Prédication prononcée lors du culte de la famille Montmollin le 2 septembre 1984

(par Edouard de Montmollin)

SUB ALIS TUIS

 

 

Depuis 1914 la Prusse a une mauvaise réputation, et nos compatriotes, pour nous vexer, aiment à nous dire, qu'avant 1848 nous étions prussiens. Nous savons bien que c'est faux, mais personne n'a la patience d'écouter nos explications.

Peut-être qu'aujourd'hui a-t-on davantage conscience d'appartenir à un groupe linguistique ou culturel qu'à une communion de même confession religieuse.

Frédéric-Guillaume, Grand Electeur de Brandebourg père de Frédéric I qui fut le premier Hohenzollern à devenir roi de Prusse puis prince de Neuchâtel) promulga en 1685, année de la Révocation de l'Edit de Nantes, l'Edit de Potsdam dont je lis le passage qui figure sur le mur de la Réformation à Genève en allemand. Je donne ici une traduction que j'espère être correcte:

" Noùs, Fréderic-Guillaume..'...' .. faisons savoir, qu'après les dures persécutions par lesquelles, depuis un certain temps on a accablé nos coréligionnaires de confession réformée évangélique du Royaume de France beaucoup de familles ont été obligées de quitter ce Royaume pour se rendre en d'autres pays. Par conséquent, ému d'une juste compassion, nous avons été amené à leur offrir dès lors gracieusement une libre retraite dans tous nos pays et provinces."   Potsdam le

Or George, le Chancelier, a vécu de 1628 à 1703. Il était de huit ans plus jeune que Frédéric-Guillaume (1620, Grand Electeur en 1640, mort en 1688). Il avait 47 ans lors de la Révocation de l'Edit de Nantes. En 1685 il était chancelier. Son neveu Emer (1664-1714), qui jouera un grand rôle plus tard dans 1' affaire de succession, avait 21 ans. C'est dire, qu'au moment de la Révocation et en tant que protestants, ils ne se sentaient probablement pas à l'aise à l'ombre de Louis XIV et de Madame de Maintenon. N'oublions pas que le frère du chancelier George, Guillaume (nom prédestiné) était pasteur, et que Jean-Henry, son fils, notre ancêtre, avait épousé la fille du grand théologien Jean-Frédéric d'Ostervald (1663-1747).

Ce n'est pas à moi de vous apprendre que tout le monde bien protestant avait une certaine répulsion à l'épgard de Louis XIV. Le Grand-Electeur s'était même senti contraint de rompre l'alliance qu'il avait conclue avec le Roi-Soleil.

Les Réformés voyaient en lui leur soutien, et se plaçaient "sous ses ailes". A von Grumbkow, Frédéric-Guillaume donna l'ordre: "plutôt que de laisser ces pauvres gens sans secours, on vendra ma vaisselle d'argent".

Le Grand-Electeur avait épousé Louise-Henriette d'Orange, qui, avec son frère Guillaume, futur roi d'Angleterre avait des prétentions sur la principauté de Neuchâtel. Le fils de Frédéric-Guillaume et de Lauise-Henriette, Frédéric, soutiendra Guillaume d'Angleterre contre Jacques II. Le prix de cette aide bienvenue sera la renonciation de Guillaume III à ses prétentions sur Neuchâtel. (Guillaume III a été lui-aussi ennemi acharné de Louis XIV et bon protestant.) Louise-Henriette nous est connue comme femme de grande piété, auteur de cantiques dont un se trouvait encore avec une musique de Jean Crüger dans l'ancien psautier romand (No 210): Mon Rédempteur est vivant, et c'est en lui que j'espère .' Je l'ai contemplé mourant Pour mes péchés, au Calvaire; Mais par un suprême effort, Jésus a vaincu la mort. (Evidemment la traduction n'est pas excellente, mais pourquoi ne l'avoir pas laissé dans le nouveau psautier ?

On a plaisanté en parlant de la devise des Montmollin : "Sub alis tuis". On s'est demandé s'il s'agissait des ailes du Seigneur ou de celles du Roi de Prusse, fils de Frédéric-Guillaume et de Louise-Henriette. Il fallait faire toute cette évocation historique pour éviter toute ambiguïté. Nous écartons d'emblée toute pensée qui ferait croire que c'est par flagornerie que cette devise a été choisie. Bien sûr nos ancêtres citaient un psaume et pensaient au secours de Dieu. Ils ne manquaient pas de piété. Mais bien sûr aussi qu'ils étaient reconnaissants au secours qu'accordaient aux Réformés Frédéeic-Guillaume et son fils Frédéric I (qui octroya à la famille une àugmentation d'ailes à ses armoiries); Le protection du roi de Prusse était comme un exaucement aux prières demandant à Dieu de protèger le pays des dragonnades et des tortures infligées par Louis XIV, et beaucoup de Huguenots sont venus à Neuchêtel se mettre sous la protection de ces ailes.

