainsi que je l'ai fais dans les circonstances actuelles. Je lui ai parlé essentiellement de la lettre de son fils Jean (voir 1 novembre 1856). Cette lettre l'a frappé, il a paru me comprendre et être prêt à expliquer les affaires à ceux qui ne m'auraient pas compris. Ce matin quelques personnes avaient l'air de douter que les chambres fédérales adoptent le prévis du Conseil fédéral.

14 janvier 1857: Mon frère fait éventuellement ses préparatifs de départ. Aujourd'hui les chambres n'ont prit aucune détermination et ont renvoyé à demain.

15 janvier 1857: à 11 h on m'annonce le commandant David Perret qui vient me communiquer une dépêche de Berne, signée Denzler, de ce matin à 9.35 heures. Elle porte en substance:
Réunion d'un grand nombre de députés. Conditions jugées acceptables. Vote unanime probable. Conseil national réunion aujourd'hui, Conseil des Etats demain.

Je court chez mon frère pour lui faire part de cette nouvelle. Il me parait enchanté et me dit que cette dépêche s'accorde avec un mot qu'il a reçu ce matin de madame Emilie de Pourtalès qui lui dit que les prisonniers ne sortiront probablement que samedi. Serions-nous au bout de nos épreuves ? Je commence à le croire. Dieu le veuille !!

En sortant de table Tribolet vient nous dire que le Conseil national a accepté les propositions du Conseil fédéral par 91 voix sur 95 votants. Reste le Conseil des Etats qui se réunira demain. Quoiqu'il en soit, on ne doute plus du résultat et les prisonniers font leurs préparatifs de départ pour demain ou après-demain. Je n'ai encore vu personne qui ne fût très heureux de ce dénouement.

16 janvier 1857: Ce matin Jacot-Guillarmod me disait que d'après les lettres de Berne, il paraîtrait que les négociations concernant Neuchâtel ne tarderont pas à aboutir et que tout serait déjà bien avancé. Ce bruit est d'ailleurs confirmé par Fritz Perrot revenant de Berne. A 4 1/2 arrive une dépêche qui annonce à Zen Ruffenen que le Conseil des Etats a adopté l'arrêté du Conseil national, de sorte que selon toutes probabilités les prisonniers vont sortir et être conduits à la frontière. Mais comment ? Nul ne le sait, excepté lis initiés et je n'en suis pas.

17 janvier 1857: Après dîner en montant au château avec Cécile j'apprends que les prisonniers sont libres dans l'intérieur de la prison, qu'ils peuvent communiquer entre eux, qu'ils ont dîné ensemble et qu'ils reçoivent leurs parents librement. J'apprends également plus tard qu'on leur a annoncé ce matin qu'ils allaient partir, mais que dans leur propre intérêt, on ne leur dirait ni quand ils partiraient, ni où ils iraient. Il parait que, en effet dans une certaine partie de la population, il y a passablement d'agitation. On parle même de gens armés sur les routes ce qui obligerait l'autorité à prendre des mesures. Je rencontre le commandant Henriod qui m'autorise à écrire un mot à Fritz Pourtalès, en me promettant que ma lettre ne sera pas ouverte. J'en profite pour lui écrire que, avant son départ, je veux lui dire adieu, qu'il comprendra pourquoi je n'ai pas été le voir pendant sa captivité, que je sais que ma conduite a été jugée bien sévèrement, que toutefois je ne veux pas m'excuser parce que, si c'était à recommencer, j'agirais de même et cela par les motifs que depuis sa mise en liberté, j'ai expliqué à mon frère, qui m'a compris, que s'il m'a retiré son estime et son amitié, j'en suis très peiné et que j'espère que le temps le fera changer d'opinion; que du reste pour ce qui me concerne, je ne lui en veux pas et que je n'en veut à personne; que je me rappellerai toujours avec reconnaissance les bontés qu'il a eut pour moi et pour les miens; qu'enfin et quoiqu'il arrive, j'aurai toujours pour lui la même affection. Nous verrons s'il me répondra [Je n'ai jamais reçu de réponse à cette lettre. Nous avons eu plus tard une explication dont le détail sera consigné en temps et lieu].

18 janvier 1857: Hier au soir après avoir fini mes notes, j'ai eu la visite de M. Sandoz-Morthier, revenant de Berne. Il parait très satisfait de ce qu'il a vu et entendu et fort content du reste du dénouement de nos malheureuses affaires. Il dit que, après avoir entendu les explications que Kern a données dans les assemblées préparatoires des conseils, il n'était guère possible de ne pas se réunir aux propositions des commissaires; car il prétend que les assurances données par l'Empereur ont été si loin, qu'on ne doute pas un instant que tout s'arrange à la satisfaction de la Suisse, d'ici à très peu de temps. Cette espérance résulterait essentiellement de deux lettres du Roi à l'Empereur, toutes deux fort explicites, promettant de renoncer à ses droits sur Neuchâtel, une fois les prisonniers mis au large; lettres qui ont été mises sous les yeux de Kern et de Barmann lors de leur entrevue avec Napoléon III.

Ce qui précède était à peine écrit que Fritz Marval entre et me dit que les prisonniers sont partis à 1 h de la nuit. Mais que l'on ne sait pas quelle route ils ont prise. Un quart d'heure après il revient et il m'annonce qu'ils sont sains et saufs aux Verrières françaises, à ce que vient de dire le procureur général qui en a reçu la nouvelle. Notre bon Dieu en soit loué, car il y avait un coup monté et doit avoir opéré une arrestation. Mon frère et Edouard Pourtalès partent par la diligence de France, à 5 h; je vais leur dire adieu. Wavre l'avocat me disait ce soir que les prisonniers peuvent aller partout sauf en Prusse; mais ce qu'il y a de curieux c'est que la Suisse ne leur aurait pas imposé cette condition, si le Roi ne l'avait pas expressément demandé.

Pauvre Roi. Il a peur de s'attendrir !

22 janvier 1857: Au château pour demander un passeport de famille, cas échéant. Devant demander une autorisation pour Georges à la direction militaire, j'en profite pour avoir une conversation avec Grandpierre qui me dit que M. Kern est reparti pour Paris, que l'affaire de Neuchâtel ne s'arrangera pas si facilement qu'on le croit, parce que, dans les conditions du Roi, il réclamerait entre autres son domaine privé. Mais quel est le domaine privé du Roi ? Je n'en connais point et certes il n'y en a jamais eu, que je sache. Jamais dans les anciens comptes il n'était question de domaine privé ou de propriétés appartenant en propre au Roi et ce qui me parait prouver de la manière la plus évidente qu'il n'en a jamais existé, c'est que lors de la cession de 1806 à la France, le Prince de Neuchâtel, roi de Prusse, n'avait fait aucune condition de cette nature. Selon M. Grandpierre les autres propositions seraient acceptables. Elles consisteraient essentiellement en ce que les institutions privées seraient réputées inviolables et que le Roi continuerait à porter le titre de Prince de Neuchâtel et de Valangin. Il parait que l'affaire va être réglée incessamment.

J'ai aussi appris aujourd'hui que messieurs Piaget et Aimé Humbert, conseillers d'Etat, étaient partis pour Paris, appelés par Kern, à ce que l'on prétend, pour avoir des renseignements sur des questions de détail.

23 janvier 1857: Fin de l'occupation. Les argoviens étant partis aujourd'hui, la garde civique prête serment dans l'après-midi, se promène en ville et parait vouloir faire un service quelconque. Lequel ? Je n'en sais rien.

26 janvier 1857: Je reçois ce matin une communication de la dernière importance relative à l'affaire de Neuchâtel. Je n'ose la consigner ici parce qu'on m'a imposé le secret le plus absolu. Néanmoins je consigne ici ces quelques mots pour prendre date, me réservant de revenir plus outre sur cette confidence, qui montre cependant que, à Berlin on désire maintenant avoir des renseignements de plusieurs sources [(note de 1861) Il s'agissait de l'appel fait par le Roi à messieurs Alphonse de Pury] et Frédéric de Rougemont pour les entendre avant de se prononcer définitivement au Congrès de Paris qui allait s'ouvrir.

29 janvier 1857: Visite du notaire Bourquard. Il me dit qu'un assez grand nombre de nos réfugiés commencent à s'ennuyer en France, surtout les déserteurs, et qu'ils voudraient bien rentrer. Je l'engage à les encourager car je crois qu'ils en seront quitte pour quelques jours de prison. J'apprend en effet dans la soirée qu'il y en a déjà plusieurs de rentrés, condamnés à 20 jours de prison, dont 10 au pain et à l'eau, mais que les concierges ont ordre de fermer les yeux si on leur apporte autre chose.

février 1857

La santé de Georges allait toujours en s'améliorant, mais lentement et avec de légères rechutes. Toutefois son état nous permit de partir pour Montpellier le 18 février.

Politique, 3 février 1857: Longue conversation avec Desor professeur. On est me dit-il extrêment monté dans le parti républicain contre l'attitude prise par les réfugiés de Morteau et les exilés qui dans leurs banquets boivent à leur Prince, à la restauration et qui manifestent tout haut leurs espérances à ce sujet. On est surtout blessé de ce que les procès verbaux de ces réunions soient en quelque sorte transcrits dans la Gazette de Prusse envisagée maintenant comme journal ministériel et on en conclus que la Prusse n'est pas de bonne foi dans les assurances qu'elle a données à la France. Je réplique à cela que la Gazette de Prusse n'est point un journal ministériel, mais bien l'organe de nos réfugiés qui y font inscrire ce qu'ils veulent et que en conséquence ces articles n'ont aucune portée. Je lui parle de l'établissement projeté de l'Eglise libre. Il me répond que c'est une nécessité parce que le clergé en général n'est pas suisse et il en donne pour preuve que malgré l'imminence de la guerre, lors de la mise sur pied et alors que la totalité (selon lui) des prédicateurs suisses priaient pour le succès de nos armes, quatre de nos pasteurs seulement ont fait la même prière. Il me parle encore de la contradiction entre la déclaration Calame et son vote sur les crédits illimités sur espoirs, je lui réponds qu'on juge trop sévèrement M. Calame et qu'on ne se place pas assez au point de vue d'un ancien conseiller d'Etat du Roi, qui accepte la situation parce qu'il ne croit pas qu'elle puisse être autre, mais qui ne la désire pas et qui ne peut par conséquent pas faire des voeux pour la république.
Conservation malheureusement interrompu

4 février 1857: Le Dr. DuBois revenant de ses cantonnements me fait une longue visite. Il est toujours très monté contre les mitous et contre M. Calame en particulier. Il pense que maintenant cette catégorie de citoyens est jugée et qu'elle ne reviendra pas aux affaires à cause de son attitude lors de la votation sur les crédits pour la guerre. Il le regrette, dit-il, car il y avait dans ce parti des gens qui pouvaient être très utiles à leur pays et il en est d'autant plus peiné que cela force le gouvernement à avoir recours à des étrangers, dans de certains cas, ce qui est honteux pour le pays. Dit-il vrai ? je l'ignore. Quoiqu'il en soit et sans être complètement de son avis, tant s'en faut, on ne peut disconvenir que les abstentions depuis 1848 ont été une grande foule, produisant un mal dont on se repentira. Du reste il y a bien longtemps que je manifeste cette opinion.

5 février 1857: La commission de secours se réunit pour la dernière fois. Retour du bataillon neuchâtelois et de la compagnie de guides.

7 février 1857: Lettre à Jules Huguenin en réponse à celle transcrite ci-après. Je lui avais écrit le 5 pour lui demander si, à l'instar de quelques personnes, lui aussi m'avait jeté la pierre sans m'avoir entendu.

Le Locle 6 février 1857
Mon cher major

S'il y en a qui jettent la pierre en question soyez bien persuadé que ce n'est pas moi: j'ai toujours trouvé en vous l'homme juste, indulgent et charitable et lorsque pendant plus de 20 ans on ne voit pas une seule déviation de ce qui caractérise l'honnête homme (the noblest worth of God) il faudrait être injuste et stupide pour condamner une mesure ou des mesures qui ont été prises bien plus à la décharge de la conscience que pour suivre un goût ou un penchant.

Vous le savez, mon cher major, j'ai vivement regretté de voir que nous n'étions plus d'accord dès 1848; j'ai bien des fois cherché à deviner comment un homme aussi droit et aussi éclairé que vous l'êtes, pouvoir s'associer de près ou de loin à une institution fondée sur l'ingratitude et la plus profonde négation de ce qui est pratiqué en politique. Mais toujours forcé d'en revenir au fait que vous agissiez qu'ensuite de mûres réflexions, que l'intérêt personnel n'est pour rien dans vos décisions, je ne puis que répéter:
Il se trompe, mais cela n'ôte rien à ses qualités. D'ailleurs si vous ne recevez des pierres que de ceux qui ne se sont jamais trompés, vous n'en recevez pas un grand nombre. Quand à moi si dans les triste circonstances où le pays se trouve, je ne me suis pas trompé, c'est grâce à l'horreur que m'inspire tout ce qui est louche et ténébreux; si je me suis trompé les pierres que j'ai reçues sont déjà oubliées et je ne reconnais qu'a Dieu de droit de me juger. J'ai la conviction que vous avez cru bien faire, c'est vous assurer que, si mes regrets ont été augmentés, mon attachement pour vous et votre famille n'en sont pas diminués d'un point.

On m'avait assuré que vous aviez votre domicile sur les bords du lac de Genève; cela m'a empêché de vous annoncer la mort de mon cher et honoré père, décédé le 21 janvier dernier, âgé de 79 ans 8 mois. Certes on peut dire que pour lui la mort fut un gain; il était attaché de coeur à nos institutions n'attendant que de la volonté divine leur restauration; il ne me jeta pas la pierre parce que je ne voulus pas prendre part à l'acte du 3 septembre. La haute place que le major occupait dans son coeur le fit arriver un jour chez moi, tout désolé de certaines signatures "Qma ça s'peut-il" ? Comment ça se peut-il ?
Réponse: Il croit la restauration impossible et croit de son devoir de l'annoncer au public afin de préparer les esprits au désillusionnement. Dieu nous vienne en aide, répondit le bon vieillard. D'un côté son pays livré aux allemands, aux vaudois et aux tessinois, de l'autre les royalistes en fuite ou en prison, son major, le major de son Jules, déclarant que la république convient à son pays ! Tout cela lui apportait la désolation et la confusion au coeur.

Pardonnez-moi, cher major, ces détails que je n'aurait pas écrits si je ne savais que vous aimiez mon cher père et excusez le décousu de mon épitre, attribuez le à l'émotion que je ressens en parlant de mon cher père, de notre pauvre et chère patrie à un homme dont je connais le bon coeur et dont l'amitié pour moi sera toujours un motif d'émotion pour tout ce qui est louable dans ce monde, et un avertissement que, avec les meilleures intentions, on peut se tromper de voir
Ever your friend
J. Huguenin

Réponse du 7 février (condoléances sur la mort de son père)

Je vous dirai, comme apologie de ma conduite que, ce qui arrive maintenant, je l'ai prévu dès le 1 mars 1848, que la lettre du Roi du 5 avril n'avait pour moi rien d'énigmatique, que je l'ai toujours considérée comme un adieu et qu'il ne semblait entendre le Roi nous dire: "Mes chers neuchâtelois, je ne pourrai désormais plus rien faire pour vous, arrangez-vous comme vous pourrez et par vos efforts et votre union, tâchez de rendre votre pays le moins malheureux possible !".

Généralement cette lettre n'a pas été comprise ainsi. De là à mon avis tous nos malheurs et le pétrin dans lequel se trouve notre malheureuse patrie.

Toutefois ceci n'est point une récrimination, je respecte toutes les opinions consciencieuses et surtout je n'en veux à personne.

Quand aux motifs qui m'ont fait agir ces derniers temps, ils sont d'une nature trop intime pour que je puisse les confier au papier. Ce sera pour la première fois que nous nous reverrons. Qu'il vous suffise pour le moment de savoir que, lorsque mon frère en a eu connaissance, il m'a, si ce n'est approuvé, au moins compris et je puis vous dire que jamais nous n'avons été aussi liés que dès lors.

10 février 1857: Longue conversation sur nos affaires avec Jämes DuPasquier, qui est tout à fait de mon avis, puis avec Diacon qui voudrait des garanties !! Il est vrai qu'il ne sait trop comment défendre son opinion et que, après quelques minutes il en revient à ma manière de voir.

11 février 1857: Dans la soirée je vois Fritz Pury et lui demande s'il sait quand son frère reviendra. Il a été mandé à Berlin par Manteuffel avec Frédéric de Rougemont. Le ministre veut, à ce qu'il parait, être mis au fait de l'opinion des gens raisonnables. En attendant, mon interlocuteur me disait que son frère est à Berlin, sans rien faire, et qu'on n'a pas encore abordé de discussions sérieuses sur les affaires de Neuchâtel. Peut-être se pressera-t-on un peu plus maintenant, si, comme Jeanrenaud-Besson me l'affirmait ce matin, il est vrai que les conférences doivent s'ouvrir irrévocablement pendant le courant du mois, ce qui aurait été décidé avant hier soir à Paris.

13 février 1857: On a appris aujourd'hui que nos réfugiés en France étaient internés et qu'ils devaient s'éloigner de la frontière à une distance de quatre lieues [L'ordre avait été en effet donné, mais il fut révoqué sans avoir été mis à exécution]. Conséquence inévitable de leurs menaces et provocations, mais qui n'en frappe pas moins très sensiblement ceux qui sont restés tranquilles et surtout ceux des inculpés qui, quoique innocents ou très peu compromis, ont été obligés de s'éloigner depuis que les prisonniers ont été mis en liberté.

14 février 1857: Je vais chez le commandant Henriod pour m'excuser pour la réunion de la garde civique qu'a lieu demain, et cela et égard à mon départ prochain. Il m'annonce qu'il voulait faire de moi un quartier-maître ce qui m'aurait assez convenu puisque je ne me souciais nullement de paraitre dans les rangs.

16 février 1857: Longue visite de Fritz de Pury Muralt qui vient me donner des nouvelles de son frère et vu mon départ me dire où en sont les affaires. Elles n'avancent pas. Pour le moment le terrain est occupé par les noirs, au moins auprès du Roi. Peurs émissaires à Berlin sont messieurs Gagnebin, ministre, Humbert de La Sagne et Bovet de Vaudijon, qui supplient S.M. de ne pas lâcher Neuchâtel. D'un autre côté messieurs de Manteuffel, de Sydow, Fritz de Rougemont et Alphonse de Pury sont d'un autre sentiment et pensent que le Roi doit nous abandonner sans condition, mais jusqu'à présent ils n'ont pas pu obtenir une audience. Cependant ils ne doutent pas du succès parce que la force des choses y conduira. Dans la famille royale on partage même cette opinion, car le Prince, père du Comte de Tecklenbourg disait à Alphonse Pury que si nos affaires n'avançaient pas davantage, c'était essentiellement aux Dames qui circonviennent le Roi, au moyen de la Reine. En tous cas c'est madame de Dohma, soeur de madame de Wesdehlen qui est à la tête de la croisade. En attendant Alphonse perd son temps à Berlin; il commence à s'impatienter; toutefois l'attente ne peut plus être bien longue, puisque d'après les Journaux les conférences seraient définitivement fixées au 1 mars.

----------
Dès ce moment et jusqu'à nouvel ordre je me borne à transcrire quelques extraits de mes notes prises à Montpellier, de sorte que je ne suivrai plus qu'un ordre chronologique et que les événements de famille seront mêlés à la politique et aux faits divers.

22 février 1857: Arrivés hier au soir à Montpellier, nous y sommes descendus, passablement fatigués, à l'hôtel Nevel et y avons trouvé un appartement de trois chambres situées au midi, de sorte que quant à la position pour Georges, il n'y a rien à dire. Le changement de température avec la Suisse, Lyon même, est complet. L'air y est d'une grande douceur et hier, malgré la pluie qui tombait assez abondamment, le thermomètre Réaumur marquait +10o (environ +13o Celcius). Aujourd'hui il fait beau temps. Le soleil est remarquablement chaud et Georges a été à l'air une bonne partie de la journée. Nous avons même fait une promenade sur l'esplanade qui ne l'a pas trop fatigué. Hier pendant notre dîner, nous avions la visite d'Alphonse Coulon. Ce matin j'ai été chez lui de bonne heure et y ai trouvé son beau-père qui m'a paru toujours le même, malgré l'échec reçu par son parti (les noirs) et son exil qui dure depuis 5 mois. Au reste je n'ai pas eu à m'en plaindre. Alphonse Coulon, attaquant la politique, m'a fait entendre que son beau-père et M. Guillebert étaient aussi échauffés que jamais et qu'ils ne rêvaient que de restauration.

J'ai été au temple et c'est là que pour la première fois j'ai revu M. Guillebert depuis le 3 septembre. En sortant nous nous sommes rencontrés et nous nous sommes serré la main, après quoi est survenue une conversation très amicale et qui ne s'est ressentie en aucune manière de nos opinions opposées en politique. Après déjeuner nous avons été avec Cécile et Elizabeth faire visite à madame Coulon et aux Guillebert. La visite s'est très bien passée et même mieux que je ne m'y attendais. En résumé on se serre la main comme avant le 3 septembre et on ne parle pas plus de politique que si elle était honnie de toute conversation.

Pendant que j'étais ce matin chez les Coulon, Cécile s'est entendue avec M. Nevel sur notre vie d'hôtel, et après avoir bien tourné et retourné les divers arrangements que l'on pouvait prendre, il en résulte que nous payons F. 40.- par jour de pension pour nous quatre et Marie, la femme de chambre. Dans ce prix sont compris le logement, le déjeuner à 10 h et le dîner à 5 1/2 h, mais ni le chauffage, ni l'éclairage ni le premier déjeuner qu'on pourrait désirer faire. Celui-ci se paie 50c par personne, s'il consiste en une tasse de café au lait.

23 février 1857: Après une promenade en voiture de midi à 1 h, nous reçevont la visite de Wilhelm DuPasquier, puis d'Alphonse Coulon et de sa femme, puis enfin de monsieur et madame Guillebert. Visites très affectueuses les unes et les autres, mais cela va sans dire sans un mot de politique excepté dans le trou de l'oreille de Coulon.

Après dîner étant dans notre chambre avec Georges, on heurte à la porte et je vois entrer un monsieur que je ne reconnait pas et qui s'annonce comme étant monsieur de Aluentleben, qui était, il y a 20 ans, officier de recrutement à Neuchâtel. Nous renouons connaissance. Il me dit avoir quitté le service et venir d'Espagne où il a passé quelques mois. Il entame la question de Neuchâtel et je lui dis franchement quelle est mon opinion. Je lui annonce également quels sont les neuchâtelois qu'il trouvera à Montpellier; je lui dit que l'opinion de deux d'entre eux n'est pas conforme à la mienne, afin qu'il le sache bien et qu'il puisse le dire, cas échéant au général Hitzleben [général prussien au service de Mecklembourg, qui se trouvait également à Montpellier, mais qui devait en repartir dans les 2 ou 3 jours, avec sa famille], parce que je ne veux pas que ces messieurs me prennent pour ce que je ne suis pas. Après avoir causé quelques instants avec lui sur ce sujet, il convient avec moi qu'une restauration n'est ni possible ni désirable même, dans l'état actuel de l'Europe, puisque selon lui, comme selon moi, elle n'aurait aucune chance de durée, par des raisons déjà souvent mentionnées dans ces notes. Reste à savoir le langage qu'il tiendra lorsqu'il trouvera en présence de messieurs DuPasquier et Guillebert.

24 février 1857: Je reprends le journal de mon voyage. Arrivée à Pontarlier et nous arrêtant pour déjeuner, nous vîmes quelques uns des réfugiés, c'est-à-dire Wesdehlen père et fils, Edouard Bovet et Junod, major, Matthey-Doret, ancien maire de la Brévine. Wesdehlen père fut très convenable, amical même, ainsi que son fils, mais celui-ci à un plus haut degré. Matthey-Doret froid comme glace, Junod comme un homme qui regrette de ne pas être considéré comme noir foncé et qui donnerait grand chose de s'être montré autrement qu'il ne l'a fait [Junod n'avait point pris part à l'expédition, mais ayant été pris pour un autre, il n'en avait pas moins été obligé de s'exiler]. Quand à Bovet il a été de beaucoup le plus affectueux et le plus obligeant, Je lui en sais bon gré.

Dans la soirée à 8 h arrivée à Dôle nous débarquons à l'hôtel de Genève, le meilleur de la ville, dit-on, et qui cependant est loin d'être bon à part les lits qui sont excellents. Départ de Dôle à 7 h, arrivée à Lyon à 3 h. Après avoir changé de wagon à Lyon nous trouvons madame de Courtigis à la gare. Elle prend Cécile et Elizabeth dans sa voiture et moi je reste avec Georges pour me débarbouiller avec les bagages qui me donneront passablement d'ennuis, eu égard à la malhonnêteté des employés du chemin de fer. Enfin nous nous installâmes à l'hôtel de l'Europe qui est excellent, mais fort cher, et nous allons dîner chez les Courtigis. J'ai avec le général une longue conversation sur nos affaires, de laquelle il résulte que, à la prière des noirs, il a vu l'Empereur qui l'a, en quelque sorte consulté sur les conditions que le Roi pouvait mettre à la cession de Neuchâtel. Le général doit avoir répondu que par les motifs qui sont les miens, il ne croyait pas qu'aucune condition pût être faite, si ce n'est peut-être d'exiger de la Suisse l'éloignement de quelques démagogues étrangers. Il m'annonce (ce que j'ignorais) que le but du voyage de mon frère à Paris est d'obtenir, de la part du cabinet noir, une audience de l'Empereur et de lui parler, mais dans quel sens ? Il est évident que s'il se conforme aux instructions qu'on lui a données, il doit abonder dans un sens contraire à la cession, mais s'il suit sa propre impulsion qui doit être d'accord avec ce qu'il m'a dit, j'espère qu'il parlera comme Courtigis, d'autant plus que cette manière de voir est partagée actuellement, à ce qu'on m'assure, par M. Frédéric de Rougemont et de Sydow et qu'il est à remarquer que Rougemont ainsi qu'Alphonse Pury ont été mandés à Berlin par Manteuffel dans le but de les entendre sur ce point.

25 février 1857: Le docteur Bertin, médecin des Coulon, qui avait déjà été chez nous hier au soir, après avoir examiné à fonds la consultation de Cornaz, se décide à envoyer Georges à la Cloche Sabattier, cure qui commencera demain. Du reste il ne trouve rien de grave dans l'état de mon cher fils, mais une disposition à l'asthme qu'il veut détruire complètement. Avant son départ Alphonse Coulon m'offre de me présenter à madame Tissier James. J'accepte car on ne sais ce qui peut arriver. Il m'y conduit de suite. Je trouve une vielle dame, aimable comme les dames du bon vieux temps. Pendant la visite arrive son mari auquel on nous avait déjà présenté chez les Coulon et madame James sa fille qui sont également très aimable à notre égard.

26 février 1857: Arrangements avec madame Trespuech pour le logement pendant notre séjour à Montpellier.

28 février 1857: Nous nous installons dans notre logement

1 mars 1857: Lettre à Frédéric de Pury-Muralt en réponse à une que j'ai reçue hier de lui relative à nos affaires. Je le conjure pendant qu'il en est temps encore d'engager le parti conservateur à se prononcer sans délai, puisque le Roi traine les choses en longueur, sous peine de voir ce parti complètement annihilé sous peu et pour éviter pet-être des malheurs incalculables.

3 mars 1857: Je fais une course à Cette. Je mange au sommet de la colline. qui domine la ville d'où on jouit d'une vue magnifique. Au reste rien de bien remarquable, mais ce qui m'a le plus frappé, c'est qu'ayant demandé une sole pour mon déjeuner, l'aubergiste du Grand Caillou prétend que depuis 15 jours on n'a pas de poisson de mer à Cette. A la bonne heure !

7 mars 1857: Course à Nîmes. En arrivant je prends un commissionnaire qui me fait déjeuner dans une mauvaise gargote, ce dont je ne lui fais pas mon compliment. Mais j'ai bientôt la clef de l'énigme en voyant l'hôtesse sortir et lui donner une étrenne. Aussi ai-je vite fini et je me hâte de sortir de ce bouge. Quoiqu'il en soit je suis enchanté des quelques heures que j'ai passé à Nîmes. L'intérieur de la ville est laid, mais le boulevard est magnifique et c'est avec admiration que j'ai contemplé les arènes, la maison carrée, la fontaine Pradier, le jardin de la Fontaine et la Tour Magne. Malheureusement je n'ai eu que trois heures pour tout voir et il faudrait au moins une journée. Reparti de Nîmes à 2.50 j'arrive à Montpellier à 4 heures. Ce que j'ai pu voir en parcourant aussi rapidement la distance qui sépare les deux villes est peu de chose, cependant j'ai pu m'assurer que les vignes sont cultivées à peu près de même que chez nous et labourées soit au croc soit à la pelle de jardinier. Mais chose digne de remarque c'est que, avant de labourer les vignes, on y laisse paitre les moutons. J'en ai vu au moins 15 à 20 troupeaux de cent têtes à peu près chacun, surtout dans les environ de Lunel.

11 mars 1857: En allant à la Loge (cercle de Montpellier) comme à l'ordinaire entre 9 et 10 h du matin, je trouve dans le ruisseau du boulevard près de l'hôtel du midi de la glace d'environ 1 centimètre d'épaisseur. Il est vrai que depuis deux jours il souffle un mistral d'une grande vitesse et que le ciel est sans nuages.

19 mars 1857: Léonce Gaussorgues, ami de Georges et de Samuel de Petitpierre se marie avec une demoiselle Blanche Roland du Havre. Il avait invité Georges à la cérémonie, mais celui-ci en étant empêché par l'état de sa santé, on m'a engagé à le remplacer, ce que j'ai accepté.

Parti de Montpellier avec le train de 7 h 5 je suis arrivé à Nuchand à 8.35; de là je me suis rendu à pied à Bernis (domicile de l'époux) distant d'un quart d'heure environ. J'ai trouvé avant d'arriver Léonce venant à ma rencontre avec son futur beau-frère, M. Jaubert, pasteur à Niort. Arrivé à Bernès le tout premier des invités, on m'a présenté aux autres membres de la famille Roland. De 9 à 12 les invités sont arrivés successivement et entre autres monsieur et madame Gaussorques, monsieur et madame Teissier, ce dernier homme assez considérable dans son département (Gard). Aux environs de midi, après avoir fait le pied de grue pendant 3 heures, on s'est acheminé à la mairie pour le mariage civil. La salle était envahie par le peuple, de sorte qu'on a eu assez de peine à se placer et à commencer la cérémonie qui n'avait rien de solennel à cause du brouhaha occasionné par la foule. De la mairie on s'est rendu directement au temple. Ici encore plus de désordre et d'indécence si possible qu'à la mairie. M. Jaubert a fait aux époux une exhortation assez convenable, puis a célébré la cérémonie du mariage après laquelle, suivant l'usage, il leur a remis une Bible. En sortant du temple et d'après la coutume dans le midi, chaque homme, membre du cortège, dont on avait à l'avance rempli les poches de dragées plus ou moins grossières, les jetait au peuple qui se battait pour les ramasser. Enfin on a pu regagner le logis, pressé par cette foule se composant essentiellement de jeunes gens et d'enfants. A 2 h on a servi un déjeuner assez somptueux, mais en général froid et fort mal servi, lequel a duré jusqu'à 4 heures. Ensuite on a passé au salon (si l'on peut appeler salon une grande pièce dallée sans tapis) où l'on a pris le café. Puis la jeunesse s'est mise à danser au milieu de nuages de poussière et de fumée qui rendaient la place intenable. A 5 h j'ai pris congé de la société. Je me suis rendu à la station d'Huchaud où j'ai repris le train pour Montpellier. Samuel de Petitpierre, qui était aussi de noce, m'a accompagné jusqu'à la station. J'omettais de dire que, au déjeuner, j'étais placé entre madame Teissier et madame Jaubert, fille de madame Roland. La première ne me parlait guère que de la qualité des mets servis au déjeuner, la conversation de la seconde était plus intéressante. Au reste on la dit une femme vraiment supérieure.

22 mars 1857: Les journaux d'aujourd'hui parlent enfin d'une mise d'accord sur la question de Neuchâtel. Dieu veuille que cette attente ne soit pas déçue !

26 mars 1857: Enterrement du Dr. Braussorul, l'un des professeurs à l'école de médecine. Je vais à Noludaure pour voir la cérémonie. Le cortège était nombreux et le luxe des voitures et des costumes annonçait un enterrement de première classe. Mais que tout cela était pitoyable et affligeant. Au reste le peu de recueillement de la foule montrait assez ce qu'on pensait de tout cela. La cérémonie à l'église a duré 3/4 d'heure. C'était une messe basse.

Lettre de F. de Pury que je transcris ici.
Les renseignements sont de tous points ou à peu près conformes aux nouvelles données ces derniers jours sur la question neuchâteloise par l'Indépendance belge.

Depuis la dernière lettre que je vous adressai, Berlin est resté dans une malheureuse indécision que l'état de suspend de notre situation ne montrait que trop à l'Europe. Difficultés de forme, influences Gerlach et de la Kreuzzeitung, influences des pèlerins de Morteau, grande répugnance du Roi à abandonner complètement ce pays et les neuchâtelois qu'il aime; tout se réunissait pour arrêter les efforts communs de Rougemont et d'Alphauser, travaillant fort et ferme à la solution. Un seul point a divisé ces messieurs, c'est la question d'une constituante neuchâteloise que voulait Rougemont, tandis que mon frère, s'opposant à toute condition touchant à l'organisation politique luttait contre. Berlin parait s'être rangé à cette dernière et sage opinion et voulait borner les conditions à une amnistie complète pour les personnes, à la garantie des fonds d'Eglise, de bienfaisance et pieux, ainsi qu'à une indemnité pécuniaire que fixerait la conférence; et vous pensez bien, monsieur, que si, comme vous le disiez, les noirs luttaient des pieds et des mains à Paris et à Berlin, mon frère et ses amis ont aussi joué serré pour faire prévaloir raison et sagesse. Jeudi les conditions du genre de celles que je vous mentionne, sont parties de Berlin. Le Roi a fait venir Rougemont et lui donnait Mission d'assister Halzfeld à Paris, mais avec une déclaration qu'il n'était plus question de revenir en arrière de la cession que lui, Prince de Neuchâtel, ferait de ce pays, pour l'intérêt de la paix en Europe, qu'il se sentait irrévocablement aux désirs des puissances et qu'il renonçait à ses droits sur Neuchâtel, que les conditions de la cession allaient être discutées immédiatement à Paris, et que pour gain de paix et de prompte solution, si les conférences le demandaient, il modifierait les conditions.

Quand à mon frère, le Roi lui demande spécialement de rester encore, pouvant encore avoir besoin de ses avis.

P.S. Le Roi nomma une trentaine des fidèles, chevaliers de Hohenzollern.

31 mars 1857: Je me décide à aller à Aigues Mortes et je pars par le train de 7h 5 pour Lunel. Je me trouve dans la même voiture que monsieur Pagétr (?) maire de Montpellier, avec lequel j'ai une conversation très intéressante. A Lunel je prends un cabriolet qui me coûte dix francs et qui me conduit à Aigues Mortes en 1 1/2 heure en passant par Marsillargues et Saint-Laurent. Le premier est un magnifique village qui se distingue du reste du pays par de beaux et grand arbres. C'est comme une oasis au milieu du désert. A Aigues Mortes je descend à l'auberge chez Ferdinand où l'on déjeune fort bien. Je fais ensuite le tour extérieur de la ville qui est certainement l'une des plus curieuses que l'on puisse voir, à cause de la conservation parfaite de ses hautes murailles qui datent de St. Louis. Je repars à 1 h pour reprendre à Lunel le train de 3h 30 et j'arrive à la maison à 4 1/2 h. J'ai remarqué dans ma course

  1. que le labour des vignes n'était pas encore terminé
  2. qu'on semait du blé dans les vignes sujettes à la maladie
  3. des seigles déjà épiés de près de 3 pieds de haut
  4. une rue d'Aigues Mortes s'appelant rue du Pourtales
  5. la statue de St. Louis
  6. j'ai bu une tasse de café qui m'a coûté 3 sols et qui était excellente
Au reste et à part une trombe qui était dans toute sa force au moment de monter en voiture, rien d'extraordinaire.

2 avril 1857: Hier au soi je me suis rendu à la cathédrale pour entendre un missionnaire qu'on me dit être le père Caussette ou Caussèdes. Il a prêché pendant plus d'une heure de 7 3/4 h à 9 g avec une grande force sur la nécessité de la conversion. Il parlait avec une grande éloquence, son sermon était sévère, je pourrais même dire orthodoxe au point de vue protestant; car s'il n'avait pas vivement recommandé la fonfession, tout ce qu'il a dit du reste aurait for bien trouvé sa place dans la bouche d'un ministre de notre religion. 2000 personnes au moins assistèrent à ce prêche, il n'y avait que des hommes, et tout s'est passé, si ce n'est avec recueillement, au moins avec la plus grande décence.

6 avril 1857: D'après ce que nous disait hier madame Gaston Westphal, il parait que l'église protestante de Montpellier est assez divisée. Il y a comme partout en France le parti orthodoxe et le parti rationaliste. Malheureusement celui-ci est le plus nombreux donc majorité dans le Consistoire (6 contre 4). De sorte que sur 3 pasteurs il y en a toujours deux rationalistes et un orthodoxe. Toutes les connaissances de madame G., à ce que je crois, y compris le docteur Bertin, sont de ces derniers et surtout M. Gaston Westphal qui s'occupe beaucoup des missions, de la société biblique, des écoles du dimanche, etc., etc. Les deux pasteurs rationalistes sont Messieurs Corbières et Massé, et le pasteur évangélique M. Roquau, qui va quitter Montpellier pour aller à Paris, mais qui sera remplacé par un pasteur de son opinion.

8 avril 1857: Course à Alès par un fort beau temps. En partant de Nîmes à 9 h, venant déjà de Montpellier, je me suis trouvé dans le même wagon qu'un monsieur fort causant, que chemin faisant j'ai appris être le sous-préfet d'Alès, M. le comte de Saint-Cyr Montlaur. Il a été d'une grande obligeance et m'a donné au crayon un mot de recommandation pour le directeur des hauts fourneaux et gorges de Tamarin, connus sous le nom de forges d'Alès. Arrivé à ma destination je me suis acheminé à pied à Tamarin, après avoir déjeuner. La recommandation ci-dessus m'a été fort utile, car le directeur des forges m'a conduit lui-même dans l'établissement dans lequel j'ai vu des choses for curieuses. De retour à Alès je me suis encore promené dans la ville dont les rues sont d'une malpropreté remarquable. Ce qu'il y a de curieux c'est qu'un grand nombre d'entre elles ont des arcades, comme nos anciennes de Neuchâtel et par conséquent comme celles de Berne. An milieu de la ville est une espèce de caserne fortifiée qui la domine et qui a sans doute pour but de tenir en respect la population qui est passablement turbulente au dire de M. le sous-préfet. Il parait (c'est toujours lui qui parle) que sur une population de 20'000 âmes, un tiers environ est protestant et que les catholiques et protestants ne vivent pas bien entre eux. Même dans les classe supérieures, cette animosité existe, de sorte que sa position est fort difficile. Ce qui l'oblige de n'avoir avec ses administrés que des rapports officiels. Car, dit-il, s'il avait d'autres relations, il se ferait des ennemis, de sorte qu'il doit agir avec la plus grande circonspection. Il ajoute que son séjour à Alès est pour lui une véritable campagne de Crimée. Parti d'Alès à 4 h j'arrive à Nîmes à 5 3/4 h. Je profite de ce qui me reste de jour pour me promener et un peu avant 7 h je vais dîner chez le restaurateur Durand que l'on dit être le meilleur de Nîmes. A 8 1/2 h je reprends le chemin de fer et à 10h j'arrive à Montpellier, bien fatigué mais fort satisfait de ma journée.

9 avril 1857: Comme noue sommes au Jeudi Saint, toutes les églises sont plus ou moins décorées et la foule se porte en masse et successivement dans chacune d'elles. Il parait que c'est la mode à Montpellier, mais ces promenades sont onéreuses. Dans chaque église il se trouve un certain nombre de quêteurs pour toute espèce d'oeuvres. Je ne suis entré que dans une, à la cathédrale, et j'en ai compté au moins douze à une porte et autant à l'autre, qui tous vous sollicitent avec une grande insistance. C'est étourdissant mais aussi honteux. Pour ce qui me concerne j'en suis sorti dégouté et furieux de voir de pareilles mômeries.

11 avril 1857: Comme c'est la fin du Carême, je vais voir le marché. Il était fort bien approvisionné de toutes espèces de légumes: Choux fleurs, salades, latues, asperges, etc., etc. Les étals de boucherie étaient surtout magnifiques et très artistement décorés de fleurs plantées dans les pièces de viande. On voit qu'on sort du Carême, car le marché aux poissons est presque complètement dégarni. Promenade au Peyron d'où on apercevait les Pyrénées couvertes de neige. An les voyait aussi distinctement que nous voyons de Neuchâtel, non les alpes bernoise, mais les Unterwaldiennes. Nous voilà à Pâques et les vignes ne sont pas encore toutes labourées; cependant il y a déjà des bourgeons de 2 à 8 pouces.

12 avril 1857, Pâques: Sermon de M. Massé. Je communie avec Cécile. Il parait que ce n'est pas la mode que les hommes s'approchent de la Sainte Table, car malgré un appel pressant du prédicateur, il n'y en a guère qu'une dizaine qui ont communié.

13 avril 1857: La plus grande partie des magasins sont fermés, par contre hier dimanche ils étaient tous ouverts à très peu d'exceptions près.

18 avril 1857: A Aigues Mortes avec Georges, nous visitons la tour Constance, célèbre parce que plusieurs des protestants y ont été enfermés. Au mois de mai 1840 et ensuite d'une inondation du Rhône l'eau s'est élevée à Aigues Mortes à 4 pieds au-dessus du niveau du sol, ce qui est consigné sur une plaque en bronze appliquée à l'extrémité du grand mur du côté de l'Etang de la Mette

21 avril 1857: Départ de Montpellier pour Marseille. Nous arrivons à Nîmes à 11h et nous prenons nos quartier à l'hôtel du Luxembourg où l'on est fort bien. Nous profitons de cette journée pour visiter les curiosités de cette antique cité, puis nous en repartons le lendemain.

22 avril 1857: à 9.50 pour arriver à Tarascon à 10.30. Pendant un arrêt de deux heures et malgré un mistral très violent, nous fîmes un tour de promenade pour voir la ville. Voulant nous approcher de la grotte Tour qui est au bord du Rhône, cela nous fut, à la lettre, impossible, empêchés par le mistral, car Elizabeth ayant voulu faire fort, je vis le moment où elle serait renversée, ce qui nous obligea à rebrousser chemin.

En arrivant à Marseille à 4h nous trouvâmes à la gare mon ami Georges Boy de la Tour lequel, pendant les huit jours que nous y avons passé, s'est montré d'une amabilité et d'une obligeance rare, étant à notre disposition tous les jours et à toutes les heures pour ainsi dire. C'est ainsi qu'après nous être installés à l'hôtel Beauveau, nous étions assez mal logés, B. est venu nous prendre pour nous conduire dans un café où il nous a offert d'excellents flancs.

23 avril 1857: Pendant que ma femme et mes enfants se lèvent et s'habillent, je fais une promenade matinale à Notre Dame de la Garde. En redescendant j'entre dans un café pour déjeuner une tasse de chocolat et un petit pain me coutent 7 sols. A 10h Boy de la Tour vient nous prendre pour faire un tour à la Joliette et nous conduit de là à la Réserve où il nous offre un magnifique déjeuner, composé de beaucoup de bonnes choses mais surtout de Bouillabaisse, met spécial à Marseille, composé de différentes espèces de poissons et qui est fort de mon goût. Nous employons notre après-midi à faire une visite à madame Alphonse Coulon, en séjour de santé chez M. Imer, au Château Colomb (alors assez éloigné de Marseille et maintenant en 1862 dans l'intérieur de l'octroi)

24 avril 1857: Malgré un mistral très violent, comme il fait un temps superbe, nous prenons une voiture et allons visiter le jardin zoologique pour de là rentrer à l'hôtel en passant par le Prado. Le soir Boy de la Tour nous conduit au théâtre où nous voyons Guillaume Tell. C'était la première fois qu'Elizabeth allait au théâtre. Nous étions dans une loge louée à l'année à l'année par des amis de B., mais pour nous mettre à notre aise nous payons nos places comme si nous avions pris nos billets au bureau.

25 avril 1857: Le mistral ayant cessé, je fais une promenade à la colline Bonaparte, nouvelle création d'où l'on jouit d'une vue admirable sur le port et sur la rade. Je suis témoin de la sortie d'un grand nombre de navires. En revenant je fais une visite à Boy de la Tour, puis je reviens chercher ma famille avec laquelle nous allons de nouveau faire un second déjeuner à la Réserve Plus tard nous parcourons divers Bazars et magasins dans lesquels nous faisons quelques emplettes.

26 avril 1857: Dimanche - Nous allons au temple où nous entendons un discours très évangélique de M. Bézier, puis nous assistons à l'école du dimanche. Boy de la Tour nous conduit ensuite au Prado où il nous offre encore un magnifique déjeuner. Malheureusement la pluie tombe à torrents, il fait froid, de sorte que nous ne pouvons pas jouir du tout de ce splendide établissement. En rentrant en ville B. m'introduit au Cercle des Phocéens où on joue à l'écarté des sommes considérables. Cette société se compose de 500 membres payant une cotisation annuelle de F. 60. Son budget est d'une centaine de mille francs. Le déficit se couvre par le bénéfice sur les cartes.

27 avril 1857: Nous allons déjeuner en famille chez les Imer du château Colomb, mais nous en revenons de bonne heure pour assister à l'entrée presque triomphale du Grand Duc Constantin de Russie, auquel on fait une réception splendide.

28 avril 1857: Préparatifs de départ

29 avril 1857: Nous quittons Marseille et mon ami Boy de la Tour par le train express de 10h, pour arriver à Lyon dans la soirée. Le parcours entre ces deux villes a été fort intéressant. Le Grand Duc devait partir une demie heure après nous par un train spécial, de sorte que non seulement nous vîmes la gare de Marseille magnifiquement décorée, mais encore sur toute la route des troupes échelonnées et toutes les gares également ornées de fleurs et de tentures.

Depuis notre arrivée à Lyon, je n'ai plus pris de notes, de sorte que je consigne ici uniquement pour mémoire que nous sommes restés deux jours à Lyon, deux à Genève, pour rentrer chez nous mardi 5 mai dans le milieu de la journée.

mai 1857

Arrivé à Neuchâtel il s'agissait de se remettre au courant des affaires. Je commençai naturellement par la Caisse d'Epargne et je dus faire plusieurs visites, nécessitées d'abord par des liens de famille, ensuite par des morts survenus pendant notre absence, entre autres celle de M. Sigismond Meuron, Claude-Abram Bovet-Bovet, le colonel Berthoud et madame de Büren de Vaumarcus. Le 11 mai Georges fit son entrée comme stagiaire chez l'avocat Lardy.

Ce fut aussi à cette époque que je me décidai à louer le premier étage de la maison de La Place à la société du Jardin (La Chambre).

Une fois casé et malgré l'absence d'Alphonse de Pury-Muralt qui était encore à Berlin pour les affaires de Neuchâtel, je me décidai à aller passer quelques jours à Paris où des affaires personnelles m'appelaient et où encore j'étais bien aise d'assister au dénouement des affaires de Neuchâtel qui ne devaient pas tarder à se manifester dans le sein du Congrès de Paris, qui quoique réuni depuis longtemps avait bien de la peine à prendre une décision.

Je fis donc mes préparatifs. Je m'approchai de quelques familles des exilés pour prendre leurs ordres et je me mis en route le 19 mai. Ici je reprend mon journal. Hier Mme Maret me racontait ce qui suit: Son frère avait à parler à son beau-frère Magnin, exilé ou réfugié. On s'est rendu au Saut du Doubs. Ulysse Roulet, lieutenant de carabinier (exilé) était de la partie et voici ce qu'il a raconté: Il y a quelques jours est arrivé à Morteau une lettre de Paris, signé F. de Rougemont et Meuron-Terisse, dans laquelle ces messieurs exposaient qu'il n'y avait plus que deux alternatives possibles dans l'affaire de Neuchâtel: l'abandon par le Roi ou le Status ab ante; que S.M. désirait connaître l'opinion des exilés: que quand à eux écrivains (Meuron surtout) ils pencheraient pour l'abandon, envisageant le statu quo comme la pire des conditions. A la réception de la lettre, le comité composé de messieurs Guillebert, Matthey-Doret, Reiff et Grisel, sergent major pris sur lui de répondre au nom des réfugiés, et cela sans les consulter, qu'il préférait beaucoup le statu quo à l'abandon, etc., etc. et on garda le secret sur cette lettre. Mais sur ces entrefaites deux des exilés, messieurs Chables-Jacottet et Ulysse Roulet se rendirent à Pontarlier. Là M. de Wesdehlen, qui lui, avait eu connaissance de la correspondance, leur demanda quelles raisons ils avaient eus de répondre ainsi qu'ils l'avaient fait. Grand fut l'étonnement de ces deux messieurs, lesquels passablement furieux, retournèrent immédiatement à Morteau où ils convoquèrent les exilés, y compris le comité. 48 personnes se réunirent et Jacottet, prenant la parole, annonça qu'il avait appris qu'une lettre avait été reçue de Paris, que réponse y avait été faite à son insu et qu'il demandait communication de ces pièces. Après beaucoup d'hésitation, de discussions, de pourparlers et de gros mots même, lecture en fut faite. Là-dessus grand brouhaha dont le résultat fut que puisque le Comité avait agit de la sorte, il ne méritait plus la confiance des exilés et qu'on demanderait la nomination d'un nouveau comité. Scrutin, Résultats 11 voix pour l'ancien et 36 pour d'autres membres dont j'ignore les noms. Quoiqu'il en soit le nouveau Comité fut chargé, séance tenante, d'écrire immédiatement une lettre désavouant la première et annonçant que l'avis des exilés était d'en finir à tout prix, moyennant qu'on ne restât pas dans le statu quo. Ne serait-ce point cette dernière lettre qui a hâté la solution de l'affaire que depuis hier on dit être conclue ? Je le suppose. Quoiqu'il en soit j'ai cru devoir consigner ce qui précède pour faire voir une fois de plus où peut conduire la passion et où on en serait si on avait le malheur de se trouver dans les mains de messieurs tels et tels ... !!!

20 mai 1857: Arrivée à Paris à 6 1/2 h du soir. Visite à Meuron à 9 1/2 h pour lui parler de la commission de sa femme. Je trouve chez lui son fils Eugène, le professeur Perret et Gustave Pury-Perrot.

21 mai 1857: Visites et courses diverses. Je me bornes à noter que Wolfrath auquel j'ai fait visite ce matin, me l'a déjà rendue dans la matinée, tandis que mon ami Meuron, chez lequel je me suis transporté hier pour ainsi dire en sortant de voiture, n'a pas encore paru.

22 mai 1857: Toujours courses et visites entre autres chez les Pourtalès-Castellane. En montant l'escalier le coeur me battait un peu. Je sonne, on m'annonce et je trouve mon oncle dans le salon. Il vient à moi et me reçoit à bras ouverts; c'était déjà de bonne augure; survient Amenka à laquelle je serre la main, puis madame Murray à laquelle on me présente. Mais restait l'essentiel; mon oncle dit à Amenka d'aller prévenir sa femme. Après un moment d'hésitation, il ajoute: "Non, j'y vais moi-même" Enfin madame Pourtalès parait, le sourire sur les lèvres et me serre cordialement la main. C'était l'heure du déjeuner, on m'invite à y assister et madame m'offre le bras pour passer dans la salle à manger. J'ai refusé de mangé parce que j'avais déjeuné. J'ai pris part à la conversation, je me suis retiré avant la fin du déjeuner et on m'a beaucoup engagé à renouveler ma visite et à me mettre à table avec la famille lorsque cela me conviendrait. L'impression qui m'est restée de cette visite, c'est que mon oncle avait eu réellement du plaisir à me voir, et sa femme presque.

Je rentre à l'hôtel. Meuron vient me voir à midi. Pas un mot de politique, si ce n'est sur mon interpellation, il me dit que selon toute apparence l'affaire de Neuchâtel se terminera demain. Amen !!!

23 mai 1857: Je porte une lettre à M. François Delessert pour lui demander quand il pourra me recevoir, tenant à faire sa connaissance et à lui remettre moi-même un compte-rendu de la Caisse d'Epargne qu'il m'a fait témoigner le désir d'avoir. Je rencontre Georges de Morel qui m'invite à dîner pour aujourd'hui. A cet effet il vient me prendre à 4h et commence par me conduire à l'hôtel de sa femme, rue St. Nicolas, qu'il me fait voir en détails, puis au chemin de fer où nous prenons des places pour St. Cloud où nous dînons à la Tête Noire. Vers 9h nous revenons à pied jusqu'à Autheuil, où nous prenons le chemin de fer. Glaces chez Tortoni. Je rentre à 11h. Nous avons passé ensemble quelques heures fort agréables. Je manque la visite de M. Delessert.

24 mai 1857: Visite matinale à Meuron qui me dit que décidément l'affaire de Neuchâtel se terminera aujourd'hui, attendu que Lord Cowley part demain. Lettre à Georges Berthoud relative à la fondation d'un journal conservateur neuchâtelois (qui est devenu le Courrier de Neuchâtel, note de 1862) lettre suspansive à la séance sur ce sujet du 22 courant.

Je vais au culte Luthérien à la Rédemption. Discours du pasteur Berger dans lequel il prédit la chute prochaine du catholicisme. Après-midi je prends une voiture et me fais conduire au Bois de Boulogne que je parcours dans tous les sens, y compris le Pré Catelan.

25 mai 1857: Visite à Meuron. La conférence contremandée hier se tient aujourd'hui, dit-il.

26 mai 1857: Visite aux Pourtalès chez lesquels je m'invite à dîner pour demain. A midi chez Meuron où je trouve le professeur Perret et Gustave Pury qui me disent qu'il n'y a rien de nouveau et que la conférence d'hier n'as pas abouti; mais c'est pour aujourd'hui !!

27 mai 1857: En déjeunant je lis le Moniteur et j'y vois qu'enfin le traité relatif à Neuchâtel est signé depuis hier. Je le télégraphie de suite à Georges; il reçoit ma dépêche de bonne heure et c'est ainsi qu'on apprend cette nouvelle à Neuchâtel. Quelques visites et entre autres chez Meuron qui ne peut pas me dire grand chose sur le contenu du traité. Dîner chez les Pourtalès. Mon oncle toujours très affectueux, sa femme moins bien disposée que l'autre jour, presque maussade et paraissant souffrante. Amenka fort gentille et contente et madame Murray presque muette. Quoiqu'il en soit le dîner se passa assez bien. En sortant de table, je vois qu'on fait ses apprêts pour aller au théâtre. Mon oncle me dit qu'ils vont voir "La jeunesse d'Henri V" aux Français, pièce qu'ils ont jouée dans le temps à Neuchâtel. Je lui dit que j'ai eu la même idée et que j'irai aussi. Là-dessus je ne sais pourquoi, mais probablement pour s'excuser de ne pas m'offrir une place, madame me dit qu'ils n'ont qu'une loge à 4 places et qu'on est si serré qu'elle ne peut pas m'offrir de les accompagner, etc. etc. Mais que vois-je en entrant au théâtre ? Ces trois dames fort à l'aise dans une loge de 6 personnes, et mon oncle dans un fauteil d'orchestre, tout près des musiciens à cause de sa surdité. J'avoue que cette circonstance me peine, non point certes que j'eusses désiré accompagner ces dames que j'aurais gênées et avec lesquelles j'aurais été fort mal à l'aise à cause de l'air contraint de mesdames Pourtalès et Murray. Mais pourquoi faire un mensonge ? Certes, c'est se charger la conscience fort gratuitement, madame de Pourtalès n'avait pas besoin de s'excuser de ne pas m'offrir une place. Je n'avais rien dit ni rien fait qui pût l'autoriser à croire que j'attendais une pareille invitation. Si elle avait gardé le silence, cela m'aurait paru beaucoup plus naturel et elle se serait épargné une entorse à la vérité. Cela me peine plus que je ne puis le dire, aussi tâcherai-je de ne pas la trouver lorsque j'irai faire ma visite d'adieux.

28 mai 1857: Quelques courses et visites. Dans la soirée conférence avec Wolfrath.

29 mai 1857: J'écris à Morel qui m'avait proposé d'aller passer un jour à Guitroncourt, château de sa femme dans les environs de Paris, quelles sont les raisons qui s'opposent à ce que j'accepte son invitation. Dans l'après-midi à 4 1/4 h je vais chercher Aimé Gros avec lequel nous nous rendons à Enghien où il a sa famille. J'y fait un dîner fort agréable et en repart à 9.12 pour être rendu à Paris à 9.40 et à l'hôtel à 10h. Malheureusement il pleuvait de sorte que je n'ai pu voir Enghien que très imparfaitement et c'est dommage car c'est extrêmement joli. Aussi les locations y sont à des prix foux. C'est ainsi qu'on y paie pour des appartements bien meublés il est vrai, de F. 2 à 5000 pour la saison, c'est-à-dire pour six mois.

30 mai 1857: Visites de départ. A 5 1/2 h M. Wolfrath vient me prendre, nous dînons ensemble, puis nous allons au Palais Royal où nous rencontrons les exilés, savoir les Meuron, Gustave Pury, le professeur Perret et Aurèle Perret, surmontés de Fritz Rougemont. Nous nous donnons la main mais il y a évidemment contrainte de sa part. Il est décoré du ruban de Hohenzollern et puis se rappelle-t-il peut-être la conversation que nous eûmes ensemble lors de la dernière visite qu'il me fit il y a deux ou trois ans dans laquelle il me disait qu'il était convaincu que la restauration aurait lieu et que de mon côté je lui affirmait qu'elle n'était pas possible.

31 mai 1857: Jour de Pentecôte. En passant devant la Madeleine, j'y entre et assiste à la messe. Me voilà de nouveau sur le point de quitter Paris. Quelle impression emportai-je de ce voyage ? Paris est toujours le même et on va en progressant. Le luxe sous toutes ses formes, les mauvaises passions y progressent aussi et font des pas de géant. Où cela s'arrêtera-t-il et comment cela finira-t-il ? Dieu seul le sait, mais si je ne me trompe, ce sera par une immense catastrophe plus ou moins éloignée. Au reste, il faut bien le dire, les étrangers sont pour beaucoup dans tout ce dévergondage, de sorte qu'une simple commotion politique les éloignant, la cause du mal disparaitrait en grande partie avec eux, mais alors que de gens ruinés ! Propriétaires, cafetiers, restaurateurs, théâtres, négociants, boutiques, artistes, etc., etc.

Une autre impression, mais toute spéciale à ce voyage, est celle qu'a produite sur moi mes relations assez fréquentes avec les exilés neuchâtelois. Leur manière d'être avec moi, d'abord froide puis très affectueuse, me ferait croire que d'entrée ils se sont imaginés que je leur ferait des reproches sur leur participation aux événements de septembre et que sans se l'avouer peut-être ou du moins sans vouloir convenir qu'ils ont eu tord, ils sentent cependant qu'ils ont fait une grosse sottise et qu'ils sont reconnaissants qu'on ne leur témoigne pas trop de mécontentement.

Dîner avec François Guebhard. En rentrant le soir je trouve devant l'hôtel Adolphe Perrot qui m'attendait. Il me fait une longue visite. D'après ce qu'il me dit, il parait que les exilés ne sont pas contents du Roi et cela pour plus d'un motif.

Préparatifs de départ.

juin 1857

Ici j'abandonne le journal pour reprendre le narré des faits par catégorie.

Partit de Paris le 1 juin à 11h du matin, j'étais rendu à Neuchâtel le 2 à 8h du matin. Après m'être débarbouillé et avoir embrassé ma femme et mes enfants, mon premier soin fut d'aller faire visite aux femmes des exilés encore à Neuchâtel, c'est-à-dire à madame Edouard de Pourtalès et à madame Gustave de Pury-Perrot. Je ne trouvai que la première qui me parut sensible à mon attention.

Depuis la nouvelle loi ecclésiastique j'étais membre du colloque de Neuchâtel, dont depuis un an environ, j'avais été nommé vice-président. Depuis quelques temps déjà je m'étais aperçu que les ministres supportaient avec impatience la présence des membres laïques et surtout notre président, mon ami Diacon qui n'a jamais su accepter le nouvel ordre des choses. Appelé à le remplacer à la présidence, un jour qu'il était indisposé, il poussa le manque de prévenance au point de ne pas me prévenir, de sorte que j'arrivai à la réunion sans savoir que je devais la présider et sans connaître les sujets soumis à délibération. Cependant il y avait à l'ordre du jour des sujets fort importants, ce qui me plaça dans une très fausse position. Aussi dus-je prendre la résolution, en sortant de l'assemblée, de donner ma démission, ce que je fis immédiatement après en avoir conféré avec M. Nagel et lui avoir expliqué les motifs qui me forçaient à prendre cette décision.

9 juin 1957: Naissance de Jean, fils d'Edouard de Pury et de Rose née de Marval

24 juin 1957: D'après les conseils de Cornaz, Georges devait aller aux eaux de Wissbourg pour consolider sa guérison. Il part aujourd'hui et immédiatement après son départ sa tante Julie, qu'il en avait chargée, fait à madame DuPasquier et à sa fille Mathilde les premières ouvertures relatives à son mariage. Dans l'après-midi je puis déjà lui expédier une dépêche télégraphique qui lui annonce une issue probablement favorable.

Faits divers: le 14 juin arriva chez nous une anglaise, miss Williams, qui nous était chaleureusement recommandée par Rose LaTrobe; nous nous décidâmes à la garder quelques temps à la maison, jusqu'à ce qu'elle trouvât à se caser quelque part. Il avait même été question de la donner comme gouvernante à Elizabeth, au moins pendant notre séjour à la montagne, mais notre chère fille témoignant de la répugnance et Georges ne s'en souciant pas du tout, nous renonçâmes à ce projet et miss Williams nous quitta définitivement avant notre départ pour les Ruillères.

Politique, 10 et 11 juin 1857: Définitivement à Neuchâtel et ne songeant pas à m'absenter de longtemps, je m'occupai de politique intérieure. Une conversation que j'avais eue deux ou trois jours auparavant avec un républicain très prononcé mais indépendant, m'avait autorisé à penser qu'une entente était facile entre cette catégorie de républicains et les conservateurs [Etrange illusion comme la suite l'a prouvé et surtout ce qui s'est passé ces derniers temps (note de juin 1862)]. Il s'agissait de nommer une Constituante bourgeoisiale. En conséquence des réunions préparatoires eurent lieu, l'une des républicains anciens, l'autre des conservateurs auxquels furent joints quelques républicains. Cette dernière eut lieu chez moi, et était composée de messieurs Borel-Blakeway[mort avant 1862], Gallandre[mort avant 1862], Georges Berthoud, Verdan directeur des finances de la Bourgeoisie[mort avant 1862], Alphonse DuPasquier fils, Fornachon greffier[radical], et Guinand charpentier[radical],. Le meilleur ton et un excellent esprit régnèrent dans cette réunion et on y décida que le lendemain on en aurait une plus générale et plus nombreuse, à laquelle seraient convoqués conservateurs et républicains.

Je fus chargé de présider l'assemblée. Tout s'y passa avec ordre, quoique quelques électeurs fissent des propositions assez saugrenues que je parvins cependant à faire retirer ou écarter. 15 candidats restèrent définitivement sur la liste, et les 10 candidats qui avaient réunis le plus de voix furent ceux qu'il fut résolu de proposer à l'assemblée officielle. Les voici par ordre des voix obtenues. Notons d'abord que 99 cartes avaient été délivrées et que 94 rentrèrent, dont une blanche. Restaient donc 93 valables.
Jämes de Meuron93
Frédéric André Wavre91
Frédéric de Perrot90
Henri Jacottet90
Louis Coulon88
Alphonse de Pury-Muralt83
Louis de Pierre76
Auguste Chatenay69
Alphonse DuPasquier69
François Bouvier67
venaient ensuite:
Lardy, avocat56
G. Tribolet23
Prince, professeur20
Eugène Favre6
Bergeon5
Ce résultat prouvait que la municipalité ne prenait pas facilement racine chez nous et il se manifesta même des sentiments assez hostiles contre cette institution.

14 juin 1857: Election des membres du conseil constituant, dans laquelle les dix noms ci-dessus sortent avec une écrasante majorité, puisque sur 264 votants et 239 cartes déclarées valables, celui qui est sorti avec le moindre nombre de voix a été élu par 225 suffrages.

16 juin 1857: Cécile Coulon revenant de la Mettle passe à la maison en mon absence et dit à ma femme que Fritz Pourtalès m'envoie ses plus affectueux compliments et que, s'il n'a pas répondu à ma lettre (voir 17 janvier) c'est qu'il avait horreur de revenir sur le passé [replâtrage plus ou moins bien conditionné, comme nous le verrons par la suite].

Réunion des actionnaires du nouveau journal conservateur qui prendra le titre "Courier de Neuchâtel". Nous étions chez Bosset. Le rédacteur en chef sera M. Henri Jacottet, avocat, qui sera assisté d'Alfred de Chambrier et d'un comité de onze membres.

17 juin 1857: En revenant d'une couse à La Dame, j'apprends dans la soirée que la convention du Congrès de Paris, relative à Neuchâtel, est ratifiée et que dès à présent tous les exilés peuvent rentrer. Bonne nouvelle, car on pouvait craindre que cela ne durât encore quelques jours.

20 et 23 juin 1857: Alphonse Pury étant de retour de Berlin, me met au fait de plusieurs circonstance relatives à sa mission. J'en prends note immédiatement et je les transcrit ici telles quelles sans y ajouter ou retrancher un seul mot:

Il me raconte bien des choses sur les batons jetés dans les roues par messieurs tels et tels pour empêcher la solution de la question neuchâteloise. Le pauvre Roi, comme au reste on s'en doutait bien, était tiraillé de côté et d'autre et ne savait plus à quel saint se vouer. Depuis 1848 messieurs de Perregaux et de Wesdehlen, madame de Bohma et le valet de chambre Colomb, avaient représenté les affaires sous un jour tel qu'on croyait que la presqu'unanimité des neuchâtelois était royaliste. Aussi jusqu'au dernier moment le Roi n'a pas voulu autoriser M. Hatzfeld à signer. Cependant au départ de Rougemont de Berlin, il y a eu près de deux mois, le Roi lui avait dit ces propres termes: "Il faut que je vous oublie", mais dès lors il résistait sur les détails, et c'est ce qui a fait dire à quelques personnes qu'on resterait dans le statu quo.

Fritz Pourtalès, au mois d'août, n'avait pas vu le Roi, mais seulement le Prince royal et Manteuffel. Cependant quoiqu'il ait dû le nier, le Roi avait connaissance de l'affaire. Contrairement à ce qu'on croit généralement, M. de Sydow a ignoré le mouvement et le désapprouvait, car dès qu'il a eu connaissance de quelque chose, il a fait ce qu'il a pu pour l'empêcher, mais c'était trop tard, sa lettre n'étant parvenue que le 4 septembre. C'est dix jours après leur arrivée à Berlin que Rougemont et Pury ont vu le Roi. Ce jour-là, soit au commencement de février, Sa Majesté était montée sur ses grands chevaux, il annonça à ces messieurs que jamais il ne consentirait à traiter avant que la Suisse ait retiré son décret de bannissement, puis qu'il ne signerait rien si on ne lui accordait pas son domaine particulier et le rétablissement des Bourgeoisies !!! Dès lors quelle reculade !

Par l'indiscrétion de Rougemont les réfugiés de Pontarlier connaissaient sa mission, ainsi que celle de Pury, avant le départ de ces messieurs. Aussi se dépêcha-t-on d'expédier à Berlin messieurs Henri Bovet et Gagnebin pour parer le coup; et ils firent une telle diligence qu'ils arrivèrent avant la députation. Gagnebin, à l'arrivée de ces messieurs, leur fit visite et leur tint ce langage:
"Je suis bien aise de vous dire que si vous venez pour vendre la Principauté, votre coup est manqué, car je viens de voir Manteuffel qui m'a assuré que jamais le Roi ne nous abandonnerait"
Etait-ce une illusion? Avait-il mal compris ? Le fait est que Pury, ayant vu le ministre peu après, celui-ci lui dit exactement le contraire. Il est bien positif maintenant que tout le complot du 3 septembre a eu pour instigateurs et grands promoteurs messieurs de Wesdehlen, le justicier Humbert et le général de Gerlach. En tous cas Fritz Pourtalès allait à Berlin pour tâcher de le détourner et c'est alors que le Prince de Prusse lui fit l'algarad dont on a parlé. Aussi quelle ne devait pas être son anxiété lorsque, en revenant et se trouvant à Karlsruhe avec M. de Savigny, celui-ci lui prédisait qu'il ne serait pas soutenu. Si de Gélieu avait connu cet état de choses, il n'aurait jamais pris part au mouvement. Monsieur de Perregaux et consorts ont joué dans toute cette affaire un côté excessivement actif mais assez triste. C'est ainsi que tout dernièrement encore, on faisait chemin et manière pour que les diverses votations, qui devaient avoir lieu, une fois la cession accomplie, fussent faites sous la médiation de commissaires étrangers. Et c'est des neuchâtelois qui demandaient ces conditions !! Fous criminels ou aveugles qu'ils sont !

juillet-septembre 1857

Nous passâmes ces trois mois à la montagne, fort tranquillement par rapport à la politique dont heureusement je n'eus pas à m'occuper le moins du monde, mais d'une manière assez agitée sous d'autres rapports. Et d'abord nous eûmes de nombreuses visites dues à plusieurs circonstances. La présence des DuPasquier-Terrisse à la Clinchette qui fut l'occasion de nombreuses allées et venues des parents et amis des deux familles, puis de l'annonce du mariage de Georges et de Mathilde, celle-ci s'étant décidée et ayant donné son consentement définitif le 17 août. L'annonce s'en fit le 20 du même mois et ce jour-là madame DuPasquier et ses enfants virent des Rasses passer la journée aux Ruillères. A notre tour nous allâmes le 5 septembre passer deux jours aux Rasses, course qui ne laissa pas que d'occasionner une grande fatigue à ma chère Cécile. Le 18 septembre nous descendîmes à Travers et le 21 nous retournâmes définitivement à Neuchâtel.

Enfin le 29 septembre je me décidai de remettre à M. Perrin la gestion de la Dame, ne pouvant plus m'en occuper moi-même d'une manière utile.

Le 4 août eut lieu la consécration au saint ministère de mon neveu Paul Coulon. Georges et Elizabeth se rendirent à Neuchâtel pour y assister.

octobre 1857

Depuis longtemps et après y avoir beaucoup réfléchi, nous nous étions décidés à mettre Elizabeth en pension, et nous nous étions décidés de la placer dans l'Etablissement de mesdemoiselles Friedel à Strasbourg, où avait déjà été plusieurs neuchâteloises et antre autres Madeleine de Montmollin [maintenant madame Fritz de Perregaux et ayant trois enfants (juillet 1862)].

Je consigne ici les notes prises pendant le voyage:
samedi 10 octobre 1857 Notre voyage s'est fait aussi heureusement que possible, malgré les nombreux inconvénients résultants en Suisse des chemins de fer non terminés. Nous sommes partis lundi 5 à 5h du matin par diligence jusqu'à Bienne. De là chemin de fer jusqu'à Olten, en changeant de wagon à Herzogenbuchsee. D'Olten à Läufelfingen en omnibus pour passer le Hauenstein. De ce point jusqu'à Bâle en chemin de fer. Nous débarquons au Sauvage à 3h. Nous y trouvons ma belle soeur Uranie et Louise et Albert Pury revenant des bains de mer et en assez bonne santé. Nous dînons ensemble ainsi qu'avec Edouard Vaucher de Mulhouse et sa famille, et nous repartons à 5h pour Strasbourg, où nous ne sommes rendus à l'hôtel de la Maison Rouge qu'après 10 heures. Cette première journée s'est passée sans incident très remarquable, si ce n'est que nous avons été très amusés dans le passage du Hauenstein par une dame Bernoulli de Bâle, qui n'a pas tardé de mettre au fait de ses affaires tous les passagers de l'omnibus. Il se trouve qu'elle connait beaucoup de neuchâtelois et entre autres plusieurs membres de la famille DuPasquier. Madame Bernoulli est une grande bavarde, mais au demeurant for bonne femme.

Le mardi 6 nous conduisons Elizabeth chez mesdemoiselles Friedel. Après l'avoir installée, nous nous faisons conduire à l'Etablissement des diaconesses, où nous trouvons Sophie Pury fort bien portante et continuant son oeuvre avec courage; puis jusqu'au dîner nous nous promenons en voiture et nous nous faisons conduire au Pont du Rhin à Kehl. Après dîner de nouveau chez Sophie Pury et à la pension.

mercredi 7 octobre 1857 Dans la matinée nous retournons de nouveau chez mesdemoiselles Friedel pour prendre définitivement congé de notre chère fille. Celle-ci qui s'était montrée assez forte la veille, ne peut plus se contenir, elle sanglote et nous la quittons toute en larmes. C'est un bien mauvais moment pour elle et pour nous. Nous rentrons à l'hôtel pour déjeuner et faire nos préparatifs de départ. Nous quittons Strasbourg à 12.50 pour arriver à Mulhouse à 4 1/2 h. Nous trouvons à la gare Marie Coulon qui nous conduit immédiatement à l'hôpital où elle est employée comme diaconesse. Après nous avoir présenté à quelques soeurs et nous avoir fait parcourir l'établissement, elle revient avec nous au chemin de fer par lequel nous partons pour Bâle à 7.30. Dans cette ville et contre l'avis de ma femme qui voulait me conduire à la Couronne, nous allons aux Trois Rois où nous sommes fort mal pour le service, fort bien pour la table, mais toutefois de manière à ne pas avoir l'envie d'y retourner une autre fois.

jeudi 8 octobre 1857 Il pleut à verse ce qui ne m'empêche pas d'aller trouver Georges Meuron à son bureau. Départ de Bâle pour Berne à 1.50. De Bâle à Herzogenbuchsee a été pour moi la partie la plus intéressante du voyage, vu la rencontre que nous avons faite d'une princesse russe, Kortiakow de nom, femme d'un aide de camp de l'Empereur, laquelle après avoir assisté comme invitée aux fêtes données en France pour le Grand Duc Constantin, et à l'entrevue des deux souverains à Stuttgart va passer quelques mois en Italie en passant par Bienne et Genève, de sorte que nous nous quittons à Herzogenbuchsee. Cette jeune femme qui n'a que 21 ans et qui est déjà mère de deux garçons de 4 et 2 1/2 ans qui voyagent avec elle, fait comme madame Bernoulli et nous met au fait de sa vie passée. Elle nous raconte de très curieux épisodes de son séjour chez l'Empereur des français à Fontainebleau et à St. Cloud, et comme nous n'étions dans le wagon qu'elle, Cécile et moi, elle nous montre le contenu d'une grande cassette renfermant des bijoux pour plusieurs centaines de mille francs. Je n'ai jamais rien vu de plus beau dans ce genre. A Herzogenbuchsee on se quitte en se tenant très cordialement la main, probablement pour ne plus se revoir. Ainsi va le monde!

Arrivés à Berne vers 10h nous nous logeons à la Couronne où on est for bien et très promptement servi.