Pour la foi chrétienne, il n'y a pas un monde de Dieu et un monde des hommes. Il n'y a pas une mythologie et une histoire. Dieu est celui qui est, en soi inconnaissable dans sa transcendance, et, dans son immanence, il est toujours incarné dans l'histoire. L'Ancien Testament et le Nouveau Testament sont des livres d'a11iances avec des hommes plongés dans un contexte historique. Le point culminant de cette incarnation est la croix, où la confrontation entre Dieu et l'homme parjure se termine par cette constatation: L'homme est déicide; et par une grâce divine: L'homme peut néanmoins retourner à Dieu car Dieu est fidèle. L'homme est racheté, il est pardonné, il est recréé enfant de Dieu, mais c'est là l'oeuvre de Dieu et non pas de l'homme. Si l'homme est rendu, par grâce, à son état premier, il est rendu capable d'aider son prochain plongé dans la désespérance et dans la nausée de vies qui n'ont plus de sens.

Dieu se sert aùssi d'hommes pour venir en aide à d'autres. Il a appelé l'affreux Nabucodonosor, son serviteur (Jér. 43:8-13; Ez. 26:7 et ss.) Il fit de même pour Cyrus, roi de Perse, qu'il appelle même son élu (Es. 44 & 45). Il n'y avait certes pas au XVIIème siècle le bon Frédéric-Guillaume et le méchant Louis XIV. Frédéric-Guillaume avait, peut-être, parce qu'il était très ambitieuz, de mauvais côtés, et Louis XIV de bons. Mais à un moment précis, dans une situation donnée, le chrétien croit. que Dieu peut susciter quelqu'un pour venir en aide à un opprimé, et ce quelqu'un n'est pas forcément l'homme le plus vertueux. Il est un fait indéniable que la Maison de Hohenzollern a été considérée comme la providence des Huguenots. Et le roi Frédéric I, fidèle à 1'esprit de son père et de sa mère, a tenu à faire aussi de la principauté de Neuchâtel une terre d'accueil.

Aujourd'hui, le chrétien par le pouvoir politique qui lui est donné, a aussi des devoirs. Son engagement doit se faire au-dessus de la querelle des partis (cela n'est pas toujours le cas, hélas !) Car Dieu nous confie nos poùvoirs politiques, professionnels, familiaux ou financiers pour que nous pratiquions sans haine et sans agressivité, dans le respect de notre vis-à-vis politique, une action de soutien et de secours pour les plus démunis.

J'aime l'attitude de nos pères, après la révolution, qui ont contribué inlassablement à l'amélioration des conditions sociales des moins privilégiés.

Après tout, il y a deux ailes dans l'augmentation des armoiries octroyées à la famille par Frédéric I. Pourquoi ne pas se dire: Sous tes ailes, Seigneur, je remets ma vie mais que sous mon aile puisse toujours se réfugier celui qui aura besoin de moi.

Dieu a eu pitié des Huguenots, dont 20 000 ont trouvé refuge sur les terres du Grand-Electeur et se sont placés sous les ailes de la Prusse.

Je ne veux pas faire aujourd'hui un sermon sur la politique d'aujourd'hui ni résoudre le problème des réfugiés (bien qu'il vaudrait la peine que nous y réfléchissions) mais je voudrais insister sur ces deux points: Placés sous les ailes de Dieu nous le sommes aussi sous celles du pouvoir.

Oui, nous avons besoin de nous sentir en sécurité, car les temps que nous vivons nous placent toujours plus dans un sentiment d'insécurité. L'évolution se fait rapidement, et je ne pense pas seulement à l'évolution technique, mais surtout aux changements que nous constatons dans la morale et la vie sociale sous l'influence des nouvelles philosophies. Qui n'est pas confronté avec l'évolution de notions éthiques ? Le mariage est-il encore indissoluble ? N'est-il plus qu'une formalité à laquelle un nombre toujours croissant de jeunesse soustraient? L'avortement n'est, plus un crime mais un droit. L'acte sexuel est devenu un acte dénué de responsabilité. Les enfants n'ont plus de devoir à l'égard de leurs parents (à l'inverse, d'ailleurs, les parents abandonnent facilement tout principe quant à l'éducation de leurs enfants).

La jeunesse a été trop victime de ceux qui ont voulu et cru l'aider en la "comprenant". Elle s'est mise à rechercher l'autorité auprès de sectes aux principes stricts.....

Il y a encore les ailes de notre Dieu qui restent, il y a toujours un retour à Jésus-Christ possible. Nous le crucifions à chaque génération mais il ressuscite et sa grâce intervient toujours pour nous permettre de reprendre la situation en main.

Et il y a les ailes des plus forts d'entre nous, jeunes et vieux. Devant une situation qui peut se dégrader, il est nécessaire que les privilégiés prennent leurs responsabilités dans les domaines où ils ont quelque influence. Les chanceliers George et Emer ont pris une lourde reyponsabilité sur leurs épaules dans une situation internationale détériorée. Ils avaient une cause en main et auraient passé pour des traîtres si les Bourbons avaient pris le dessus. Ils ont risqué beaucoup. Savons-nous encore risquer quelque chose pour les autres, ou sommes-nous victimes de l'égoïsme matérialiste ?

C'est pourquoi nous prierons maintenant pour ceux d'entre nous qui ont pris des responsabilités dans le monde politique, industriel, scientifique, journalistique, pédagogique ou autre, pour que Dieu étende sur eux son aile. Nous prions aussi pour les femmes de la famille à qui incombe la tâche de l'éducation de ceux qui viendront après nous, pour qu'ils soient enrichis de l'exemple de leurs pères. Et que la bonne main de notre Dieu soit sur nous tous.

Amen.

 

  Prédication prononcée lors du culte de la famille Montmollin le 2 septembre 1984
  par Edouard de Montmollin