Un mot encore sur la princesse russe et sur la manière dont nous avons fait connaissance. Partis de Bâle ensemble on s'était regardé sans se dire grand chose jusqu'à Läufelfingen. Arrivés là, il s'agissait de prendre l'omnibus pour passer le Hauenstein et nous y montâmes. La princesse avec sa cassette qui prenait la place d'une personne; mais comme on était au grand complet, le conducteur fit observer à madame Kortiakoff qu'elle ne pouvait garder sa cassette avec elle. Celle-ci ne se souciant pas de se séparer de son trésor, voulut faire fort, mais le conducteur lui fit observer, peu poliment il est vrai, que cela ne se pouvait pas. Sur quoi s'adressant à moi, elle me demanda si on ne pouvait pas faire rosser d'importance ce malhonnête ? Je lui répondit que nous n'étions pas en Russie, mais en Suisse et que dans notre pays, lorsqu'on voulait rosser les gens, on risquait fort de l'être soi-même. Là-dessus elle se mit à rire et se décida à confier sa chère cassette à son domestique jusqu'à Olten.

vendredi 9 octobre 1857 Nous employons notre matinée à parcourir l'exposition et à visiter le palais fédéral. Nous allons également faire une visite à Elize Tribolet qui parait avoir beaucoup de plaisir à nous voir et nous partons par la diligence de 12 1/2 h pour arriver sans encombre à Neuchâtel un peu avant 6h.

Le 20 octobre 1857 Nous entreprime de nouveau un petit voyage à Genève, d'où nous revînmens par Ste. Croix passer deux ou trois jours à Travers, pour rentrer définitivement à Neuchâtel le samedi 24.

Faits divers: Le 29 je reçu communication du mariage de Blanche Pourtalès, fille d'Alexandre, avec un M. Naville, veuf et père de deux enfants. Rien de marquant dans cette rubrique pendant ce mois.

Politique, octobre 1857: Cependant le dimanche 18 eut lieu la votation sur l'acceptation de la constitution et le 26 l'élection des députés au Conseil national dans laquelle le parti radical l'emporta à une immense majorité.

Le 31 M. François Bouvier vint me proposer de présider une réunions préparatoire électorale qui aurait eu pour but d'aviser à la conduite à tenir dans les circonstances actuelles. Je lui répondis que cela m'était impossible par plusieurs motifs dont le principal était que le parti conservateur était tellement désorganisé que de longtemps il ne pourrait rien faire; que d'ailleurs ayant toujours été partisan de la fusion, je ne pourrait présider une assemblée dont la plupart des membres se prononceraient contre, selon toute apparence [Dès lors je n'ai pris qu'une part complètement passive à tout ce qui s'est fait en politique, sauf cependant un court séjour à la Constituante comme député de Travers (note de 1862].

novembre-décembre 1857

2 novembre 1857: ce fut ce jour-là que nous commençâmes à déménager du premier au deuxième étage pour faire place au Cercle du Jardin; et le déménagement fut terminé le 9 par le transport de la famille dans le bureau du rez-de-chaussée qui se trouve à gauche de la porte en entrant dans la maison

25 novembre 1857: La famille LaTrobe étant venue passer quelques jours à la Rochette, nous en profitâmes pour avoir un dîner de famille Montmollin. J'en inscris ici les convives:
3Cécile, Georges et moi
3Auguste Montmollin, sa femme et leur fille
2Cécile Coulon et son mari
3Rose LaTrobe, son mari et Agnès
4Tribolet, sa femme, Georges et Marie
2Edouard Pury et sa femme
5Julie Pury la mère, Louise, Albert, Hélène et Julie la fille
2Madame DuPasquier et Mathilde, notre future belle-fille
24Personnes
Evénements de famille, 15 novembre 1857: Auguste m'annonce en confidence le mariage de sa fille Madeleine evec Fritz Perregaux, et ce ne fut que le 27 qu'il fut annoncé publiquement.

7 décembre 1857: Mon neveu Georges de Tribolet vient nous faire part de son mariage avec Mlle Charlotte Bugnon de Champagne.

11 décembre 1857:Départ définitif de la famille LaTrobe allant se fixer en Angleterre.

C'est le 19 décembre 1857 que la société de la Chambre vint s'installer au premier étage de ma maison.

24 décembre 1857: Mort de M. Droz, diacre de Neuchâtel depuis moultes années.

Politique: Je transcrit purement et simplement mes notes quotidiennes qui seront un peu obscures, si on ne consulte pas les journaux de cette époque.

17 novembre 1857: Après la décision du Grand Conseil d'hier relative à la base électorale, le parti gouvernemental et surtout les membres du Grand Conseil appartenant à ce parti, menaçaient fort d'une descente des montagnes sur Neuchâtel pour jeter le Grand Conseil par les fenêtres. Jusqu'à présent on n'a rien appris qui vienne confirmer ces menaces. On contraire on me dit qu'au Locle, au reçu de la dépêche, la population est restée calme. Le Val-de-Ruz était tranquille ce matin et je n'ai rien appris de la Chaux-de-Fonds. Le fait est que ce matin le Grand Conseil s'est réuni comme à l'ordinaire et que tout, jusqu'à présent au moins, s'est passé avec la plus parfaite tranquillité. Mais comme avec les gens qui nous gouvernent et qui sont les premiers boute feux, on ne peut répondre de rien, attendons, avant de conclure quoique ce soit du calme aujourd'hui. Toutefois selon moi il n'y aura pas de mesures violentes. Dans la soirée tout est fort tranquille.

19 novembre 1857: Longue visite d'Alphonse de Pury-Muralt avec lequel nous causons beaucoup des événements de septembre et des suites qu'ils ont eus pour les relations de société à Neuchâtel. Cela n'est pas gai.

Il m'est revenu, sur les suites possibles de la séance du Grand Conseil de lundi, deux circonstances dignes d'être mentionnées. La première c'est que dans la nuit, aux environs de 3 heures, il était arrivé de la Chaux-de-Fonds une estafette pour demander des ordres au Conseil d'Etat et que celui-ci par l'organe d'Aimé Humbert, avait conseillé de rester tranquille. De l'autre côté le président du Grand Conseil avait demandé au Conseil fédéral que le télégraphe fut ouvert en permanence et que dans le cas où un mouvement fut préparé, il aurait demandé ou un commissaire fédéral ou un bataillon, ou bien encore tous les deux, pour protéger le Grand Conseil afin qu'il pût délibérer en paix.

22 novembre 1857: Election de 6 membres su Conseil Général de la municipalité. Contre toute attente les conservateurs remportent à une majorité importante.

1858 janvier-mars

Le 11 février il y eut la réunion annuelle des membres du Cercle de Lecture, dont j'étais président depuis nombre d'années. Ainsi qu'on me l'avait fait entrevoir, cette séance fut assez orageuse et le comité ne fut pas épargné. On se plaignait, et certes non sans raison que la police intérieure n'était pas ce qu'elle devait être, sentant à l'égard des jeunes gens, soit étudiants, soit fils de membres. En sortant de la séance je dus réfléchir sérieusement sur le parti que j'avais à prendre. Je ne me dissimulais pas que le désordre dont on s'était plaint à juste titre avait essentiellement pour cause ma présence trop peu assidue au Cercle que je ne fréquentais que fort rarement et à des heures où je n'y trouvais que fort peu de monde. Aussi dus-je prendre la résolution de donner ma démission de président ce que je fis le 13 par une lettre explicative de mes raisons, adressée à M. Borel-Blakeway, vice-président. Celui-ci dès le lendemain répondit à ma communication en cherchant à me faire revenir sur ma décision; mais je lui répondis immédiatement que cela m'était impossible.

Cependant le comité du Cercle ne s'en tint pas là et dès le 18 il m'envoya une députation dans le même but, quoique sensible à cette démarche je dus naturellement persister dans ma détermination et je fus effectivement remplacé quelques jours après.

Mais ce qui me toucha profondément c'est que le 5 mars, lendemain de mon remplacement messieurs Borel, nouveau président et Constant Reymond, secrétaire du comité, vinrent en députation pour me remercier des bons services que j'avais rendus au Cercle pendant les années de ma présidence. Cette démarche était aimable, mais les sentiments exprimés étaient-ils bien réels ? C'est, à mon sens, ce dont il est permis de douter.

Le 13 janvier 1858 ma belle-mère atteignait ses 80 ans. A cette occasion nous eûmes le grand plaisir de réunir sa famille à dîner. Les convives furent madame de Sandoz, ses enfants et petits-enfants, auxquels nous adjoignîmes Charles de Marval et son fils Fritz.

Le 15 janvier 1858 on nous annonça le mariage de mon neveu Paul Coulon avec sa cousine germaine Julie, fille d'Auguste.

Le 27 janvier 1858 je dînai chez Tribolet. Si je note cette circonstance c'est que la réunion avait ceci de particulier qu'il s'y trouvait quatre couples de promis, savoir mon fils Georges et Mathilde, mes neveux Georges Tribolet et Charlotte Bugnon, Paul Coulon et Julie, et enfin Madeleine de Montmollin ma nièce et Fritz Perregaux.

4 mars 1858: Ayant fait monter à Genève les diamants de famille en broche, j'eus le plaisir de l'offrir à ma chère future belle-fille Mathilde, qui partait le 10 pour faire un petit séjour à Genève. Malheureusement elle y tomba assez gravement malade, de telle sorte que mon pauvre Georges, fort inquiet comme on peut le penser, ne reçut l'autorisation de la joindre que le 31, jour où elle entra en convalescence.

La mortalité fut très grande à Neuchâtel pendant le mois de janvier. Elle arriva même à ce point que dans les journées du 27 et 28 il y eut neuf enterrements.

29 janvier 1858: Le lac commença à geler dans l'après-midi par un froid de 6 à 7 degrés Réaumur. Le lendemain 30 dans la matinée la température s'adoucit, il s'éleva un vent léger et à midi tout avait disparu.

11 février 1858: Mort de M. de doyen Lardy qui avait été longtemps diacre de Neuchâtel et ensuite pasteur à Colombier. Depuis quelques années il avait donné sa démission.

19 février 1858: Mort de madame Henri de Rougemont

22 février 1858: J'offre à dîner à monsieur le pasteur Gaberel de Genève qui, ayant à peu près renoncé à la chaire, s'adonne maintenant à la réhabilitation de la mémoire de J.J. Rousseau lequel selon lui est mort chrétien.

26 février 1858: Séance du comité de la Caisse d'Epargne, remarquable en ceci, c'est que pour la première fois il a pris la décision de s'intéresser directement à des entreprises ayant pout but de venir en aide à l'industrie neuchâteloise et spécialement à l'industrie horlogère. C'est ainsi pour la première fois qu'il s'est intéressé aux chemins de fer neuchâtelois ou nationaux. Ainsi il a pris 50 obligations du Franco-Suisse, 100 actions de F. 200.- à l'union horlogère, 50 de F. 500 au comptoir de consignation de Neuchâtel (cette société ne s'est jamais constituée) et aussi 50 actions de F. 500 à la société horlogère de l'Exportation qui se forme au Locle. Ce n'est pas sans peine que j'ai fait passer ces propositions, surtout celle relative à l'union horlogère dont les administrateurs provisoires, ou plutôt les fondateurs n'inspiraient pas grande confiance. Mais la majorité a pensé qu'il était utile au point de vue politique et surtout dans un moment où on parle beaucoup de ce que la Caisse d'Epargne fait ou ne fait pas, de s'intéresser à des entreprises qui sont envisagées par bon nombre de personnes comme étant d'utilité publique, sans en éliminer, ce qui à son point de vue produirait un fort mauvais effet auprès d'un certain monde et surtout du parti gouvernemental qui protège tout particulièrement l'Union horlogère.

Au reste la suite nous apprendra si le comité a bien ou mal fait [La suite a prouvé que financièrement parlant, mais seulement financièrement, je m'étais trompé. Ces diverses compagnies ont donné de tristes résultats, néanmoins on peut espérer, maintenant qu'on a payé les écoles, que la situation s'améliorera (note de juillet 1863)].

3 mars 1858: Je reçois une députation de la Chaux-de-Fonds qui vient remercier la Caisse d'Epargne de ce qu'elle a bien voulu s'intéresser à l'Union horlogère.

30 mars 1858: Constitution de la compagnie d'exportation. Je transcris ce qui suit de mon livre de notes:
Partis à 5 3/4 h avec Fritz DuPasquier, nous n'avons mis que quatre heures (voiture Stauffer) pour arriver au Locle par la Chaux-de-Fonds. Nous nous rendons à 10h chez messieurs H. Courvoisier et Cie, pour asssister au Conseil d'Administration. On me défère la présidence d'âge et on procède immédiatement à la constitution de la compagnie par la formation du bureau. M. Eugène Huguenin est nommé président, moi vice-président, Bernard Barrelet secrétaire. Les autres membres du Conseil d'Administration sont messieurs Henri Courvoisier, Ulysse LeRoy, Auguste Perrenoud, Robert des Ponts, Paul Barrelet de Colombier, Fritz DuPasquier-Jéquier, Charles Jacottet, colonel Denzler. Directeurs Ed. Favre-Perret, Le Double et Ed. Mercier avocat [Comme on le verra plus loin je dus donner ma démission déjà au mois de juin et bien m'en a pris, car la Compagnie n'a fait que des sottises, ce qui a nécessité un changement complet dans le personnel du Conseil, de sorte que maintenant (juillet 1863) il se trouve composé des personnes suivants: Fritz DuPasquier, président, Bernard Barrelet, vice-président, Paul Barrelet-Leuba, Fritz Favre-Leuba, Charles Jacottet, Ulysse Jéquier, Ausguste Leuba de Colombier, Auguste-Aimé Perrenoud de Wavre, Alphonse de Pury-Muralt, Louis Robert d'Otto. Directeurs LeDouble, secrétaire général, Ed Mercier, avocat]. Nous siégeons jusqu'à 2h et nous nous mettons à table chez M. LeDouble qui nous offre l'hospitalité. A 4h nous reprenons séance jusqu'à 7h. Départ 7.20. Arrivée à Neuchâtel en passant par les Ponts à 10 1/2 h. Cette réunion a été tout à fait intéressante et tout fait présumer que les affaires marcheront bien. Un excellent résultat de cette entrevue a été un commencement de rapprochement bien décidé entre les montagnes et le Bas. Dieu veuille faire fructifier cette semence pour le bien de notre chère Patrie.

avril-juin 1858

15 avril 1858: Départ pour Strasbourg avec Elisabeth que je reconduis à sa pension et que j'y laisse dans des dispositions fort différentes de l'année précédente.

20 avril 1858: De retour depuis le 18 au soir je me remets en route, mais cette fois avec ma chère Cécile, et nous nous acheminons à Genève, soit à Mornex pour voir notre future belle-fille Mathilde qui y est établie avec sa mère pour achever sa convalescence. Nous y passâmes une partie de la journée du 21 et vînmes à Genève de bonne heure pour en repartir le lendemain matin et arriver à Neuchâtel avant 3 heures. Nous avions pris notre gîte à l'hôtel de l'Ecu de Genève, mais nous avons été tellement étrillés que je me suis bien promis de ne pas remettre les pieds dans cet hôtel, ce que du reste je ne me suis pas fait faute d'annoncer à l'hôte.

10 mai 1858: En ma qualité de membre du conseil d'administration de la compagnie neuchâteloise d'Exportation, je fus délégué à Zurich avec messieurs Edouard Favre-Perret et Ulysse LeRoy pour chercher à entrer en relations avec la compagnie suisse d'Exportation. Nous réussîmes facilement dans notre mission, grâce à la bonne volonté et l'obligeance de messieurs Henri Fierz et Ruegg, directeurs de cette compagnie, et cela malgré les croc-en-jambe que dans cette circonstance un délégué de l'Union horlogère voulut nous donner. Nous étions de retour le 16 au matin et M. Favre dîna à la maison, avant de se remettre en route pour le Locle.

3 juin 1858: Course à la Dame avec Cécile, nous nous y rendons par Enges et la métairie Lordel et nous revenons dîner à Voëns chez les Marval Rougemont.

11 juin 1858: Je me rendis au Locle pour assister à un Conseil de la compagnie d'Exportation. De là je revins à Travers, puis le 14 à Neucâtel. Ayant été assez indisposé de cette course, je me décidai dès le 18 à donner ma démission de membre du conseil dans une lettre motivée qu'on trouvera dans mes notes et je persistai dans ma détermination, malgré les instances de M. Eugène Huguenin, du dit conseil [Bien m'en a pris d'avoir eu cette idée, car dès lors les directeurs de la compagnie ont fait de telles brioches qu'ils ont mis en péril l'existence de la compagnie et placé le conseil dans la plus fausse position qui se puisse immaginer (note de juillet 1863)].

6 avril 1858: Georges revient de Genève.

8 avril 1858: Annonce du mariage d'Eliza Terrisse avec Henri Reynier.

9 avril 1858: Mariage de Georges Tribolet. Nous nous sommes rendus à Champagne avec Cécile, Elizabeth et LaTrobe. La bénédiction nuptiale s'est faite au temple de St. Maurice et elle a été suivie d'un repas somptueux chez les Bugnon. Nous repartions de Champagne à 5h.

14 avril 1858: Mariage de Madeleine Montmollin avec Fritz Perregaux. Dîner de noce chez mon frère. Georges repart pour Genève dans la soirée pour rejoindre aa fiancée qui est à Mornex.

5 mai 1858: Mariage de Paul Coulon avec sa cousine germaine Julie Coulon. Le dîner a lieu chez le père de l'épouse ou au moins dans son salon. Malgré son état de maladie, il assiste au repas, mais il faisait mal à voir, tellement il avait l'air souffrant.

12 mai 1858: Mariage de Georges. Le mariage civil eut lieu à 10h et le mariage religieux à 3h. Le dîner fut servi à 5h dans notre salon et on fut 73 à table. Voici léa nomenclature des convives que je ferai suivre des refusants:
GeorgesMathilde
Ferdinand DuPasquiermadame DuPasquier
Edouard DuPasquierHenri DuPasquier
M. Merle d'Aubignémadame Cornaz
Edouard DuPasquier filsmadame Alfred DuPasquier
Eliza DuPasquierMaurice DuPasquier
Dr. CornazAlfred DuPasquier
Alphonse DuPasquier pèreMademoiselle Bugnon
Alphonse DuPasquier filsCécile Coulon
Edmond DuPasquierMarie Coulon
madame Auguste MontmollinEliza de Pourtalès
madame LaTrobeAuguste Montmollin
Henri MontmollinAgnès
Guillaume MontmollinPierre Montmollin
madame Pury-SandozRose Pury
Louise PuryLaTrobe
Edouard PuryHélène Pury
Albert PuryJulie Pury
Frédéric Triboletmadame Frédéric Tribolet
Sophie TriboletMaurice Tribolet
Marie TriboletGeorges Tribolet
moimadame S.
Charles DuPasquierLouise DuPasquier
Georges BerthoudEmma DuPasquier
Frédéric Marvalma femme
Fmadame Charles DuPasquierLouis Junod, pasteur
Blanche Levieuxmadame Merle
G. PerregauxAdèle Levieux
Louis CoulonJean Merveilleux
Lardy, avocatMerle fils
madame BachelinM. Mackenzie
Jämes Chambriermadame Rose Marval
Uranie SandozFrançois Sandol
François PuryM. Nagel
Samuel Petitpierre
avaient refusé
Louise Sturlermadame DuPasquier-Terisse
Mlle Hortense de RouletPaul Coulon et sa femme
Fritz Perregaux et sa femmeTante Charlotte et son mari
Pasteur BonhôteFerdinand d'Ivernois
madame d'IvernoisRodolphe de Sturler

27 mai 1858: On apprend d'Aigle la mort d'Elizabeth Meuron qui y était en séjour chez le Dr. Cossy.
2 juin 1858: De Paris, la mort de la femme de Louis Oppermann, de suites de couches. Mariage d'Eliza Terrisse avec H. Reynier.

16 juin 1858: On nous mande de Strasbourg qu'Elizabeth a pris la rougeole, mais comme elles est bénigne nous ne nous en inquiétons pas.

Faits divers: 11 avril Sermon d'installation de M. le ministre Henry comme diacre de Neuchâtel. Si je note cette circonstance c'est que M. Henry avait été nommé par le Conseil d'Etat à ce poste, contre le voeu de la population, voeu qui s'était énergiquement exprimé par une pétition munie de nombreuses signatures en faveur de M. Nagel. Peut-être qu'à tout prendre cette persistance du Conseil d'Etat a-t-elle été un événement heureux, car M. Henry n'est point un mauvais diacre et M. Nagel aurait considérablement manqué aux écoles du dimanche dont il est le directeur.

Quoiqu'il en soit le sermon de M. Henry, prononcé sous un sentiment de vive émorion, était ce qu'il devait être et on en a été généralement satisfait.

6 mai 1858:Réunion générale des Unions chrétiennes de jeunes gens du Coulon. Georges en patronne plusieurs et nous en logeons un à la maison, le jeune Louis Jeanrenaud de Travers, apprenti graveur [Il est maintenant ouvrier à La Chaux-de-Fonds et persiste dans la voie où il est entré (note d'août 1863)].

Politique: Je m'étais promis de ne plus m'occuper de politique et déjà j'avais absolument refusé plusieurs candidatures au Grand Conseil, lorsque, au sujet de la révision de la Constitution je reçu le 26 avril une lettre de Travers dans laquelle on me proposait de me laisser porter au nombre des candidats comme député de cette localité à la Constituante. Un peu abasourdi d'une pareille ouverture, mais reconnaissant toutefois envers les personnes qui avaient pensé à moi, je crus ne pas devoir refuser de me laisser mettre en élection. Bien est-il vrai que j'échouai lors des élections générales du 2 mai, mais une place étant devenue presque immédiatement vacante, je fus de nouveau mis en élection le 6 juin et élu à une très faible majorité (50 voix sur 96 votants). D'après les enseignements qui me parvinrent à TRavers le lendemain de l'élection, il parait que les jeunes gens républicains avaient voulu secouer le joug des Indépendants et que leur adhésion au candidat conservateur était une protestation contre la pression qu'on cherchait à exercer sur eux; aussi les radicaux et indépendants étaient-ils furieux et s'accusaient réciproquement de trahison. Le fait est que dix d'entre eux au moins avaient fait défection. L'un d'eux (m. Grandpierre) me disait:
"Je suis bien aise de vous voir à la Constituante, mais ce que je ne puis avaler, c'est que vous soyez nommé pas Travers, berceau de la république en quelque sorte".

21 juin 1858: C'est ce jour-là que je fis mon entrés à la Constituante, où je siégeai jusqu'à la fin de la session, après quoi je donnai ma démission ce que nous verrons plus outre.

juillet-septembre 1858

4 juillet 1858: Nous montâmes aux Ruillères pour y faire le plus long séjour que nous y ayions fait, puisque nous n'en sommes redescendus que le 15 septembre. Rien de bien particulier pendant ce temps, si ce n'est cependant que mes fonctions m'obligeaient de me rendre souvent en ville dans le mois de juillet. Je ferai encore remarquer que pendant ce séjour nous avons exercé une hospitalité assez large puisque pendant deux mois et demi que nous sommes restés à la montagne, nous avons reçu soit pour coucher soit pour des repas 120 personnes.

Le 21 juillet 1858 entre 4 1/2 et 5h du matin se manifesta un orage d'une violence peu commune. Pendant une heure ce fut une véritable trombe, accompagnée mais seulement pendant quelques minutes d'un forte grêle, qui, grâce à Dieu, ne fit pas mal aux récoltes. Les éclairs et le tonnerre étaient incessants. Nous étions au beau milieu de l'orage.

Politique, Le 1 juillet 1858: se termina la première Constituante et le 25 la Constitution fut rejetée par 5039 voix contre 3832. Nous fûmes de nouveau convoqués pour le 27 et ce fut dans une seule séance qui dura de 3h à 7 1/2 h qu'on changea les articles qui avaient donné matière au rejet et je fis partie de la majorité pour proposer un nouveau projet de constitution. De retour aux Ruillères j'appris qu'une protestation contre le projet révisé se couvrait de signatures à Travers et à Noiraigue. Il me parut que dans ces circonstances, puisque j'avais été à l'encontre de l'opinion de mes commettants je devais donner ma démission de membre de la Constituante. En conséquence le 3 août, j'adressai uns lettre dans ce but à M. Robert Theurer, président, qui voulut bien insister pour que je la retirasse. Néanmoins je persistai en lui répondant que je n'avais pris cette résolution qu'après mûre réflexion. Au reste l'événement prouva que j'avais été dans le vrai puisque le 8 juin le projet de Constitution fut encore rejeté à plus de 600 voix de majorité.

octobre-décembre 1858

1 octobre 1858: Départ pour Strasbourg où je reconduis Elizabeth et Rose Terrisse à la pension. Rien de saillant dans ce voyage que je fis d'une manière assez précipitée car je couchai le soir même à Strasbourg, le lendemain à Bâle et le jour suivant à Berne, pour me retrouver à la maison le 4 et le 5 à Travers où j'allai chercher ma chère femme pour rentrer à Neuchâtel le 7 au soir.

11 octobre 1858: Course de 8 jours dans le canton de Vaud avec Cécile. Ce petit voyage s'accomplit dans les meilleures conditions. Le lundi nous couchâmes à Lausanne, le mardi à Bex, mercredi, jeudi et vendredi à l'hôtel Byron, samedi et dimanche à Lausanne. Le lundi à notre retour Georges et Mathilde dînèrent avec nous.

22 octobre 1858: eut lieu chez M. le pasteur Godet une réunion de plusieurs personnes qu'il avait convoqué dans le but d'aviser aux moyens d'améliorer la condition morale et matérielle de la classe ouvrière et pauvre. La discussion fut très intéressante et on paru se réunir à l'idée que pour obtenir une amélioration morale et fallait commencer par l'amélioration matérielle. De là la prise en considération de la proposition que je soumis à l'assemblée, de construire des logements commodes, sains et à bon marché. Comme je désirais que la Caisse d'Epargne prit une large part dans cette affaire, je réunis les jours suivants messieurs Alphonse de Pury-Muralt et Louis Quinche pour élaborer un projet de règlement. Enfin le 1 décembre nous eûmes une assemblée générale à la Caisse d'Epargne des fondateurs de la société immobilière pour la construction de logements pour les classes ouvrières et pauvres. J'en fut nommé président et on verra par la suite le résultat de nos travaux.

6 décembre 1858: Je reçu la visite d'un mien filleul François Delay de Provence, qui vint me prier de bien vouloir, de concert avec M. Henri Bourquin de la Chaux-de-Fonds, le cautionner à la Banque Cantonale pour une somme de F. 5000 dont ses frères, pierristes, avaient besoin pour leur commerce. Je me laissai aller quoique bien malgré moi à lui accorder sa demande, où égard en premier lieu à ce que monsieur Bourquin, qui connaissait mieux mon filleul que moi, y consentait lui-même et en second lieu parce que je voulais prouver que les accusations portées contre l'aristocratie de ne vouloir jamais venir en aide à l'industrie n'étaient pas fondées. Dans la même journée l'acte de cautionnement fut régularisé [Jusqu'à présent ce cautionnement a assez mal tourné. Mon filleul qui s'est sacrifié pour sa famille est mort l'année passée, sans laisser quoi que ce soit. Les frères ont bien de la peine à se tirer d'affaires, et je m'attend à une faillite dans un temps plus ou moins éloigné. Que ceci serve de leçon à mes enfants auxquels je recommande de faire tout ce qu'ils pourront pour les pauvres, mais d'éviter autant que possible les cautionnements qui réussissent fort rarement et qui souvent tournent à mécompte. Mécompte d'autant plus facheux que souvent on oublie ces actes de complaisance, qui ne vous sont que trop rappelés lorsque ceux qui en sont l'objet, viennent à faire de mauvaises affaires, ou à malverser, ce qui se voit trop souvent (note d'août 1863].

24 décembre 1858: Ne me sentant déjà par très bien et ne voulant pas quitter ce monde sans accomplir ce que je considérais comme un devoir, je me décidai à écrire à Frédéric Meuron à Paris, voici dans quelles circonstances:
Lors de sa faillite en 1830 j'avais été chargé par les créanciers neuchâtelois de soigner leurs intérêts de concert avec mes oncles Auguste François de Meuron et Paul Louis Auguste Coulon. Ces deux messieurs étant morts, je restais donc seul au fait de cette affaire. Or sachant que Meuron étant maintenant à la tête d'une brillante fortune, je résolu de faire une tentative an faveur des créancier (il est à propos de noter ici que personnellement je n'étais nullement intéressé dans l'affaire) Meuron ne tarda pas à me répondre et pour emmancher d'autant mieux l'affaire je lui écrivis encore le 29
videbimus infra

31 décembre 1858: Comme je l'ai dit plus haut je ne me sentais pas bien et c'est le dernier jour de l'année que je me décidai à consulter le docteur. Je terminai mes notes de l'année par ces mots:
"Fin désagréable d'une année qui du reste a été bénie pour nous à tant de titres, Dieu soir loué!".

Politique, 21 novembre 1858: La constitution est enfin acceptée par 5730 oui contre 3385 non.

1859

1 janvier 1859: L'indisposition dont j'avais été atteint les derniers jours de 1858, continua au commencement de 1859 et ne tarda pas à dégénérer en véritable maladie qui dura près de 4 mois, y compris une convalescence assez laborieuse et non sans souffrances se déclarant à des intervalles assez inégaux. Il y eut complication de cathare bilieuse, abcès dans l'oreille gauche et douleurs névralgiques très intenses. Peut être ce grand malaise eut-il été de moindre durée s'il n'avait été accompagné de graves inquiétudes sur la santé de ma chère femme, qui pendant le même moment fut aussi assez dangereusement malade.

Je ne m'étendrai pas pas beaucoup sur le triste état de nos santés respectives. Seulement, et pour n'y plus revenir, je noterai ici que le 26 février eut lieu une consultation pour Cécile entre les docteurs Barrelet, Anker et Favre, qui furent d'accord pour m'affirmer que son état n'était point alarmant, mais qu'ils envisageaient comme nécessaire pour elle une cure de lait d'ânesse. Je fis immédiatement les démarches nécessaires pour me procurer l'animal et la cure commença le 5 mars. Grâce à Dieu, comme nous le verrons par la suite elle eut un plein succès.

Pour ce qui me concerne je consignerai aussi que pendant plusieurs semaines, je ne pus dormir un peu qu'à l'aide de morphine, surtout pendant le courant de février et de mars, eu égard aux fortes douleurs névralgiques, qui eurent pour effet de me procurer pendant quelque temps, une espèce de vue double, qui était fort désagréable, et qui ne cessa que peu à peu et à mesure que ma santé se raffermit.

Je noterai encore qu'à plusieurs reprises pendant ma maladie j'essayai de reprendre mes occupations, mais que je dus toujours les abandonner jusqu'au 25 avril que je pus de nouveau m'y livrer définitivement.

Néanmoins et malgré ma maladie, je ne perdis pas de vue l'affaire de Meuron. Nous échangeâmes plusieurs lettres ensuite desquelles il se décida à venir à Neuchâtel où il arriva le 17 février. Ce jour-là nous eûmes déjà une conférence avec lui et Charles de Marval, choisi par lui pour nous assister.

Le lendemain 18, sur le désir de Meuron de nous adjoindre un notaire, je convoquai Alphonse Clerc et nous eûmes à nous quatre une nouvelle et dernière conférence dans laquelle il fut convenu que Meuron s'engageait à nous faire tenir une somme d'environ deux cent mille francs, au moyen de laquelle nous prenions de notre côté l'engagement, tout en la répartissant entre les créanciers neuchâtelois, d'obtenir d'eux une quittance pleine et entière. Sur quoi Meuron repartit pour Paris sans avoir vu d'autre personnes, n'étant resté à Neuchâtel que deux jours et une nuit. Du reste tout devait rester secret jusqu'à terminaison de l'affaire.

Le 14 avril 1859 je reçu une visite de mon frère qui m'annonça que M. de Perregaux savait maintenant pourquoi Frédéric Meuron avait été à Neuchâtel et qu'on l'avait appris de Fritz Dardel qui l'avait écrit de Versailles. Je pris cette note afin que, s'il en transpirait quelque chose dans le public, on ne pût nous accuser d'indiscrétion ni Marval, ni moi.

Le 29 avril 1859 enfin eut lieu la répartition des 200 mille francs. Cela fit une grande sensation dans le public et cela d'autant plus que cette restitution de la part au débiteur était loin d'être attendue. Quoiqu'il en soit, on n'a pas su d'où le coup partait, ou si on l'a appris on ne m'a jamais rien témoigné à cet endroit.

Dans le commencement de janvier M. de Pourtalès de Greng avait voulu me faire une visite, mais ce jour-là j'étais tellement souffrant que je n'avais pas pu le recevoir. Me trouvant mieux quelques jours plus tard, je voulus lui témoigner ma reconnaissance de son attention et je lui adressai le 21 janvier la lettre ci-après:

Mon cher oncle,
Quoique faible encore et ne pouvant écrire que difficilement, je sens le besoin de prendre la plume pour vous dire combien j'ai été sensible à la peine que vous avez prise de passer chez moi il y a quelques jours. J'ai éprouvé d'autant plus de regrets d'être dans l'impossibilité de vous recevoir que je ne sais quand l'occasion de vous voir pourra se représenter pour moi. Je sais bien que je pourrais tenter de me présenter à Greng et que peut-être vous auriez la bonté de m'admettre à vous rendre mes devoirs; mais vous l'avouerai-je ? courir la chance de n'être admis que par faveur est une idée qui me serait insupportable, surtout lorsque je me retrouverais dans ce salon dont je fus jadis l'un des hôtes les mieux accueillis. Et pourtant je voudrais vous revoir encore sur cette terre, je voudrais (ne fût-ce qu'une fois) vous témoigner la profonde vénération que j'ai pour vous, vénération qui ne peut être égalée que par celle que j'avais pour mon père; je voudrais aussi vous exprimer, ainsi qu'à ma cousine toute la reconnaissance que j'éprouve pour toutes les bontés dont pendant de longues années années vous n'avez cessé de me combler; je voudrais enfin chercher à vous convaincre que si, aux yeux de certaines personnes, j'ai eu des tords graves et si j'ai des défauts, l'ingratitude au moins n'est pas au nombre de ces tords, ni de ces défauts.

Voilà, mon cher oncle, ce qui m'aurait vivement fait désirer de pouvoir vous recevoir lorsque vous avez pris la peine de lasser à la maison.

Maintenant, mon cher oncle, l'avenir est dans les mains de Dieu; quel sera cet avenir pour moi ? je l'ignore. Mais quel qu'il soit, veuillez être persuadé, ainsi que ma cousine, que les sentiments exprimés ci-dessus sont des sentiments vrais et que s'il y manque quelque chose c'est de ne pouvoir les exprimer encore d'une manière plus complète.

Madame de Pourtalès répondit par retour du courrier:

C'est moi, mon cher François, qui me charge de répondre à votre affectueuse lettre, qui nous a touché et peinés en même temps, car vous semblez être inquiet de nos sentiments à votre égard. Si nous n'avons pas toujours partagé votre manière de voir sur des choses au fond assez indifférentes, nous n'oublierons jamais ce que nous avons été les uns pour les autres pendant tant d'années, et ce que nous serons toujours, je l'espère. Avec l'âge on prend des susceptibilités, on s'exagère aussi bien des choses et on ne s'épanche plus comme dans sa jeunesse, ce qui peut faire supposer que les affections ont changé.

Votre oncle a regretté de ne pas vous voir et nous avons été bien fâchés d'apprendre que vous étiez souffrant. Nous espérons que vous vous remettrez bientôt complètement et que vous viendrez voir de vieux et bien tristes ermites, dans ce Greng qui a été témoin des réunions si fidèles de vos chers parents. Leur souvenir béni présidera à notre bien cordial accueil et nous serons heureux de vous revoir, soyez en bien persuadé.

Ces deux pièces me dispensent d'entrer dans de plus grands développements sur l'objet dont il était question. Je dirai seulement que le refroidissement durait depuis le 3 septembre 1856 et depuis mes agissements dans cette triste circonstance.

7 février 1859: Georges fit ce jour-là sa première plédoirie à la Cour d'Appel. On me dit qu'il ne s'en tira pas trop mal. Quoiqu'il en soit il reçu quelques jours après son brevet qu'il m'apporta le 18 février.

Le 18 avril 1859 je paris pour Strasbourg où je devais me rendre pour la ratification de ma chère fille. Mais voulant faire d'une pierre deux coups je profitai de ce petit voyage pour visiter la cité ouvrière de Mulhouse. A cet effet j'engageai Gustave du Bois à m'accompagner dans cette dernière ville où nous arrivâmes de bonne heure dans la soirée. Nous nous rendîmes immédiatement chez Edouard Vaucher qui le lendemain 19 se mit à notre disposition. Nous employâmes toute notre matinée à parcourir la cité et à nous munir de tous les renseignements propres à nous venir en aide dans l'oeuvre de même nature que nous devions entreprendre à Neuchâtel. Nous prîmes beaucoup de notes, du Bois entre autres, notes qui plus tard ont été d'une grande utilité. Nous dinons ensuite chez Vaucher qui nous reçu de la manière la plus cordiale; dans la soirée nous quittâmes Mulhouse, moi pour continuer mon voyage et du Bois pour revenir à Neuchâtel.

Le 20 avril 1859: je passai une partie de la journée avec ma chère fille qui devait ratifier le lendemain. Malheureusement ne sachant pas l'allemand je ne pus assister à la cérémonie qui eut lieu dans l'après-midi, mais pour m'en dédommager je communiai, quoique très souffrant, dans le temple réformé. Après sa confirmation et dans la soirée Elizabeth vint passer une heure et demie dans ma chambre à l'hôtel. Je comptais rester encore quelques jours auprès de cette chère enfant, mais le lendemain, étant toujours souffrant, je me décidai à repartir pour Neuchâtel où j'arrivai le 23 après avoir couché à Bâle.

Evénements de famille, 16 février 1859: Mariage d'Hélène Pury avec le Dr. Barrelet. Ces époux me font une bien gentille visite après le mariage civil.

Le 18 février 1859 eut lieu la mort de madame Fanchette Mosset. Après avoir été domestiques dans la maison, avait toujours été considérée par ma mère et par nous tous comme un membre de la famille. Cette distinction, si distinction il y a, lui était bien due eu égard aux nombreux et bons services qu'elle nous avait rendus à tous, soit comme domestique soit depuis qu'elle était sortie de notre maison à cause de son mariage.

24 avril 1859: Naissance de Paul, fils de Frédéric de Perregaux et de ma nièce Madeleine, fille de mon frère.

Le 11 avril 1859 j'apprends que les soeurs hospitalières (catholiques) ont demandé leur congé de l'hôpital Pourtalès à bref délai. La direction est réunie pour faire immédiatement une demande auprès des diaconesses de Strasbourg.

Le 1 mai 1859 je fus informé que, à l'occasion de l'affaire Meuron. M. de Perregaux qui était primitivement un des plus forts créanciers, se plaignait très haut de ne pas avoir été compris dans la répartition. J'en parlai à son fils Fritz en lui annonçant que le fait était vrai, mais que Meuron prétendait que son père avait reçu plus que les autres créanciers, même après la répartition faite. Au reste le lendemain j'eus l'occasion de m'en expliquer avec lui. Mais il se borna à m'affirmer qu'il ne s'était plaint à personne et qu'il avait purement et simplement répondu aux gens qui lui en parlaient: "soyez tranquilles, je recevrai ce qui me revient."

Voilà une énigme dont je n'ai jamais eu la solution. Avait-il reçu quelque chose antérieurement, ainsi que l'affaire Meuron, a-t-il au contraire reçu quelque chose après la répartition, c'est ce que j'ignore complètement

Au reste je pris occasion de cette conversation pour le mettre au fait de mes agissements dans cette affaire, depuis ma lettre du 24 décembre, en lui expliquant les motifs qui m'avaient engagé à l'écrire.

2 mai 1859: Jusqu'à présent j'avais conservé chez moi les livres de compte de l'hoirie Tribolet. Une fois la répartition Meuron intervenue, je pensais qu'ils ne devaient plus rester chez moi et après les avoir réglés d'une manière définitive, sauf quelques affaires en très petits nombre restant à liquider, je les envoyai à mon beau-frère Tribolet représentant naturel de l'hoirie de sa mère.

14 mai 1859: Nous allâmes nous installer à Travers pour y séjourner jusqu'au 31 juillet. Je n'ai rien de très particulier à noter sur ce séjour, si ce n'est que ma santé s'y remit complètement ou à peu près, grâce, je crois à la tranquillité dont nous y jouimes et beaucoup aussi aux longues et nombreuses promenades que je pris à tâche de m'imposer.

C'est aussi de ce séjour que datent principalement mes relations intimes avec la cure et très spécialement avec M. le pasteur Blanchard.

Le 31 juillet 1859: nous allâmes nous installer aux Ruillères et quoique nous n'y restâmes que peu de temps nous y eûmes de nombreuses visites et réceptions sur invitation.

Le 11 août 1859 je quittai la montagne pour aller à Strasbourg chercher notre chère fille. Le voyage se fit très heureusement. J'arrivai le 12 au soir à Strasbourg pour en repartir le 16. Le 14 j'eus le plaisir d'entendre M. le pasteur Cuvier et le 15 j'assistai aux différents épisodes de la fête de l'Empereur avec messieur de Courtigis, d'Hauteville son gendre et Edmond de Pourtalès. Arrivés déjà dans la soirée du 16 à Berne où nous prîmes nos quartier au Berner Hof; nous nous trouvâmes dans cet excellent hôtel en même temps que l'Impératrice de Russie, accompagnée d'une suite très nombreuse. Malgré cela le service des voyageurs ordinaires n'en souffrit pas le moins du monde. C'est une justice que je me plais à rendre à M. Kraft le tenancier de l'hôtel. Encore dans la soirée nous fîmes une visite à Elize Tribolet. Le lendemain nous partîmes de Berne à 10 1/2 h, par la diligence pour arriver à 4h à Neuchâtel, où nous trouvâmes ma chère femme qui elle aussi pendant mon voyage avait définitivement quitté les Ruillères.

Nous restâmes à Neuchâtel du 17 au 23 à cause des premières couches de Mathilde, laquelle le 19 à 10 1/4 h du soir, mit au monde un gros garçon lequel à ma demande a été nommé Georges.

Le 23 août 1859 nous remontâmes en famille à Travers où je repris la vie que j'y avais menée jusqu'à la fin de juillet.

28 août 1859: Depuis les événements de 1856 un grand refroidissement, pour ne pas dire une rupture, s'était opéré dans mes relations avec les Pourtalès de la Mettle. Madame de Pourtalès ayant écris à l'occasion de la naissance du petit
Georges de Montmollin une lettre très aimable à ma femme, je crus que l'occasion était bonne pour tenter un raccommodement. J'annexe ici les deux lettres qui furent échangées à cette occasion et je me borne à cela, me réservant d'y revenir prochainement:

Travers 28 août 1859
Je ne puis assez te dire, mon cher Fritz, à quel point j'ai été sensible aux quelques lignes que tu as ajouté à la lettre si affectueuse de ta femme à la mienne, à l'occasion de la naissance de mon petit fils.

Tu y parles à deux reprises de notre vieille amitié. De moi à toi cela ne peut faire aucun doute, car j'ai toutes sortes de motifs pour t'être attaché et plus que tu ne crois, peut-être. Toi et ta femme, vous m'avez ainsi que ma famille, comblé de toutes manières et certes je serais un ingrat si je ne le reconnaissais pas en toutes circonstances. Mais de toi à moi peut-il en être de même ? Je ne le pense pas, parce que toute amitié solide doit être basée sur une estime réciproque, Or sous ce rapport quelles différences entre nous deux ! Tandis que la mienne vis-à-vis de toi est pleine et entière attendu que je me plais à reconnaître hautement que dans les circonstances où tu t'es trouvé, tu ne pouvais agir autrement que tu l'as fait; que bien plus ta conduite à été pleine de courage et de loyauté, même chevaleresque, il est impossible, à mon point de vue du moins, que cette estime vraie que j'ai pour toi, tu puisses l'avoir pour moi. En effet j'ai été accusé de bien des choses et je dois convenir même que j'ai commis quelques actes, qui si les uns sont vrais et les autres inexpliqués, doivent m'avoir singulièrement nui dans ton esprit et à juste titre. Voilà donc pourquoi je dis que ton amitié pour moi ne peut être basée sur l'estime. Or c'est cette estime que je voudrais reconquérir, en niant quelques uns des faits qui me sont reprochés et en expliquant les autres.

Je sais que tout ce que tu redoutes c'est de revenir sur le passé, mais ne crains rien, mon cher ami, si tu consent à ce que je te donnes des explications, ce n'est point pour récriminer. J'en prends l'engagement formel. Je n'incriminerai les actes de personnes; mon seul but est de me disculper et je sens parfaitement que je puis le faire, j'en ai la certitude sans prononcer une seule parole ou écrire un seul mot qui puisse faire la moindre peine à quiconque.

D'ailleurs, mon cher ami, qui te dit que, maintenant nous soyons divisés d'opinion. Peut-être si tu accèdes à ma première, seras-tu étonné de notre accord.

Je viens donc te supplier de m'accorder une entrevue dans un temps plus ou moins éloigné et dans un moment que tu fixeras toi-même.

Si j'insiste autant auprès de vous, mes chers amis, cela vous montrera à quel point je tiens à renouer des relations d'amitié vraie, momentanément interrompues.

J'attends donc votre réponse en vous affirmant que, quelle qu'elle soit, je n'en conserverai pas moins pour vous les sentiments d'une affection et d'une reconnaissance toute particulière.

Réponse de Fritz Pourtalès

La Mettle 5 septembre 1859
Mon cher François

Je ne veux pas tarder davantage à venir te dire combien j'ai été touché de l'expression de tes sentiments envers moi, dont au reste, je t'assure, je n'ai jamais douté une minute. Notre mutuelle amitié est ce qu'elle doit être, de bon aloi, soit en sus et en dehors de la politique. Quand à celle-ci, si tu veux m'en croire, nous la laisserons de côté, car nous pourrions difficilement nous entendre avec nos vues et nos actes complètement divergents du passé. Du reste, mon cher ami, ma femme et moi, aurions un grand désir de te voir à la Mettle cet automne et si tu nous fait ce plaisir, je ne me refuserai naturellement jamais à t'entendre sur tout ce qui pourrait t'être agréable de me dire.

Nous avons appris avec un grand regret que ma chère cousine s'était un peu fatiguée dans sa course à Neuchâtel, etc. etc.

4 mai 1859: Installation comme ministre du Saint Evangile de mon neveu Albert de Pury.

6 août 1859: Mon frère m'annonce confidentiellement le mariage de son fils Jean avec Sophie de Pourtalès.

19 août 1859: Naissance du petit ou du gros Georges, comme on voudra !

Faits divers, 22 juin 1859: Début de la construction du Banc Couvert que je fais établir à mes frais sur la terrasse de Travers, sous la direction d'un M. Lockhardt, ingénieur au Franco-Suisse et d'après ses plans. Il fut inauguré le 27 par un café offert aux habitants de la Cure.

5 juillet 1859: Dans la matinée et au moment où je travaillais dans ma chambre, ma belle-soeur vient m'annoncer qu'un M. Rosseux St.Hilaire, qu'elle prend pour un commis voyageur est au salon. Après une minute de réflexion je ne doute pas d'après ce qu'elle me dit, que ce soit M. Rosseux St.Hilaire et je descend de suite pour l'engager à dîner. En effet c'était bien lui. Il venait de la part de son ami Keller s'informer d'elle et des Pury; car M. Keller s'était trouvé aux Bains de mer en même temps qu'eux et ils avaient fait très bonne connaissance. J'engageai le pasteur à venir prendre le café et nous eûmes une conversation des plus intéressantes. Comme M. Rosseux allait aux Ponts, pour assister à l'assemblée de la Tourne le lendemain et qu'il voyageait à pied, nous l'accompagnâmes, le pasteur et moi, jusqu'au Mont, chez M. l'ancien Henri Jeanneret où on le mit sur le bon chemin pour arriver à destination. Il m'est resté de cette journée l'impression la plus agréable, eu égard aux détails pleins d'intérêts dans lesquels M. Rosseux St.Hilaire est entré sur sa conversion au protestantisme et sur les événements et les motifs qui l'ont engagé à embrasser notre religion.

Le 20 juillet 1859 dans une promenade que nous fîmes avec le pasteur pour accompagner M. Humbert, pasteur de la Sagne qui allait avec son fils au Creux du Vent. La fermière des Oeillons nous dit que la veille, tard dans la soirée, le fermier du Soliat avait vu l'ours en descendant (dans ce moment il était beaucoup question d'un ours existant dans ces parages) Elle ajouta que ses enfants avaient aussi vu cet animal et enfin que les vaches ne voulaient absolument pas rester dans un certain endroit du pâturage, quoi que l'on fit pour les y garder. Que croire ? Le fait est que jamais je n'en ai plus entendu parler.

Nous séjournâmes encore à Travers pendant tout le mois de septembre. Je continuai mes promenades, tantôt seul, tantôt avec le pasteur et Paul Meuron, qui à cette époque était employé comme ingénieur sur la ligne en construction du Franco-Suisse et qui avait pris domicile à Travers. Nous quittâmes le vallon le 27 septembre parce que Elizabeth devait être rendue à la pension le 1 octobre.

Aussitôt arrivés à Neuchâtel et après le départ de notre chère fille, nous nous décidâmes à aller passer quelques semaines à l'hôtel Byron près de Villeneuve, où nous arrivâmes le 2 octobre. Ayant appris que les Pourtalès-Steiger étaient à Vernex, nous allâmes dès le lendemain leur faire une visite. Cette fois il ne fut question que de choses banales, mais j'y retournai le lendemain pour avoir avec Fritz une conversation sérieuse, dans laquelle je commentai la lettre que je lui avais écrite naguère, en lui donnant les explications les plus complètes et les plus franches sur ma conduite lors des événements de 1856. Il parut satisfait et nous nous quittâmes les meilleurs amis du monde, au moins en apparence. Le soir même ils vinrent nous rendre notre visite et repartirent pour la Mettle dès le lendemain [On verra par la suite que ce rapprochement n'avait rien de bien sérieux et qu'en définitive ce n'était que du replâtrage (note d'août 1863)].

Je note encore ici que pendant notre séjours à l'hôtel nous fûmes durant plusieurs jours voisins de la duchesse de Cambridge, accompagnée de la duchesse de Mecklembourg Schwerin et d'une suite assez nombreuse. L'Impératrice de Russie (douairière) qui occupait alors l'hôtel des Trois Couronnes à Vevey, vint aussi passer un après-midi à Byron, mais seulement après le départ de la duchesse.

Nous ne repartîmes de l'hôtel que le 24 octobre pour revenir nous fixer définitivement à Neuchâtel. Cependant dans les premiers jours de novembre, nous passâmes encore trois jours à Travers chez ma belle-mère.

A la fin de décembre, trouvant que le corridor de notre logement était un peu froid, j'y fit faire quelques réparations dans le but de remédier à cet inconvénient et j'y fis entre autres établir un poêle, mais cette opération, qui occasionna beaucoup de travaux n'a pas été couronné d'un grand succès.

Le 5 novembre 1859 eut lieu l'inauguration du Franco-Suisse (ligne du littoral). Je fus invité et j'assistai à la première course Neuchâtel-Vaumarcus, de Vaumarcus au Landeron et retour à Neuchâtel. Mais je ne fus pas invité au banquet qui au retour fut offert à l'hôtel de ville.

Le 18 novembre 1859 mort de madame de Sandoz-Rollin, née Chambrier

1860 janvier-avril

Dans les premiers mois de cette année, ma santé fut assez bonne pour que je puisse reprendre mes fonctions avec courage; de sorte que, à très peu d'exceptions près, je me rendis tous les jours, plutôt deux fois qu'une, soit à la Caisse d'Epargne, soit à la Banque et que, indépendamment de ces deux établissements, je m'occupai avec suite des travaux de la société immobilière.

Le 2 janvier 1860 en place du premier qui était un dimanche nous eûmes le dîner de Nouvel An. Si je note cette circonstance c'est que, outre les convives habituels, mes enfants, mon frère et sa famille, nous eûmes Sophie de Pourtalès, la fiancée de mon neveux Jean, Maurice de Pourtalès et sa femme, puis un jeune Kessler de Lisbonne, neveu de madame Ferdinand DuPasquier et par conséquent cousin germain de ma belle-fille Mathilde.

Du 3 au 8 mars 1860 je me borne à copier les notes prises à la fin de mon carnet.

Ces journées ont été pour moi fécondes en épisodes et émotions de plus d'un genre. A l'occasion du mariage prochain de mon neveu Jean, je devais nécessairement renouer des relations avec une partie de la famille Pourtalès, que j'avais presque complètement perdue de vue depuis les événements de septembre 1856. Le lundi 3 mars mon frère m'engagea à assister au contrat qui devait se célébrer chez Louis de Pourtalès et ce dernier m'invita au dîner qui devait suivre cette cérémonie. Ce ne fut pas sans éprouver une certaine émotion que je me retrouvai dans un salon où je n'avais pas remis les pieds depuis maintes années. Toutefois les choses se passèrent mieux que je n'aurais osé l'espérer. Louis surtout et sa femme furent très aimables, de sorte que, après quelques instants d'hésitation, je fus parfaitement à mon aise. Le mercredi 7 était le jour de la noce. Comme parrain de Jean je fus invité à faire partie du cortège et tout se passa fort bien quoiqu'il fit un temps de neige et de bourasques bien conditionné. Il y avait huit voitures ce qui compliquait un peu les affaires. Le dîner qui eut lieu après la prière fut somptueux et très bien ordonné et servi. C'était chez mon frère. On fut à table depuis 5h à 8 1/4 h. On proposa force santés plus ou moins sincères. Quoiqu'il en soit tout alla au mieux sauf quelques petits coups d'épingle à mon adresse, sur lesquels du reste je ne m'étendrai pas. Je m'éclipsai avant le café et à 8 1/2 h j'étais rentré.

8 mars 1860: Direction de la Caisse d'Epargne. Je fais une proposition qui produit une assez grande sensation sur les membres de l'assemblée, c'est de porter de 3 1/2 à 4% l'intérêt bonifié aux déposants et cela à partir du 1 janvier 1861. Cette ouverture est en général très bien accueillie et on renvoie au Comité l'examen de la question pour en faire rapport à la session d'octobre où on prendra une résolution définitive. Si je me suis décidé à faire cette proposition, c'est à cause de la situation prospère de la Caisse qui à la vérité, n'accuse au public qu'un fonds de réserve de
F. 655'000.-   mais il faut y ajouter
250'000.-   montant d'un fonds de ducroire particulier et environ
300'000.-   d'intérêt arriérés, et tous les prorata d'intérêts dus ou non, compris dans le bilan décembre 1859
------------------
F. 1205'000.-   qu'on doit envisager comme des économies réelles

15 mars 1860: A cette époque je commençai à avoir des relations un peu suivies avec le professeur Desor. Sans pouvoir assigner à cette date aucun fait particulier, je consigne ce pendant cette circonstance, attendu que plus tard je serai probablement dans le cas de revenir sur ces relations.

6 avril 1860: Je reçu ce jour-là une lettre du Conseil d'Administration de "La Suisse", compagnie d'assurances sur la vie humaine à Lausanne, m'annonçant qu'on m'avait nommé membre du dit conseil. J'acceptai avec empressement, étant passablement intéressé dans cette entreprise. J'ai conservé ces fonctions pendant trois ans, mais les déplacements fréquents qu'exigeait cette place étant assez fatiguant je donnai ma démission dans le courant de l'année 1863.

Le 10 avril 1860 un peut curieux de revoir notre chère fille Elizabeth, nous nous décidâmes, ma femme et moi, à faire un petit voyage à Strasbourg et nous allâmes d'abord à Bâle où nous avons quelques amis à voir. Dégoutés des Trois Rois où nous avions été fort mal servis lors d'un précédent voyage, nous descendîmes dans un modeste hôtel "La Couronne", où nous fûmes par contre aussi bien que possible.

Le lendemain nous arrivions à Strasbourg dans l'après-midi. Après nous être installés à l'hôtel de l'Angleterre nous nous rendîmes immédiatement à la pension Friedel où nous eûmes la joie de retrouver notre chère enfant en très bonne santé. Le 12 fut employé à faire des commissions et à voir différentes choses, entre autres la manufacture de tabacs que je visitai dans le plus grand détail, en compagnie d'un monsieur Stoss, jeune homme des plus obligeant et qui se mit à notre disposition pendant notre séjour.

13 avril 1860: Ayant obtenu pour notre nièce Sophie de Pury, diaconesse, l'autorisation de la prendre avec nous pour quelques jours nous partîmes de Strasbourg Cécile, Sophie, Elizabeth et moi par le train direct de Bâle Cologne par la rive gauche du Rhin. Passant pas Wissembourg, Landau, Neustadt et Ludwigshafen, nous primes une voiture à Mannheim pour Heidelberg où nous descendions dans la soirée à l'hôtel du Prince Charles. Notre première course fut consacrée à aller voir Mlle Octavie de Dietrich de Niederbronne, maintenant madame de Joannis, alors en pension à Heidelberg, et l'une des meilleures amies d'Elizabeth.

14 avril 1860: Nous visitons en détails le vieux château. Octavie dîne avec nous. A 3h nous partons pour Bade où nous arrivons à 8h. Nous descendons à l'hôtel de Hollande où nous sommes bien et pas trop cher, eu égard à la saison peu avancée.

15 avril 1860: Cécile et Elizabeth vont au culte allemand auquel et pour cause je n'assiste pas. Nous employons le reste de la journée à visiter la Favorite, puis le vieux château. Nous repartons de Bade à 7h pour arriver à Achern à 8h, où nous logeons à l'hôtel de la Poste.

16 avril 1860: Nous prenons une voiture pour visiter les environs d'Achern, spécialement le monument de Turenne et Illenau, vaste établissement pour les aliénés. Ma chère femme qui y avait passé quelques temps mais avec sa mère et sa soeur il y a plusieurs années tenait beaucoup à le revoir et surtout quelques membres de la famille Roller, dont le chef était directeur de l'établissement. Nous revînmes à l'hôtel pour dîner. Nous repartîmes d'Achern à 3 heures pour arriver à Strasbourg à 5h.

17 avril 1860: Temps magnifique mais assez froid. Malgré un gros rhume je me promène beaucoup dans la matinée. Après dîner conférence avec mademoiselle Friedel relative à Louise de Meuron, dont la santé n'est pas bonne et que nous nous décidons à reconduire à Neuchâtel, à moins de contre-ordre de ses parents par le télégraphe. Visite à monsieur Kaucher, pasteur, dont les excellentes leçons et la profonde piété ont eu une si heureuse influence sur notre chère fille.

18 avril 1860: Avant dîner, commissions en ville. Dans l'après-midi M. Stress vient me prendre pour me conduire à la bibliothèque publique puis à la Caisse d'Epargne. Dans la soirée je vais au théâtre entendre Othello, vieux souvenir de 30 ans. Orchestre excellent, acteurs mauvais, quelques chanteurs passables.

19 avril 1860: Encore M. Stress. Il me conduit à la fonderie impériale de canons. J'y retourne l'après-midi par autorisation spéciale voir fondre seize pièces. C'est l'affaire d'un quart d'heure. Nous avions invité à dîner Mathilde DuPasquier et Marie Berthoud. Dans la soirée repos et préparatifs de départ.

20 avril 1860: Dernière visite à la pension où nous laissons Elizabeth. Départ 3h 20 avec Mlles Laure DuPasquier et Louise Meuron. Nous nous logeons de nouveau à la Couronne et Maurice DuPasquier vient souper avec nous.

21 avril 1860: Départ de Bâle à 10 1/2 h par la neige. Le voyage se fait sans incident remarquable et nous arrivons à Neuchâtel à 4 1/2 h en bonne santé. Pendant la route le temps s'était amélioré.

Evénements de famille:
Le 11 janvier 1860 on annonce le mariage d'Alphonse DuPasquier avec Mlle Eugénie de Pierre
29 janvier: mort de Mlle Henriette DuBois, cousine de ma première femme
18 février 1860:mort à Colombier de notr cousine Marie de Luze

mai-septembre 1860

18 mai 1860: Depuis plusieurs années j'avais eu très peu de rapports avec les Pourtalès de Greng. Cette rupture de relations était due à des raisons que je crois avoir déjà mentionnées et surtout à madame dont l'humeur n'était pas toujours très égale. Profitant d'un court séjour qu'elle faisait à Paris et désirant rendre encore une fois mes devoirs à notre oncle qui était déjà assez malade, nous nous décidâmes Cécile Coulon et moi à aller passer quelques heures avec lui. Nous fûmes reçus de la manière la plus affectueuse et nous nous félicitâmes d'autant plus d'avoir fait cette course que c'est (au moins pour ce qui me concerne) la dernière fois que je l'ai vu dans ce monde.

Le lendemain 19 j'allai m'établir à Travers où ma femme m'avait précédé. Ce séjour, sauf un épisode que je relaterai dans un moment, n'offrit rien de bien remarquable. Je noterai toutefois que je fis de nombreuses et longues promenades

18 juin 1860: Voici l'épisode tel que je l'ai relaté le même jour dans mon carnet de notes. Je me borne à copier. A 8h en nous promenant avec M. Blanchard, nous avons vu depuis la route, près de la Combe Jeanrenaud, le train d'essai du Franco-Suisse, allant de Neuchâtel aux Verrières. A 10h curieux de voir redescendre le convoi, je retournai sur la voie ferrée et je vis au stand des cibles et des préparatifs de tir. Informations prises, j'appris que les compagnies de tir de Travers, mécontente du Franco-Suisse, avec lequel elles sont en difficulté pour l'indemnité leur revenant pour l'abolition du stand, voulaient avoir une vauquille [Ensemble des enjeux ou des prix qui peuvent être gagnés au jeu des neuf quilles ou au tir à la carabine] sans s'inquiéter du convoi qui allait redescendre. Je me promenais depuis un moment lorsque j'aperçus au-dessus de l'ancien cimetière et sur la voie un drapeau rouge soutenu sur le rail par des pierres de moyenne grosseur. Estimant que ces pierres pourraient être dangereuses pour le train descendant je cherchai Elie Montandon pour lui manifester mes doutes. Ne le trouvant pas (il est employé au chemin de fer) je priai Albert d'Ivernois de tâcher de le voir. Pendant que cela se passait je retournai sur la voie ferrée (il était 11 1/2h). Dans ce moment les pierres étaient enlevées et le drapeau planté dans une traverse placée à quelque distance de la voie, de sorte que celle-ci était parfaitement libre. J'étais dans l'attente lorsque, un peu avant 2h mon domestique vint me prévenir qu'on entendait le train. Je me transportai immédiatement sur la voie derrière le temple. Le train s'arrêta et je prévint les personnes qui en faisaient partie qu'il y aurait pour elles des dangers à vouloir forcer le passage, parce que les gens de Travers étaient excessivement montés et qu'on pourrait très bien leur tirer dessus. Ces personnes, au nombre desquelles étaient messieurs Jacot-Guillarmod, Fritz Lambelet, administrateurs, Versigny, secrétaire général, Cuénod, ingénieur, etc., etc. envoyèrent M. Guillarmod au stand. Il revint quelques minutes après, annonçant que l'affaire était arrangée. En effet le feu cessa momentanément et le convoi passa. Je ne sais ce que tout cela donnera, mais ce qui est positif, c'est rigoureusement les tireurs étaient dans leurs droits, ce que du reste M. Jacot-Guillarmod a parfaitement reconnu, car la difficulté dure depuis plus d'un an et malgré les nombreuses démarches des sociétés de Travers, elles n'ont pas encore pu obtenir une solution, ce qui serait pourtant bien facile.

En effet le vendredi 29 juin la commission fédérale d'estimation a terminé l'affaire par un jugement accepté par les sociétés de tir; mais sur l'appel du Franco-Suisse le procès a été repris et définitivement jugé en faveur des mêmes corporations, par une sentence arbitrale prononcée au château de Travers, par messieurs Bloesch, juge fédéral, Alphonse Henri Clerc, nommé par le Franco-Suisse, et moi par les sociétés de tir. C'était le 10 octobre.

Le 30 juin 1860 désirant faire connaitre ma montagne de la Dame à mes enfants, nous nous y acheminâmes par la route de Chaumont avec une voiture à deux chevaux et un char à bancs. La caravane était composée de Georges, Mathilde et Elizabeth, madame Eugénie DuPasquier, Marie Coulon, M. et Mme Perrin que nous primes en passant à Chaumont. Ma chère femme n'était pas assez bien pour affronter une journée aussi fatiguant. Ce fut une partie passablement manquée, car nous eûmes la pluie presque toute la matinée et une partie de l'après-midi. Si je mentionne cette course c'est que c'est la dernière fois que j'ai vu la Dame, jusqu'au moment où je l'ai vendue à Alexandre de Pourtalès, ce que nous verrons plus loin.

Le 18 juillet 1860 nous allâmes nous établir aux Ruillères d'où nous redescendions à Travers le 15 août.

Evénements de famille:
Le 29 mai 1860 mort de notre cousine madame de Chambrier Chaillet qui avait épousé en première noces notre cousin François de Montmollin, fils de M. de Montmollin-Brun, qui mourut à l'époque de ma naissance à Sinigaglia où il était allé faire la foire pour la maison de commerce.
7 septembre 1860: Ma belle-mère, âgée de plus de 80 ans descend à pied des Ruillères avec ma belle-soeur Marie.
11 septembre 1860: Notre cousin, M. François Borel, consul suisse à Bruxelles, vient passer la journée avec nous. C'était la dernière fois que noue devions le revoir, car depuis cette époque il est mort sans être revenu en Suisse.

Faits divers, 9 mars 1860: Enterrement de madame Zode à laquelle ma première femme s'était singulièrement attachée.
18 mai 1860: Mort de Mlle Drose qui avait été institutrice dans la famille de madame de Tribolet-Vaucher et avec laquelle on avait conservé d'excellentes relations.
4 juillet 1860: Un incendie consume une grande partie du village de Fenin.

24 juillet 1860: Inauguration du Franco-Suisse. Ayant reçu une carte d'invitation, j'assistai au parcours de la ligne à Pontarlier et retour à Neuchâtel où un magnifique dîner fut offert aux invitée de la compagnie. A cette époque tout était couleur de rose; dès lors on a marché de déception en déception et au moment où j'écris ces lignes (juin 1864) les actions de F. 500 sont offertes à 80 ct. Néanmoins deux circonstances sont de nature à faire mieux augurer de l'avenir de cette ligne; L'un, l'ouverture de la ligne Bienne-Berne, l'autre la fusion des compagnies de la Suisse Occidentale qui est un fait accompli sauf la ratification des actionnaires des compagnies qui se réunissent tous le même jour, soit le 11 juillet prochain dans le chef-lieu respectif des compagnies.

octobre-décembre 1860

Le 18 octobre 1860 nous quittons Travers pour nous domicillier de nouveau à Neuchâtel.

Le 21 octobre 1860 je trouve ce qui suit dans mon carnet de notes:
Depuis plusieurs mois je m'étais borné, pour prendre des notes, à mon carnet de poche. Aujourd'hui (cela durera-t-il?) je sens le besoin de leur donner un peu plus d'extension, c'est pourquoi je reprends le cahier. Hier j'ai fait une longue visite au professeur Desor, en sa qualité de vice-président de la société d'utilité publique pour lui parler du désir qu'aurait M. William Rey, directeur de "La Suisse" compagnie d'assurance sur la vie, que la dite société prît en quelque sorte notre compagnie sous son patronage. Il m'a paru bien disposé et m'a autorisé à le mettre en rapport avec M. Rey. En conséquence j'ai écrit à ce dernier pour l'engager à venir passer quelques heures à Neuchâtel; Je l'inviterai à dîner avec Desor et ainsi la connaissance sera faite. Outre cet objet j'ai eu avec Desor une longue conversation politique, de laquelle il me parait résulter que s'il est dans les rangs de nos radicaux, c'est qu'il se fait une étrange idée des conservateurs. Il ne les connait pas et ne les juge que sur des ouï-dire et des appréciations plus ou moins fausses. Je tâche et tâcherai encore de modifier ses idées à cet endroit. J'essaie même de lui parler de religion, car j'ai pu m'apercevoir qu'il y avait chez lui un grand désir d'être éclairé; cela résulte de deux conversations que nous avons eues ensemble le printemps dernier. A cet effet je lui envoie l'ouvrage de M. Wilberforce sur le christianisme des gens du monde. Nous verrons ce que cela donnera. (jusqu'à présent, grâce aux influences auxquelles il est soumis, soit de Vogt et consorts, cela n'a pas donné grand chose, Juin 1864)

5 novembre 1860: Me trouvant à la banque, j'y rencontre le contrôleur de cet établissement, M. Frédéric Verdan, qui me demande un moment d'entretien. Je le conduis chez moi et il m'annonce que, étant un des souscripteurs du million emprunté à la confédération pour les besoins du Jura Industriel, il a appris que le conseil fédéral demandait le remboursement pour le 1 janvier; que malgré les promesses qu'on a faites aux garants de les indemniser de toutes pertes il est évident que dans l'état où se trouve cette déplorable entreprise, cette promesse n'aboutira à rien; qu'il sait que quelques uns des garants veulent se mettre à couvert en faisant des cessions fictives de leurs fortunes, qu'enfin il me prie de lui dire ce que je ferais dans une aussi cruelle éventualité. Je lui réponds immédiatement qu'un honnête homme n'a que route à suivre, celle de la loyauté, quelles que puissent en être les conséquences. Il me remercie avec effusion et m'annonce que maintenant son parti est irrévocablement pris et qu'il ne restera pas un denier de sa fortune. Je le remercie de sa confiance et le félicite de sa détermination, puis il part, le coeur bien gros, mais évidemment fort soulagé.

Hélas! peu de mois après cet entretien j'accompagnai son convoi funèbre des Isles à Boudry.

Le 7 novembre 1860: J'eus encore une longue conversation avec Desor sur les mêmes sujets que précédemment. Le lendemain il vint dîner chez moi avec M. Rey et ils convinrent entre eux que le meilleur moyen pour entrer dans les vues de M. Rey serait que ce dernier donnât une séance sur les assurances sur la vie, lorsque la société d'utilité publique reprendrait ses conférences. (C'est ce qui eut lieu dans le courant de l'hiver)

23 décembre 1860: Comme il faisait très froid, ma femme et mes enfants me firent cadeau par anticipation sur le jour de l'an d'une très belle pelisse qui me fit et me fait encore un immense plaisir.

31 décembre 1860: Les apparences de fin d'année sont des plus tristes. Le Jura Industriel a déposé son bilan, mais ce n'est pas tout. L'association immobilière du Locle est hors d'état de satisfaire à ses engagements. L'Union horlogère ne bat que d'une aile. Qu'est-ce que tout cela donnera ? L'avenir est bien sombre. Puissent mes prévisions ne pas se réaliser. (jusqu'à présent elles ne le sont pas toutes, mais sommes-nous au bout ? juin 1864)

Faits divers, 20 novembre 1860: Enterrement de madame MacKenzie née Robert à Boudry. Georges avait été en pension dans cette maison pendant son instruction religieuse avant sa première communion avec M. Quinche.

1861

10 janvier 1861: Visite de M. Aimé Humbert, directeur de l'Union horlogère pour l'affaire Hipp (construction de télégraphes électriques). Il parait que l'affaire ne marche pas et il vient voir, au moins si je l'ai bien compris, si la Caisse d'Epargne ne pourrait pas la remettre à flot. Je ne lui cache pas que cela est bien difficile, attendu que tout cela a été fort mal mené et que, avec une société en commandite, telle qu'elle est constituée, jamais cela ne marchera, surtout sous la direction de l'Union horlogère. La confiance ne se commande pas et je ne vois, quand à moi, qu'une société anonyme qui puisse la mener à bonne fin. Il a l'air de convenir, mais dit-il, qui fournira les fonds pendant l'intérim ? La Caisse d'Epargne pourra-t-elle se mettre en avant ? Pourquoi pas, fis-je, si elle a des garanties suffisantes. Mais quelles garanties ? Là dessus je lui dis que comme il ne s'agissait que d'un avance de fonds momentanée, je pense que l'Union, patronne de l'entreprise, pourrait le faire. Monsieur Humbert fait la moue, me remercie et se retire.
Morale: Tout ce à quoi les radicaux touchent est bientôt empoisonné.

Il parait qu'en sortant de chez moi Aimé Humbert alla parler à Desor, intéressé dans l'affaire. Celui-ci vint m'en parler et je lui annonçai que moyennant que l'Union horlogère soit complètement en dehors de l'affaire, je croyais pouvoir lui garantir que, avec l'aide de quelques amis et de la Caisse d'Epargne, on pourrait faire en sorte que cette industrie s'implantât définitivement à Neuchâtel. Je me mus donc en mesure de réunir quelques personnes et après plusieurs conférences et le désistement complet de l'union horlogère, il fut convenu (M. Hipp ayant déclaré qu'il ne voulait pas entendre parler de société anonyme) que l'on constituerait une nouvelle société en commandite. L'acte en fut signé le 22 février. (Nous verrons plus tard que selon mes prévisions la commandite n'a pas réussi, qu'il a fallu en venir à la société anonyme qui promet maintenant des résultats satisfaisants, juin 1864).

11 février 1861: M. Marcelin Jeanrenaud, directeur des finances, vint me parler de plusieurs choses, c'est à dire de l'affaire ci-dessus et de la banque; mais le principal but de sa visite était de savoir si Georges n'accepterait pas une des places de syndic dans la faillite du Jura. Je lui fis plusieurs objections et lui indiquai d'autres noms, mais il insista tellement que je finis pas consentir à parler à Georges qui, après quelque hésitations, se décida à accepter sa nomination.

19 février 1861: Ayant appris qu'on pouvait se procurer une Hyène pour le cabinet d'histoire naturelle, j'en fis l'acquisition ou plutôt je donnai à mon beau-frère la somme nécessaire pour l'acheter. Je ne pouvais guère reconnaitre d'une autre manière tous les services qu'il me rendait dans l'aménagement des forêts de la Dame.

27 février 1861: Je fus réélu comme président de la Banque dans la réunion générale des actionnaires.

17 mars 1861: Depuis quelque temps il s'était ouvert au Locle une souscription pour arriver à l'extinction de la dette municipale, contractée pour la construction des chemins de fer par le Jura Industriel. On devait trouver un million et aviser ensuite. Le million ne se trouvant pas facilement je reçus de mon ami Jules Huguenin la lettre ci-après:

Locle, 16 mars 1861,
mon cher major,

Lors même que nous recevons de tous côtés des souscriptions de mille, de cinq cents, de cent francs, le million reste en arrière. Cependant la commission espère toujours l'atteindre. Elle m'a chargé hier du soin de vous demander s'il pourrait encore entrer dans vos vues dévouées d'organiser en notre faveur un mode de souscription qui serait mis à la portée de tous; Vous savez, mon cher major, que la triste position financière de notre municipalité excite la sympathie dans toutes les classes, et nous aimerions qu'elles puissent nous venir en aide sans être obligés d'ouvrir une correspondance avec Le Locle.

Messieurs H.F. Calame, A de Pury Muralt, Ch. Lardy et j'ose encore espérer que MM. Louis de Pury et de Perrot, avocat, seraient disposés à nous aider dans cette corvée patriotique, et puis vous sauriez bien qui vous adjoindre pour amener à bonne fin la souscription.

Voilà, mon cher major, l'exposé des voeux de la commission; puissiez-vous y répondre selon notre désir. C'est ce que je vous prie de me dire le plus promptement possible.

En tous cas, veuillez je vous en prie, me faire connaitre votre manière de voir, tant sur l'opportunité de la mesure que sur les voies à employer pour réussir. Votre expérience nous sera d'un puissant secours.

Si vous le jugez utile je vous ferai l'envoi des noms des souscripteurs déjà connus, Ils pourraient figurer en tête de la liste à ouvrir.

En attendant le plaisir de recevoir votre réponse, veuillez, monsieur le major et cher ami, agréer mes cordiales salutations.
Jules Huguenin

P.S. Je vous prierai, en cas d'appel aux souscripteurs de bien vouloir vous souvenir que le bureau de la Feuille d'Avis de Neuchâtel a offert d'ouvrir un registre dans ses bureaux et que la commission aurait accepté son offre avec reconnaissance si elle n'avait craint d'entamer la situation; il convenait de la laisser entière au comité à former à Neuchâtel.

Ensuite de cette communication, je réunis chez moi plusieurs personnes. Je transcris les notes prises après la réunion:

De 4 à 5 1/2h conférence avec messieurs Henri Florian et François Calame, Louis de Pury, François de Perrot et Alphonse de Pury-Muralt, relative à la souscription patriotique du Locle. Ce matin j'avais reçu de J. Huguenin une lettre relative à cette affaire. Immédiatement après sa réception, je convoquai chez moi les personnes indiquées qui furent exactes au rendez-vous à l'exception de Lardy absent. M. François Calame, membre de la commission locloise assistait à la délibération, ce qui m'a évité la peine de répondre à J.H., M. Calame ayant pris note du résultat. On a résolu ce qui suit:

  1. Que par des raisons majeures il n'était pas convenable qu'un comité actif se formât à Neuchâtel, et cela, crainte des conséquences si La Chaux-de-Fonds venait, elle aussi, à faire sa souscription; que d'ailleurs pour songer à former un comité semblable, il fallait être sûr du succès, car une non-réussite aurait un effet déplorable; qu'enfin on ne saurait trop comment former ce comité pour ne pas lui donner une couleur politique.
  2. Qu'on engage la commission locloise à faire un appel général quand elle saura à quoi s'en tenir sur le résultat de la souscription locale; que dans ce cas, elle pourrait indiquer des percepteurs, au nombre desquels les personnes présentes ne mettaient aucune opposition à être nommées, mais qu'il fallait faire bien attention d'ajouter des noms de royalistes noirs et d'anciens républicains, afin d'ôter à l'oeuvre toute espèce de tendance ou de couleur politique.
Cette souscription, après bien des péripéties, n'a pas abouti et on cherche maintenant un autre moyen de venir en aide aux deux municipalités des montagnes, moyen qui a toute chance de réussir (note de juin 1864)

25 mars 1861: Elizabeth ayant témoigné le désir d'aller passer ses fêtes de Pâques à Strasbourg, nous y consentirent volontiers et je la conduisit pour passer quelques semaines encore sous l'excellente direction de Mlle Fanny Friedel. Je fus de retour à Neuchâtel le 27, après avoir été absent pendant 50 heures, soit 27 à Bâle dont 2 nuits et 5 à Strasbourg et le reste en chemin de fer.

Evénements de famille
8 janvier 1861: Naissance de notre petite nièce Lucie Barrelet.
20 janvier 1861: Mort à Clarens de notre excellent parent M. Frédéric de Pourtalès de Greng. En apprenant ce cruel événement, je notai ce qui suit:

Après la mort de mon père et de ma mère, c'est le plus grand chagrin que je puisse ressentir. Dans certaines circonstances M. de Pourtalès avait été pour moi comme un père. A la vérité depuis notre malheureuse révolution, mes relations avec lui et sa femme avaient considérablement diminué. Néanmoins sa mémoire sera toujours en vénération chez moi, à cause des marques d'intérêt et d'amitié qu'il m'avait prodiguées depuis bien des années.

Ce fut le 3 juin qu'il fut inhumé au cimetière de l'hôpital.

3 février 1861: Mort de notre cousin Frédéric Terrisse, fils de madame Terrisse-Vaucher.
24 février 1861: naissance de mon petit-fils Albert de Montmollin.

Faits divers, 3 janvier: Mort à Montpellier de mademoiselle Sophie de Chambrier.
Mort de madame d'Ostervald d'Ivernois, veuve de M. J.F. d'Ostervald, dernier du nom.
9 février 1861: Mort de madame Sophie de Mülinen, née Petitpierre.
5 mars 1861: Mort de M. Auguste Borel Blakeway, ou plutôt enterrement. A la demande de la famille je porte les coins du drap.

1 avril 1861: De certains bruits fâcheux ayant couru sur la compagnie d'exportation, j'avais écrit aux directeurs pour avoir des explications. Ils me répondirent d'une manière rassurante et je communiquai à Desor le résultat de mes démarches. A ce sujet il m'écrivit un billet que j'annexe, non pour me glorifier, tant s'en faut, mais pour donner une idée de ses sentiments à mon égard.

mon cher monsieur de Montmollin,
Je vous remercie sincèrement d'avoir bien voulu me communiquer la lettre de M. LeDouble, que je vous retourne ci-incluse. Je suis enchanté surtout d'être édifié sur un point, celui que quelques négociations sans bénéfice dont j'avais déjà entendu parler depuis que j'ai eu le plaisir de vous voir et que l'on représentait sous un jour quelque peu différent, c'est à dire comme des ventes à tout prix. Il est vrai qu'on ajoutait que la compagnie d'exportation n'était pas la seule qui fût dans ce cas.

Ai-je besoin de vous dire, mon cher monsieur, que cette constante et infatigable sollicitude que vous apportez à tout ce qui est bon et utile ne m'étonne pas de vous, mais qu'elle ne peut qu'augmenter la haute admiration et le sincère dévouement de votre bien affectionné
E. Desor

Quand aux bruits et malgré les dénégations de LeDouble, ils n'étaient que trop fondés comme nous le verrons plus tard.

9 avril 1861: Il était question depuis quelque temps de fonder un comptoir d'Escompte au Val-de-Travers. A cet effet je convoquai quelques personnes qui sont messieurs Henri Nicolas, directeur de la banque cantonale, P.E. Jacottet de Travers, Luya de Couvet, Balsiger et Ulysse Jequier de Fleurier, et Piaget, commandant, des Verrières. On convint de certaines bases et entre autres de celle-ci, c'est que le conseil d'administration serait composé de huit membres, dont cinq du Val-de-Travers et trois de Neuchâtel. Le choix de ceux du Val-de-Travers fut remis aus représentants de la localité, mais je ne leur cachai pas que du chois qu'ils feraient dépendrait la réussite de l'affaire, et que, en conséquence ils devaient s'efforcer de ne nommer que des personnes recommandables à tous égards.

15 avril 1861: Nous allâmes avec Cécile passer deux jours à Travers. Je profitai de cette course pour parler à plusieurs personnes du projet ci-dessus et pour me faire introduire au Cercle de lecture, fondé depuis peu de temps à Travers. Je m'en fis recevoir membre et le fréquentai assidument pendant l'été. Malheureusement peu de personnes s'en firent recevoir et il tomba à la fin de l'année faute de ressources suffisantes.

23 avril 1861: Départ pour Paris. Cette fois je me loge à l'hôtel de Castille, rue Richelieu. Boy de la Tour m'y avait retenu deux chambres à l'entresol, une sur la cour. Prix F. 8.- par jour. Je profitai de ce séjour pour voir tous les changements qui s'opèrent à Paris et cela pour ainsi dire journellement avec une rapidité prodigieuse. J'allai voir les Courtigis à Versailles. Je fis faire ma photographie et je me décidai à aller passer 24 heures au Havre chez Jämes DuPasquier qui m'avait fort obligeamment offert l'hospitalité. J'étais parti de Paris le 29 au matin et je rentrai déjà à l'hôtel de Castille le 30 au soir.

3 mai 1861: Visite à Frédéric Meuron. Je transcris mes notes du 3 et du 4:
Visite à Frédéric Meuron, auquel après quelques préliminaires je demande carrément si son intention n'est pas de faire quelque chose pour les créanciers ainsi qu'il en avait manifesté l'intention il y a un peu plus de deux ans. Il me dit que cela viendra peut-être, mais que cela dépend de la vente des terrains qu'il possède à Passy, vente assez problématique dans un moment où on n'achète plus guère de terrain. J'insiste encore en le quittant, mais je n'obtiens pas d'autre réponse. En attendant, il a 76 ans et el est bien certain que s'il meurt avant de donner effet à ses intentions, ses héritiers ne feront rien du tout. En tous cas j'ai cru de mon devoir de faire encore cette démarche bien désintéressée de ma part puisque je n'ai rien à voir dans une répartition éventuelle. Peut-être y réfléchira-t-il, mais à vrai dire je désire plus que je n'espère un bon résultat. (jusqu'aà présent rien n'est venu. note de juin 1864).

4 mai 1861 Je ne suis plus à Paris que pour deux jours et peut-être n'y reviendrai-je jamais. Quelles sont les impressions que j'emporte de ce séjour ? Les unes fort agréables à mesure que j'ai passé de beaux moments avec mes amis Courtigis, Boy de la Tour, François Guebhardt, Oppermann et Albert Meuron; à mesure encore que j'ai trouvé Paris embelli, ayant une police admirable et assez puissante pour vous donner le sentiment d'une parfaite sécurité. Les autres fort tristes, car on ne peut se dissimuler que sous ces beaux dehors il se cache bien des horreurs et toutes sortes de misères. Que d'immoralité, que d'avarice, que d'égoïsme, en un mot que d'amour du monde ! Je crains bien que Paris ne mérite le nom de Babylone moderne que quelques personnes lui donnent. Le même sort ne lui est-il pas réservé dans un avenir plus ou moins prochain ? C'est ce que la suite apprendra.

6 mai 1861 Je partis de Paris à 8.45h du matin pour arriver à Strasbourg à 7h du soir. Je passai par cette ville pour reprendre ma chère fille Elizabeth, avec laquelle nous revînmes à Neuchâtel le 8 dans le milieu de la journée.

30 mai 1861 Départ pour Travers où nous allons en établissement.
27 juin 1861 J'étais fort préoccupé et presque inquiet hier en partant pour Neuchâtel. En effet cette journée devait marquer dans l'histoire de notre pauvre pays, d'abord politiquement, puis financièrement. En politique il s'agissait de savoir si ce qu'on appelle le million fédéral serait mis à la charge de l'Etat et si de cette manière les cautions seraient libérées. Depuis quelques jours il était grandement question d'une proposition qui serait faite au Grand Conseil par les radicaux dont les deux principaux champions sont maintenant messieurs Grandpierre et Philippin. Mais la proposition n'a pas été faite et le Grand Conseil a terminé sa session du printemps. Voici ce qui a eu lieu: Comme ces messieurs ne voulaient pas s'exposer à subir un échec officiel, ils avaient eu l'idée de provoquer pour mardi après-midi une réunion officieuse et à huis clos du Grand Conseil pour tâter le terrain. Or ce qu'ils ont entendu dans cette réunion les a tellement abasourdis, un si grand nombre de leurs adhérents, spécialement du Val-de-Ruz se sont exprimés de telle sorte qu'ils ont du se convaincre du danger d'aller de l'avant. Ils se sont donc abstenus et ont résolu, si je suis bien informé de s'adresser à l'Assemblée fédérale pour qu'elle consente à mettre hors de cause, les pauvres millionnaires, comme on les appelle. Il est fort heureux pour le pays que cette affaire ait eu un pareil dénouement car il commençait à se manifester une grande agitation dans les populations et si la proposition eût été faite officiellement, il est impossible de prévoir ce qui serait résulté soit s'un vote négatif, soit d'un vote affirmatif, bien que ce dernier eut dû être soumis à la ratification du peuple. A ce sujet j'ajouterai que, hier à la gare de Neuchâtel, j'entendais un des plus fougueux révolutionnaire du Val-de-Travers, le boucher Barrelet de Fleurier, s'exprimer de manière à me convaincre que dans le Val de Travers on désire ardemment un changement de système, dût même le pouvoir venir entre les mains des conservateurs. Et pourtant ce n'est pas encore le moment.

Je passe à la crise financière. Le discrédit dans lequel est tombé à l'étranger le canton de Neuchâtel est si grand que les établissements, même les mieux fondés, ne trouvent aucun appui et qu'on leur retire même le crédit qu'on leur accordait. C'est ce qui arrive en particulier à la Compagnie neuchâteloise d'exportation, laquelle avec un stock de marchandises très considérable, appartenant soit à elle, soit à ses clients, ne trouve d'appui que dans la banque cantonale. Or comme les marchandises sont invendables ou à peu près dans l'état de crise où se trouve le monde en général et l'Amérique en particulier, Les besoins de la compagnie augmentent au lieu de diminuer, la banque de son côté voulant diminuer ses risques il s'est trouvé que la compagnie, quoiqu'au-dessus de ses affaires était à la veille d'une suspension de paiements, si la banque ne venait pas en arrière de ses mesures restrictives. Dans ces conjonctions la compagnie m'a écrit samedi dernier pour me prier de réunir le Conseil de la banque et d'admettre à la réunion son propre conseil afin de s'entretenir sur le mode de vivre futur. Je n'ai pas cru devoir me refuser à cette demande et je leur ai répondu que le conseil se réunissait le 26; je les convoquait pour ce jour-là et ils seraient admis à s'expliquer. Le Conseil de la banque était donc réuni hier à 3 heures. Après avoir fait les affaires courantes j'annonçai ce que dessus et je déclarai en même temps que mes relations avec la compagnie et l'intérêt relativement majeur que j'avais dans ses affaires ne me permettaient pas soit de présider la réunion soit de prendre aucune part ni à la délibération, ni à la votation, qu'en conséquence je priais M. le vice-président d'occuper le fauteuil, puis je me retirai. On verra par la lettre ci-après, reçue ce matin, quel a été le résultat de la conférence. Ce que j'y vois de plus clair, quand à moi, c'est que sans me blâmer précisément d'avoir autorisé la conférence, on a au moins trouvé cette autorisation insolite et sans précédent, ce qui me confirme dans l'idée que j'ai bien fait de donner place et pour le futur de m'abstenir chaque fois que dans le conseil de la banque il sera question de la compagnie neuchâteloise d'exportation.

Neuchâtel 26 juin 1861
Monsieur le président

Après votre départ le conseil a délibéré dans son sein pour voir si on poserait des questions aux délégués de la compagnie. Il a été décidé qu'on les laisserait venir purement et simplement, exposer leur situation.

M. Pury et M. DuPasquier ne paraissent pas très contents de cette démarche, mais enfin il a fallu en finir et ces messieurs furent invités à se présenter.

Messieurs E. Huguenin et B. Barrelet exposèrent en quelques mots la position, en réclamant l'appui du Conseil de la banque.

M. LeDouble communiqua ensuite un exposé assez sommaire de la position; cet exposé, tout en rassurant un peu le conseil a témoigné d'une gêne extrême et d'une entente peu édifiante des affaires. L'impression a été plus favorable en somme que défavorable, car certains membres étaient fort émotionnés et moi le beau premier. Nous avons pris des notes que nous allons coordonner et mettre au net.

Le Conseil m'a chargé d'adresser des questions à la Compagnie et de demander des explications sur plusieurs points laissés dans l'obscurité. J'espère que le tout me reviendra pour mercredi prochain. La compagnie a demandé que la banque revint de sa décision au sujet du chiffre des signatures réductibles pour le 30 septembre et elle promet qu'à la date du 31 décembre 1861 elle réduira ses engagements coûte que coûte de F. 50'000 par mois, c'est peu à mon avis car pour l'année cela fera à peine F. 600'000. En attendant le Conseil n'a pas voulu délibérer en présence de ces messieurs; ces messieurs ont passé dans mon cabinet et le Conseil a décidé de ne faire aucune question et de ne prendre aucun engagement quelconque. Il réfléchira aux propositions faites et à l'avenir il prie la Compagnie de suivre la filière administrative prévue, c'est-à-dire de s'adresser au directeur qui fera rapport au Conseil. Ces messieurs du Conseil de la banque ont prié monsieur le président d'annoncer aux délégués de la Compagnie que la conférence qui avait lieu était extraordinaire et sans précédent pour la banque et qu'ils ne devaient y voir qu'une nouvelle preuve de la bienveillance de la banque à leur égard.

Puis la séance a été levée et chacun s'est retiré de son côté.

M. pury a convenu que la position ne lui semblait pas mauvaise au fond, mais qu'il croyait que depuis cette année la compagnie ne faisait pas ses frais, qu'elle devait couter de l'argent à ses clients pour rentrer dans ses débours et que cet état de crise durant, la compagnie pouvait manger peu à peu son capital et exterminer ses clients.

On peut en juger par les chiffres mêmes de la compagnie, ses frais à New-York sont considérables. F. 100 à 120'000 pour 1860, dit-on! Eh bien! Cette année-ci elle a vendu seulement pour F. 40'000 de marchandises à New-York en 4 mois: le ducroire de 5% fait F. 2000.-. Peut-on payer les frais avec cela et faire face aux pertes? Cela me parait impossible à soutenir.

En fin de compte, je crois que chacun, même M. Pury, est rassuré; restent les réponses aux questions que je suis chargé d'adresser à la compagnie.

Je désirerais avoir tôt après l'assemblée ou même avant communication de leur bilan et des profits et pertes, avec la mention des ducroires passés et dont il n'est pas fait mention spéciale dans le rapport. Je crois que ce document ne peut nous être refusé en communication.

Je ne manquerai pas de vous tenir au courant de ce qui pourra survenir de nouveau et vous présente, etc.
(signé) H. Nicolas

17 mai 1861: Naissance d'un fils de Jean de Montmollin
2 avril 1861: Mort de monsieur de Pury-Pourtalès
19 avril 1861: J'apprend la mort à Venise de madame Guillaume de Pourtalès. J'écris à ce dernier.
30 avril 1861: A mon retour du Havre à Paris j'apprends la mort de madame la présidente de Chambrier.
3 mai 1861: Annonce du mariage du directeur de la banque Henri Nicolas avec Mlle Laure Borel.
8 mai 1861: A mon arrivée de Strasbourg à Neuchâtel, j'apprends que ce jour même on a enterré monsieur le pasteur Guillebert. Perte immense pour les pauvres. C'était l'homme du devoir, malheureusement il s'était à mon avis au moins, trop occupé de politique.
23 mai 1861: Enterrement de M. Erhard Borel qui avait joué un rôle marquant dans nos dissensions politiques.
24 mai 1861: Enterrement à Colombier du Dr. Sacc. Venu à Neuchâtel en 1814 pour soigner les malades prussiens qui se trouvaient à cette époque dans la principauté, il avait épousé une demoiselle DuPasquier de Cortaillod assez proche parente de ma première femme.
5 juin 1861: Mort de M. Frédéric André Wavre, avocat
18 juin 1861: Enterrement de M. Alexandre de Chambrier, ancien maire de Valangin, auquel j'avais succédé. Je porte les coins du drap.

juillet-septembre 1861

Le 10 juillet 1861 nous allâmes nous établir aux Ruillères pour notre séjour d'été. Rien d'extraordinaire n'a signalé ce séjour. Beaucoup d'allées et de venues, beaucoup de visites soit pout nous soit pour les dames Sandoz. Voilà tout. Cependant deux choses à noter:
Le 13 août 1861 nous eûmes une température exceptionnelle. Le matin à 5h le thermomètre Réaumur marquait 17 degrés (21o Celsius) et à 3h de l'après-midi 23 1/2 (29.4o Celsius)). C'est la journée la plus chaude que j'ai jamais observée aux Ruillères. Le matin il faisait plus chaud qu'à Neuchâtel et à 3 heures guère moins.
Le 17 août 1861 nous arrive Mlle Fanny Friedel, l'excellente maitresse de pension de notre chère fille
Elizabeth. Elle reste 15 jours avec nous et ce n'est pas sans chagrin que nous la laissâmes partir le 2 septembre.

29 août 1861: départ des Ruillères pour Travers

Le 10 septembre 1861 j'eus à dîner plusieurs personnes et entre autres le professeur Desor. Si je mentionne cette circonstance c'est pour une raison qui prendra sa place plus tard.

16 septembre 1861: Course en Suisse avec Cécile et Elizabeth. Préparatifs de départ à midi. Nous couchons à Neuchâtel. Mardi 17 départ de Neuchâtel à 8h. Arrivéle à Berne par un temps pluvieux à 12 1/2h. Nous trouvons à la gare la voiture de la Mettle, avec une lettre dans laquelle on insiste pour que nous allions y loger. Réception cordiale et même aussi cordiale que possible dans les circonstance où on se trouve depuis 1861. Avec cela ce n'est plus comme ci-devant. Il faut prendre son parti de voir les relations si intimes de jadis considérablement refroidies, mais cela ne peut être autrement. Dans l'après-dîner on nous donne la voiture et nous allons faire visite à notre oncle et à notre tante d'Erlach à Berne.

18 septembre 1861: Départ de la Mettle à 10 1/2 par le beau temps. Arrivée à Interlaken à 1h. Promenades diverses. Nous apercevons Rodolphe de Stürler partant pour Berne et Neuchâtel avec sa future et la mère de celle-ci madame Winterhalter.
19 septembre 1861: Course à Lauterbrunnen et à Grindelwald par un ciel sans nuage.
20 septembre 1861: Passage au Brunig en voiture par un temps magnifique. Arrivée à Lucerne, hôtel du Cygne où nous couchons.
21 septembre 1861: Départ de Lucerne à 9h par un joli temps. Dîner à Baar. Arrivée à Zurich entre 6 et 7h. Nous dînons à l'hôtel Baur. Visite aux Marval-Rougemont.
22 septembre 1861: Ciel nuageux. Sermon du ministre Caumont. Visites aux d'Orelli et Dr. Rahu Escher. Dîner chez les Marval. Promenade en voiture. Soirée chez les mêmes
23 septembre 1861: Course à Glaris et retour le soir à Zurich en chemin de fer.
24 septembre 1861: Voyage de Zurich à Neuchâtel où nous arrivons à 3.17 par la pluie
25 septembre 1861: Retour à Travers

Faits divers: le 9 septembre eut lieu à Fleurier la réunion des actionnaires du comptoir d'escompte du Val-de-Travers. Le conseil d'administration étant déjà nommé par les fondateurs, il restait à faire nommer le directeur. Nous avons d'entrée jeté les yeux sur le jeune Weibel. Il parait que nous étions bien tombés, puisqu'il fut nommé à l'unanimité, au bulletin secret. (la suite a prouvé que nous ne nous étions pas trompés, note de juin 1864)

octobre-décembre 1861

23 octobre 1861: Nous quittons Travers pour nous établir à Neuchâtel pour l'hiver.
5 novembre 1861: Ma belle-soeur Marie et ma chère femme désirant passer entre les mains du dentiste, nous fîmes un petit voyage à Genève d'où nous étions déjà de retour à Neuchâtel le 6 à 10 1/4h du soir.

7 novembre 1861: Je reçu la visite de mon beau-frère DuPasquier qui me fit une ouverture à laquelle je ne m'attendais pas, au moins pour le moment. Quoiqu'il me demandât le secret le plus absolu, il va sans dire que j'en fis part à ma femme. Quelques jours après, étant fort préoccupé de cette conversation, je ne pus pas prendre sur moi de ne pas m'en ouvrir aussi à mon fils Georges. C'était le 17. A la suite de cette conversation, je crus devoir écrire à DuPasquier et il s'en suivit jusqu'au 28 une correspondance plus ou moins pénible, mais toujours affectueuse. Je ne transcris pas cette correspondance, mais je l'annexe ici sous une enveloppe cachetée qui ne doit être ouverte que par ma chère femme ou par mon fils. Toute autre personne entre les mains de qui elle pourrait toucher devant la brûler sans prendre connaissance de son contenu.

26 novembre 1861: Naissance d'un troisième garçon à Madeleine Perregaux.

20 décembre 1861: J'apprend d'Alphonse Henri Clerc la mort subite à Paris d'Albert de Pourtalès, ambassadeur de Prusse à Paris. On croit que ce cruel événement est dû à la rupture d'un anévrisme. Je suis bouleversé de cette nouvelle et j'écris immédiatement à Guillaume.

J'ai toujours envisagé cette mort comme un malheur irréparable, non seulement pour sa famille mais aussi pour la Prusse. C'était un homme d'Etat accompli. Il possédait toute la confiance du Roi qui lui aurait probablement fait accepter un ministère. De là évidemment un changement de politique ne Prusse, laquelle ne se serait pas trouvée en 1862 et 1863 dans le pétrin où elle patauge depuis le ministère Bismark (ce dernier paragraphe est une note de juillet 1864).

Faits divers, 25 novembre 1861: Mort de M. Francois Muller, fils légitimé de monsieur Muller-Hennig. C'était pour moi une relation de la Chambre.

16 décembre 1861: mort aux Isles de M. Frédéric Verdan, contrôleur de la banque. Il remplissait son office avec tact et exactitude et était beaucoup plus apte à ce poste qu'à ceux de conseiller d'Etat et de préfet de Boudry dont il avait été investit précédemment depuis la révolution de 1848.

Professeur Desor: Ayant eu déjà plusieurs conversations sérieuses avec lui, j'eus l'idée de lui envoyer les procès-verbaux de la conférence de Genève. En me les renvoyant il m'écrivit une lettre en date du 7 novembre dans laquelle il fait sa profession de foi. Dès le lendemain je me rendis chez lui pour parler de sa lettre. Je transcrit mes impressions à cette date:
"Je lui annonce, me trompai-je, qu'il finira par devenir un excellent chrétien. Je lui cite l'exemple de Rosseur-St.Hilaire qui de catholique est devenu incrédule puis fervent protestant. Desor sourit, ne dit mot et la conversation prend une autre tournure. Nous verrons.

Quoiqu'il en soit je crus devoir envoyer la lettre à monsieur Blanchard, alors notre pasteur de Travers. Il me répondit le 21 une lettre que j'annexe ici ainsi que celle de Desor et une autre du même en date du 29 sur ce même sujet:

Lettre de monsieur Desor
Mon cher monsieur de Montmollin
Je m'étais promis le plaisir d'aller vous parler aujourd'hui des procès-verbaux que vous avez eu l'obligeance de me prêter. Je les ai lus avec intérêt; il y a sans doute bien des lieux communs, mais il s'y trouve aussi plusieurs discours qui témoignent d'une grande élévation de vues, particulièrement celui de M. Naville et plus encore celui de M. Pressensé. Il est probable qu'il ne plaira pas à tout le monde. Je vous serais obligé, si vous vouliez le confier aussi pour quelques jours à M. Grand afin qu'il en fasse aussi son profit. J'ai voulu voir aussi ce que renfermait le sermon de M. Spurgeon que je sais être un prédicateur distingué. Ce sermon (sur la conversion ou la perdition) prouverait à lui seul que l'auteur est un homme puissant dont la parole doit avoir de l'effet. Si je n'étais retenu aujourd'hui chez moi par un gros rhume et que j'eusse pu aller vous voir, je me serais permis de formuler en peu de mots les réflexions que ce sermon me suggère. Les voici en raccourcis: J'admets toutes les conséquences que l'auteur déduit de ses prémisses. Du moment que la justice divine exige une expiation, la rédemption est nécessaire; elle ne saurait être effective qu'autant qu'elle est acceptée. Par conséquent ceux qui ne l'acceptent pas doivent en subir les conséquences et recevoir le châtiment. Mais voici où nous différons. C'est au point de départ. J'admets la justice divine et j'admets l'imperfection humain par suite de laquelle nous transgressons tous les jours les commandements de Dieu, mais est-il nécessaire, parce que Dieu est juste, qu'il punisse ? J'y ai beaucoup réfléchi et je n'ai pas encore pu me familiariser avec l'idée que la justice exigeât le châtiment. De là toute la différence entre nos convictions respectives. Du moment que le châtiment n'est pas nécessaire, l'expiation ne l'est pas non plus et les solennités commémoratives de cette expiation ne me concernent pas. Ceci ne m'empêche pas de prendre Jésus Christ pour mon modèle et de m'efforcer à marcher sur ses traces, mais hélas avec bien de la peine et de bien loin, en sorte que je ne le perds que trop souvent de vue sur ce sentier si difficile de la vie, où il marchait d'un pas si assuré, tandis que nous trébuchons à chaque pas. Et qui comptera nos défaillances !

J'ai longuement discuté cette thèse avec M. Godet, mais sans résultat autre que celui de nous être retrouvés aussi bons amis après qu'avant, ce qui est assez rare.

Voici une autre affaire qui reste dans un domaine bien différent. C'est une lettre de M. de la Rive au sujet de l'affaire Hipp. Ce que c'est que d'avoir cent mille francs de rente ! Comme cela vous rend un homme soigneux de ses intérêts. Pour huit ou dix mille francs que M. de la Rive a placés dans cette affaire, que de sollicitude n'a-t-il pas déployée ?

J'ai remis la lettre à M. Hipp qui doit avoir répondu après avoir pris l'avis de messieurs Garnier et de Perrot.

Tout en me permettant les petites réflexions ci-dessus, je ne voudrais cependant pas jeter la moindre ombre sur le caractère élevé de M. de la Rive que j'honore et estime beaucoup. J'éprouverais même une satisfaction réelle si notre société, sans compromettre ses intérêts, pouvait se rattacher d'une manière ou de l'autre à l'établissement de Genève. Cela ferait plaisir à M. de la Rive, c'est pour moi une première raison; il y en a une seconde que je n'émets cependant qu'avec réserve, c'est que peut-être un peu plus d'initiation industrielle ne serait pas de trop chez nous.

Pardonnez moi ce long griffonnage et croyez moi toujours votre dévoué
E. Desor
Neuchâtel le 7 novembre 1861

Lettre de monsieur Blanchard
Travers le 21 novembre 1861
Cher monsieur,

Mille excuses, s.v.p. pour le retard que j'ai mis à répondre à votre amicale lettre du 8 ct. Plusieurs fois, j'ai mis la main à la plume et autant de fois j'en ai été empêché. Jusqu'ici j'ai été à la lettre accablé d'occupations, catéchismes, pauvres, malades, tant de rencontres pour submerger ma paresseuse et facilement submergeable nature. Les jours s'écoulent et j'espère toujours en vain pouvoir m'appartenir un peu. Enfin il y aura une fin à tout; s'il plait à Dieu, après Noël je pourrai respirer à l'aise, ou plutôt m'allonger à l'aise devant mon feu de cheminée.

J'ai lu avec intérêt la lettre de M. Desor, il y a là de la droiture, de l'honnêteté, de la franchise dans ses procédés, mais avec tout cela je crains qu'il ne soit aussi éloigné que jamais de la vérité qui sauve. Ce qui lui manque absolument, c'est la conviction du péché; il beau dire, s'il ne peut croire à l'expiation et à Christ Expiateur et Fils de Dieu, ce n'est pas à cause d'un empêchement rationnel, mais moral. Quand il aura la conscience de son état de misère, quand il saura ce que c'est que le péché, il criera grâce et s'approchera de la Croix. Mais ce n'est pas avec des raisonnement, des discussions, de savantes catéchèses qu'on l'amènera à se reconnaître pécheur, et qu'on le convaincra de péché. Le Saint Esprit seul est puissant pour cette oeuvre. Puisse-t-il venir convaincre ce brave et aimable frère de péché, de justice et de jugement. Il y a, je le crois comme vous, une oeuvre commencée chez lui; il s'agite trop, il se débat trop contre les questions théologiques pour qu'il n'y ait pas de l'inquiétude. Mais le grand coup n'est pas donné; le Seigneur a ses moments; chaque âme a son jour et son heure. Je prie Dieu du fond de mon coeur pour que le jour et l'heure de la délivrance vienne bientôt pour celui dont nous parlons.

Je crois que la conduite à tenir avec lui est bien simple. Peu discuter, mais rendre témoignage, un témoignage franc et bien prononcé; lui montrer beaucoup d'affection et de bienveillance, il est avide et à cet égard c'est une belle âme, et puis prier, beaucoup prier pour lui. Mais je crois qu'il est important de peu discuter avec lui; la discussion l'amuse et le distrait, ce n'est pas de lumière dont il a besoin c'est, je le répète, de conviction de péché. L'obstacle chez lui est moins intellectuel que moral. Vous pouvez, monsieur, grâce à la franchise, à la loyauté de votre caractère et à votre courage chrétien être un instrument de bénédiction pour notre cher professeur et je ne doute pas que le Seigneur n'ait en ses vues en vous rapprochant l'une et l'autre.
. . . .
Veuillez bien, cher monsieur, agréer etc.
A. Blanchard, pasteur

Lettre de Monsieur Desor
Mon cher monsieur de Montmollin
J'ai parcouru avec intérêt le numéro du journal religieux que vous avez bien voulu m'adresser. J'ai été surpris de vois que la Congrégation des Infidèles existât encore à New-York. J'ai eu connaissance de cette institution dans le temps; c'étaient quelques cerveaux fêlés suivis d'une troupe de mars. Je sais de singulières choses sur leur compte et c'est ce qui excite ma surprise de les voir encore debout. Mais vraiment ils ne sont pas dangereux et les Yankee ont bien raison de les laisser faire. Ce qui m'a plus touché c'est de voir que votre journal ose soutenir la cause des esclaves. C'est beaucoup. Il est vrai que le mérite serait plus grand encore si le journal paraissait en Amérique. Là malheureusement les orthodoxes ne sont pas en général rangés du côté des opprimés et vous savez que rien n'est plus commun que de voir plaider la cause de l'esclavage la Bible en main. Parmi les orthodoxes éminents qui ont osé épouser la cause des noirs je ne connais guère que le rév. Ward Beecher, et sa soeur madame Beecher Stowe. Etes-vous bien sûr que monsieur Fivaz, qui vient d'être nommé au poste de ministre de l'Eglise française de New-York, osera prêcher et proclamer que tous les hommes sont frères et par conséquents égaux, y compris les nègres ? Je le désire pour l'honneur de la paroisse, mais j'en doute. Permettez que je vous remette ci-inclus une carte d'entrée pour la conférence de madame de Marenholz pour le cas où vous seriez curieux d'y conduire madame de Montmollin. Madame de Marenholz s'est dévouée et se dévoue encore à l'oeuvre de l'éducation de l'enfance avec un rare enthousiasme et une grande foi. C'est bien comme cela qu'on transporte des montagnes ... de difficultés et d'obstacles. Il y a de bonnes et excellentes choses dans sa méthode, mais elle a eu le tord de nous tenir un peu longtemps. Exiger de vieux garçons qu'ils s'extasient pendant deux heures devant les petits chefs d'oeuvre que l'on parvient à faire faire à des moutards, c'est un peu trop. Une heure serait bien suffisante.

Excusez, je vous prie ce griffonnage et croyez moi votre tout dévoué
E. Desor
Neuchâtel le 29 novembre 1861

---------- ----------

Lequel aura raison de M. Blanchard ou de moi. Jusqu'à présent toutes les prévisions sont en faveur de l'opinion de M. Blanchard. Desor est encensé à cause de ses moyens, de sa science, de son amabilité et surtout de sa fortune par un tas de radicaux incrédules. Il aura bien de la peine sans doute à rompre avec ses amis et leurs opinions. Mais qui sait ce qui peut arriver ? C'est pourquoi je répète encore: "nous verrons" (note de juillet 1864)

1862

1 janvier 1862 Nous eûmes le dîner de famille et les convives furent: Les Perregaux dînaient avec nous parce qu'ils n'avaient pas de réunion de famille.

27 janvier 1862 Ayant eu l'occasion de voir Guillaume de Pourtalès dans les premiers jours du mois, il m'avait fait de la part de sa mère une commission fort affectueuse. Je me décidai donc à aller passer quelques heures avec elle à Greng, ce dont je n'ai pas eu lieu de me repentir, car sa réception pleine de cordialité m'a rappelé d'anciens souvenirs pleins de charmes.

18 février 1862: Je reçu de Londres une communication relative au congrès international de Bienfaisance qui devait se réunir dans cette ville à la fin de l'été. L'idée me vint de réunir quelques personnes pour leur soumettre ce document et la question de savoir si Neuchâtel ne ferait pas bien d'y prendre part. A cet effet je convoquai M. Godet, pasteur, Jules Sandoz, Alphonse de Pury-Muralt, Jämes de Meuron, Fritz de Perregaux, Gustave du Bois, Jean de Merveilleux, Georges, Henri F. Calame, Desor, Louis Coulon, mon frère Auguste et Edouard Pury. Toutes ces personnes se rendirent à l'appel, sauf mon frère, Desor indisposé et Jean de Merveilleux, parti subitement pour Berlin le matin même à cause de la mort de son oncle le major (Auguste) de Merveilleux.

La discussion fut intéressante, on approuva mon idée et c'est de cette réunion qu'est née plus tard la société neuchâteloise pour l'avancement des sciences sociales dont il sera peut-être dit quelques mots par la suite.

8 mars 1862: Ce jour-là furent faites les premières ouvertures pour le mariage d'Hermann et d'Elizabeth. Mlle Henriette Petitpierre s'en ouvrit à ma chère femme qui m'en parla à son tour. Dès le même soir on en parla à ma chère fille qui ne tarda pas à se prononcer. De sorte que dès le lendemain nos deux jeunes gens eurent ensemble leur première entrevue. Après avoir mis en règle les préliminaires avec les parents d'Hermann, on se décida à ne pas trop tarder à rendre la chose publique. De sorte que dès le 11 nous l'annonçâmes à nos frères et soeurs, le 12 aux autres parents les plus rapprochés et dans la soirée du même jour, les faire-part furent mis à la poste. En général nos parents furent satisfaits, néanmoins il y eut une exception fort pénible, exception qui ne pouvait ne pas être, mais dont j'aime mieux garder les détails sous silence.

Evénements de famille:
2 janvier 1862: Nous apprîmes la mort de mon oncle d'Erlach. Comme l'enterrement eut lieu à Berne, je n'y allai pas et je chargeai Georges de m'y représenter.
11 janvier 1862: Arrivée d'Australie de notre neveu Guillaume de Pury
15 janvier 1862: Mort d'un enfant d'Hélène Barrelet, peu de temps après sa naissance.

Faits divers, 2 janvier 1862: On annonce le mariage d'Eugène de Meuron avec Mlle Caroline de Meuron, comme aussi celui de Jean de Salis, fils aîné de madame de Salis-Bourgeois avec une anglaise dont je n'ai pas noté le nom.

3 janvier: Mort très regrettable de M. Courvoisier, ancien pasteur de Fleurier qui avait encore prêché dans l'après-midi du 29 décembre.
28 janvier: Mort de Léopold de Roulet
19 février: Mort de Mlle Sophie Robert, fille de monsieur Ed. Robert d'Areuse
22 février: On apprend également la mort d'Albert de Roulet, fils du colonel Eugène. Il était allé se faire tuer en duel par un M. de Bonin, un ancien camarade de service. Il s'agissait d'une dette de jeu que Bonin avait contractée envers Roulet et qui avait, à ce qu'il parait, donné lieu à une correspondance des plus vives.
25 février: Mort à Berlin du major Auguste de Merveilleux. Le même jour on annonçait le mariage de M. le pasteur Godet avec Mlle Alioth
15 mars: Comme en accordant la main d'Elizabeth à Hermann j'avais mis comme condition que celui-ci aurait une occupation régulière, j'eus l'idée de lui en donner à la Caisse d'Epargne où il fit son entrée ce jour-là.
19 mars: Première séance du Tribunal Criminel de Neuchâtel, siégeant avec l'assistance du Jury.

avril-juin 1862

1 avril 1862: Ma chère femme et Elizabeth ayant quelques affaires à Genève relatives au futur mariage, nous partîmes le 1er au matin pour revenir le 2 au soir.

13 mai 1862: A l'occasion du même événement nous nous crûmes dans l'obligation de sortir un peu de nos habitudes tranquilles et nous nous décidâmes à donner une soirée de noces de 60 à 70 personnes. Il y eut un divertissement joué par les amis d'Elizabeth et les amis d'Hermann. Tout se passa bien. La soirée dura jusqu'à minuit. Toutefois le moment le plus divertissant fut celui où tout notre monde ayant pris congé, nous nous trouvâmes de nouveau en famille.

30 mai 1862: Mariage civil.
31 mai 1862: Cérémonie religieuse et repas de noce donné à l'hôtel Bellevue par les parents Wesdehlen. Nous étions au nombre de 57.

Le mariage fut béni par le pasteur Jämes DuPasquier qui depuis et y compris mon premier mariage avait célébré toutes les cérémonies religieuse dans ma famille, mariages, baptêmes et enterrement.

4 juin 1862: Nous allâmes Cécile et moi nous établir à Travers

26 mai 1862: Naissance à la Prise Imer de ma petite-fille Marguerite de Montmollin

Faits divers, 17 avril: On apprend à Neuchâtel la faillite en Australie de Paul de Castella, lequel après s'être trouvé dans une position brillante, avait eu le talent de se ruiner par des spéculations insensées et des dépenses exagérées [Je ne m'étends pas davantage sur ce triste événement. Toutefois je dois consigner ici que mes neveux Guillaume et Samuel de Pury ont été gravement atteints par cette affaire et cela eu égard à l'inqualifiable conduite de Castella qui a été à leur endroit de la plus extrême indélicatesse. Je note encore que cette faillite a déjà des conséquences fâcheuses pour l'avenir de mes neveux et pourra par la suite en avoir de déplorables pour la fortune de leur mère et de la famille entière, car selon toute apparence la presque totalité de l'avoir de ma belle-mère y passera à sa mort (note de juillet 1864)].

23 avril 1862: Mort de l'ancien président de Sandoz-Rollin, dernier mâle de cette famille. Il avait 93 ans. Je ne m'étend pas davantage à son sujet et cela pour cause.

5 mai 1862: Enterrement de madame Alfred de Chambrier, née Sandol-Roy

24 juin 1862: Annonce du mariage de M. Armand Frédéric de Perregaux (72 ans) avec madame la chanoinesse Elizabeth de Steiger (37 ans)

Politique, 4-18 mai 1862: Elections au Grand Conseil. Manoeuvres scandaleuse des radicaux pour lesquelles je renvoie aux journaux de l'époque. Néanmoins j'annexe ici ma correspondance avec Desor, relative à ces mêmes élections et à ce qui se passa ensuite dans la première session du Grand Conseil.

Lettre de M. Desor
Neuchâtel 25 juin 1862
Mon cher monsieur de Montmollin

N'ayant pas eu l'avantage de vous voir avant mon départ, je m'étais promis le plaisir de vous écrire dès que je serais installé dans ma chambre solitaire. Etranger à Aix et peu enclin à faire de nouvelles connaissances je comptais un peu vivre en hermite et méditer sur les événements que nous avons traversé et sur leur signification. Au lieu de cela je me suis vu envahi dès le lendemain de mon arrivée, surtout quand on a su que je m'occupais de l'histoire des lacustres qui est maintenant la science à l'ordre du jour. La plupart des livres que j'avais emportés pour me distraire sont restés au fond de ma malle et ma correspondance s'est bornée au strict nécessaire. Je n'ai pas pour cela oublié mes amis et plus d'une fois par la pensée j'ai fait la conversation avec vous. J'arrive à examiner de près le pays que je parcours, à cet effet je ne crains pas d'entrer dans les plus chétives chaumières et de m'assoir près du plus humble foyer. On en retire toujours quelque enseignement. La Savoie, sous ce rapport, offre un vaste champ à la méditation. Au milieu d'une nature prodigue de tous ses biens, je trouve un peuple relativement pauvre, mais surtout profondément in souciant, peu curieux d'améliorer son sort, avec cela dévot et soumis à tout ce qui semble indiquer quelque supériorité, soit de position, de bien être, de tenue, ou même seulement de costume. Au milieu de ces chaumières vous voyez de loin en loin une maison plus vaste et plus confortable, c'est le château. Ces châteaux sont encore habités en grande partie par l'ancienne noblesse de Savoie dont quelques familles ont conservé un certain prestige. La plus remarquable de ces familles est celle du marquis de Costa, dont l'un, M. de Costa de Beauregard, possède le magnifique château de la Motte. J'ignore ce qui a pu l'engager à m'inviter chez lui. Toujours est-il que cette visite a été pour moi un sujet d'études fort intéressant. Je me réserve de vous en entretenir plus longuement. M. de Costa est un gentilhomme accompli, madame une châtelaine très dévouée à sa nombreuse famille et occupée en même temps de soulager la misère autour d'elle. Elle a fondé un hôpital à la Motte et est occupée à l'agrandir dans ce moment. M. de Costa a des gants très relevés et a une magnifique collection de tableaux renfermant plusieurs ouvrages des plus grands maitres. Il s'occupe avec zèle de l'histoire de la Savoie, possède une magnifique bibliothèque, etc. Vous conviendrez que lorsque de si nobles tendances se trouvent associées à une position opulente, il y a de quoi vous captiver. Il n'y a que les vieux radicaux comme moi qui ne s'y laissent pas prendre complètement; il ne leur échappe pas qu'à côté se trouve l'ignorance et la misère. Aussi bien madame la marquise fut elle tout étonnée quand je lui demandai des renseignements sur l'état des écoles. "Mon Dieu, me dit-elle, elles sont comme parlant!", Vous pensez bien que je n'acceptai pas cette réponse. C'est que ces châteaux, avec leurs hôtes aimables et distingués, sont bien réellement des oasis dans le désert. Cela avait jadis son très grand mérite. La tâche de notre époque est autre. C'est de restreindre et de faire disparaitre le désert peu à peu. Cette mission vous la comprenez mieux que personne, puisque vous la pratiquez avec succès depuis longtemps. C'est pourquoi, en dépit de ce que les noms d'un autre siècle peuvent avoir de vrai, j'aime mieux encore ceux qui à ces mérites savent joindre l'intelligence des besoins de leur époque.

Excusez ce long bavardage, je voulais vous dire un mot de politique et vous annoncer que j'ai été sur le point d'envoyer d'ici ma démission de député au président du Grand Conseil. C'est décidément un terrain trop compliqué pour moi. Les lois de la Nature et de Dieu sont plus simples.
Votre dévoué
E. Desor

Réponse

Travers 28 juin 1862
Mon cher Desor,

Votre lettre de Neuchâtel (lisez Aix-les-Bains, je suppose) en date du 25 juin m'est bien parvenue. Je commence par vous remercier d'avoir pensé à m'écrire, comme aussi des détails pleins d'intérêt que vous me donnez sur les diverses circonstances qui ont accompagné votre séjour à Aix.

Par contre vous ne me parlez pas de politique tandis que, si je prends immédiatement la plume pour vous répondre, c'est pour vous entretenir uniquement de ce sujet. Vous connaissez ma franchise, or je vous dis carrément que j'ai quelque chose contre vous, et je puis vous dire aussi que ce sentiment est partagé par ceux de vos amis qui ne marchent pas avec vous en politique.

Je ne reviendrai pas sur les élections du 4 mai, mais je vous avouerai que j'ai été profondément froissé de la conduite de votre parti et par les conséquences de la vôtre, lorsqu'il s'est agi de valider les élections au Grand Conseil. Vous avez voté dans une cause qui était la vôtre, puis lorsqu'il s'est agi de consigner le fait au procès-verbal de la séance, vous vous êtes apposés à ce qu'il en fût fait aucune mention.

Je ne sais pas comment on appelle cela en politique, mais je sais par contre comment on qualifie un pareil fait en jurisprudence et quel nom on donne au juge qui se permet d'opiner dans sa propre cause.

Voilà, mon cher Desor, les deux points entre autres sur lesquels j'aimerais avoir une conversation avec vous et quelques explications, si toutefois vous le jugez convenable, car je dois vous avouer qu'il me serait extrêmement pénible de modifier ma manière de voir un homme dont sans doute je ne partage pas toutes les opinions, mais avec lequel au moins je suis presque toujours parfaitement d'accord lorsqu'il s'agit de l'amélioration morale et matérielle de nos semblables.

Encore une fois, mon cher Desor, pardonnez moi ma franchise et veuillez croire que si je critique les actes, je ne me permets pas de juger les hommes qui les commettent, ce qui me mets fort à l'aise pour vous assurer que, quoiqu'il arrive de tout ceci, je n'en conserverai pas moins pour vous une réelle affection.

Lettre de monsieur Desor

Neuchâtel le 1 juillet 1862
mon cher monsieur de Montmollin

Comme je ne puis pas aller faire de la politique au château, étant retenu chez moi par un nouvel accès de rhumatisme inflammatoire, essayons d'en faire ici puisque vous m'y invitez. Ce sera peut-être tout aussi édifiant et en tous cas plus franc. Et d'abord permettez que je commence par vous remercier de votre sincérité en laquelle j'ai la plus entière confiance. Aussi bien s'il n'en était pas ainsi, je ne condescendrais pas à me justifier et encore moins à m'excuser, car comme en tout ceci je n'ai aucun intérêt personnel, je me trouve placé sur un terrain beaucoup plus facile que beaucoup d'autres hommes politiques. J'au pu et puis encore me tromper, mais au moins mon erreur n'est ni intéressée, ni calculée.

En ce qui concerne le vote des députés de Neuchâtel, je ne vous cacherai pas que la position dans laquelle je me trouvais m'a causé un embarras et un malaise réels. Il est évident que s'il avait été question d'une affaire individuelle, j'en aurais agi autrement, mais malheureusement nous sommes dans le domaine politique, et ici, il faut bien en convenir, quelque déplorable que ce soit, les principes et les règles de la morale se présentent souvent sous un jour bien différent. Il est certaines personnes que je respecte beaucoup parce qu'elles sont en effet respectables et qui pourtant ne se font pas faute d'user de toutes sortes de petits moyens, qu'elles répudieraient hautement dans la vie ordinaire. C'est parce que je suis obligé de rappeler certains incidents de cette nature que je désire que notre correspondance sur ce point demeure confidentielle. Je veux parler de M. Calame, dont la conduite dans cette affaire n'a pas été sans influence sur la mienne. Ayant appris que M. Calame avait signé la protestation contre les élections de Neuchâtel, je m'attendais d'un jour à l'autre à le voir donner sa démission et j'étais à peu près décidé à en faire autant, non pas que je crusse à la validité des griefs allégués, mais parce que je devais tenir à ce que mon élection ne fût contestée d'aucune façon. Je ne fus pas peu surpris lorsque je vis M. Calame venir déclarer emphatiquement au Grand Conseil qu'il s'abstiendrait de voter. Il était évident que cette déclaration n'avait d'autre but que de nous entrainer à en faire autant. C'était faire de la morale à bon marché, car son abstention ne pouvait avoir aucune conséquence pratique, tandis que la nôtre déplaçait, ou du moins menaçait de déplacer la majorité. J'en fus froissé, et instantanément nous retrouvâmes, M. Eugène Jeanjaquet et moi, sur nos lèvres la même exclamation "humbug!". A partir de ce moment mon parti fut pris; on nous tendait un piège, nous ne devions pas nous y laisser prendre.

Depuis lors je n'ai pas regretté un seul instant mon vote. D'ailleurs si j'avais eu des doutes, ils se seraient dissipés devant la déclaration catégorique de M. Dardel, président de la commission, qui vint déclarer hautement que la commission avait été unanime pour penser que les députés de Neuchâtel devaient voter. Et pourtant M. Dardel est conservateur ! Je ne m'en tins pas à cette déclaration publique; j'eus un entretien particulier sur le même sujet avec M. Dardel, qui me déclara de la manière la plus formelle que non seulement dans son opinion, les députés de Neuchâtel devaient voter, mais en outre qu'il se serait rangé lui-même du côté de la majorité, s'il s'était élevé le moindre doute à cet égard, car ajouta-t-il, c'eût été un traquenard auquel vous ne deviez, ni ne pouviez vous laisser prendre. Ce sont là à peu près les propres termes dont M. Dardel s'est servi, et je ne doute pas qu'il ne vous les confirme, si vous le lui demandez. Et cependant il n'est pas étranger à la jurisprudence! Quand à la valeur de la protestation, nous en causerons une autre fois. Je me bornerai pour le moment à vous citer un simple fait entre un plus grand nombre, c'est que le nom de M. Maret s'y trouve et cependant M. Maret m'avait déclaré n'avoir pas signé. Quand je lui fis voir cette signature sur l'original de la protestation, au Grand Conseil, il ne se fit pas faute de déclarer hautement que c'était un faux. Et voilà comment on procède en politique! Et maintenant que je vous ai parlé franchement à mon tour, permettez que je vous serre la main et me dire encore votre dévoué
E. Desor

On me dit que votre fils a des chances d'être élu au tribunal du Val-de-Travers. J'en suis enchanté, car je l'aime et l'apprécie.

---------- ----------

Neuchâtel le 2 juillet 1862
mon cher monsieur de Montmollin

Au train dont y va mon rhumatisme, je crains bien que je ne sois forcément chez moi vendredi tout le jour et par conséquent tout le jour à votre disposition. Si par l'effet d'un heureux hasard, il en était autrement je vous en avertirais suivant vos directions. Je vous écris ces lignes de mon lit où j'ai passé toute la journée. Malgré toute la philosophie dont je cherche à m'armer, je ne parviens pas à me donner le change sur la longueur des heures de douleur.

J'ai vu la signature de M. Calame sur la protestation; elle figure au haut d'une page sans accompagnement de prénoms
Toujours à vous
E. Desor

P.S. Il s'est passé hier des scènes regrettables à la commission d'éducation de la commune. En avez-vous connaissance?

---------- ----------

21 mai 1862 Le Conseil de la banque assiste en corps à la pose de la pierre de l'angle de l'hôtel de la banque pour y déposer une boîte en plomb renfermant divers documents, etc., etc., Le procès-verbal de cette séance peut être consulté dans les registres de la banque cantonale neuchâteloise.

juillet-décembre 1862

12 juillet 1862 Elizabeth et Herman reviennent de leur voyage de noces

22 juillet 1862 J'eus à Neuchâtel la visite de notre cousin Louis Ph. de Luze, consul suisse à New-York. Il était venu en Suisse pour régler les affaires de la succession de madame la baronne de Mettingh sa mère, et il profita de son voyage pour payer ses créanciers, au moins ceux de la famille, mais seulement le capital. Les intérêts se seraient élevés à une trop forte somme selon lui, car ces dettes avaient été contractées il y a longtemps, et ayant fait de mauvaises affaires, il n'avait pas pu en servir les intérêts pendant bien des années.

23 juillet 1862 Nous allâmes nous établir aux Ruillères où Elizabeth et Hermann vinrent se fixer avec nous le 1 août.

Le mercredi 6 août 1862 dans la soirée, je fus prévenu qu'on avait vu pendant toute la journée plusieurs hommes d'assez mauvaise mine rôder autour des maisons, et ils étaient encore dans les environs à la tombée de la nuit. N'ayant pas d'armes en train, j'envoyai à Couvet prévenir les autorités à 10 1/4h. Deux hommes armés arrivèrent et furent suivis plus tard de plusieurs gendarmes qui firent des perquisitions dans les maisons voisines. A minuit je fus prévenu qu'on avait arrêté un des bandits aux Planes. Les autres s'étaient probablement réfugiés dans le canton de Vaud. Quoiqu'il en soit l'individu arrêté fut conduit à Môtiers de grand matin. Au reste nous fûmes certains le lendemain que nos craintes étaient fondées, car le jeudi à 8h il passa aux Ruillères un exprès du juge de paix de Concise pour le préfet du Val-de-Travers à l'effet de lui signaler ces bandits. Je n'ai en plus aucune nouvelle concernant cette affaire, mais dès lors nous avons été parfaitement tranquilles.

Un épisode assez comique se rattache à cette alerte. Une fois les gens de Couvet arrivés, j'étais allé me coucher en recommandant au domestique de les bien traiter. A minuit on heurte à ma porte. Moi "Entrez!" Emile "Monsieur, on en tient un, faut-il donner une seconde bouteille?"

31 août 1862 Nous rentrâmes à Travers. Relativement aux Ruillères, je consigne ici que Hermann y avait beaucoup travaillé à une statistique concernant la Caisse d'Epargne, travail que nous achevâmes avant de descendre.

Je note en outre que pendant notre séjour nous avions à notre table des Ruillères, soit pour un repas, soit pour un autre, 90 personnes, y compris un gouter offert à la fermière et à sa famille par Elizabeth et Hermann.

22 septembre 1862 Elizabeth et Hermann nous quittèrents pour aller à Saint-Aubin. Hélas! nous ne devions les revoir soit à Travers, soit aux Ruillères que dans de bien pénibles circonstances.

Evénements de famille
23 juillet 1862: Mort à Gerzensee de Mathilde, fille d'Eugène d'Erlach, cousin germain de ma première femme.
10 septembre 1862: Baptême de ma petite-fille Marguerite de Montmollin.

Faits divers, 3 juillet 1862: Dans les élections faites par le Grand Conseil au commencement de cette législature je mentionnerai comme m'intéressant particulièrement celle de mon neveu Alfred DuPasquier, en qualité de président du tribunal du Val-de-Travers, et celle de mon fils Georges comme juge au tribunal de Neuchâtel.

1 septembre 1862: Le télégraphe de Travers commence à fonctionner. J'expédie la première dépêche.

13 septembre 1862: Mort de Isaac Henri Clerc, notaire. C'était un neuchâtelois de la vielle roche, qui avait su capter la confiance des principales familles de Neuchâtel et entre autres de la famille de Pourtalès. Quoique très bienfaisant et ayant élevé une nombreuse famille de la manière la plus honorable, il avait acquis une belle fortune, due uniquement à son travail et à sa grande économie, jointé à une grande bonne foi et à une délicatesse exemplaire.

Pendant mon séjour aux Ruillères et à Travers je m'occupai activement de la formation de la société neuchâteloise pour l'avancement des sciences sociales. A cet effet nous eûmes aux Ruillères le 23 août une réunion avec monsieur Jules Sandoz et Frédéric de Perregaux et plus tard le 4 septembre une autre chez Desor à Combe Varin. Avec Jules Sandoz on convient de certaines bases qui servirent plus tard à fonder définitivement la société.

7 octobre 1862: Le général de Courtigis et sa femme viennent passer la journée avec nous. Ils m'invitent très obligeamment à aller passer quelques jours chez eux à Versailles.

21 octobre 1862: Je m'établis à Neuchâtel, mais ma chère femme retenue à Travers par une indisposition, ne peut me rejoindre que le 24.

1 novembre 1862: Elizabeth et Hermann s'établissent chez nous.

18 novembre 1862: Depuis quelques temps déjà je songeais à vendre ma montagne de la Dame qui était d'un rapport assez minime. Je fis faire des ouvertures à Alexandre de Pourtalès, et cela à la suite de pourparlers que j'avais eu avec son homme d'affaires le notaire Gaberel. Je fis le prix de F. 140'000, réduit ensuite à F. 137'500, mais ce prix ne fut pas accepté. On verra plus tard pourquoi je me suis décidé à baisser mes prétentions et quelles furent les raisons qui me décidèrent à vendre un immeuble qui avait été créé en quelque sorte par le Chancelier de Montmollin.

20 novembre 1862: Je reçois la visite de Ferdinand Bellenot de Monruz qui vient me proposer d'acquérir l'usine à gaz de concert avec d'autres personnes à désigner. Nous convînmes des noms de ces personnes et le lendemain 21 nous eûmes une conférence avec lui, son frère Gustave, Alphonse Henri Clerc et Alphonse de Pury, conférence dans laquelle il fut décidé d'acquérir aux meilleures conditions possible, sauf à prendre plus tard une détermination définitive. En attendant on s'imposa le secret le plus absolu sur toute cette affaire.

31 décembre 1862: J'eus la visite de Guillaume de Pourtalès qui dîna avec nous. Je terminai mes notes de l'année par ce qui suit:

Je te béni, mon Dieu, des grâces sans nombre dont tu n'as cessé de me combler pendant l'année qui vient de s'écouler. Veuilles continuer à me garder moi et ceux que Tu m'as donné et si Tu me réserves des épreuves pour l'année qui va commencer, donnes-moi de les supporter avec patience et soumission à Ta bonne et Sainte volonté. Amen!

Evénements de famille
19 octobre 1862: Enterrement de M. DuBois-Bovet, cousin de ma première femme.
14 décembre 1862: Naissance d'un garçon chez mon neveu Alfred DuPasquier à Fleurier

Faits divers, 6 novembre 1862: Inauguration de la ligne Pontarlier-Neuchâtel, reliant le franco-suisse avec le Paris-Lyon.

8 novembre 1862: Mise en activité du nouveau service des Incendies, organisé essentiellement par le lieutenant colonel de Mandrot.

30 novembre 1862: Enterrement à Neuchâtel de la chanoinesse de Chambrier, qui vivait habituellement à Souaillon.

22 décembre 1862: Enterrement de madame Piaget, femme d'Alexis Marie Piaget, conseiller d'Etat depuis 1848.

Pendant les trois derniers mois de cette année, je m'occupai activement de la formation de la société neuchâteloise pour l'avancement des sciences sociales. Après beaucoup de pourparlers et un assez grand nombre de réunions d'un comité provisoire, la société se constitua définitivement dans une réunion générale des personnes qui s'étaient annoncées comme désirant en faire partie. Cette réunion eut lieu à l'hôtel de ville le 15 décembre et on procéda à la nomination définitive du Comité qui fut composé comme suit:

  • François de Montmollin, président
  • Jules Sandoz, vice-président
  • Ed. Desor, vice-président
  • Jean de Merveilleux, secrétaire
  • Ayer
  • Frédéric de Perregaux
  • Alphonse Petitpierre
Indépendamment de la dite société, je fus encore occupé et surtout très préoccupé d'une manière fort pénible de la compagnie neuchâteloise d'Exportation qui s'en allait complètement à la dérive vu la mauvaise foi de certains membres du conseil d'administration et la faiblesse inqualifiable du directeur M. LeDouble, ainsi que de certains membres du comité de direction que je ne nomme pas et pour cause.

On dut commencer par exiger des membres du conseil d'administration les plus compromis qu'ils se retirassent, puis on les remplaça par deux des plus forts actionnaires et par M. Auguste Leuba de Colombier qui n'avait pas assez d'actions pour faire partie du conseil (il en faut 50) mais auquel je cédai les miennes d'une manière fictive, se sorte que dès ce moment je ne fus plus actionnaire, du moins ostensiblement. Cette mesure redonna un peu de crédit à la compagnie. Néanmoins à la fin de l'année, elle était encore dans une position fort critique. Nous verrons plus outre ce qui en advint.

(la compagnie n'est pas encore hors de peine, tant s'en faut, note de juillet 1864)

1863

1 janvier 1863 Le dîner du nouvel an a lieu chez mon frère.

15 janvier 1863: Eugène d'Erlach, revenant de Greng, m'apporte un souvenir de M. Fritz de Pourtalès, consistant en une cassette de voyage, dont il se servait surtout lorsqu'en 1831 nous étions en garnison à Genève. Ce souvenir, offert pas son fils Guillaume, m'est très précieux.

5 février 1863: Six personnes se réunissent chez moi pour décider l'acquisition de l'usine à Gaz de Neuchâtel. Ce sont messieurs Ferdinand et Gustave Bellenot, Louis de Pury, banquier, Alphonse de Pury-Muralt, Alphonse Henri Clerc et moi. Plusieurs pourparlers eurent encore lieu et l'acte d'achat aux noms ci-dessus fut définitivement arrêté, conclu et passé le 4 avril.

9 mars 1863: Vente de la Dame à Alexandre de Pourtalès au prix de F. 127'500.-. Les raisons qui me décidèrent à vendre cet immeuble sont les suivantes:

  1. Comme je l'ai déjà dit, cette propriété était d'un rapport assez minime.
  2. Je faisais un bénéfice d'une trentaine de mille francs sur le prix de l'hoirie
  3. J'avais la quasi certitude qu'un immeuble d'une aussi grande valeur, ne pourrait être conservé soit par l'un soit pas l'autre de mes enfants, Georges étant déjà propriétaire de la maison de la ville et Elizabeth de la propriété du Faubourg.
  4. Cette vente me mettais à même, sans trop me gêner de m'élargir un peu en faveur de mes enfants, auxquels je donnai à chacun d'eux, le jour de la passation de l'acte une somme de F. 25'000.-.

30 mars 1863: J'envoie à Lausanne ma démission de membre du conseil d'administration de la compagnie d'assurance "La Suisse". Si je pris cette détermination, c'est que d'abord les courses mensuelles à Lausanne commençaient à me fatiguer; ensuite que je prévoyais un conflit possible entre M. Rey, l'ancien directeur et le conseil d'administration, conflit duquel j'aurais nécessairement dû me mêler à cause de mes relations plus particulières avec Rey. Or comme les prétentions de Rey dans cette affaire me paraissaient passablement saugrenues, je préférais m'abstenir et couper court à toutes correspondances et démarches à ce sujet, d'autant plus que j'avais la tête extrêmement fatiguée par d'autres préoccupations, ce que nous verrons dans un moment.

17 mars 1863: Mort de mon neveu Albert de Stürler. Il était malade depuis fort longtemps, et pourtant n'avait pas quitté définitivement le service d'Autriche, où il se serait distingué, s'il eût vécu. Je l'aimais beaucoup, d'abord parce qu'il était mon filleul, puis parce qu'il était doué des qualités les plus aimables. C'est un des beaux caractères que j'ai jamais connu. La preuve en est les regrets profonds que sa mort a causé à ses amis et à ses anciens camarades de service.

21 mars 1863: On fut obligé de conduire Eugène d'Erlach à Préfargier.

Faits divers, 26 janvier 1863: Enterrement du capitaine Alexandre de Dardel. C'était, à ce que je crois, le dernier survivant des amis de mon père.

13 février 1863: Mort de monsieur Philippe Bovet-Mumen. Grande perte pour sa famille et pour les pauvres. Il était membre de la direction de la Caisse d'Epargne et du Conseil d'Administration de la banque cantonale. L'enterrement eut lieu à Boudry le 16. Je fus l'un des porteurs du coin du drap.

21 février 1863: Enterrement de Samuel Petitpierre, mort à 34 ans d'une fièvre typhoïde. C'était un homme remarquable par sa piété, sa bienfaisance et sa simplicité. Il s'occupait de beaucoup de choses utiles, mais sans bruit et avec une modestie exemplaire

18 mars 1863: Première réunion du conseil d'administration du Crédit Foncier. J'en suis nommé président.

21 mars 1863: On annonce la mort de M. Henri F. Calame, malade depuis trois semaines et atteint d'une fièvre typhoïde dont l'intensité laissait peu d'espoir de guérison. Perte immense pour son pays, car il était chef du parti conservateur et rédacteur en chef, sinon unique, de son organe "le Neuchâtelois" qui cessa de paraître dès le jour de sa mort et fut remplacé par un autre journal ayant les mêmes tendances, mais pas aussi exclusives "la Gazette de Neuchâtel".

L'enterrement auquel assistaient 5 à 600 personnes de toute opinion politique, eut lieu le 23.

30 mars 1863: Enterrement de Georges de Pourtalès, mort au Havre et ramené à Neuchâtel.

Indépendamment de ce qui précède. je fus encore excessivement préoccupé pendant ces trois mois de la situation critique de la société neuchâteloise d'Exportation. Elle était aux abois et ce ne fut qu'avec des efforts inouïs et l'aide pécuniaire de quelques uns des membres du conseil d'administration et entre autres de M. Alphonse de Pury-Muralt, qu'elle put continuer à marcher. Ce n'était pas la somme que j'avais hasardée dans cette affaire (F. 10'000) qui me préoccupait le plus, mais bien la position de la banque cantonale qui avait en portefeuille une somme très considérable du papier de la compagnie. Cet état de choses inquiétant ne rendait pas l'humeur du directeur de la banque fort agréable, ce qui rendait extrêmement pénible mes visites journalières à la banque. Aussi fus-je obligé de m'abstenir momentanément de mes fonctions de président. Toutefois cette abstention ne fut pas longue, car elle ne se prolongea que huit jours, soit du 26 février au 5 mars [Nous verrons par la suite qu'une nouvelle abstention d'occupation durera plus longtemps].

A dater de ce moment tout ce qui concerne ma chère fille Elizabeth sera consigné à la fin de chaque trimestre. Hélas ce ne sera pas long!

20 avril 1863 Réunion des membres de la direction de la Caisse d'Epargne dans laquelle il fut résolu qu'une nouvelle maison plus appropriée aux besoins de l'établissement serait construite.

23 avril 1863 J'eus avec messieurs Paul Jeanrenaud, Ritter, ingénieur, une conférence sur la question des eaux à Neuchâtel. Je déclarai à ces messieurs que j'étais tout prêt à donner mon appui à cette affaire mais que mes occupations et l'état de ma santé ne me permettaient pas de m'en occuper activement.

25 avril 1863 Les intéressés à l'usine à gaz signèrent l'acte constitutif de la société anonyme concernant cette affaire. Les statuts ayant été sanctionnés par le Grand Conseil, ce fut le 29 juin qu'eut lieu la première réunion du conseil d'administration, composé des membres fondateurs. Je fus nommé président et Ferdinand Bellenot vice-président.

27 avril 1863 Le général de Courtigis m'ayant fort obligeamment offert l'hospitalité chez lui à Versailles, je me décidai à accepter son invitation et je partis par le train direct pour Paris. Je transcris ici le peu de notes que je pris à mon retour.

Dimanche 27 mai 1863:Voilà trois jours que je suis revenu de mon voyage, mais étant assez indisposé, je n'ai pris encore aucune note. Aujourd'hui étant mieux, quoique pas encore bien, je recommence. Le jour de mon départ il n'y avait pas un seul nuage au ciel dans toute la plaine suisse. Ce même phénomène a duré la plus grande partie de la nuit, et ce n'est qu'à Montereau, vers 4h du matin, que le ciel a commencé à se voiler un peu, ce qui a continué de telle sorte que, arrivé à Versailles vers 9h, il était complètement couvert de nuages. J'ai passé 15 jours chez les Courtigis et m'y suis fort bien trouvé. Il est impossible d'être plus aimable qu'il ne l'ont été à mon égard et je conserverai de ce séjour le souvenir le plus agréable. Néanmoins je suis parti de Versailles assez indisposé, mais n'anticipons pas. J'ai été bien souvent à Paris, soit pout y voir mes amis et connaissances, soit pour faire des commissions. J'y ai vu entre autres messieurs Guillaume de Pourtalès, Boy de la Tour, Guebhard et Oppermann. Les deux premiers ont été pleins d'attention pour moi, mais surtout Guillaume qui avait mis son appartement à ma disposition, facilité dont j'ai peu usé il est vrai, mais qui n'en était pas moins fort agréable. Du reste j'ai beaucoup plus profité de mon voyage pour visiter les environs de Versailles que Paris; et grâce à Courtigis j'ai pu voir plusieurs choses que les touristes ne sont pas ordinairement admis à visiter. C'est ainsi qu'au Fort de la Faisanderie, à proximité de Vincennes, j'ai assisté à la totalité des exercices de gymnastique introduits dans l'armée française, exercices vraiment surprenants d'adresse, d'agilité et de force musculaire. C'est ainsi encore que, à Versailles, j'ai été admis à visiter dans tous les détails le potager de l'Empereur qui est à l'usage exclusif des Tuileries et de St. Cloud. Le directeur de cet établissement, M. Hardy, ne peut sous aucun prétexte, disposer d'un seul fruit, d'un seul légume nécessaire à l'alimentation du château. Ce service se fait dans des fourgons conduits pas les chevaux de l'établissement. Tout est si habilement calculé dans les serres et couches que tous les jours on expédie des raisins, pêches et cerises, ananas, etc., etc. qui sont cueillis au fur et à mesure des mains du service. J'avais eu l'idée de ne pas revenir directement à Neuchâtel en quittant Versailles, mais le dernier jour, en rentrant d'une promenade avec le général, j'ai été pris d'un frisson qui m'a forcé de me mettre au lit. Je n'en suis pas moins parti le lendemain, mercredi. Je suis venu coucher à Dôle et jeudi j'arrivai à Neuchâtel, assez indisposé d'un gros cathare qui m'a retenu jusqu'à aujourd'hui.

25 mai 1863 Je réunis chez moi Jules Sandoz et Frédéric de Perregaux. Je leur proposai comme question intéressante à traiter par les sciences sociales, la réforme pénitentiaire. Nous convînmes que nous proposerions à M. Charles Lardy, docteur en droit, de s'occuper de l'affaire. Je me chargeai de le lui proposer. Il accepta et prit l'engagement d'étudier la question et de faire un rapport à ce sujet.

29 mai 1863 Nous allâmes en établissement à Travers. Au moment de notre arrivée M. Blanchard venait de recevoir un télégramme lui annonçant sa nomination au poste de pasteur de la paroisse de Vilette et Grandvaux, au-dessus de Cully. Le 31 il reçoit sa nomination officielle et annonce que son installation aurait lieu le 28 juin. Je transcris:
Immense perte pour la paroisse et pour nous. C'est sous cette impression que je reçois la communion de sa main. Hélas! selon toute apparence pour la dernière fois. (Les choses se sont mieux arrangées que je n'osais l'espérer, note de juillet 1864).

9 juin 1863 Quelques personnes se réunissent pour aviser aux moyens d'offrir à M. Blanchard un souvenir de son départ. On convient pour lui d'un chronomètre de 450 à 500 et pour madame d'une chaîne de F. 80 à 100.-.

28 juin 1863 Pendant que nous étions momentanément à Neuchâtel et dans la nuit du 27 au 28 il éclata un violent orage qui fut assez général et j'appris qu'à Travers la fondre était tombée sur un peuplier au bord de la rivière, en face du château.

30 juin 1863 Enterrement de M. de Perrot, ancien maire de Neuchâtel

J'en viens maintenant à ce qui concerne ma chère fille:

Le 7 avril 1863 à 1 3/4 de l'après-midi, elle mit au monde une grosse fille que son père fit inscrire sur les registres de l'Etat Civil sous le nom de Mathilde Sophie. A part quelques accidents jugés de peu d'importance d'abord, tout se passa convenablement. Les premiers jours il ne se manifesta aucun symptôme fâcheux, mais le 19 soit 12 jours après les couches, il devint certain qu'Elizabeth ne pourrait pas être nourrice. Il fallut alors prendre un parti. Le Dr. Cornaz insistait pour une nourrice, madame de Wesdehlen au contraire pensait pour le lait de vache. Moi-même j'étais de la même opinion; toutefois je ne me prononçai pas ne voulant assumer aucune responsabilité. Tout bien considéré, on s'arrêta à ce dernier parti et la suite a prouvé qu'on avait eu raison.

Pendant les premières semaines l'état de ma chère fille fut assez satisfaisant et donnait si peu d'inquiétude que, Hermann très tranquillisé fit un voyage à Berlin d'où il ne revint que le 26 mai. Cependant les forces ne revenaient pas, néanmoins le baptême de la petite eut lieu le 8 juin. Nous offrîmes à quelques parents un dîner auquel Elizabeth assista non sans fatigue. Du 9 au 9 Elizabeth et Hermann vinrent nous voir à Travers, puis ils retournèrent à Neuchâtel jusqu'à leur départ pour Saint-Aubin.

Le 24 des accidents commençaient à se manifester. Ma chère femme se rendit à Neuchâtel où je la rejoignis moi-même le 26. Nous revînmes à Travers ce jour-là, mais presque aussitôt arrivés, un télégramme d'Hermann nous apprit qu'Elizabeth avait repris mal. Cécile redescendit le 27 et je la rejoignis le 28 et remontai le 30 un peu rassuré. Le 2 juillet les Wesdehlen allèrent s'établir à Saint-Aubin et Cécile vint me rejoindre définitivement.

Pendant ce mois l'état d'Elizabeth fut tolérable quoique j'ai lieu de craindre que le genre de vie de Saint-Aubin était bien fatiguant pour elle. Quoiqu'il en soit elle se entait assez bien puisque le 27 elle vint à Travers avec son marie pour nous quitter le 29 en assez bonne disposition.

Cependant le 2 août après une visite que lui avait faite le Dr. Cornaz, il fut décidé que le séjour de la montagne étair nécessaire. Nous primes immédiatement les arrangements nécessaires pour nous transporter aux Ruillères le plus tôt possible et ce fut le 4 qu'Elizabeth et Hermann arrivant par le train de 5 heures, nous partîmes immédiatement Cécile et Elizabeth en char, Hermann et moi à pied. La course se fit sans trop de fatigue pour notre chère malade qui eut une assez bonne nuit. Il est à remarquer qu'on avait laissé la petite à Saint-Aubin aux soins de madame de Wesdehlen, mais surtout de madame de Simonetti sa tante.

Les symptômes ne s'améliorant pas dans la première semaine, j'écrivis à Cornaz qui vint nous voir le 17. Dès ce moment et d'après ce qu'il me dit je commençai à avoir de grandes inquiétudes quoiqu'il cherchât plutôt à me rassurer et il fut décidé que nous ne tarderions pas à redescendre à Travers, l'air de la montagne n'ayant pas eu l'effet qu'on en attendait. Notre chère enfant avait des accès de toux très pénibles pour elle et très angoissants pour nous, et la faiblesse allait en augmentant. Ce fut donc le 21 que nous vînmes de nouveau nous établir à Travers.

Dans les premiers jours les symptômes furent meilleurs. Les nuits étaient bonnes, Le 25 madame Simonetti vint avec la petite, ce qui fut le sujet d'une grande joie pour la mère.

Cette amélioration apparente dura jusqu'au 7 septembre, mais ce jour-là notre chère malade fut saisie dans la matinée d'un violent frisson, suivi d'une transpiration abondante qui n'annonçait rien de bon.

Devant employer tous les moyens possibles pour rendre la santé à notre chère fille, une cure de raisins fut ordonnée. J'en fis venir d'Aigle et la cure commença le 11 septembre. Les premiers jours cela alla parfaitement, les forces avaient l'air de revenir un peu; mais hélas cela ne dura pas, car au bout de peu de jours Elizabeth ne mangeait plus son raisin qu'avec répugnance. Il fallut songer à retourner à Neuchâtel où j'arrivai de ma personne le 24. Le 25 au matin j'envoyai une voiture à ces dames qui malgré l'inondation arrivèrent heureusement à 4 1/2h.

Comme l'état s'aggravait de jour en jour, il y eut dès le lendemain de notre arrivée une consultation entre les Dr. Cornaz, Anker et Barrelet. Il s'agissait de savoir si peut-être un changement de climat serait utile. Ces messieurs, après examen approfondi de notre chère malade, déclarèrent unanimement que vu la situation et les dispositions de notre logement, il valait mieux rester à Neuchâtel.

Cette sentence ne me rassura pas tant s'en faut, mais elle me tranquillisa dans ce sens que tout ce que je redoutais c'était un voyage dans les circonstances où nous nous trouvions. Au reste Elizabeth fut très heureuse de cette décision. Puisqu'il n'était plus question de départ, il fallut songer aux arrangements pour l'hiver. Nous abandonnâmes la salle à manger pour la donner à Elizabeth. Cécile prit le petit salon pour sa chambre et nous reprîmes la chambre donnant sur le lac comme salle à manger. De cette manière notre chère fille était établie aussi confortablement que possible, puisqu'à partir de ce moment nous occupâmes le grand salon où elle pouvait se rendre facilement ainsi que dans les chambres, si ses forces le lui permettaient.

octobre 1863: Dès ce moment l'état de notre chère malade alla en empirant d'une manière effrayante. Le 1 octobre il se manifesta un dévoiement, signe précurseur d'une fin prochaine. Néanmoins ces jours d'angoisse furent un peu adoucis pour Elizabeth d'abord par le retour de sa petite fille de Saint-Aubin le 2 octobre, et le 9 par une visite de quelques heures d'une ancienne amie de pension, Alice Ritschard, venue tout exprès de Montreux pour la voir encore une fois. Maintenant je transcris mes impressions des derniers jours.

11 octobre 1863: Elizabeth a demandé au docteur si elle n'avait rien à la poitrine. Il lui a répondu très franchement qu'il mentirait s'il lui disait que non. Ma chère fille a eu un mauvais moment, mais elle s'est bientôt remise. Cette chère enfant est admirable de patience. Cette chère enfant est admirable de patience et de vraie résignation. Oh! mon Dieu soutiens-nous tous, mais surtout son pauvre mari. Donnes-nous, donnes lui surtout la force nécessaire pour supporter les épreuves qu'Il te plaira de nous disposer.

18 octobre 1863: La nuit n'a pas été trop mauvaise et malgré que notre chère malade souffre à la plante des pieds, elle ne se plaint point. Sa sérénité est toujours la même.

19 octobre 1863: La faiblesse augmente toujours, mais notre chère fille continue d'être si bien disposée et si affectueuse que cela répand un peu de baume sur la blessure. Plus tard dans la journée, notre pauvre malade a beaucoup d'angoisses et demande constamment à changer de place.

L'état de ma chère fille n'a pas sensiblement changé depuis ce matin. Ce soir les rêveries sont plus fréquentes. Elle est très agitée. C'est sa tante Julie qui la veille avec Sophie (notre femme de chambre)

20 octobre 1863: Après une nuit très agitée l'agonie a commencé vers 3h. Je ne l'ai su que lorsque je me suis levé à 5 1/2. Plusieurs fois j'ai embrassé cette chère enfant. A 7 1/2h lui ayant dit "au revoir" il m'a semblé voir un léger sourire sur ces lèvres. 8h notre chère fille a décidément repris momentanément sa connaissance. Elle a souri à son mari, elle a très bien compris le docteur, enfin elle a témoigné un immense plaisir de voir sa petite, mais hélas! Tout ce qu'elle dit est parfaitement inintelligible. Mon Dieu ! aies pitié d'elle et de nous.

21 octobre 1863: Après des alternatives d'un léger délire et de connaissance, notre chère malade a rendu son âme à Dieu à 9h du soir hier mardi. Un sourire vraiment céleste s'est manifesté sur ses lèvres au dernier soupir, ce qui a vivement impressionné Hermann qui en a été témoin. Je n'étais pas là, ayant été demander ma chère femme, laquelle exténuée de fatigue et ne croyant pas la fin si proche, était allée se reposer sur mon lit pendant quelques instants.

J'ajoute que Hermann avait témoigné le désir que l'on appelât encore M. Godet (c'était dans l'après-midi) lequel, au chevet de la malade, et entouré des membres des deux familles, a fait une prière à laquelle Elizabeth a pu s'associer, cat c'était das un de ses moments lucides. Au moment où M. Godet demandait à Dieu d'abréger ses angoisses, Elizabeth prononça distinctement ces mots qui furent, je crois, ses dernières paroles "mais je n'ai point d'angoisse!"

Expédition des fairepart au nombre de 400 environ, dîner avec Hermann, Georges et Mathilde. Soirée dans ma chambre avec Cécile, Hermann et Sophie de Tribolet. Maurice et Ferdinand DuPasquier veillent.

22 octobre 1863:Expédition de faire part oubliés. Nous dînons seuls avec Cécile et Hermann. Chez ma belle-mère avec Cécile. Les Wesdehlen, sauf monsieur, passent la soirée avec nous. Albert Pury nous fait une lecture. Ce soir veillent Mlle Mathilde DuPasquier, Elizabeth et Louise de Meuron.

23 octobre 1863: Enterrement !!! Le sacrifice est accompli. Mon Dieu! que ta volonté soit faite.

20 juin 1863: Etant curieux de voir le tir fédéral à la Chaux-de-Fonds, je partis de Travers à 4h du matin avec le char d'Henchoz jusqu'au Locle. De là par chemin de fer j'arrivai à la place de tir avant 8h. Je note en passant que quoiqu'au 20 juillet, il y avait sur les marais des Ponts et de la Chaux-du-Milieu une blanche gelée si intense que j'avais tellement froid en arrivant aux Ponts que je ne pus me réchauffer qu'en marchant jusqu'aux Joux d'un pas très accéléré. Arrivé au Stand, je ne pus résister au désir de tirer quelques coups. En conséquence je me fis inscrire au nombre des membres de la société; je tirai 30 coups et fis 3 cartons aux bonnes cibles, ce qui me valut un prix fort minimum (3 cuillères à café). Il faut dire que le vent était assez fort et que sans aucun doute j'aurais mieux réussi, si mon chargeur, ce que je n'appris que trop tard, n'avait pas eu la malheureuse idée de guidonner ma carabine, ce que je n'avais jamais fait dans ma longue pratique. Après mes exploits j'allai me promener dans la ville et visiter l'exposition d'horlogerie. En en sortant je rencontrai Georges avec lequel nous allâmes visiter le pavillon des prix puis dîner à la Cantine. Je repartis tôt après, j'allai voir en passant mon ami Jules Huguenin Vuillemin à son chalet de Belleroche et je fus de retour à Travers à 6 1/2h. Voici mes réflexions sur le tir. Je transcrit:
Quelqu'opinion qu'on aie sur le tir de la Chaux-de-Fonds, il faut reconnaître que tout s'y passa avec beaucoup de décence et dans le meilleur ordre. Pas une rixe, pas un homme ivre. Les discours à la cantine sont tous empreints d'un grand besoin de conciliation. En un mot les apparences sont magnifiques. Reste à savoir quels seront les fruits de cette fête. C'est ce qu'il n'est pas trop possible de savoir, car avec les radicaux il faut s'attendre à tout !!

4 août 1863 Départ pour les Ruillères où nous allions à cause d'Elizabeth; nous en redescendîmes le 21. Point d'incident remarquable pendant ce séjour sauf en ce qui concerne ma chère fille, ce que nous verrons bientôt.

28 août 1863 Ma belle-mère et Uranie descendent des Ruillères

24 septembre 1863 Je redescendis à Neuchâtel et j'y fus rejoint le lendemain par Cécile et Elizabeth, lesquelles malgré l'inondation, purent faire le trajet en voiture.

27 septembre 1863 J'avais projeté de me rendre à Genève pour la réunion de la société suisse d'utilité publique, mais les communications sur la voie ferrée étant interrompues en plusieurs endroits sur la ligne d'Yverdon à Bussigny, je renonce à cette couse.

Faits divers, le 22 juillet le thermomètre Réaumur marquait à 5h du matin +18 degrés (22.5o Celcius). Je n'avais jamais vu une température aussi élevée à une heure si matinale et très probablement je ne serai jamais témoins d'un pareil phénomène. Maximum à midi +23 degrés (28.8o Celcius) et à 8 1/2h du soir +16 degrés (20o Celsius). Il tomba très peu de pluie entre 1 et 2 heures.

24 et 25 septembre 1863: Pluie continue et très abondante. Inondations dont on peut voir le détail dans les journaux. Le 25 je notais ce qui suit: Pluie abondante toute la nuit. Le Seyon, la Serrière, la Reuse, sont comme on les a rarement vus. Le temps ayant l'air de se remettre, je pars entre 6 et 7h pour Colombier avec la voiture qui va chercher la famille à Travers, mais la pluie reprend de plus belle. Néanmoins je vais visiter en gros l'exposition d'agriculture de la société de la Suisse romande à Colombier. Elle est fort belle malgré le temps. Que serait-ce s'il faisait beau ? Ce serait vraiment magnifique, car le village est admirablement décoré et l'exposition arrangée avec un goût parfait. Je reviens à pied par les Allées et le bas d'Auvernier, non sans risque d'être arrêté par les torrents qui tombent des vignes sur la route. J'arrive à Neuchâtel à 10h.

J'omettais de rappeler ici la mort de M. Bachelin qui eut lieu le 15 septembre. Ce jeune homme, doué de qualités très aimables, était d'une grande bonté, mais surtout d'une faiblesse excessive. Il s'était adonné à la boisson. Déjà veuf mais avant sa mort, j'avais été obligé, à l'instigation de son médecin le Dr. Cornelz, de lui faire sentir tout ce que sa conduite avait de dangereux. Il m'avait promis de rompre avec sa détestable habitude et il avait tenu sa promesse, mais hélas! c'était trop tard, le mal était fait.

Pasteur de Travers
M. Blanchard ayant donné sa démission, la paroisse se mit en mesure de trouver un autre pasteur, aucun de ces messieurs n'ayant répondu spontanément à l'appel fait par la direction des cultes. Je me tins, et pour cause, complètement en dehors du mouvement, au moins ostensiblement. On s'adressa à plusieurs ministres et entre autres à messieurs Borel, pasteur à la Côte-aux-Fées, Girard aux Brenets, Verdan et Comtesse au Locle, Frédéric de Rougemont, suffragant à Dombresson, pour lequel je donnai une lettre d'introduction aux délégués de la paroisse le 17 juillet. Tous ces messieurs ayant refusé, il fallut bien de guerre lasse s'adresser à M. Jacottet, de Saint-Sulpice, contre lequel s'étaient manifestées certaines préventions. Lors de la démarche qui fut faite auprès de lui, M. Jacottet ne laissa pas ignorer aux délégués qu'il était parfaitement au fait de ce qui s'était passé, néanmoins il accepta la candidature. En ayant été prévenu, je lui écrivis le 25 juillet pour lui témoigner ma reconnaissance ainsi que celle des dames au château.

2 août 1863 Dernier et excellent sermon de M. Blanchard au sortir duquel on lui offrit à la cure les cadeaux qui lui étaient destinés ainsi qu'à madame.

3 août 1863 Départ de monsieur et madame Blanchard. Je transcris:
Dernière promenade avec le pasteur après laquelle nous prenons congé, ne voulant pas aller nous mêler à la foule de la gare. C'est une des séparations les plus pénibles que j'ai subie dans ma vie. A part de très légers nuages dans nos relations, la plus grande intimité a régné entre nous pendant les dix ans que j'ai habité Travers ou les Ruillères pendant l'été. Nous étions d'accord sur nous. Religion et politique n'ont pour ainsi dire jamais amené de dissentiment entre nous. En un mot je perds un ami véritable que, à mon âge, on ne remplace guère. Dieu veuille qu'il soit bien remplacé !

9 août 1863 Election de M. Jacottet par 115 voix contre 111 données à M. Redard, pasteur au canton de Vaud.

23 août 1863 Installation de M. Jacottet par M. Evard, pasteur à Buttes. L'on m'engagea à assister au repas d'installation ce que j'acceptai avec plaisir. Le temple était comble pour le sermon et le discours de M. Jacottet fit grand plaisir aux auditeurs. Au reste tout se passa dans le meilleur ordre et nou eûmes lieu d'être complètement satisfait de cette journée.

12 et 13 octobre 1863 Depuis longtemps déjà je songeais à la conversion en 4% de la dette de 3 millions faite à Bâle en 1856 au taux de 4 3/4%. Je pris le parti d'aller à Bâle m'en entendre avec messieurs Passavant et Co. A mon retour, soit le 15 octobre, j'eus à ce sujet une longue conférence avec le directeur des Finances, M. Marcelin Jeanrenaud, qui accueilli cette ouverture avec reconnaissance, tout en témoignant beaucoup de doute sur la réussite d'une pareille opération, malgré tout ce que je pus lui dire des intentions de la Caisse d'Epargne pour une coopération active et proportionnée à la somme due.

Le 15 décembre nous reprîmes une conversation à ce sujet et je lui annonçai comme préliminaire que la Caisse d'Epargne se mettait à la disposition du gouvernement pour payer les intérêts du dit emprunt à Bâle dans les premiers jours de janvier 1864, ce qui fut accepté.

25 octobre 1863: Depuis la dernière guerre d'Italie monsieur J.H. Dunant de Genève, qui avait été sur le champ de bataille de Solférino, avait eu l'idée d'organiser des corps d'infirmiers volontaires, reconnus par chaque partie belligérante et cela eu égard à l'insuffisance des secours officiels donnés aux blessés (voir son ouvrage intitulé "Souvenirs de Solférino"). Cette idée ayant germé à Genève, la société d'utilité publique de ce canton nomma un Comité pour s'occuper de cette affaire. Elle s'adressa à la société des sciences sociales pour s'associer à cette oeuvre. Après beaucoup de pourparlers il fut convenu qu'un congrès international serait convoqué à Genève pour la fin d'octobre aux fins d'examiner si l'idée était viable. Ce congrès se réunit en effet et on verra par la liste ci-jointe que de prime abord l'appel avait été entendu. Ayant été délégué à cette conférence, je me rendis à Genève, si ce n'est pour prendre part aux discussions, au moins pour écouter ce qui se disait. On tomba d'accord sur de certaines bases. Chaque délégué s'engagea à en référer à son gouvernement respectif et on se sépara le 28 dans l'espoir que cette réunion porterait quelques fruits. (en effet l'idée a pris faveur, la preuve en est que, ces jours-ci un congrès officiel, convoqué par le conseil fédéral se réunit à Genève dans le but d'arriver à une entente sur ce sujet intéressant; note d'août 1864)

17 novembre 1863: M. F. Machon fils vint me parler du projet qu'il avait de fonder à Neuchâtel une société d'Union de Crédit, analogue à celle qui existe à Bruxelles. Nous eûmes à ce sujet quelques conférences spécialement avec messieurs L. de Pury, Nicolas, directeur de la Banque, et Machon. On tomba d'accord sur de certaines bases et on verra plus tard ce qu'il en advint.

18 novembre 1863: Depuis quelques temps déjà Guillaume de Pourtalès m'avait entretenu de certaines difficultés qu'il avait avec le baron de Steiger, ancien régisseur de sa terre de Tloskow en Bohême et il m'avait chargé de m'entendre avec son cousin Alexandre, chargé par M. Steiger de ses intérêts. Après bien des pourparlers, correspondance plus ou moins acerbe et propositions contradictoires diverses, l'affaire se termina ainsi que l'entendait Guillaume, qui avait fini par déclarer à M. Steiger que s'il n'acceptait pas ses propositions, il l'attaquerait devant les tribunaux.

20 novembre 1863: Ayant eu d'assez tristes nouvelles de mes neveux Pury, établis en Australie, dont les affaires ne marchaient pas, eu égard à la faillite de Paul Castella et à sa conduite plus qu'équivoque, nous adressâmes, Alphonse de Pury-Muralt et moi, aux créanciers de Guillaume une lettre pour leur demander un atermoiement. Les réponses furent toutes favorables! L'affaire en est là, mais hélas! il ne vient guère d'argent. Pauvres jeunes gens! pauvre mère! pauvre famille !! Qu'en adviendra-t-il ? L'avenir en décidera.

31 décembre 1863: Je termine mes notes de l'année pas ces mots: "Oh mon Dieu ! que ta volonté soit faire !"

2 novembre 1863: Nous nous occupons, avec Hermann, de faire ajouter aux nom de Mathilde Sophie, donnés primitivement à notre chère petite fille, celui de sa mère Elizabeth, qui sera le sien dorénavant. Ce n'est pas sans quelque peine que nous arrivons à cette adjonction, mais enfin nous réussissons, grâce à nos malheureuses circonstances et au bon vouloir des diverses autorités, soit judiciaires, soit administratives

11 décembre 1863: Mort de notre cousine Lize de Marval.

Je dois encore noter ici pour terminer ce qui me concerne personnellement que pendant les six derniers mois les affaires de la compagnie neuchâteloise d'exportation ne m'ont pas préoccupé outre mesure. Mais ... ... !!

24 octobre 1863: La banque cantonale prend possession de l'hôtel construit à son usage.

3 décembre 1863: On annonça le même jour le mariage des deux frères Alexandre et Jämes de Chambrier, le premier avec mademoiselle Courvoisier, fille de l'ancien pasteur de Cortaillod, le second avec mademoiselle Berthe de Sandoz.

22 décembre 1863: Enterrement de madame Carbonnier, la mère, par un temps épouvantable.

25 décembre 1863: Jour de Noël. Le temple du bas est éclairé au gaz pour la première fois.

1864

1 janvier 1864: Eu égard à nos circonstances douloureuses nous n'eûmes pas de dîner de famille; nos enfants seuls dinèrent avec nous. Je ne sortis pas et ne reçu d'autre visite que celle de mon frère.

6 janvier 1864: Décidément la mort de ma chère fille a été pour moi un coup plus fort que je ne l'avais présumé. Mes forces intellectuelles diminuent assez sensiblement; un rien ne m'émeut. Il suffit d'une discussion un peu vive ou un peu prolongée pour que j'en sois fatigué outre mesure. Je sens le besoin d'abandonner peu à peu les affaires, et comme commencement d'exécution je donne ma démission de président de la société pour l'avancement des sciences sociales.

1 février 1864: Les fondateurs du crédit mutuel se réunissent pour adopter et signer les statuts, qui furent non sans peine sanctionnés par le Grand Conseil. Une fois cette sanction intervenue, le conseil d'administration se réunit le 4 mars pour se constituer. Sur mon refus M. Louis de Pury, qualifié mieux que quiconque pour occuper ce poste, fut nommé président et on décida que les opérations de la société commenceraient le 1 avril.

Cependant je m'occupai toujours de la conversion de la dette de l'Etat et je finis par obtenir que monsieur Marcelin Jeanrenaud, directeur des finances, convoquât officiellement quelques personnes pour sonder l'opinion publique à ce sujet. La réunion eut lieu au château le 18 février et le résultat de cette conférence fut si favorable que je n'eus plus de doute sur la réussite. Cette conviction fut partagée par mes collègues, surtout lorsque je leur annonçai quelles étaient les ressources que la Caisse d'Epargne avait en réserve pour donner à la conversion une vive impulsion. Tranquillisé sur ce point, je me décidai à faire un voyage à Bâle pour m'entendre encore avec messieurs Passavant et Co. Tant dans ce but que dans celui d'éviter les saturnales du 1er mars, je fis en sorte de faire coïncider mon absence avec ce jour-là. Je partis donc le 29 février pour ne rentrer chez moi que le 2 mars et le 3 j'eus une nouvelle conférence avec le directeur des finances pour le mettre au fait de mes agissements.

10 mars 1864: Sur l'invitation de Guillaume de Pourtalès je me décidai à aller passer deux jours à Greng. Je m'y trouvai avec sa belle-soeur madame de Perpoucher et son beau-frère le comte Malzan. Je revins le 11 dans l'après-midi et je n'eus qu'à me louer de la réception toute cordiale des habitants de Greng.

28 mars 1864: Cependant la réussite probable, quoique non certaine encore, de la conversion de la dette de l'Etat, me suggéra définitivement l'idée, que je nourrissais depuis quelques temps déjà, que peut-être la Caisse d'Epargne, moins chargée en expectative par cette opération, pourrait peut-être venir en aide d'une manière quelconque aux municipalités des montagnes pour alléger leur fardeua. J'en écrivis donc à mon ami Jules Huguenin et nous verrons plus outre ce qui advint de cette ouverture.

Pendant les semaines précédant Pâques, on conçût l'idée quelque peu hardie aux yeux de plusieurs personnes d'avoir le dimanche des cultes du soir au temple du bas. Néanmoins la réussite fut complète. J'assistai avec ma chère femme à plusieurs des prédications dont quelques unes furent remarquables. Je n'en citerai que deux:

21 février 1864: Sermon de M. Robert-Tissot, pasteur à Saint-Blaise sur la guérison de l'aveugle né. Je fus tellement impressionné de ce discours que le soir même en rentrant à la maison, j'écrivis à M. Robert pour lui demander de le livrer à l'impression, ce à quoi il se décida. J'en achetai 50 exemplaires.

6 mars 1864: Sermon de notre neveu Gustave Rosselet, pasteur à Cortaillod sur "les femmes qui regardent de loin". Succès bien mérité. Ce discours a également été imprimé. En sortant du temple, Marval me disait du prédicateur "C'est le Spurgeon neuchâtelois!"

14 mars 1864: M. Louis de Pury m'annonce un nouvel établissement de crédit fondé aux montagnes, sous le nom de banque du Locle. C'est la continuation dans cette localité de la maison Pury et Co, mais sous forme de société anonyme au capital de 1 million. Cette affaire se présente sous des auspices si favorables que, avant le commencement des opération les actions dont on n'a pu obtenir qu'un bien petit nombre en dehors du Locle font déjà de F. 100 à 2000.- de prime. Les actions sont de F. 1000.-

5 avril 1864: Je convoquai pour ce jour-là messieurs Jules Huguenin du Locle et Jules Cuche de la Chaux-de-Fonds, tous deux membres de la direction de la Caisse d'Epargne pour, avant de faire des propositions au comité, m'entendre avec eux sur la manière en laquelle la Caisse pourrait venir en aide aux municipalités. Deux moyens furent proposés. Le premier était de prendre part à un emprunt que feraient les municipalités pour consolider leurs dettes flottantes, les secondes d'acheter des obligations de leur ancienne dette au dessous du prix sauf plus tard à leur bonifier cette différence et en outre de les débiter des sommes déboursées pour ces achats qu'à un intérêt de 4%, ce qui serait encore pour elles un avantage puisqu'elles paient 4 1/2% aux porteurs d'obligations. Toutefois il fut convenu que tout resterait parfaitement secret jusqu'après les souscriptions à la conversion de la dette de l'Etat qui devait avoir lieu du 1 au 15 mai.

Le 31 mai 1864 la souscription de la dette de l'Etat ayant réussi au-delà de toute attente et la Caisse d'Epargne devant y prendre un intérêt moindre que celui sur lequel j'avais compté, je résolus de reprendre sérieusement l'affaire des municipalités. En conséquence monsieur Louis de Pury eut l'obligeance de venir à Travers sur ma demande et nous convînmes que le comité de la Caisse d'Epargne serait cité à bref délai pour lui soumettre des propositions d'accord avec les préliminaires dont j'étais convenu avec messieurs Cuche et Huguenin. En effet la réunion du comité eut lieu le 6 juin. Nos propositions furent adoptées et messieurs L. de Pury et Sandoz-Morel furent chargés de sonder des membres influents des conseils des municipalités. Nous verrons plus tard à quoi ces pourparlers aboutirent.

Conversion de la dette
J'eus encore dans les premiers jours de mai quelques conférences avec le directeur des finances, lequel malgré tout ce que je pouvais lui dire, était dans des transes mortelles que l'opération ne réussit pas. L'annexe ci-jointe prouve combien peu les appréhensions étaient fondées; elle prouve en outre que la Caisse d'Epargne, n'étant intéressée dans la conversion que pour un million, tandis que j'en avais au moins deux en réserve, la tractation de l'affaire des municipalités devenait de plus en plus facile.

Compagnie neuchâteloise d'Exportation
Depuis plusieurs mois la situation de la compagnie ne m'avait pas beaucoup préoccupé, d'abord parce que grâce aux mesures radicales prises par le conseil d'administration, les affaires marchaient sans trop de difficultés, ensuite et surtout parce que j'avais interdit au directeur de la banque de m'en parler autrement que officiellement et en conseil. Encore le 14 avril j'eus une conversation à ce sujet avec Alphonse de Pury, qui ne voyait pas les affaires trop en noir. Mais bientôt les inquiétudes recommencent et déjà le 12 mai je fus invité d'office à assister à une conférence qui se tint à la banque, conférence dans laquelle il fut question des moyens à trouver pour empêcher une catastrophe imminente. On verra bientôt pourquoi je n'ai plus pris de notes à cet égard. J'ajouterai seulement que le 24 juin j'eus la visite de Alphonse de Pury. Je transcris:
Comme je le supposais un peu, il arrive avec de mauvaises nouvelles. La compagnie d'Exportation est serrée et ne pourrait se tirer d'affaires qu'au moyen d'un emprunt momentané. Dans une réunion qui a eu lieu avant-hier entre plusieurs personnes, il n'a pas été pris de résolution. Le directeur de la banque qui y assistait, s'est retiré fort mécontent et hier matin il a envoyé sa démission à M. Georges Berthoud qui a immédiatement prévenu Alphonse Pury. De là le télégramme qui m'annonçait sa visite. Nous sommes convenus que, nous étayant de l'opinion d'Alphonse Henri Clerc qui envisage l'emprunt comme très solide, il proposait au comité de la Caisse d'Epargne de prendre une large part dans le dit emprunt, c'est-à-dire F. 50'000.- Je l'autorise également à souscrire en mon nom une somme de F. 5000.- En même temps le directeur de la banque sera prévenu de cette détermination. Voilà où en sont les choses. Espérons que cela préviendra une catastrophe

Après le dîner nous reprenons notre conversation. Pury part pour le train de 4.35. Je rentre pour me reposer et j'écris ce qui précède. Ce coup n'est pas de nature à me remettre la tête. Toutefois si l'emprunt réussit, tout peut changer d'un moment à l'autre; car alors mes préoccupations cesseront en partie, surtout si le directeur de la banque retire sa démission. Au reste je considère cette dernière éventualité comme plus que probable si la première se réalise.

Les actionnaires de la compagnie sont convoqués pour le 10 août dans le but de ratifier le projet d'emprunt qui serait de F. 300'000.- à 5%. La Caisse d'Epargne a décidé de s'y intéresser pour 50'000.-. J'ai souscris pour F. 5000.- Le directeur de la banque n'a jusqu'à présent donné aucune suite à sa démission (note du 9 août 1864)

3 mai 1864: Sortant de la maison et arrivé en bas de l'escalier, le bout de mon pied s'accrocha au racloir en fer. Je fis une chute la tête en avant qui aurait pu avoir pour ma santé et ma vie même des suites funestes, car je tombai à plat sur les dalles de l'allée et ma tête frisa l'angle de la muraille. Mais j'ai été miraculeusement préservé, car à part de légères écorchures et contusions aux deux poignets et aux deux genoux, je ne me suis aucunement ressenti de cet accident et j'ai continué ma route comme si rien ne m'était arrivé.

15 mai 1864: Consultation avec le Dr. Cornaz qui m'ordonne un repos aussi complet que possible pendant un laps de temps plus ou moins prolongé.

19 mai 1864: En conséquence de ce qui précède nous allons nous établir à Travers

24 mai 1864: Je fis une excursion au canton de Vaud et je fus de retour le 26 au soir. Je profitai de cette course pour aller faire deux longues visites à M. Blanchard et pour assister à l'hôtel du Signal de Chexbres, à une réunion des actionnaires convoquée à l'hôtel même quoique non entièrement terminé, à l'effet de prendre diverses résolutions. Tout se passa au mieux et nous fûmes favorisés d'un temps splendide. Au retour je pris à Yverdon la diligence de la Chaux-de-Fonds. Arrivé à Vuitteboeuf je quittai la voiture et je marchai à Ste.Croix par le sentier de Covatanne que je n'avais encore jamais parcouru. Je repris la diligence à Ste.Croix et arrivai heureusement à Travers à 5h.

Le 5 juin 1864 après dîner nous partîmes pour Neuchâtel avec ma chère femme et nous remontâmes le lendemain soir avec Mathilde qui vint passer deux ou trois jours avec nous. Je profitai de cette course pour présider un comité de la Caisse d'Epargne, dans lequel il fut encore question de la consolidation de la dette flottante des municipalités des montagnes; mais je fus tellement fatigué de cette séance que je dus prendre derechef la résolution de m'occuper lée moins possible et de ne pas retourner à Neuchâtel de quelque temps à moins de nécessité absolue.

14 juin 1864: Désirant beaucoup revoir notre chère petite fille Elizabeth nous nous acheminâmes Cécile et moi à Saint-Aubin, où nous étions du reste attendus mais comme ce jour-là les communications par chemin de fer étaient plus ou moins coupées à cause des inondations des jours précédents, nous prîmes un char à bancs et bien nous en prit car sans cela nous ne serions pas arrivés. Après une journée entremêlée de sensations bien diverses, nous repartîmes de Saint-Aubin à 4h pour arriver à 8h à la maison.

28 juin 1864: Course aux Ponts avec Cécile pour voir Albert et sa famille. Je reviens à pied par Martel Dernier, les Emposieux et le Mont, accompagné jusque chez l'ancien Henri Jeanneret par M. Emile Huguenin. Je fis cette promenade en 2 3/4 heures, mais j'arrivai à Travers passablement fatigué.

Faits divers, 23 avril: Gabrielle de Meuron vint nous annoncer officiellement son mariage avec Ferdinand DuPasquier, Nous le savions déjà depuis deux ou trois jours, mais sous le sceaux du secret.

30 avril 1864: Je réunis le comité de la Caisse d'Epargne pour assister à la pose de la pierre de l'angle du nouveau bâtiment destiné à cette administration. Une boîte en plomb fut déposée dans la dite pierre. Cette boîte contient un grand nombre de documents, monnaies et autres objets, dont le détail se trouve au procès-verbal de cette séance, consigné dans les livres de l'établissement.

25 au 29 mai 1864: Tous ces matins il y eut une blanche gelée au Val-de-Travers. Les récoltes, les peupliers et surtout les frênes en ont considérablement souffert.

7 juin 1864: Orage général et très violent. Pontarlier est abîmé par la grêle. Le Val-de-Travers est épargné, mais les récoltes sont complètement détruites sur les territoires d'Areuse, Colombier, Bôle et en partie celui d'Auvernier, Corcelles et Cormondrèche.

11 juin 1864: Depuis le 9 à 8h du soir, la pluie n'a pas cessé de tomber pendant 30 heures, aussi la rivière a-t-elle monté d'une manière effrayante. Cependant on ne signale au vallon aucun dommage de quelque importance. Ce n'est que le 13 que la Reusse est rentrée dans son lit. Mais la vallée n'a pas trop souffert, il n'en a pas été de même de la voie ferrée entre le Fureil et le premier tunnel. Sur un espace d'une centaine de mètres la voie s'est affaissée de plusieurs pieds sur une couche de marne, ce qui pendant deux ou trois jours a nécessité le transbordement des voyageurs dans cet endroit d'un train dans un autre. Cependant les communications n'ont jamais été interrompues et sauf les trains de marchandises qui n'ont pu reprendre leurs courses que vers le 15, tous les autres trains se sont succédés comme à l'ordinaire avec plus ou moins de retard.

17 juin 1864: Annonce du mariage de Weibel, directeur du comptoir d'escompte avec une demoiselle Ackermann de Heilbronn.

21 juin 1864: Visite de M. Blanchard à ses anciens paroissiens. Il repart le 23, exténué de visites et de repas qu'il a dû faire et accepter. Il promet de revenir au mois d'août, mais je crois qu'après avoir fait ses réflexions il ne se hâtera pas de revenir et je crains que de longtemps il ne revienne plus à Travers, où il a cependant été fort bien reçu, trop bien peut être pour sa tranquillité et son repos.

Pendant l'hiver et le printemps dernier j'ai été fort occupé et préoccupé. Sentant mes forces décliner assez sensiblement et devant prévoir le moment où de gré ou de force, je serai obligé d'abandonner tout ou partie de mes fonctions, je voulais encore pendant que je le pouvais, donner une certaine impulsion à quelques objets que je considérais comme des oeuvres d'utilité publique et vraiment patriotique. J'espère être parvenu à mener ces choses à bonne fin; pour les unes c'est chose faite, pour les autres tout n'est pas terminé encore; cependant j'ai bon espoir qu'en définitive les idées que j'ai émises seront couronnées de succès. Je reprends ces objets dans l'ordre où mes fonctions m'appelaient à m'en occuper.

Comme directeur de la Caisse d'Epargne je m'occupais depuis bien des mois déjà de la conversion de la dette de l'Etat. On a vu par ce qui précède que cette opération avait réussi au-delà des espérances que l'on aurait pu concevoir. J'avais donc des ressources disponibles, ce qui me mit à même de fixer l'attention du comité sur l'état où se trouvaient les municipalités des montagnes quand à leurs dettes. Mes collègues décidèrent en principe que la Caisse d'Epargne donnerait un bon coup d'épaule, mais comme cette affaire n'est pas encore terminée, j'entrerai dans d'autres détails lorsqu'une décision définitive aura été prise. Comme quelle que soit cette décision, il restera encore des sommes assez importantes, dont l'on pourra disposer, je proposerai également au comité de s'intéresser pour une forte part dans l'affaire des eaux de Neuchâtel, question fort importante et dont dépend en grande partie la prospérité future de notre chère ville. L'on verra bientôt que j'ai réussi et comment. Enfin pour en terminer avec ce qui concerne la Caisse d'Epargne, je note encore que depuis longtemps je me préoccupais du sort des employés. Leur position était celle-ci: A leur entré au bureau ils ne recevaient un appointement qui n'était fixé que d'après leur aptitude présumée, plus à la fin de l'année une gratification à peu près invariable de F. 200.-. Les appointements allaient en augmentant jusqu'à F. 3000.- chiffre qui ne peut être dépassé. Il résultait de cet état de choses que, après 5 ou 6 ans de services, ils étaient tous sur le même pied, ce qui était peu équitable puisqu'un vieux serviteur de 20 ans et plus ne recevait pas davantage que son collègue de 6 ou de 7. Après y avoir mûrement réfléchi et m'en être entendu avec monsieur Alphonse de Pury, directeur adjoint, je proposai au comité de prendre la résolution suivante: Les appointements au maximum resteraient fixés à F. 3000. Quand à la qualification elle sera portée (bien entendu si le comité pense qu'elle est méritée) à F. 1000.- après 20 ans, F. 750 après 15 ans, F. 500 après 10 ans et indéterminée de 1 à 10 ans.

J'eus assez de peine à faire adopter cette résolution, mais enfin j'y parvins. Il y a des gens qui pensent que moyennant qu'ils gagnent de l'argent, tout en vivant dans l'abondance et ne se laissant manquer de rien, cela est suffisant; que quand aux autres ils peuvent vivre avec peu, etc., etc. Quoiqu'il en soit les employés apprirent ce changement avec joie et m'en remercièrent avec effusion. Cet état de choses commença avec l'année 1864.

Comme président de la Banque j'étais peu occupé, mais excessivement préoccupé des relations de cette dernière avec la compagnie neuchâteloise d'exportation, non pas qu'en définitive la banque ait rien à perdre, mais parce que si la compagnie suspendait ses paiements, il y aurait force récriminations et que jusqu'à ce que la position fût expliquée au public et comprise par lui, le crédit de la banque en souffrirait momentanément et que le Conseil d'Administration ne manquerait pas d'être pris à partie. C'est ce qui me faisait écrire le 16 mai ce qui suit:

La conférence d'hier m'a mis sans dessus dessous, probablement parce que je suis énervé. Aussi nous décidons-nous à partir pour Travers le plus tôt possible, c'est à dire dans le courant de la semaine prochaine. J'espère qu'alors en dehors des occupations et préoccupations journalières, je me fortifierai. Si non il faudra bien prendre un parti, abandonner mes diverses présidences et m'en tenir à la direction de la Caisse d'Epargne que je n'abandonnerai, s'il plait à Dieu, qu'au dernier moment.

C'est ensuite de ce qui précède que j'eus avec le Dr. Cornaz la consultation du 15 dont j'ai déjà parlé, consultation qui eut pour résultat la cessation complète de toute occupation et à la suite de laquelle j'écrivis au vice-président et au directeur de la banque pour leur annoncer que pour le moment j'abandonnais la présidence sans pouvoir assigner un terme à cette décision.

Comme président du Crédit Foncier je n'eus pas grand chose à faire. Cependant (j'ai oublié de le mentionner) en qualité de directeur de la Caisse d'Epargne il fallut aviser à lui venir en aide car sa caisse et son portefeuille étaient épuisés et il avait sur le bureau de nombreuses demandes d'emprunts auxquels il ne pouvait pas faire face. Je proposai donc au comité de lui avancer une somme indéterminée contre des obligations à 15 ans de date portant intérêts à 4 1/2% l'an, ce qui fut accordé. Cette opération se fera au fur et à mesure des besoins de Crédit Foncier et se montera probablement à plusieurs centaines de mille francs.

Comme président de la société de l'usine à gaz je n'eus rien de particulier à faire.

Par contre je m'occupai activement avec messieurs Louis de Pury et Machon de la création et de la mise en activité du Crédit mutuel. Nous eûmes un grand nombre de conférences qui aboutirent. Les opérations commencèrent le 1. avril. Cette société aura, je le crois, d'excellents résultats. Elle est essentiellement destinées à venir en aide aux industriels et au petit commerce qui, jusqu'alors étaient obligés pour se procurer de l'argent d'avoir recours à des billets de complaisance, qui leur faisait revenir leur argent fort cher, forcés qu'ils étaient de passer par les mains de prêteurs à la petite semaine. Je ne doute pas que sous l'habile direction de M. Machon et sous la présidence de M. Louis de Pury cette société ne trouve une extension considérable et ne rende des services incontestables à la classe ouvrière.

Telle est la situation au 30 juin. Maintenant que me réserve l'avenir ? C'est ce qui m'est impossible de prévoir. Tout repose essentiellement sur la situation de la compagnie neuchâteloise d'exportation. Si on parvient à la tirer d'affaire, il est probable que je reprendrai mes diverses présidences, mais si elle devait suspendre ses paiements je suis parfaitement décidé à rendre définitive ma démission temporaire de la banque, à abandonner les autres sauf celle du gaz, et à m'en tenir, comme je l'ai dit à la direction de la Caisse d'Epargne, si Dieu, dans sa bonté, m'en laisse encore la force.

Juillet 1864

Je reprends mon oeuvre. J'ai l'intention, dorénavant, de mettre à jour mes notes mois par mois. Cela durera-t-il ? Je n'en sais rien. Indépendamment de quelques détails dans lesquels j'entrerai bientôt, je consigne comme observation générale que le mois de juillet a été entremêlé de jours très chauds et de jours de pluie. Néanmoins les foins se sont faits dans d'excellentes conditions. La qualité a été bonne et la quantité peu considérable.

Le mouvement étant nécessaire à ma santé, j'ai fait journellement des promenades plus ou moins longues, quelques unes ont été de deux à trois heures. Pour me reposer je prenais la plume presque journellement aussi et c'est ainsi que j'en suis arrivé à mettre à jour mes notes.

11 juillet 1864 Ayant manifesté à Desor le désir de lui présenter notre pasteur, il nous assigna ce jour pour aller dîner avec lui. Nous nous acheminâmes à pied pour Combe Varin où nous passâmes quelques heures fort agréables. Dans l'après dîner Desor nous donna sa voiture pour nous reconduire.

13 juillet 1864 Mademoiselle Marianne de Soyres vint passer quelques jours avec nous et nous quitta le 18 pour aller en séjour chez madame d'Ivernois à Môtiers.

22 juillet 1864 J'allai passer ma journée chez Boy de la Tour. Je fis les deux courses à pied.

24 juillet 1864 Ayant plusieurs affaires en arrière, je me rendis à Neuchâtel pour les mettre à jour. J'eus également à présider un comité de la Caisse d'Epargne auquel je tenais à assister à cause des questions très importantes qui devaient y être traitées. Ces questions étaient d'abord celle des municipalités des montagnes, ensuite celle des Eaux de Neuchâtel.

Quand à la première aucune décision ne fut prise malgré mes vives instances. Le comité décida que pour le moment on ne fixerait pas le chiffre pour lequel on s'intéresserait aux Emprunts pour la consolidation des dettes, on renvoya à quinzaine à prendre une détermination; de sorte que, quoique je considère cette affaire comme réussie et terminée, je n'en ai pas la certitude. Toutefois une décision ne peut pas tarder à être prise sans moi, voulant laisser à mes collègues toute la responsabilité d'une non réussite si malheureusement et contre attente, cela devait être le cas.

Quand à la question des Eaux, le comité fut unanime à prendre cent mille francs dans cette entreprise, ce que je m'empressai d'annoncer à M. Paul Jeanrenaud, président du comité provisoire.

Après cette séance j'adressai à M. Alphonse de Pury-Muralt la lettre ci-après sur le contenu de laquelle je ne m'étends pas davantage, puisque cette lettre dit toute ma pensée:

La séance du comité d'hier m'a confirmé dans l'idée où j'étais depuis quelques temps déjà que malheureusement ma tête, ou mes nerfs, ou peut-être les deux s'affaiblissaient de telle façon que bientôt je ne pourrai plus présider ou même assister à une réunion de cette nature sans être trop vivement affecté et impressionné des discussions qu'amènent naturellement et infailliblement les objets que l'on doit y traiter. C'est cette raison qui m'a déjà forcé il y a plus de deux mois à abandonner momentanément la présidence de la banque. Dans ces circonstances je ne veux pourtant pas prendre encore un parti définitif, tout en étant forcé, à mon grand regret cela va sans dire, de prévoir le moment où cela devra avoir lieu. Je viens donc vous prévenir qu'il me sera impossible de présider le prochain comité où il sera question de fixer définitivement la part que la Caisse d'Epargne prendra dans l'emprunt des municipalités et vous prier de prendre la peine de me remplacer. Je connais trop votre bonne amitié pour moi, et vous m'en avez déjà donné trop de preuves, pour que je ne soit pas certain d'avance que vous me rendrez volontiers ce service.

Peut-être, quoique cela ne soit pas probable, que lorsque les préoccupations qui s'emparent de tout mon être quand je songe soit à l'affaire ci-dessus, soit surtout à la compagnie d'exportation, auront cessé si l'on peut remettre à flot cette dernière, je pourrai pour quelque temps encore reprendre mes occupations ordinaires. Je le désires plus que je ne l'espère. Quoiqu'il en soit je vous demande pardon de la peine que je vous donne, je vous réitère l'expression de ma profonde reconnaissance, etc. etc.

2 juillet 1864: Blanche gelée très prononcée dans le bas. Elle ne parait pas avoir fait de mal. Mon thermomètre comme minimum marquait +2 1/2 Réaumur.

12, 13 et 16 juillet 1864: Violents orages accompagnés chacun d'une pluie abondante. Comme il n'y avait pas de grêle ils n'ont fait aucun mal aux récoltes.

17 juillet 1864: On apprend par le télégraphe la mort à Lucerne de monsieur Paul Emile Jaccottet, chef de l'importante fabrique d'ébauches de Travers, emporté par deux attaques successives. Comme il en avait déjà eu plusieurs, on ne fut pas très surpris de cette nouvelle. Quoiqu'il en soit c'est une grande perte pour la localité, car dans sa partie c'était un homme remarquable. On ramena le corps à Travers où il fut inhumé le 19. Je ne sais pourquoi on me pria d'être un des porteurs des coins du drap, ce que j'acceptai volontiers. L'établissement continuera, mais ce sera-t-il pour longtemps, c'est ce que plusieurs personnes doutent. Toutefois l'atelier continue à marcher sans changement apparent sous la direction de M. Mauler déjà intéressé dans la maison. Les contremaitres de l'atelier ont l'idée de lui élever un monument et on a fait souscrire tous les ouvriers. La même souscription est ouverte dans le village mais peu de personnes s'y intéressent je ne sais pourquoi. Pour ce qui me concerne j'ai souscrit pour F. 5.-

3 août 1864: Nous fîmes avec Cécile une excursion à Chaumont chez ma soeur Coulon pour y voir Rose LaTrobe, arrivée depuis peu de jours d'Angleterre avec 3 de ses filles. Cette réunion de famille nous procura un vid plaisir et se passa aussi bien que possible. Partis de Travers par le train de 8.40 nous rentrons chez nous le soir à 9 1/2h

Le 9 août 1864 nous eûmes la visite de mon frère revenant du Soliat avec Eléonore LaTrobe et ses trois fils
Jean, Pierre et Guillaume, mais ils ne passèrent guère qu'une heure à Travers.

Le 16 août 1864 je partis pour l'hôtel de Chexbres où j'arrivai pour dîner à 1 1/2h. J'y passai encore la journée du 17 pour une réunion des actionnaires. Le lendemain 18 j'en partis par le premier train pour Fribourg, où je passai quatre heures, essentiellement dans le but de voir le magnifique viaduc de Grandjez. A midi je repartais pour Travers où j'arrivai à 5 1/2h en passant par Berne et Neuchâtel. Le tout par un temps magnifique.

31 août 1864: Course matinale aux Ruillères avec ma chère femme. Nous redescendons pour dîner.

Faits divers, 4 août: Pour témoigner l'intérêt que je porte à la compagnie neuchâteloise d'exportation je souscrit pour F. 5000.- à l'emprunt de F. 300'000.- qu'elle contracte pour la remettre à flot. Mais cet emprunt sera-t-il couvert malgré la large part qu'y a prise la Caisse d'Epargne, c'est ce dont je doute fort, alors gare la débâcle !! Le 15 août il n'y avait encore de souscrit que F. 141'000.- Je ne sais si cela a augmenté dès lors; je ne le crois pas, car on ne m'a informé de rien de pareil.

14 août 1864: On signale un incendie dans la forêt du Champ du Moulin appartenant à Boudry. Je ne crois pas que le feu ait occasionné un dommage bien considérable, cependant le 18 au soir on voyait encore de la fumée.

15 août 1864: L'affaire de la consolidation de la dette flottante des municipalités des montagnes se termine enfin à ma grande satisfaction. Le comité décide qu'il prendra part à l'emprunt dans les proportions suivantes:
F. 157'500 pour La Chaux-de-Fonds
F. 197'000.- pour le Locle

23 août 1864: On reçoit la nouvelle des troubles de Genève. Je ne m'étends pas davantage sur les tristes exploits de messieurs les radicaux. Les journaux en parlent assez.

29 août 1864: Vingtdeux maisons sont consumées à Buttes dans l'espace de quelues heures. Il se forme à Travers un comité de secours dont je suis nommé secrétaire.

8 septembre 1864: M'étant rendu à Neuchâtel pour assister à une réunion de la rue des Halles qui devait s'occuper de la question des Eaux à fournir à la ville, j'eus une conférence avec Alphonse de Pury-Muralt, à la suite de laquelle je me décidai à donner ma démission définitive de président de la banque. Cette décision fondée essentiellement sur l'état de ma santé, avait pourtant un autre motif dont je n'ai parlé à personne. A savoir l'humeur et le caractère de M. Nicolas, directeur de la banque, qui était quelque fois malhonnête à mon égard, pour ne rien dire de plus, lors des visites très fréquentes que mes fonctions m'appelaient à faire à la banque. Or comme Alphonse de Pury m'apprit que les dispositions du directeur n'avaient fait qu'empirer depuis le mois de mai que j'avais pris un congé momentané, je me décidai non sans un certain serrement de coeur à prendre cette grave détermination. Cependant je dois dire pour atténuer les tords de M. Nicolas que sa mauvaise humeur était due à l'état critique de la compagnie neuchâteloise d'exportation, qui le préoccupait singulièrement ainsi que moi.

Toutefois et pour ne pas faire croire au public et à mes collègues que mes relations avec le directeur étaient pour quelque chose dans ma détermination, je jugeai à propos de donner en même temps ma démission de président du Crédit Foncier, démission également motivée par l'état de ma santé.

Nous songeons depuis quelques temps, ma femme et moi, à faire une petite excursion à l'hôtel du Signal à Chexbres. C'est le 20 septembre que nous mîmes notre projet à exécution. Nous allâmes donc à Saint-Aubin chez les Wesdehlen, pour voir Hermann et notre chère petite Elizabeth. Le soir nous arrivions à Ouchy où nous passâmes la nuit à l'hôtel de BeauRivage d'où nous repartîmes pour Chexbres le 21 au matin. Arrivés à l'hôtel nous reçûmes à dîner M. et Mme Blanchard que j'avais prévenus de notre arrivée.

Le 22 septembre 1864 nous nous promenâmes beaucoup dans les environs de l'hôtel.

Le 23 septembre 1864 nous allâmes passer la journée chez nos amis à Grandvaux.

Le 24 septembre 1864 nouvelles promenades et réception de notre belle-fille Mathilde et de son frère Arthur. Celui-ci dîna avec nous et repartit pour Vevey dans l'après-midi. Dans la soirée nous primes le dernier train pour Fribourg où nous descendîmes à l'hôtel Zaehringen.

Le 25 septembre 1864 promenade au viaduc de Grandjez, puis au culte protestant, puis à St.Nicolas pour entendre les orgues. Après dîner nous nous mîmes dans la diligence de Morat et nous arrivion à Neuchâtel par le bateau à vapeur à 5h.

Le 26 septembre 1864 nous fîmes quelques commissions à Neuchâtel et nous étions de retour à Travers à 5 1/2h.

Le 28 septembre 1864 je retournai à Neuchâtel pour un conseil d'administration du Gaz et pour un comité de la compagnie des marchands.

Le 1 octobre 1864 nouvel incendie à Môtiers mais d'une maison seulement.

Le 7 octobre 1864 je rendis mes comptes en ma qualité de secrétaire caissier du comité pour les incendiés de Buttes. La réunion eut lieu à la cure et j'obtins décharge de ma courte gestion.

C'est au commencement d'octobre que je fis quelques démarches pour engager les gens de Travers à se faire inscrire au Crédit Mutuel Grâce au concours de M. Louis Ed. Montandon, Henri Delachaux et Alph. Grisel, cette idée prit faveur dans la localité et au bout de peu de semaines un grand nombre de particuliers demandèrent à faire partie de cette utile institution, de sorte que selon toute apparence la première agence de la société sera fondée à Travers. C'est au moins la proposition qui sera faite au mois de février à l'assemblée générale par le Conseil d'Administration.

25 octobre 1864 Depuis quelques temps déjà j'étais affligé de petits clous au col dont je ne m'inquiétais pas, mais ce jour-là il s'en manifesta un à la nuque qui ne tarda pas à dégénérer en anthrax, ce qui m'a retenu soit au lit, soit en chambre pendant six semaines. Grâce à Dieu les souffrances n'ont pas été vives, mais j'ai éprouvé beaucoup de malaise et d'ennuis, dus à la suppuration abondante qui s'est manifestée. C'est au plus fort de la maladie que nous quittâmes Travers où nous avions trop froid. Le trajet se fit dans une voiture de Laborn le 11 novembre. Je fus passablement éprouvé de la course, mais une fois à Neuchâtel le mieux ne tarda pas à se faire sentir et le 9 décembre 1864 je pus reprendre mes occupations.

Cependant me sentant plus faible qu'avant ma maladie, je jugeai le moment opportun de continuer à me décharger petit à petit de mes fonctions publiques. C'est ainsi que le 12 décembre je me rendis chez ma cousine Mlle Uranie de Meuron, résidente de l'établissement des jeunes filles du Prébarreau pour lui demander mon congé de caissier et teneur de livres de l'établissement. Il fut convenu que je serais remplacé par M. Quinche Reymond, employé à la Caisse d'Epargne, avec lequel je m'étais entendu d'avance.

Néanmoins je continuai à m'occuper activement des affaires de la Caisse d'Epargne. Or la part que celle-ci avait prise à la conversion de la dette de l'Etat et à celle des municipalités du Locle et de la Chaux-de-Fonds étant définitivement réglée et sans troubler en rien la marche normale des affaires, je songeai de nouveau (c'était une idée qui me préoccupait depuis longtemps) à affecter une partie du Fonds de réserve à un objet de piété et de charité d'une utilité publique et générale, ainsi que s'exprime l'art.12 de son règlement. L'occasion toute naturelle m'en fut fournie par un excellent rapport que fit M. Lardy, docteur en droit et avocat, sur les maisons pénitentiaires à la société pour l'avancement des sciences sociales. Dès lors je pris la décision de proposer à la direction d'affecter une somme de 350 à 400 mille francs à un établissement de cette nature, car nos prisons sont dans un état déplorable et s'il y a une oeuvre de piété et de charité à entreprendre, c'est bien la construction d'une maison pénitentiaire. Nous verrons par la suite, si toutefois je continue ces mémoires, quel aura été le sort de la proposition que je compte faire à la direction de la Caisse d'Epargne dans sa prochaine réunion.

20 octobre 1864: Nous eûmes à Travers la visite de Rose LaTrobe, de son mari et de ses deux cadettes qui restèrent deux jours avec nous.

24 octobre 1864: Une lettre de Mlle Uranie de Meuron m'annonce la mort de Charles F. Meuron, décédé à Paris le 22. A cette occasion j'ai fait des démarches pour savoir si, dans ses dernières dispositions, il n'avait pas fait quelque chose pour ses créanciers, mais jusqu'à présent et malgré plusieurs recharges, je n'ai rien pu apprendre.

31 octobre 1864: J'apprends par les débats la mort du général de Courtigis, décédé à Versailles le 28 d'une attaque d'apoplexie. Il y avait très peu de temps qu'il avait passé quelques jours à Neuchâtel avec sa femme.

Dans les premiers jours de décembre Hermann de Wesdehlen vint s'établir à la maison pour y passer une partie de l'hiver, mais sans notre chère petite fille Elizabeth qui, pour bonne considération, resta à Saint-Aubin avec sa tante madame de Simonetti qui s'occupe de cette enfant avec la plus tendre sollicitude depuis la mort de sa mère.

1865

C'est le 19 janvier 1865 que j'écris ces lignes. Continuerai-je mes notes ? C'est fort douteux et pourtant possible.

En attendant je mentionne que notre chère petite fille est partie pour Nice il y a quelques jours avec la famille de son père qui ira les rejoindre sous peu.

Je note encore que dans les premiers jours du mois j'ai fait au comité de la Caisse d'Epargne les premières ouvertures relatives à l'établissement d'une maison pénitentiaire. L'idée a été accueillie avec faveur par la majorité du comité, deux membres ont demandé à y réfléchir. Nous reprendrons la question sous peu, mais quelle que soit la décision du Conseil, j'irai jusqu'au bout, et fût-elle négative, je porterai l'affaire à la direction qui prononcera en dernier ressort. Si celle-ci se prononce pour l'affirmative j'en serai heureux parce que je crois qu'on rendra un grand service au pays; si, pour léa négative, je verrai quel parti j'aurai à prendre.

---------- ----------

Je reprends encore mes notes. J'avais terminé les anciennes par celles qui concernaient mes idées relatives à l'établissement pénitentiaire. Dès lors les affaires s'étaient envenimées. Dans sa séance de 2 février le comité décida qu'il ne pouvait pas accepter ma proposition telle qu'elle était formulée. J'en pris de l'humeur et annonçai l'intention où j'étais, de ne pas assister à l'assemblée de la direction où l'on s'occuperait de cette affaire, sans m'inquiéter autrement de la position que, en agissant ainsi, je faisais à mes collègues et surtout à M. de Pury-Muralt, directeur adjoint. Celui-ci prit la chose au sérieux et le 13 février m'écrivit qu'il venait de déposer sa démission entre les mains de M. le président. Je sentis immédiatement que j'avais fait une grosse brioche et que tous les tords étaient de mon côté; aussi je lui écrivis le soir même pour le supplier de ne pas donner suite à sa décision, et lui dépêchai Hermann, lequel dans cette circonstance, lequel dans cette circonstance m'a témoigné une affection dont je ne puis être assez reconnaissant. Le lendemain 14, M. de Pury voulut bien sur ma demande passer chez moi. Nous eûmes une explication fort amicale qui se termina par l'assurance que je lui donnai, que j'assisterais à l'assemblée de la direction et par la promesse qu'il me fit de retirer sa démission, ce qui se fit le jour même. Le 20 eut lieu l'assemblée, laquelle en approuvant généralement l'idée, renvoya de se décider dans six mois, sur un nouveau rapport du comité. Celui-ci examina encore l'affaire sous la présidence de M. le directeur-adjoint et verra s'il a quelque autre proposition à faire. Pour ce qui me concerne je persiste en plein dans mon opinion, de sorte que ma présence est inutile. L'affaire en est là pour le moment. Pour suivre à mon intention de me retirer peu à peu des affaires, j'ai pendant ces trois mois abandonné encore deux présidences, le 22 février celle de la société immobillière où j'ai été remplacé par M. Jämes de Meuron et le 29 mars celle du conseil d'administration de l'usine à gaz où je suis remplacé par M. Louis de Pury. Néanmoins je reste membre des deux administrations. Ainsi les choses dont je m'occuperai encore activement seront la direction de la Caisse d'Epargne et la société du Crédit Mutuel à laquelle je porte un vif intérêt.

Pour terminer au sujet de ce qui me concerne j'ajouterai que pendant ces trois mois j'ai autant de promenades que ma santé ou le temps me l'ont permis. Dans les premiers jours de mars j'ai été atteint d'un rhume très violent accompagné de douleurs névralgiques lesquelles, grâce à Dieu, n'ont pas été très persistantes. Enfin ne me souciant pas, et pour cause, d'assister aux élections de mai, j'ai fait à Desor, qui l'a accepté, la proposition de neutraliser nos votes en n'y assistant ni l'un ni l'autre. Il s'éloignera de Neuchâtel, et moi aussi avec ma chère femme. Nous projetons un petit voyage au Nord de l'Italie.

Evénements divers: Le dimanche 15 janvier ont commencé les sermons du soir, réclamés par une bonne partie de la population. Les 16 et 26 janvier j'ai eu des conférences relatives au Franco-Suisse, d'abord avec M. Albert Bovet, puis avec le même et avec M. Echallier. Ces messieurs sont les auteurs de deux brochures qui ont fait sensation et qui ont eu pour premier résultat de mettre la puce à l'oreille du conseil d'administration, lequel, dit-on, s'est décidé à sortir de sa torpeur et à préparer des propositions pour la prochaine réunion des actionnaires.

22 janvier 1865: Incendie de la maison entre celle de messieurs Tribolet-Hardy et Terrisse-Vaucher. Le feu a éclaté vers 4h du matin et n'a pas pris de proportions plus considérables grâce au temps humide et calme qu'il faisait dans ce moment et aux secours qui ont été promptement organisés.

Le 18 avril 1865 en remontant de la Chambre j'ai fait une chute dans l'escalier. Je puis dire que j'ai été miraculeusement préservé, car j'aurais du être assomé, mais loin de là malgré que ma tête ait donné en plein sur le bord d'une marche je n'en ai pas eu le moindre ressentiment.

Le 24 avril 1865 nous nous sommes mis en route pour le voyage que nous avons projeté. Partis de Neuchâtel à 4h nous arrivions à l'hôtel de BeauRivage un peu après 6h et nous y avons passé la nuit et le lendemain nous avons été passer la journée avec les Blanchard à Grandvaux, et le soir nous étions rendus à Genève à la métropole où j'avais arrêté des chambres. Nous y attendions Hermann et notre chère petite fille, ainsi que la famille Wesdehlen venant d'Italie. Le 27 eut lieu l'entrevue, mais comme je n'étais pas très bien et que ma chère femme se trouvait aussi indisposée, nous nous décidâmes à renoncer au grand voyage et à rester en Suisse. Cependant le 3 étant assez valides l'un et l'autre, nous nous rendîmes à Aix-les-Bains d'où nous fîmes une excursion à Chambéry et moi à l'abbaye de Haute Combe. Comme on ne nous conduit pas dans l'intérieur du couvent, on ne voit rien de remarquable, si ce n'est la chapelle qui est assez belle.

Cependant cette excursion est intéressante à ces deux points de vue:

  1. On ne peut arriver au couvent que par le lac ou par des sentiers en le contournant, et lorsqu'on y enterrait les rois de Sardaigne il fallait y conduire leurs dépouilles en bateau
  2. Il coule à quelque distance du bâtiment et un peu sur la hauteur une source intermittente, mais qui n'a rien de régulier dans son intermittence. C'est ainsi que lorsque je la visitai l'eau paraissait toutes les demi-heures; mais suivant la température et l'état de l'atmosphère il arrive qu'elle coule plus fréquemment s'il pleut, ou a des intervalles beaucoup plus éloignés s'il y a sécheresse. On m'a même affirmé qu'il arrivait, rarement il est vrai, qu'il pouvait de passer 12 et même 18 heures entre une éruption et l'autre.

De retour à Genève le 3 mai et ma chère femme se sentant toujours moins bien, nous résolûmes d'aller passer quelques jours à l'hôtel du Signal à Chexbres. Si ce n'avait été les élections nous serions retournés directement à Neuchâtel. C'est pourquoi nous restâmes huit jours à Chexbres. Mais Cécile n'allait pas mieux, tant s'en faut. Aussi est-ce avec bonheur que nous pûmes en partir le 9 pour revenir à Neuchâtel. Depuis lors l'état de Cécile ne s'est pas sensiblement amélioré jusqu'au derniers jours du mois, que nous avons pu songer à faire nos préparatifs de départ pour Travers, où nous sommes arrivés, elle en voiture le 1 juin avec sa mère et sa soeur, moi le 2 avec le premier train du matin. Les docteurs Barrelet et Anker ayant ordonné le lait d'ânesse j'en ai fait venir une que j'ai renvoyée au bout de quinze jours, car cette cure ne convenait pas à ma chère femme, dont pourtant l'état va en améliorant quoique d'une manière lente.

En ce qui me concerne j'ai repris mes occupations habituelles, soit à la Caisse d'Epargne, soit au Crédit Mutuel dont je suis les opérations avec un vif intéret.

A côté de cela, j'ai eu quelques préoccupations plus ou moins agréables.

En premier lieu l'état financier de la compagnie neuchâteloise d'exportation qui est menacée d'une catastrophe, à cause du rapport assez désespérant qui sera présenté aux actionnaires au commencement de juillet, rapport qui lui ôtera leur crédit et qui forcera à un dépôt de bilan ou tout au moins à une liquidation. Non seulement j'y suis assez fortement intéressé pécuniairement parlant, mais encore on m'annonce que le directeur de la banque compte me prendre personnellement à partie, comme l'ayant engagé à faire à la banque des avances considérables. Au reste sous ce dernier chef je suis bien tranquille d'abord parce que comme président de la banque je n'ai jamais été du conseil d'Escompte, ensuite parce que je suis parfaitement certain de n'avoir jamais usé de ma position pour commander la compagnie qui m'inspirait depuis longtemps des inquiétudes sérieuses.

Le deuxième objet de mes préoccupations a trait à la question de la maison pénitentiaire. Le comité de la Caisse d'Epargne est divisé, trois contre trois. Les uns adoptent mes idées avec quelques modifications. Les autres trouvent que ce n'est pas le moment d'agir. Au reste la question sera bientôt résolue, car d'ici à trois mois la direction sera de nouveau nantie de l'affaire et prendra elle-même une décision qui sera définitive. Si cette décision est contraire à mon opinion je verrai ce que j'ai à faire.

Troisième objet: La politique joue aussi un rôle dans mes préoccupations. Le Grand Conseil dans sa majorité radicale, me parait prendre des décisions parfaitement injustes. Je ne sais si je me trompe mais il me semble que les questions deviennent de plus en plus des questions sociales. On cherche à pousser les pauvres et les travailleurs contre les riches. Comment cela finira-t-il ? C'est ce que personne ne peut savoir.

Le 29 mai 1865 j'ai fait avec M. Junier une course au Cerneux Péquignot pour y installer un correspondant de la Caisse d'Epargne. C'était la première fois que je visitais cette localité qui n'a rien d'attrayant.

Le 28 juin 1865 j'ai été appelé à faire partie d'une commission qui s'est formée dans le but d'arriver, si possible, à la libération complète des cautions en faveur du million que le chemin de fer du Jura Industriel avait emprunté de la Confédération et pour la totalité duquel celle-ci a été compromise dans la faillite de cette entreprise. Malgré mon refus j'ai été nommé président, poste que de guerre lasse j'ai accepté, mais en déclarant que ma coopération matérielle serait fort peu de chose. Mes collègues ont accepté cette réserve de sorte que j'ai pu me convaincre qu'on avait plus besoin de mon nom que de toute autre chose. Grand bien leur en fasse, mais je doute beaucoup que mon nom leur serve à grand chose, car je ne crois pas que des gens qui insultent sans cesse l'aristocratie neuchâteloise, trouvent à Neuchâtel beaucoup de bienveillance et surtout beaucoup d'écus. C'est ce que nous verrons par la suite.

1868

Si je reprends la plume aujourd'hui c'est je pense pour la dernière fois puisque ma carrière active est à peu près terminée. Je ne parlerai plus de nos faits et gestes, pas plus que de nos événements de famille qui sont relatés d'une manière très brève dans mon carnet de poche.

Je dois ajouter encore que enfin la direction de la Caisse d'Epargne a décidé de s'intéresser à la construction du pénitencier pour une somme de quatre cent mille francs qu'elle prêtera à l'Etat à un intérêt de 2% l'an, et à des conditions de remboursement $ on ne peut plus favorables, si tant est que ce remboursement soit jamais demandé.

En outre je note ici que je n'exerce plus aucune fonction sauf celle de directeur de la Caisse d'Epargne dont, comme on le verra plus loin je cherche à me décharger, et de membre du conseil d'administration du Crédit foncier et de la société de l'hôtel de Chaumont. Quand à ce dernier emploi je ne tardai pas non plus à l'abandonner, ne pouvant être d'aucune utilité dans un conseil dont les membres doivent être faciles à déplacer ce qui n'est plus mon cas.

Quand à la direction de la Caisse d'Epargne, poste que j'occupe depuis tantôt 20 ans, je dois songer à le résigner. Il y a déjà plusieurs semaines que je m'en suis ouvert très franchement à mes collègues. En leur offrant dependant de rester membre du comité s'ils le jugeaient convenable. Mes ouvertures à ce sujet ont été hautement repoussées. Le président de la direction m'a fait l'observation assez juste qu'il y avait dans ce monde des positions qu'on ne pouvait pas abandonner, une fois qu'on les avait acceptées, que d'ailleurs dans les circonstances actuelles et aux yeux du public, la Caisse d'Epargne, c'était moi, etc., etc. Toutefois j'ai répondu que ce dernier éloge était sans doute très flatteur mais que je n'en persistais pas moins à penser qu'une transition peu brusque, comme celle qui avait eu lieu lors de la retraite de mon prédécesseur, mon oncle Coulon, était infiniment préférable, et que si je venais à manquer tout d'un coup, ce qui était très possible, l'effet produit serait beaucoup plus fâcheux pour mes après venants; qu'au surplus je m'en rapportais à ce que le comité jugeât convenable de faire, mais que je le suppliais de réfléchir sérieusement à mes ouvertures. Dès lors on ne m'a rien dit en pourtant je renouvelle mes instances à la fin de chaque comité.

Voilà où en sont les aujourd'hui 18 mai 1868.

Enfin j'ai donné ma démission, il y a de cela quelques jours de membre du conseil d'administration du Crédit Mutuel et de la commission des Incurables, parce que, depuis les élections du 3 mai, et des publications qui les ont précédées, je ne me sens plus libre et serais fort mal à l'aise de siéger avec messieurs Desor et Touchon.

Voici mes raisons pour en agir de la sorte et c'est par là que je termine.

Lors des élections pour la municipalité de novembre dernier, Desor avait été excessivement désappointé de ne pas être renommé au Conseil Général. A cette occasion nous eûmes une conversation assez animée, quoique amicale, dans laquelle il me dit en propres termes: "C'est bon pour cette fois, mais aux élections pour le Grand Conseil ce sera autre chose. Nous ne nous laisserons pas battre, etc., etc."

Plus tard il m'écrivit encore pour me dire que s'il n'avait pas été réélu, il savait positivement qu'il le devait à un membre de ma famille qui me tenait de très près. Il s'agissait de mon fils qui l'avait cependant proposé dans l'assemblée préparatoire. C'est ce que je lui répondit.

Il eut l'air de me croire. Mais j'ai tout lieu de penser qu'il a eu un préavis. De là les fameux Bulletins et la diatribe dans le 1er mars contre la famille Montmollin. Je ne crois pas que Desor soit pour rien dans la rédaction des premiers, mais je le soupçonne fort de n'être pas étranger à la seconde.. En tous cas soutien du 1er mars et sachant parfaitement que les faits avancés pas les Bulletins étaient matériellement faux, il aurait du tenir à ce qu'ils fussent démentis ou les démentir lui-même. C'est au moins de la sorte que j'en aurais agi à son égard.

19 mai 1868: Ces lignes étaient écrites lorsque j'ai eu la visite de Louis de Pury qui est venu me communiquer ses idées relativement au changement de ma position à la Caisse d'Epargne. Je suis assez disposé à les partager, en sorte qu'il en fera part à monsieur le président de la direction et à Alphonse de Pury. Dans ces circonstances je dois supposer que je ne tarderai pas à être déchargé. C'est ce que je consignerai encore avant de conclure une fois qu'une détermination aura été prise.

---------- Fin ----------

Personnes référencées:

Albert Anker, le peintre
Rodolphe Anker, le médecin
Georges Berthoud
Georges Boy de la Tour
Madame de Boyve

Georges Chaillet
Paul Carbonnier

Alexandre de Chambrier, le maire de Valangin
Charles de Chambrier
Frédéric de Chambrier, le président
Frédéric de Chambrier
Louise de Chambrier

Edouard Cornaz

Albert Coulon
Alphonse Coulon
Auguste Coulon
Cécile Coulon, la soeur
Charles Coulon
Henri Coulon
Julie Coulon
Louis Coulon, le beau-frère
Marie Coulon, la nièce
Paul Coulon, le neveu
Paul Louis Auguste Coulon, l'oncle

Général de Courtigis

Alfred DuPasquier, neveu
Alfonse DuPasquier
Edouard DuPasquier, beau-frère
Georges DuPasquier
Jämes DuPasquier, pasteur
Jämes DuPasquier, au Havre
Mathilde DuPasquier
Uranie DuPasquier

Ernest Favarger
François Favarger, le chancelier

Bernard Gélieu
Louis Guebhard
Oscar Guebhard
Monsieur Guillebert
Madame Guillebert

capitaine Ibbetson
Harry Ibbetson

Charles Lardy, doyen
Charles Lardy, avocat

Charles Joseph LaTrobe

Charles de Marval
François de Marval

Georges Mandrot

Auguste de Merveilleux, major à Berlin
Jean de Merveilleux, ami de Georges
Marie de Merveilleux

Adolphe de Meuron
Auguste Frédéric de Meuron, dit Bahia
Charles de Meuron
Charles Frédéric de Meuron
Eugène de Meuron
François de Meuron, son parain et oncle
Jean-Jacques de Meuron, le grand-père
Jämes de Meuron
Louis de Meuron, le beau-frère
Maximilien de Meuron
Uranie de Meuron

Auguste de Montmollin, le frère
Elizabeth de Montmollin, sa fille
François de Montmollin, l'auteur
Georges de Montmollin, l'arrière grand-père
Georges de Montmollin, l'oncle
Georges de Montmollin, le frère
Georges de Montmollin, le fils
Georges de Montmollin, le petit-fils
Jean de Montmollin, neveu
Chancelier de Montmollin
Madeleine de Montmollin, nièce
Rose de Montmollin, soeur
Sophie de Montmollin, soeur
Uranie de Montmollin-Brun
Uranie de Montmollin

Armand Frédéric de Perregaux
Cécile de Perregaux
Charles de Perregaux, le général
Fritz de Perregaux
Guillaume de Perregaux
Louis Perregaux
Madame Perregaux-Gaudot

Charles de Perrot
Frédéric de Perrot-Reynier
Frédéric de Perrot, lt-col
Frédéric de Perrot, maire de Travers

Adolphe de Pourtalès
Albert de Pourtalès
Alexandre de Pourtalès
Edouard de Pourtalès
Elisabeth de Pourtalès-Erlach
Eugène de Pourtalès
Frédéric de Pourtalès-Castellane, de Greng
Fritz de Pourtalès-Steiger, de la Mettlen

Georges de Pourtalès
Guillaume de Pourtalès
Isabelle de Pourtalès
Jacques-Louis de Pourtalès-Boyve
Jämes de Pourtalès
Louis de Pourtalès
Louise de Pourtalès-Sandoz
Mathilde de Pourtalès
Sophie de Pourtalès

Alphonse de Pury
Alphonse de Pury-Muralt
Edouard de Pury

Frédéric Rougemont
Henry Rougemont

Frédéric Sacc, docteur
Frédéric Sacc, professeur
Henry Sacc, colonel

Henri Sandoz-Rollin
Cécile Sandoz-Travers, l'épouse
François de Sandoz-Travers
Uranie Sandoz-Travers

Louise Stürler, belle-soeur
Marie Stürler, nièce
Rodolphe Stürler

Babette de Tribolet
Frédéric de Tribolet, beau-frère
Georges de Tribolet
Madame de Tribolet-Vaucher
Sophie de Tribolet, l'épouse

Georges de Wesdehlen
Hermann de Wesdehlen

 

 

Copie en 1908 de l'original par Marcel de Montmollin
Original